Julia

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Encore une journée où il aura fallu vivre avec cette désagréable impression d'avoir été prise pour la reine des connes. Lorsqu'elle rentre chez elle, la première chose que Julia décide de faire est de prendre un bain. Elle traverse son studio à toute vitesse en jetant son courrier même pas ouvert sur la table basse et se dirige dans la salle de bain, où elle verse un demi flacon de mousse dans la baignoire et ouvre l'eau chaude à fond. Ensuite elle se déshabille rapidement et fourre ses habits sales dans le panier à linge. La vapeur commence à remplir la pièce tandis qu'elle s'observe dans le miroir embué. Elle est plutôt jolie et se trouve bien faite. Ses fesses sont rebondies et fermes, ce qui lui donne une belle cambrure au niveau des reins. Même son petit bidon est sexy. Elle rentre le ventre pour faire comme si elle était plate, mais cela n'y change rien, elle se préfère avec sa petite brioche. Puis elle regarde ses seins en les comprimant dans ses mains. Sa poitrine n'est pas opulente, elle serait même plutôt disproportionnée par rapport à son popotin. Alors elle repense à l'autre con qui lui disait : « je préfère les petits seins, ils sont plus près du coeur ». Décidément quelle débilité cette réplique. C'est bien la peine de faire son mec amoureux, si c'est pour ne pas lui téléphoner ensuite, ou décrocher son combiné contre tout attente et déblatérer des conneries dans le genre : « En ce moment, je suis vraiment occupé, il faut que tu comprennes et que tu sois patiente... ». « Vas-y ducon passe moi de la pommade », a t-elle songé, en même temps que sa voix tremblante a acquiescé et que ses yeux pleins de larmes ont commencé à couler. Pourquoi les mecs ne pourraient-ils pas simplement dire, « Salut c'est moi, j'ai envie de baiser », au lieu de déballer tout le protocole des sentiments pour ensuite se rétracter. Sans doute leur faut-il encore infiniment plaire, que les filles finissent éplorées et salivantes devant un bout de chair certes fort utile, mais finalement encombrant lorsqu'il s'agit d'envisager une relation.

Avant elle vivait chez sa mère. Elles s'entendaient plutôt bien, faisaient du shopping et allaient même draguer ensemble. C'était une chouette période quand elles s'amusaient de leur ressemblance au point de se faire passer pour sœurs en goguette auprès de leurs nombreux soupirants. Il faut dire que sa mère est terriblement jolie et peut être même encore plus sexy qu'elle. Bref, tout allait à peu près bien, jusqu'à ce que cette dernière rencontre celui qui allait devenir son beau père. C'est vraiment un sale type et elle ne comprendra jamais ce que sa mère lui trouve. Il est vraiment du genre vieux-beau un rien macho, tout juste bon à passer commande du fond du canapé. Aussitôt s'est-il installé chez elles, qu'elle s'est vue attribuer le rôle de boniche. Julia ceci, Julia cela, « C'est quand qu'on mange ? » ou « Ma chemise aurait besoin d'un coup de fer ! ». C'était impossible à gérer et elle ne n'arrivait plus à le supporter. Ça et l'espèce de jeu de séduction insidieux qui s'était instauré entre eux. Ce regard libidineux qu'il posait sur elle, ces frôlements ambigus qui se voulaient chaleureux, ces accolades complices qui n'avaient d'autres prétextes que de se blottir contre ses seins ou de lui toucher les fesses. C'était carrément insupportable. Bien sûr, elle a essayé d'en discuter avec sa mère et lui a raconté qu'elle ne pouvait pas aller dans la salle de bain sans qu'il ne débarque, cherchant d'improbables prétextes ou qu'il ne fasse une remarque emprunte de sous-entendus : « Fais comme si je n'étais pas là... », « tu es tellement belle ! », « Ah ! Si j'avais vingt ans de moins ! ». Bien sûr, sa mère n'a rien voulu savoir. Ni ça, ni le fait qu'il se permettre d'entrer dans sa chambre sans frapper pour la surprendre dans des situations parfois inconvenantes, ou lorsqu'il venait le soir pour soi-disant la border et lui raconter une histoire. Son comportement était malsain et Julia ne pouvait pas le tolérer, même si parfois, chose qu'elle a du mal à reconnaître, cette situation avait quelque chose d'excitant, mais ça elle s'est abstenue d'en parler à sa mère. Bien sûr, elle n'a jamais songé à aller plus loin que la provocation, mais elle aimait bien allumer ce vieux type, le chauffer un peu, faire monter le désir pour calmer le jeu dans la foulée. Elle n'a jamais compris d'où venait ce besoin de flirter avec cette tentation dangereuse qui à vrai dire ne manquait pas de piquant.

