J'avais demandé aux curés de nous présenter pour le lendemain leurs idées visant à valoriser notre candidat, sachant que tout le Ciel avait les yeux braqués sur lui.

Il convient de savoir que le Ciel fonctionne en mode audio, de multiples haut-parleurs tentent de retenir l'attention des âmes sur des sujets particuliers. Un peu comme les publicités télévisées sur la terre. Et pendant cette période de bataille électorale, ils crachaient du son à haute intensité.

Nous avons lancé notre info pour créer un désir de regarder : Dieu est à Monza, il va conduire une voiture de course Ferraris.

Quand je l'avais fait monter derrière moi en moto, cela avait créé un engouement pas possible.

On espérait donc, que vêtu d'une combinaison rouge de pilote, il pourrait effectuer quelques tours de piste en recueillant le maximum de visibilité et d'enthousiasme chez ses fans du Paradis.

Nous ne précisions pas que la Ferraris de compétition datait de plus de dix ans, et que la piste avait été louée au prix fort pour une dizaine de minutes par un fidèle italien plein aux as.

La piste était vide de concurrents, et les performances du conducteur non révélées.

Par un manque de chance dramatique pour nous, quelques minutes avant la démonstration de notre pilote, les haut-parleurs du Paradis se mirent à cracher : violente éruption de l'Etna, catastrophe en vue.

Tous ces haut-parleurs ensemble rendirent inaudibles les nôtres, et notre héros passa inaperçu.

Un bide. C'était rageant. Il fallait se rattraper lors de notre manifestation suivante.

Cette fois-ci, Dieu devait donner le coup d'envoi d'un match de Foot. Et pas n'importe lequel, il s’agissait du derby entre le Milan AC et l'Inter. Il devait porter un tee-shirt exhibant en gros caractères son slogan La Force En Marche. Un ancien joueur handicapé du Milan AC, en fauteuil roulant, devait l'accompagner au centre du terrain. Nous n'avions pas osé lui demander de faire un petit quelque chose pour le handicapé, mais nous priions tous pour qu'il le fasse.

Comme nous l'avons vu, l'essentiel du spectacle résidait sur terre, mais encore fallait-il en comprendre la langue. Certains pays étaient donc très défavorisés, et leurs ressortissants, dans les sondages, se réfugiaient dans l'abstention .

Quelques minutes après l'échec de notre première tentative pour mettre notre candidat sous les projecteurs, un des curés vint me voir. Il souhaitait me parler en toute discrétion.

Quelques minutes plus tôt, il avait été pris d'un soudaine envie d'aller aux toilettes. La porte était fermée de l'intérieur. Il a patienté de très très longues minutes. Puis, l'individu enfermé s'est mis à parler, fortement, comme s'il communiquait avec quelqu'un. Le curé m'indiqua qu'il n'avait aucunement l'intention d'écouter aux portes, mais que les paroles avaient retenu son attention. Il parlait de l'horaire de l’essai que Dieu devait effectuer avec la Ferraris. Et il a semble t-il ensuite parlé à un second correspondant à qui il a indiqué, à 10 heures, ciblez l'Etna.

Et l'Etna était effectivement entré en activité quelques minutes avant 10 heures, mettant à mal notre projet.

Le curé me montra l'homme qui apparemment nous espionnait. C'était un séminariste, fraîchement débarqué dans notre groupe, dans l'attente de devenir curé.

Nous étions infiltrés.

J'en parlais immédiatement avec notre curé. Il semblait impossible de traiter de ce sujet d’espionnage en réunion, car nous ne savions pas combien d'espions pouvaient se trouver parmi nous.

La décision fut prise de l'utiliser pour désinformer l'ennemi. Lors du prochain événement, nous donnerons de fausses informations au moment de la réunion, et nous coincerons notre séminariste à la sortie des toilettes. Et il fallait prévenir Joséphine pour qu'elle puisse intercepter l'interlocuteur du séminariste de son côté.

MILAN AC

Nous avions prévenu nos supporters que Dieu serait présent à Milan, mais sans en indiquer l'heure, et lors de notre conférence avec les curés, nous avions donné une fausse information. Quelques secondes après la fin de la réunion, notre supposé espion quitta la pièce, pour se rendre, comme on le supposait, aux toilettes.

Au stade, tout se passait comme prévu, Dieu poussait vers le centre du terrain le fauteuil roulant d'un ancien joueur du Milan AC paralysé des deux jambes.

Les acclamations fusaient de toute part sur le stade. Le nom de l'ancien joueur était scandé par les supporters des deux équipes. On n'entendait même plus le sifflet de l'arbitre. À ce moment-là, Dieu a serré la main du paralytique qui s'est soudain levé de son fauteuil. Ce dernier a applaudi la foule en transe qui s'est approprié le miracle. Les journalistes ont suivi le mouvement : ils ont choisi le thème qui leur permettait d'écrire les articles les plus lus par leurs lecteurs. Dieu a été totalement ignoré en Italie.

Au Ciel, les haut-parleurs se contredisaient. Un sondage montra que le miracle était attribué à parts égales entre les deux hypothèses.

Pour nous, c'était encore un échec, car nous n'avions pas réussi à valoriser notre candidat.

Lorsque le séminariste décida de sortir des toilettes, nous étions dix à l'entourer. Il comprit immédiatement qu'il avait été manipulé, mais il se mit à rire. Vous ne pouvez rien contre moi, car je n'ai rien fait d'illégal. Comme nous le laissions partir, il reprit. Et si vous avez cru vous être débarrassé définitivement de la Secte du Serpent noir, vous vous êtes trompés.

Nous étions fixés, nous n'avions pas affaire à une simple fronde politique interne au paradis, mais à une tentative de déstabilisation, voire de conquête larvée.

Il fallait absolument permettre à notre candidat de rejoindre rapidement le Ciel, car si les ennemis étaient déjà bien implantés dans la place, ils feraient tout pour l'en empêcher.