Je l'interrompis :

- Et alors, je ne tiens plus, où est-il maintenant ?

Il avait choisi votre paroisse pour son premier déplacement. Nous le suivons pas à pas, mais nous ne pouvons pas communiquer avec lui. Et si je suis, moi-même surveillée, personne n'a pensé à interdire notre ligne de communication.

- Pourquoi avoir choisi notre paroisse ?

- Vous ne pouvez pas le savoir, mais vous et votre curé, êtes des stars parmi les anges, et votre curé a ses fans, comme vos chanteurs ont les leurs. Vous, vous êtes moins côté.

Vos aventures, ignorées un certain temps, ont fini par s'ébruiter. L'histoire des Jésus, celle de Ciel-news, celle de la petite mourante, ou encore votre combat contre la secte satanique, ont contribué à votre célébrité.

Vous n'ignorez donc pas, depuis que vous côtoyez le Ciel, que la principale, et presque seule distraction qu'ont les anges et les âmes confinées au Paradis consiste à observer ce qui se passe sur la terre.

Dieu ne pouvait donc pas éviter ce déplacement, car il était suivi par tout le Paradis.

Vos hommes politiques adorent ces commémorations et toutes les occasions de se trouver sous le feu des caméras.

Ici, aussi.

Et, Dieu avait bien besoin de redorer son blason.

Maintenant, vous allez aller à sa recherche, et le ramener chez vous. Il y sera en sécurité. En ce moment, il déambule sur le Cours Mirabeau à Aix.

Grand, cheveux blancs, la soixantaine, un chapeau sur la tête, costume cravate.

Je vous tiendrais au courant de son itinéraire quand vous pourrez vous reconnecter.

Surtout, ne le contrariez pas, il est très soupe au lait et ses colères sont terribles.

À la guerre comme à la guerre, ma voiture était indisponible, car encours de révision, j'enfourchais donc ma moto et fonçais direction Cours Mirabeau.

Je n'eus même pas besoin de me reconnecter avec Joséphine, car ce Dieu-là, on ne pouvait pas le louper.

On ne pouvait pas dire si c'était Dieu qui avait peu de goûts pour se vêtir, ou si c'était son service de relooking qui avait un siècle de retard.

Je l'abordais et lui résumais ma conversation avec Joséphine. Il accepta de me suivre, et il monta à l'arrière de ma moto.

Ça a dû lui faire tout drôle de monter sur un deux-roues, en tenant son chapeau à deux mains.

Je priais pour ne pas être arrêté par un contrôle de police, mon passager ne portant pas le casque, obligatoire depuis peu.

Mais, j'étais sûr qu'avec un tel passager, ma prière ne pouvait qu'être exaucée.

Avant de rentrer dans mon appartement, j'avais acheté quelques bouteilles de bière et des sandwiches. La quantité l'avait financièrement remporté sur la qualité. Mais, qu'importe l'étiquette, pourvu qu'on ait l'ivresse.

Il fallait liquider les bouteilles de bière pendant qu'elles étaient fraîches, et Dieu n'était pas le dernier à tendre son verre pour que je le remplisse.

Dieu et moi, on était potes, et je suis sûr que si j'avais eu des joints, il en aurait fumé avec moi.

Il me raconta des blagues que je ne peux en aucun cas répéter ici.

Je lui rendis la politesse en lui révélant quelques informations inédites concernant l'affaire des Jésus qui avait été un fiasco pour lui, et celle de la secte Secte du Serpent noir qui fut une réussite magistrale.

Il me posa des questions : à quoi peut bien servir le livre que rédige actuellement notre auteur, si rien ne correspond à la réalité ?

Je lui répondis que les gens, une fois qu'ils ont eu du temps disponible, se sont créé de nouveaux besoins chargés de les empêcher de s'ennuyer. Ils appellent ça distractions.

Lire notre livre a pour objectif de leur faire passer un moment agréable, et ils sont prêts à payer pour cela.

Il semble, d'après les bruits qui courent au Paradis, que le sujet des distractions n'a pas été traité, et que les anges et les âmes sont mécontents, d’où les décrochages et la rébellion.

Il semblait perplexe :

- Vous croyez ?

Je lui répondis :

- Vous êtes quand même mieux placé que moi pour le savoir.