Cette situation au début plaisante est rapidement devenue ingérable et son beau-père est devenu de plus en plus entreprenant. Il a commencé à se promener à poil quand sa mère était absente, puis il lui a réclamé des massages, lui à offert des cadeaux plus que signifiants. Au début elle n'a pas réagi et a même laissé les ambiguïtés s'installer. Elle a bien songé à instaurer des limites, mais ces coquineries lui plaisaient et elle les considérait à tort comme la juste contrepartie des tâches ménagères et autres services rendus. Mais les choses ont empiré à tel point que Julia a été été obligée de réagir. Lorsqu'elle s'est aperçue que ses sous-vêtements disparaissaient avant même de passer à la machine, ça lui a fait un tel choc qu'elle s'est ruée sur la première petite annonce, elle a décroché le job et s'est enfuie de cet enfer domestique qui ne pouvait que mal tourner parce que, et là ça devient difficile à assumer, elle ne supportait plus d'entendre les bruits d'alcôves. Lorsque ce vieux satyre et sa mère faisaient l'amour, elle sentait monter d'insatiables bouffées de désirs, tandis qu'elle se substituait à la femme dans un fantasme des plus troublants.

Julia glisse dans son bain brûlant et débordant de mousse. Elle ferme les yeux et pousse un soupir de soulagement. Son corps prisonnier de la chaleur, elle peut enfin se laisser aller et commence à se détendre. Peu à peu elle se laisse imprégner par cette ambiance vaporeuse et oublie cette douloureuse impression de n'être qu'un kleenex que les hommes jettent après s'être essuyés dedans. Sa vie n'a rien d'un conte de féé. Quoique les contes de fées ne sont que des histoires que l'on raconte aux petites filles, pour que plus tard elles avalent la pilule. Quoique la pilule serve justement à ne pas se faire engrosser ni trop vite, ni trop mal. En même temps, elle s'en veut du haut de ses dix-neuf ans d'être déjà aigrie et ainsi désabusée. De croire que la vie, en dehors d'apporter des kilos de merde à charrier, ne puisse pas offrir son lot d'heureuses surprises et de belles histoires à vivre.

Hormis son beau-père, elle n'a jamais flashé sur un homme plus vieux qu'elle. Non pas qu'ils ne lui fassent aucun effet, mais plutôt qu'elle se l'interdise. Il faut dire qu'après l'épisode du professeur d'histoire, elle s'est sérieusement remise en question. Elle devait avoir quatorze ans quand cela s'est produit. Le type devait en avoir quarante. C'était même la première fois qu'elle voyait un sexe masculin en érection. Il faut dire aussi qu'elle l'avait bien cherché à jouer les Lolita exubérantes, à tortiller du croupion sur sa chaise, et faire sa petite pute devant ce monsieur d'un certain âge. Son manège a bien marché, si bien marché qu'elle s'est retrouvée, un jour, en tête à tête avec lui à la fin d'un cours. Debout les bras le long du corps et les seins pointant sous le nez du professeur, elle attendait une quelconque sanction pour une probable bêtise. L'homme s'est levé. Silencieux, il s'est dirigé vers la porte de la salle de cours et l'a coincée avec une chaise. Puis il a regagné sa place en disant : « J'ai remarqué que ça t'amuse de m'aguicher ! ». Elle a été alors tétanisée, paralysée par un mélange de peur et d'excitation. Le prof a déboutonné son pantalon et extirpé un énorme engin turgescent. Ensuite il a attrapé sa main et l'a invitée à s'agenouiller devant lui. Elle s'est exécutée docilement comme téléguidée par une instance suprême avant de se retrouver avec son gland, rouge et gonflé, enfoncé dans la bouche. En bon pédagogue, il lui a expliqué toutes les subtilités de la discipline, avant de lâcher un râle intense et se répandre dans sa bouche juvénile. Julia a dégluti ne trouvant pas ce liquide visqueux si infecte que cela. Et pendant que le prof a remballé son attirail, elle est sortie honteuse de la pièce. Cet épisode l'a beaucoup aidé à ne plus jouer le jeu de la provocation et une certaine distance respectueuse s'est installée entre elle et le professeur, ainsi qu'avec les hommes plus murs qu'elle.

