Recueil épistolaire : Lettre 5

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Palais de Scone

Ecosse

le 06 septembre 1306,

Duncan,

Je ne t’ai plus donné de nouvelles depuis bien longtemps, et je te prie de bien vouloir me pardonner. Les temps ont été durs, tu le sais toi-même. Je te présente toutes mes condoléances pour tes frères d’arme tombés au combat. Dans ton malheur, Angus a survécu, chéri-le chaque seconde de ton existence. La vie ne tient qu’à un fil, trop facile à couper.

Depuis ma démission de ma charge de gardien de l’Ecosse (je ne regrette en rien, la tension n’était plus supportable), j’ai eu le temps de me consacrer à la reconquête du trône. Ne le dis à personne : ma soumission au roi d’Angleterre, il y quatre ans, n’était qu’une façade, une entourloupe me permettant d’avancer dans l’ombre de sa propagande. Je n’avais en aucun cas renoncé aux droits sur le trône que je détiens, n’en déplaise à Edouard l’Orchidoclaste[1] ! Ainsi, je t’informe, avec un plaisir non dissimulé, que j’ai pu défier le monarque au cours d’une conversation bien agitée. J’avais été invité à une commission parlementaire visant à planifier les prochains terrains d’attaque. Comme tu t’en doute, je me suis bien gardé de dévoiler mon jeu, alors que de si précieuses informations fleurissaient sous mes yeux. J’ai attendu la fin du débat pour retrouver le principal intéressé. Tu aurais vu son visage se décomposer, cela t’aurait remonté le moral pour plusieurs années. J’ai pu m’échapper in extremis de Londres, alors que toute la cavalerie était à mes trousses. Je n’ai jamais ressenti pareille exaltation, et je t’envie presque ton poste de commandant des rebelles. Presque, car je tiens à la vie plus que toi ; un roi mort n’est pas utile pour son pays.

Tu as sans doute reçu les échos de la triste histoire de Dumfries. Je n’en suis pas très fier, j’espère que tu ne me juge pas trop sévèrement. J’étais parvenu à établir un accord secret avec John Comyn. Comme tu le vois, j’avais fait un effort. Cet accord stipulait qu’en temps voulu, j’accèderai au trône d’Ecosse. John le convoitait également, nonobstant, il avait accepté d’y renoncer en échange de mes terres. Cet imbécile n’a pas tenu parole : il n’a rien trouvé de mieux à faire que le répéter au monarque anglais, à l’instar d’un enfant ne pouvant s’empêcher de dire la vérité. Il a, par ce geste, trahi toute la confiance que j’étais parvenu à lui concéder. Une entrevue fut prévue pour discuter de la suite, l’église Franciscaine de Dumfries servant de terrain neutre. Je me suis laissé emporter par une haine profonde, qui avait jailli avant que je ne puisse réaliser la portée de mon geste : je venais de poignarder Comyn, qui, pour la première fois portait bien son nom : John le Rouge. Mon beau-frère s’est battu à mes côtés, me protégeant des hommes de mon rival. Je ne pense pas que le pape soit prêt à me pardonner si tôt ce meurtre dans sa sainte église. Me suis fait excommunier. A la suite de cette histoire, j’ai partagé les terres et domaines de ce traître entre mes partisans. Tu te souviens ? Je priais Dieu pour qu’il me débarrasse de cet homme ; parfois l’on est mieux servi par soi-même.

Mes actes ne sont pas plus cruels que les tiens. Combien de vie as-tu enlevées ? Sans cette volonté qui me pousse à avancer, je ne serais jamais devenu roi d’Ecosse. Tu n’étais pas là à mes mariages[2] ; tu ne l’étais pas non plus lors de mon couronnement. Ton roi tient d’ailleurs à t’annoncer personnellement de sa mise en campagne officielle, dans le but de chasser les Anglais de notre territoire. En espérant une étroite collaboration avec ton armée.

Pourquoi ma conscience ne me laisse-t-elle pas en paix ?

Sincèrement,

R. B.

[1] Insulte du XIVe siècle qui équivaut à « casse-couille ».

[2] Il s’est marié avec Elisabeth de Burgh en 1302.

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