Chapitre 2, chaleur

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Morgane jouait depuis deux heures lorsqu’on sonna à son interphone. Elle était prête. Elle avait aéré son appart, scotché sa porte de chambre et de salle de bain avec de la grosse bande adhésive grise pour les rendre quelque peu hermétiques.

— Mmh ?

— C’est Sacha.

— Monte. 3e, porte 305.

Morgane entrouvrit sa porte et se rassit devant son jeu. Sasha poussa doucement le battant, n’osant pas vraiment rentrer. Elle ne comprenait pas l’entêtement de Morgane à l’invitée au vu de sa réticence. Elles auraient pu bosser dans un café de nuit.

— Pose tes affaires où tu veux.

Sasha ferma la porte derrière elle et observa la pièce insolite. Si le salon était rudimentaire, un canapé, une table basse, une télé de bonne taille ; l’espace informatique près de l’entrée était démentiel. Une tour aux parois vitrées et l’intérieur lumineux, trois moniteurs, deux claviers colorés à la gameur, souris à douze-mille boutons et deux grosses enceintes. Un jeu tournait sur deux des écrans tandis que des lignes de codes défilaient sur le troisième. Les lisant rapidement, elle comprit qu’il s’agissait du jeu lui-même sous son était le plus brut.

— Tu modifies le jeu pendant que tu joues ?

— Non, j’aime lire ses racines. Il y a des choses à prendre.

Morgane lâcha sa manette et partit dans la cuisine ouverte sur le salon par un petit bar. Sasha la suivit du regard. Elle n’osait pas bouger, son écharpe et son sac toujours à la main.

Sans même lui poser la question, Morgane servit deux bières sur la table basse, se rassit sur sa chaise de bureau qu’elle traina près du canapé et posa son portable sur les genoux.

— Au boulot.


Malgré les réponses laconiques et les onomatopées, c’était étrangement agréable de bosser chez Morgane. Sasha la sentait détendue. Elles avançaient minutieusement sur les algorithmes de la quête principale de la démo. Celle-ci serait gardée en quête principale de DLC, autant la travailler dès le début.

Il était 22 h passé quand tout dérapa. Morgane était dans sa cuisine en train de déballer leur commande, Sasha l’observait du canapé. Elle ne voyait que son dos et ses cheveux d’un beau gris anthracite. Les pointes blanches tranchaient avec le tissu noir de sa veste qui affichait « play/eat/sleep/repeat ». Sasha commença à avoir chaud, elle sentait sa nuque bruler. Morgane revint au salon, déposa les burgers, les frittes et servit d’autres bières. Levant les yeux vers Sasha, elle vit la sueur perler sur son visage rouge et compris tout de suite. Elle porta d’instinct les mains à son nez, mais au lieu d’être agressée par l’odeur des phéromones comme elle s’y attendait, elle sentit quelque chose d’agréable lui envahir la poitrine. Elle n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit, Sasha se levait précipitamment.

— Je suis désolée ! Je suis désolée Morgane, je voulais pas…

Et la porte claqua derrière elle. Morgane regarda stupidement le battant, essayant de comprendre ce qui venait de se passer. Sasha était entrée en chaleur. C’était étrangement soudain. Même pour une oméga sans suppresseur. Cela ne l’énerva pas. Elle s’en agaça. C’était une oméga ! Elle n’aimait pas les omégas inconscients ! Et si elle avait été une alpha normale ? Morgane saisit l’écharpe rouge oubliée sur le canapé. Inspira profondément. La douce chaleur qui l’avait envahie plus tôt revint. Elle n’aimait pas ça.


Morgane se pointa tard au bureau le lendemain. Elle était passée à la pharmacie. Un masque hermétique sur le nez. On ne savait jamais. Elle fureta dans les rayons, soin de peau, soin de pelage, antipuce, vermifuges, ah ! Suppresseurs.

— Je peux vous aider ?

Morgane se retint de montrer les dents.

— Vous cherchez un suppresseur ? Alpha ou Omega ?

La confondre avec un oméga… Morgane allait l’envoyer paitre, mais remarqua l’abondance de marques de suppresseurs.

— Omega.

— C’est pour une prise quotidienne ? Vous travaillez en présence d’alphas ? Ou simplement ponctuellement, au cas où ?

Morgane hésita.

— Quels sont les effets indésirables des deux ?

— Oh euh… les quotidiens peuvent facilement donner des Meaux de tête ou de ventre. Parfois des diarrhées. Alors que les ponctuels peuvent rendre somnolents, mais ils sont mieux supportés.

Tout ça était de la faute de Nora les forçant à travailler ensemble. Même si elle trouvait ça irresponsable, Sasha n’avait pas besoin d’inhibiteurs habituellement. Elle le savait, car elle ne sentait pas cette odeur un peu âcre sur elle.

— Lesquels sont les ponctuels ?

La pharmacienne montra quatre boites que Morgane saisit et approcha de son nez. Elle prit sa tête de loup, se moquant bien d’effrayer la jeune femme – bêta à n’en pas douter – qui recula d’un pas. Une boite après l’autre, elle renifla attentivement leur odeur.

— Je vais prendre celui-là.

La pharmacienne acquiesça, prenant le médicament d’une main un peu tremblante. Le soir, elle rentrera néanmoins chez elle en racontant fièrement à son mari qu’elle avait vu un magnifique loup gris et son mari répondra que pour lui les animaux devaient être mis en cage.


