Chapitre 4 (partie 3/3)

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Ce soir-là, Joshua prit à nouveau le premier tour de garde. Plusieurs heures s’écoulèrent sans aucun incident, puis le vent se leva et rapidement le blizzard se mit à souffler sur le camp. Cela ne fit qu’accroître le malaise du Guerrier-cuistot. Malgré sa volonté de rester monter la garde, il fut trainé dans le chariot autour duquel la troupe avait monté une immense tente, dans le but de se défendre efficacement en cas de nouvelle attaque et bien sûr de se réchauffer correctement. Joshua s’assit en tailleur, sa poêle au côté et sa perche en travers de ses genoux.

Quatre feux brûlaient dans la tente, malgré cela le froid se faisait sentir. Sophia était emmitouflée dans deux couches de fourrures, ses gardiennes et les militaires avaient fait de même. Seul Joshua ne semblait pas avoir froid et c’était le cas. Le Guerrier-cuistot ressentait ce froid comme une simple brise fraiche. Sa nièce sembla s’en rendre compte et se rapprocha de lui à quatre pas et ignorant ses gardes se blottit contre le corps trapu et ambré.

Joshua frémit au contact du petit corps frigorifié et sans trop savoir pourquoi, il entoura la fillette de l’un de ses bras. Sophia sentit alors la puissante chaleur de son oncle se répandre dans tout son être, moins d’une minute plus tard elle s’endormit. Rassuré, le Guerrier-cuistot remit sa nièce à Torya, la guerrière prit la princesse dans ses bras et la coucha sur un lit de fortune dans le chariot.

Permettre à sa nièce de dormir en toute tranquillité libéra Joshua d’une part de sa frustration. Cela faisait trois nuits qu’il montait la garde et dormait à peine, de peur d’être pris par surprise par le prédateur mystérieux qui arpentait le col.

Ce soir, le repas cuisiné par le Guerrier-cuistot avait été un plat de riz argenté de la vallée des bambous, avec une bonne quantité de jambon fumé de sanglier de la forêt des hauts pins de l’ouest. Tous étaient rassasiés, mais l’estomac plein ne protégeait pas de l’air gelé.

Curieuse, Shilva s’approcha de Joshua et tenta se blottir contre lui. Au contact du corps de l’elfe noir, le jeune homme eu un mouvement de recul. Mais la soldate ne s’en préoccupa gère et poursuivit son geste. Sans rien pouvoir faire, le Guerrier-cuistot se retrouva enlacé par les bras musclés couleur d’onyx de la guerrière.

Aussitôt, la drow sentit la chaleur qui émanait du jeune humain et telle un gros chat elle se mit à ronronner. Si elle avait pu, Ombra aurait rougie jusqu’aux oreilles. Joshua était tétanisé, le contact avec l’elfe l’effrayait, mais il n’osait pas bouger de peur de vexer la Chouette-Blanche.

Afin d’oublier le contact avec Shilva, Joshua se focalisa sur son ouïe et son odorat. Plusieurs minutes s’écoulèrent ainsi, dehors le vent semblait souffler de plus en plus fort. Tout à coup, le Guerrier-cuistot entendit un souffle fendre le courant du blizzard, un autre souffle suivit, puis un autre. Joshua réalisa ce qu’était ce bruit : un battement d’aile. Le jeune homme renifla, humant l’air, mais la tente et la neige couvraient toutes les odeurs.

Joshua se leva d’un bond, faisant sursauter tout le monde, le battement s’accélérait et se rapprochait dangereusement de la tente. Le jeune homme estima rapidement la taille de la créature qui s’approchait, elle était grande, très grande.

-Tous dans le chariot ! hurla le Guerrier-cuistot.

Sans comprendre, le groupe resta de marbre, avant que Joshua ne jette Borbon et Shilva dans la charrette. Réalisant l’urgence de l’ordre du Guerrier-cuistot, tous se pressèrent dans le véhicule, armes tirées.

À peine le groupe se fut il massé dans le chariot, qu’une paire de griffes aussi larges que des poignards s’abattirent sur la tenture, la déchirant comme du papier. Joshua fit volteface et inspira autant que ses poumons lui permirent, mais au lieu d’avaler de l’air, se furent les flammes du feu de camp qu’il avala. Les flammes se levèrent en une myriade de spirales incandescentes, pour s’engouffrer dans la trachée et les narines de Joshua. Brillant d’une lueur orange, l’abdomen du cuisinier se gonfla, à un tel point que Sorya crut qu’il allait exploser.