Par contre, elle ne s'est pas gênée pour mettre en pratique ses nouvelles compétences auprès de ses petits camarades. Du coup, sa côte de popularité a grimpé en flèche, et sa vie sociale s'est vue enrichie de nombreuses invitations. Elle était de toutes les boums et autres sauteries. Son statut de copine du peuple l'a mené de caves en sous-bois, à farfouiller dans de nombreuses braguettes, allant jusqu'à tailler des queues à la chaîne les mercredis après-midi. C'était devenu une sorte de coutume locale et Julia s'appliquait à recevoir ces preuves d'affection dans la bouche, sans même s'apercevoir que sa vie en était souillée. Il faut dire qu'elle avait de qui tenir et que sa mère n'était pas en reste en ce qui concerne la frivolité. A la maison Julia était le témoin privilégié de la valse des amants en enfilade et il était fréquent qu'à l'heure de petit-déjeuner, elle croise un mignon s'éclipsant sur la pointe des pieds. Pour elle, le sexe était pour ainsi dire normal, surtout qu'elle ne voulait pas être en reste, vis à vis de cette femme avec qui elle était dans la surenchère permanente.

Et ce qui devait arriver arriva, un jour Julia est tombée amoureuse. Bien sûr, elle n'a pas choisi un chic type, mais plutôt celui qui faisait office de chef de la bande. Jusqu'alors la petite dévergondée avait toujours refusé, et ce malgré de nombreuses sollicitations, de coucher avec ses amis de tripotages. Non pas que cela ne la tentait pas, mais parce que leurs ardeurs adolescentes à purger leur acné ressemblait trop à une quête effrénée de la première fois. Ça l'amusait beaucoup de les voir suppliant et sautillant de désir ; ça lui plaisait de les rendre fous ; de les savoir comme des chiens en rut se frottant contre sa jambe. Plus d'une fois, ce jeu dangereux a failli tourner en viol collectif et Julia s'en est sortie à coups de griffures, de morsures et de cris stridents. Elle devait aussi de s'en être sortie indemne, à l'intervention miraculeuse de son protecteur. Il faut savoir que les groupes d'adolescents ont un fonctionnement proche de celui de l'animal. Aussi dans chaque meute, il y en a un plus charismatique que les autres qui fait office de mâle dominant et se réserve le droit de cuissage. Du coup, si cela ne le gênait pas de jeter Julia en pâture à ses ouailles, il se réservait la primauté de ses charmes qu'il n'a d'ailleurs pas tardé à obtenir. C'était par un beau soir d'été au parcours de santé. Julia se souvient encore des gravillons qui pénétraient dans sa chair tandis qu'affalé sur elle, il lui dérobait sa virginité. En fait, c'est comme si son corps refusait de se souvenir d'autre chose que ces infinies petites douleurs, autant de piqûres dans le dos, sur les fesses et à l'âme, puisqu'elle ne se souvient pas qu'à aucun moment, il se soit agité en elle. De sa première fois, Julia ne garde que cette douleur de l'impact et les larmes sèches qui ne voulaient pas couler.

Après Julia a compris qu'elle avait offert quelque chose de précieux à quelqu'un qui ne le méritait pas et a voulu changer. Mais c'était déjà trop tard et sa réputation de fille facile la précédait. Elle a pourtant cessé ses jeux sordides et avilissant, mais quand bien même, elle ne concédait une part d'elle même à un garçon auquel elle s'était préalablement attaché, celui ci ne voyait en elle qu'une petite salope, un réceptacle à foutre et un défouloir à fantasmes, mais jamais rien de plus. Ainsi jusqu'à aujourd'hui, elle aura navigué d'aventure en aventures, sans lendemain, sans respect et sans amour.