En attendant que ses ordis fixes et portables s’allument, Morgane toisa Sasha assise en face d’elle. Les yeux rivés sur son écran, ses oreilles étaient basses et sa tête rentrée dans les épaules. Curieusement, elle ne sentait plus rien.

« Même heure soir »

Sasha leva les yeux vers Morgane qui faillit rire de son incrédulité. Mais Morgane n’aurait pas fait le plaisir à Cléo et Emilie de rire au bureau. Elle soutint quelques secondes son regard puis se replongea dans ses lignes de codes. Tout un pan de quête lui était venu dans la nuit.

— Wow ! Parfois ton génie n’a pas de limite.

Cléo était penchée par-dessus son épaule et tentait de déchiffrer l’espèce de schéma aux multiples flèches et sous-flèches que fixait Morgane depuis maintenant vingt minutes.

— Toi ton génie c’est le codage des textures. Moi ça me gonfle à un point.

Cléo rit doucement. C’était ce dont elle avait parlé à Sasha. On pouvait l’observer des heures entières, Morgane ne disait jamais rien, mais lorsqu’elle ouvrait la bouche c’était souvent pour dire un compliment. Cléo avait en effet une obsession pour les textures. C’était d’ailleurs comme ça qu’elles s’étaient rencontrées avec Emilie. Un jour sa collègue l’avait croisée alors qu’elle fixait intensément l’eau. Cléo ne travaillait pas encore à infocorp et Emilie avait été attirée par l’énergumène assise au bord de l’eau avec un ordi sur les genoux. Curieux contraste. Emilie l’avait interpelée, début d’une amitié inébranlable.


19 h tapante. Sasha était en bas de l’immeuble et hésitait. Le hasard avait fait qu’elle habitait à une minute à pied de chez Morgane. Minute qui lui en avait pris le double tant elle avait marché lentement. Elle ne savait même pas ce qui la perturbait à ce point. Elle avait eu une chaleur, et alors ? Même si c’était excessivement rare, cela lui arrivait parfois. Il n’y avait pas de quoi en faire un drame. certes elle ne faisait pas attention à ses cycles puisqu’ils étaient hératiques et surtout qu’ils n’attiraient pas les alphas. Étrangement, ils ne sentaient pas ses phéromones. Quelle aubaine ! Pouvoir vivre sans ces inhibiteurs de merde. Mais si Morgane avait porté les mains à son nez… ? Son regard paniqué l’avait elle-même paniquée. Elle ne savait pas pourquoi Morgane détestait les omégas, mais les chaleurs devaient au moins en faire partie.

— C’est… Sasha…

— Monte.

Sasha poussa la porte au grésillement sonore de l’interphone et entra. Pourquoi était-elle à ce point terrifiée de l’incommoder ? C’était bien Morgane qui l’avait réinvitée. Poussant la porte 305, elle la trouva jouant au même jeu que la veille. Deux bières attendaient sur la table avec un paquet de chips.

— Tiens.

Morgane s’était levée et lui avait lancé une petite bouteille en plastique. « Omegasup »

— Si jamais tu te sens mal.

Sasha déglutit. Qu’un alpha donne des suppresseurs à un oméga était un acte hostile. Pourtant il y avait dans l’attitude neutre de Morgane une étrange gentillesse. En outre, il s’agissait de comprimés ponctuels.

— Au boulot.

Sasha la regarda s’installer et ouvrir les bières et décida de ne pas s’offenser. « Si elle se sentait mal ». Morgane ne lui demandait pas de les prendre en systématique.


Elles s’étaient vues tous les soirs pendant deux semaines et une grande partie du weekend. La démo était presque terminée et serait prête pour le festival fin de semaine suivante. Un petit niveau bonus en supplément.

Sasha ne comprenait pas vraiment Morgane, mais apprécia le temps passé avec elle. Son air taciturne était en réalité du sérieux qu’elle relâchait un peu en sa présence le soir. Elle alla même jusqu’à dire plus de quatre onomatopées successives lorsqu’un soir elles s’étaient détendues en jouant à une version coop de War Of Dragons 2. Sasha comprit un peu mieux ce qu’avaient voulu dire Emilie et Cléo le premier jour. La peur de la déranger avait disparu, remplacé par un certain amusement de l’envahir. Elle étalait ses affaires et prenait ses aises chaque jour un peu plus sans que Morgane dise rien. Le duct tape autour de la porte avait disparu. Elle finit par se demander ce que Morgane pouvait détester chez les omégas. Durant ces deux semaines, la bouteille d’Omegasup était restée dans un coin de l’ilot de cuisine, pleine.

— On se voit au taf, à demain.

— Mmh.

Morgane la regarda fermer la porte, perplexe, comme tous les soirs depuis le premier. Elle se leva et alla chercher l’écharpe de Sasha pour l’enfiler, se fâchant contre elle-même de ce geste. Sasha n’avait pas eu d’autres chaleurs ni même eu besoin des inhibiteurs. Elle n’avait pas non plus pris des comprimés qu’elle-même aurait achetés. Tant mieux. D’une part l’odeur était désagréable, d’autre part ces médicaments étaient une sacrée merde. Mais curieux. Un cycle d’oméga durait souvent cinq à huit jours. Comment se faisait-il qu’elle ait senti ses phéromones une seule soirée ? Elle avait bien senti une très discrète odeur se rapprochant de la clémentine le lendemain matin, mais c’était tout. Pourtant, elle était devenue plus à l’aise. Elle avait même fini par laisser sortir ses oreilles. Quel étrange oméga. Morgane plongea le nez dans l’écharpe et inspira profondément.

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