Alors que la tente tombait en morceaux, un rugissement titanesque retentit couvrant le blizzard. Les griffes monstrueuses ouvrirent finalement un trou béant dans la tenture, une gueule féline garnie de crocs apparut et une paire d’yeux flamboyants brilla.

À cet instant Joshua expira avec force, relâchant le flot de flammes prisonnier de ses poumons. Ce « souffle du fourneau » fut dix fois plus dévastateur que celui qu’il avait lancé sur la meute de gobelins. Le cône de feu déferla sur l’assaillant inconnu comme une éruption volcanique.

Un cri de douleur suraigüe déchira le vacarme de la tempête. Blessé, ou simplement effrayé, le monstre recula et dans un son mat atterrit dans la neige à environ trente mètres du chariot. Tandis qu’il reprenait son souffle, Joshua siffla et Hortho accourut, son chargement cliquetant sur le dos. Le jeune homme fouilla en toute hâte et en sortit une flasque. Il la déboucha et but une grande rasade de son contenu. La boisson chaude et amère se répandit dans le gosier de Joshua.

Sa soif étanchée, le Guerrier-cuistot sortit de la tente en essuyant sa bouche. Depuis le chariot, ses camarades l’avaient observé, si son souffle de feu les avait fascinés, son action suivante en avaient laissé plus d’un circonspect.

Seul Torya et la princesse n’étaient pas étonnées, pour elles les actes de Joshua étaient tout à fait censés. Sorya tenta de sortir avec le reste de l’unité, mais le jeune homme stoppa la capitaine d’un geste accompagné d’un puissant « STOP ». Les Chouettes-Blanches voulurent protester, mais Sophia et la meneuse des gardiennes approuvèrent le choix de Joshua.

Le jeune homme, à présent les deux pieds dans la neige jusqu’aux chevilles, fit à nouveau appel à son fourneau intérieur. Il distinguait l’énorme masse du prédateur à travers le rideau de neige, mais cela ne suffirait pas pour combattre. Comme lors de la première bataille, Joshua utilisa le « Déluge de Friture », mais au lieu de viser son ennemi, il dispersa ses crachats enflammés sur un large périmètre entourant le camp.

Alors que ses compagnons s’attendaient à voir ses flammes s’éteindre au contact de la neige, les boules incandescentes se fixèrent sur le manteau neigeux comme des feu-follets. Les Chouettes-Blanches et une grande partie des gardiennes ne comprirent pas ce qu’il se passait.

Le liquide que Joshua avait bu quelques instants plus tôt était de l’alcool d’orge des plaines tropicales du sud. Cette liqueur avait pour singulière propriété non-seulement d’être très inflammable, mais aussi d’être insoluble à l’eau. En associant le « souffle du fourneau » et cette boisson, Joshua avait considérablement économisé ses forces pour l’affrontement qui allait suivre. Le campement était à présent entouré d’une myriade de braséros, éclairant une large zone.

Un grognement roula comme le tonnerre et le rugissement du vent se calma, comme s’il répondait à un ordre extérieur. Alors le son d’une démarche lourde et pesante se fit entendre sur la couche de neige. Émergeant des méandres de la nuit, le monstre se dévoila : un immense lion trois fois plus gros qu’un cheval, pourvu d’une paire d’ailes membraneuses et de cornes torsadées sur le sommet de son crâne massif. Quant à sa queue, c’était un membre dénudé couvert d’une carapace, se terminant en un dard de scorpion. Le monstre ouvrit la gueule, dévoilant ses crocs jaunes longues comme des fers de lances, pour rugir à nouveau.

Alors que les soldats et le groupe de la princesse étaient terrassés par l’effroi que leur inspirait ce prédateur sorti tout droit des entrailles primitives de la terre, le Guerrier-cuistot arborait un sourire sauvage à la vue du monstre. Face à Joshua Gril, se dressait un manticore impérial, un monstre qu’il n’avait encore jamais eu l’occasion de chasser, ni de cuisiner.

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