Le rapport suivant de Joséphine était éloquent.

Si d'un côté, le processus d'élection semblait se poursuivre sans encombre, les candidats ne faisant pas du blocage de Dieu sur Terre une question de principe.

Mais, une frange insaisissable, sans candidat déclaré, créait le chaos, collant des affiches partout, tentant de bloquer et même de saboter les entrées et sorties du Paradis. Ils essayaient même d'ouvrir les portes de l'enfer aux cris de : Paradis et Enfer, même combat.

Le Général de Gaulle aurait dit : c'est la chienlit.

L'armée et la police du Ciel, n'ayant plus leur chef suprême, seule autorité apte à les commander, n'intervenaient pas.

Je demandais à Joséphine de me faire un petit rapport : Fonctionnement du Purgatoire et de l'Enfer, chemins de passage entre eux et le Paradis, liste de tous les accès du Ciel avec l'extérieur.

Je lui suggérais d'établir avec des anges surs, la liste des perturbateurs de tout poil, afin de pouvoir rapidement les neutraliser, si Dieu parvenait à rejoindre son palais. Compte tenu de l'état de décomposition avancé de l'état de droit au Paradis, il devrait frapper sur la table une bonne fois pour toutes, éliminer toutes les plaisanteries d'élections, et envoyer les fauteurs de troubles directement en Enfer. Un Dieu dictateur, ce qu'il a été pendant longtemps avec une certaine réussite.

Le rapport de Joséphine était succinct.

Des passerelles vers le haut existent, quelques âmes en Enfer peuvent monter au Purgatoire, mais c'est très rare. Celles entre le Purgatoire et le Paradis sont quotidiennes, notamment pour ceux qui ont purgé leur peine. Actuellement, ces transferts sont bloqués, entraînant du mécontentement et de l'inquiétude.

En ce qui concerne les possibilités d'entrées et de sorties du Ciel, il a été nécessaire de consulter les anges des premières heures vieux de plusieurs millénaires. Ils nous ont confirmé qu'au début, toutes les âmes arrivantes parvenaient directement au Purgatoire. Le nombre de décès était faible en nombre, et le tri se faisait, comme on disait à l'époque, à la main.

L'emplacement de ce sas se situait en dessous de celui utilisé actuellement. Nous nous efforçons d'en retrouver l'entrée, et d'établir des liens de confiance avec les locataires du lieu, car nous aurons besoin d'eux, ou tout au moins de leur discrétion.

Par acquit de conscience, je demandais à Dieu s'il se souvenait où était située l'entrée initiale dans le Purgatoire. Il me répondit qu'il était le concepteur du Ciel, mais qu'il ne s'occupait pas des détails.

Peu après, quand la réalité de l'entrée fut confirmée, j'entrepris de le chambrer.

Vous aviez promis de faire du Ciel une place forte imprenable, ça prête pour le moins à rire, c'est une vraie passoire.

Le visage du vieux se figea. Je vais me mettre en colère, dit-il, je me retiens.

Je me souvins soudain des mots prononcés par Joséphine :

Surtout, ne le contrariez pas, il est très soupe au lait et ses colères sont terribles.

Je m'empressais de m'excuser, arguant que le stress que j'éprouvais m'avait fait déraper.

C'est oublié conclut-il.

Je lui demandais si nous obtenions de l'aide de la part des âmes du Purgatoire, il était prêt à leur accorder des remises de peine ?

- Oui

- Puis-je transmettre cette proposition aux anges qui vous soutiennent ?

- Oui.

Ce qui fut fait.

Le Purgatoire fut l'objet d'un intense lobbying. La promesse des remises de peine tombait à pic, car au même moment, ses occupants étaient contraints d’effectuer tous les travaux que les âmes en grèves refusaient d’effectuer. Nettoyage, décollage d'affiches, ramassage des ordures, et j'en passe.

Le sas d'entrée dans le Purgatoire avait été trouvé et remis en service.

À la porte séparant le Purgatoire du Paradis, se tenaient des gardes qui consignaient les identités, et les motifs du passage, refermant la porte après chaque passage. Le flot des entrées sorties devint si intense, que pour ne pas bloquer l'activité, les gardes en furent réduits à noter uniquement le nombre de passages dans un sens et dans l'autre. La porte ne se fermait plus.

Pour accentuer les problèmes posés aux gardiens, et puisqu'il n'y avait plus aucune vérification, aux corvéables se sont joints de très nombreux volontaires, pour faire des aller-retours, rendant impossible un simple comptage.

Les gardiens, dépassés par les événements, ne regardaient même plus les flots qui se croisaient.

C'est à ce moment-là que Dieu qui avait pénétré par le sas, passa la porte sans aucun contrôle.

Il se dirigea directement vers son palais, et tout le Ciel sut immédiatement que le Maître était revenu.

Les éclairs et le tonnerre firent taire tous les haut-parleurs.

Dieu allait parler.

Et ce n'était plus le bon vieux, pote de tout le monde, que nous avions rencontré sur terre qui allait s'exprimer. C'était le dictateur violent qui avait retrouvé la place qu'il n'aurait jamais dû perdre.

Ses premières paroles furent consacrées au sort des fauteurs de trouble, dont les identités avaient été secrètement relevées. L'armée des anges les transféra en Enfer dans la seconde qui suivit. Et la température y fut relevée de deux degrés. Il est bon de se souvenir qu'il n'y a plus de flammes dans L'Enfer, mais que les détenus y cuisaient à petit feu.

Il s'adressa ensuite aux locataires du Purgatoire.

Amnistie totale pour eux, réintégration complète avec tous leurs droits rétablis.

L'armée des anges ouvrit toute grande la porte du Purgatoire pour en laisser sortir tous les occupants.

Il ordonna la reprise immédiate du travail, le rétablissement immédiat de toutes les liaisons unissant le ciel et le monde extérieur, l'abolition de tous les mouvements politiques, et l'annulation des élections prévues.

Il poursuivit.

Vous les anges, vous les âmes, je vous ai compris.

Le Ciel ne va pas rester en dehors de la modernité, et chacun d'entre vous doit en profiter.

Et, il entreprit de prononcer un discours gaullien qui enthousiasma la foule.

Il ne parla pas de notre petit groupe pendant son discours, mais Joséphine nous transmit ses remerciements pour l'aide apportée.