Prologue

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Il ne pouvait empêcher les larmes de former des sillons humides sur son visage. Tandis qu’il serrait le corps encore chaud de son frère, une main pressa son épaule, le forçant à relever la tête.

— C’est fini, Angus. Il est mort.

Les mots ne parvenaient pas à franchir sa conscience ; une barrière inviolable semblait le maintenir hors de la réalité. A chaque instant, il s’attendait à voir Duncan se relever, riant avec malice de sa chute. Pourtant, aucun soubresaut ne vint perturber l’immobilité frigide.

Il retourna le corps sur le dos, les yeux du défunt fixait un ciel qu’il ne pourrait plus jamais voir. Angus passa sa main sur le visage figé, abaissant les paupières. Il était désormais plongé dans un sommeil éternel.

Une bosse, dans la poche intérieure de son frère, attira son attention. Il l’ouvrit pour y découvrir une pile de lettres, reliées entre elles par une ficelle en cuir. Instinctivement, il les glissa dans sa propre veste avant de se redresser.

Ils devaient reprendre leur route au plus vite. La bataille était loin d’être finie, et rester dans les parages revenait à danser avec la Mort. Depuis des années, l’Angleterre menait un siège acharné pour soumettre les terres écossaises à sa volonté. Fidèle à leur réputation, les habitants de l’Alba[1] se battaient avec rage pour repousser les envahisseurs. La reconnaissance de son indépendance n’avait pas suffi à mettre un terme aux conflits civiles, et les dirigeants anglais ne semblaient pas avoir dit leur dernier mot. Il ne restait plus aucun barrage à leur violence. Les villages tombaient les uns après les autres, ce qui avait incité l’Ecosse à avancer sur la voie de la coopération. Non pas avec l’ennemi, mais entre membres d’une même patrie. Les clans ne s’affrontaient plus ; ils se battaient ensemble. Trop fiers pour laisser écrire leurs lois par des mains étrangères, ils avaient consenti à enterrer les rivalités héritées de génération en génération. Ainsi, les Campbell, les MacDonald et les Fraser marchaient, combattaient et mouraient ensemble.

— Ils arrivent ! hurla l’un des archers.

Toutes les têtes se tournèrent dans la direction pointée par le guerrier. Un frisson parcourut l’assemblée, tandis qu’elle observait avec horreur, les Anglais se rapprocher à vive allure. Était-ce là la fin de leur combat ; ou bien celle de leurs vies ?

— On se replie ! hurla quelqu’un.

La foule se dispersa afin d’échapper à la charge ennemie. Angus, qui avait repris ses esprits, courait aux côtés de ses compagnons d’arme. Ils se dirigeaient aux abords d’une forêt. S’ils parvenaient à la rejoindre, ils sortiraient de la vallée de Glencoe et pourraient se réfugier à Crianlarich. Là-bas, ils seraient en sécurité. Il ne leur resterait plus qu’à franchir le loch Lomond puis rejoindre Glasgow où se situait la résistance.

Alors que leurs frères tombaient les uns après les autres, le petit groupe parvint à s’enfuir in extremis. Au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient de la bataille qui faisait rage, Angus repensait à Duncan qui reposait sur le tapis d’herbe. Il se promit de revenir sur les lieux afin d’enterrer son corps ; une sépulture décente et à la hauteur de son sacrifice apaiserait peut-être la douleur de son âme.

Leur marche fut longue et éprouvante, la beauté des paysages n’étant pas un frein à leur fatigue grandissante. Une auberge du petit village de Crianlarich leur offrit le gîte et le couvert : être résistant offrait de nombreux avantages. Angus ne mangea que très peu cependant, malgré l’énergie perdue durant le combat. La vision de son frère aîné dépourvu d’étincelle de vie le hantait, comme gravée sur sa rétine. Il quitta la table bien avant les autres et rejoignit l’étage où se trouvaient les chambres.

Il avait une obsession en tête. Une pensée qui le taraudait depuis plusieurs heures : le contenu du paquet épistolaire. Aussitôt qu’il poussa la porte de sa chambre, il sortit les lettres de sa poche afin de détacher la corde en cuir. Il examina ensuite rapidement les lettres : certaines paraissaient plus anciennes que d’autres, jaunies par le temps. Elles étaient toutes du même auteur : Robert Bruce. Son cœur loupa un battement. Comment se fait-il que feu le roi d’Ecosse, Bruce Ier, ait écrit des lettres à son humble frère ? Le palpitant battant avec frénésie, il se mit à déchiffrer l’écriture pointue tracée à l’encre noire, les bougies éclairant la pièce semblant leur donner vie.

[1] Autre nom désignant l’Ecosse.

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