Au sortir de l'eau Julia est toute fripée. Chancelante, elle pose un pied sur le sol et se sent comme anesthésiée par le choc thermique. L'eau était brûlante et elle ressemble à une écrevisse à la chair rose ébouillantée. Elle enfile un peignoir et frotte vigoureusement ses cheveux avec une serviette. Puis elle s'assied à son bureau et allume l'ordinateur. A peine connectée une fenêtre apparaît sur l'écran. Le message dit : « Salut ! T'as envie de me mater ? ». C'est un message du masturbateur, un mec qu'elle a récemment ajouté dans ses contacts. C'est un adepte de l'onanisme on line. Fort bien membré cela dit en passant, mais qui manque cruellement de conversation. Julia a joué quelques fois avec lui. Chacun de son côté, ils se sont donné du plaisir en regardant l'autre faire de même. Pour Julia ça ne remplacera jamais le sexe, même si ce palliatif à la solitude est loin d'être désagréable. C'est peut être ce qu'on a inventé de mieux depuis le godemiché, car au moins il y a un semblant d'interactivité. Même si Julia n'a pas la tête à ça, elle accepte l'invitation pour meubler le vide. Le mec lui demande d'allumer sa webcam pour l'exciter un peu, mais elle refuse prétextant que peut-être en le regardant, l'inspiration lui viendra. Le mec la traite de petite conne, alors Julia le supprime de ses contacts. Des imbéciles dans le genre, il y en a pleins qui traînent sur le réseau, ce n'est vraiment pas la peine de se prendre la tête avec lui.

Elle décide alors de lâcher l'ordinateur sans même regarder ses messages, tant elle sait qu'ils vont être décevants : Une ribambelle de bellâtres qui agrémentent leur présentation succincte d'une photo de leurs tablettes de chocolat, des abdominaux certes bien moulés mais carrément décevant lorsqu'il s'agit d'envisager autre choses que des messages creux à la « salut ça va ? ». Julia est d'habitude friande de ce genre de découvertes et ressent toujours une forte curiosité, lorsqu'il s'agit de débusquer un bon coup potentiel. On peut dire qu'elle a eu beaucoup d'amoureux virtuels, des relations à distance dont certains ont même fait le déplacement pour profiter de son hospitalité, mais peu sont revenus et aucun ne s'est avéré être un amoureux fiable. Alors instant désagréable, elle sent que cette solitude la pèse et qu'elle aimerait tant avoir quelqu'un à qui parler, simplement parler. Du coup, elle se rend compte qu'elle n'a pas d'amies, que toutes ses copines d'école sont à présent en couple et bien souvent avec les garçons à qui elle a offert ses controversés services. Du coup, elle est considérée la dernière des salopes. Elle a bien quelques fréquentations, mais toutes se présentent comme des relations superficielles et intéressées. Lorsque Julia imagine sa vie idéale, elle se projette dans l'anonymat d'une grande ville, où elle pourrait circuler sans que les gens qu'elle croise la renvoie à son passé. Elle voudrait pouvoir faire les boutiques sans entendre les qu'en-dira-t-on chuchoter dans son dos, ou sortir boire un verre sans rencontrer un de ses innombrables amants, qui lui adressent la parole uniquement parce qu'ils ont une idée derrière la tête. Ainsi elle voudrait se reconstruire ailleurs, dans une vie neuve à partager avec quelqu'un qui la respecte en tant que femme qui a tant de choses à offrir. Dans sa vie rêvée Julia conserverait son petit boulot, ça ne la dérange pas. Mais en plus, elle aurait un chéri et poursuivrait ses études. Elle serait inscrite en lettres modernes ou en communication. Plus tard elle se verrait bien chroniqueuse à disserter des faits de société ou démêler les problèmes de couple dans le courrier des lecteurs. Elle aimerait aussi être éducatrice pour donner leur chance à ceux qui n'en ont pas. Dans tous les cas, elle voudrait se sentir utile, s'investir et défendre des causes qui en valent la peine. L'avenir de la planète en est une, et l'écologie est un domaine qui la préoccupe particulièrement. D'ailleurs elle s'en veut un peu d'avoir pris un bain lorsqu'elle pense aux populations qui vivent privées d'eau et aux ressources naturelles que l'homme gaspille sans réfléchir. Même lorsqu'elle vivait chez sa mère, elle s'efforçait de trier les déchets. Sa mère, elle se comportait comme une irresponsable en fourrant tout dans le même sac en plastique, et le pire c'est que dans son désir de rester jeune, elle se tartinait tout le corps avec des cosmétiques testés sur des animaux. Julia maintenant qu'elle vit seule, s'efforce de manger Bio et équitable. Même que ça la fout en rogne les odieux gaspillages qui sont fait au supermarché. Ça la désole de devoir détruire les produits périssables lorsqu'ils approchent de la date limite de péremption, car elle connaît des gens qui en auraient bien besoin pour vivre. Le gros monsieur par exemple, aurait bien eu besoin qu'on lui apprenne à manger équilibré. C'est hallucinant les saloperies qu'ils peut ingurgiter. Il faudrait que quelqu'un se charge de l'éduquer à une alimentation saine et respectueuse de l'environnement.

Tous les employés du supermarché connaissent Big, car il faut bien reconnaître qu'il ne passe pas inaperçu. Mais Julia l'aime bien, enfin il ne la dérange pas. Il a l'air gentil. Il est finalement discret et très timide. Il ose à peine la regarder dans les yeux et paraît toujours troublé en sa présence. Sa vie doit être lourde à porter se dit-elle, surtout s'il est au courant de ce que les gens racontent à son sujet, et il doit l'être parce que dans cette petite ville tout se sait. D'ailleurs certains de ses collègues plus âgés le connaissent vraiment bien puisqu'ils ont été à l'école ensemble. On dirait qu'une sorte de méchanceté enfantine a traversé les âges et s'exprime toujours dans leurs propos. Julia qui ne travaille pas depuis assez longtemps au magasin, n'a pas connu sa mère, une femme tyrannique et pingre, toujours à chipoter pour dix grammes de viande en trop et humilier son fils en public. Big, c'est comme cela qu'on le surnomme, est l'aîné d'une famille nombreuse. Son père, un homme violent et alcoolique est mort assez tôt, si bien qu'il a dû assumer assez rapidement le rôle de soutien de famille. Les ragots racontent aussi que sa sorcière de mère a assommé son ivrogne de mari avec une poêle à frire, un soir que celui-ci rentrait d'une quelconque beuverie de trop. C'est comme ça qu'il est mort. Sans doute cette rumeur contient un fond de vérité, mais elle omet de préciser que la dame a tué son mari en état de légitime défense. En fait personne ne le sait vraiment et les gendarmes de l'époque ont préféré classer l'affaire pour ne pas accabler une famille que la vie n'avait pas épargnée et dont le paternel avait amplement mérité son triste sort. Quoiqu'il en soit, le jeune Big a grandi avec ce lourd secret qui a façonné son caractère. C'était un enfant renfermé et solitaire. Comme tous ceux qui ont grandi sans amour, il n'était pas très doué pour se lier d'amitié. Il n'était pas avenant, pas chaleureux pour un sous et avait du mal à sourire. En plus, le fait que sa mère ait reporté sur son aîné, aussi bien sa haine que les responsabilités qui incombent au père, le rendait peu apte à la vie sociale. Si bien qu'il ne jouait jamais avec ses petits camarades et rentrait directement après la classe pour la suppléer dans les tâches ménagères. Il était cependant bon élève, très bon élève même. Toujours assis devant à lever le doigt, toujours excellent, toujours seul à lire pendant la récréation. Ainsi, ça et la pitié qui pouvait rejaillir de son histoire avaient fait de lui un être un part, ce qu'on lui reproche encore des années plus tard, c'est à dire être le chouchou de la maîtresse. C'est dingue comme les rivalités stupides qui s'instaurent à l'âge des amitiés viriles peuvent marquer à jamais l'histoire d'un personnage. Son image d'enfant modèle l'a suivi toute sa vie, sans que personne ne veuille l'en détacher. Il aura vécu malheureux et enfermé en lui-même à supporter une mère possessive et injuste, qu'il n'a jamais osé quitter puisqu'à la mort de cette dernière, il vivait toujours avec elle.

Au fil du temps, Julia a développé une forme de sympathie pour cet homme qui, elle l'a bien remarqué, vient toujours à sa caisse. En fait, elle l'aime bien et n'a jamais compris la méchanceté des gens à son égard. D'ailleurs elle ne comprend pas la méchanceté de l'Homme en général. Peut-être est-ce parce qu'elle aussi a grandi sans père, qu'elle se sent proche de lui ? Peut-être aussi est-ce parce que sa mère ne lui en a pas dépeint une image très élogieuse, qu'elle pense savoir ce qu'il ressent ? Et peut-être est-ce aussi parce qu'elle sait que sa mère est égoïste, comme celle de Big, qu'elle trouve que quelque part ils se ressemblent ? La mère de Julia est tombée enceinte lorsqu'elle avait dix-sept ans. Elle était en terminale et découvrait les premières sorties, les premières cuites et les premiers joints. Sur la scène Thiefaïne chantait, « Bipède à station verticale toujours se faut tenir debout », pendant que la mère à Julia ivre morte se faisait culbuter sur la banquette arrière d'une Peugeot 205. Aussi elle garde un souvenir pour le moins diffus du père à Julia : Il n'était pas blond, il n'était pas beau, il puait la vinasse et l'a aimée le temps de satisfaire ses besoins. On reverrait de mieux pour une fécondation.

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