Chapitre 1 - Descente

4 minutes de lecture

Rien n'est plus diffile à tenir qu'une résolution. On se résoud à... On se donne un but, une occupation. On prend la décision de... Mais, aussitôt que l'on a décidé, aussitôt le but devient-il contrainte, obligation, aliénation. Dès lors, il nous est affreux de nous y tenir. Toute décision libre agit sur notre avenir comme un inhibiteur de liberté. Chaque choix, chaque engagement, ferme des portes autrefois ouvertes. La vie est ce long travail de cloisonnage qui débouche, inévitablement, sur la mort : on a fermé toutes les portes, et il n'en reste qu'une par laquelle on expulse notre dernière liberté, en la claquant violement. La vie alors, n'a plus de sens ni d'intérêt, elle devient un entre-soi terrible.


Mais heureusement, dans les landes du temps, erre un bélier puissant qui enfonce parfois les cloisons que nous avons baties. Il nous ouvre alors un immense avenir où tout est encore possible en puissance. Et l'on y avance, pas à pas, comme au beau milieu du brouillard. On est aveugle, ainsi, jusqu'à l'extrême dernier instant où l'on perçoit enfin ce qui arrive. Ce n'est que lorsque l'on touche le temps qu'il se fait réel et qu'il devient présent. Alors, un temps au moins, on erre au beau milieu d'un monde inconnu et surprenant. Un moment, on redevient un enfant : c'est une sorte de résurrection. Ceux sont les seuls grains de vie qui soient dignes d'être vécu, je veux parler, bien sûr, des aventures.


Celle que je vais raconter commence dans le fond d'une campagne froide et saupoudrée d'un mortel duvet de neige. C'était au bord d'une rivière au flux tumultueux que se tenait, tremblotante, et résistant avec peine aux couroux successifs de l'hivers, une cabane de pierres dont le toit crachotait par une cheminée tordue une fumée noire et funeste. En s'en approchant, on percevait mieux les murs de pierres blanchâtres et inégalement taillées et qui suportaient avec peine la coiffe infléchie et déformée des tuiles d'argiles. Ces tuiles, d'ailleurs, formaient une espèce de peau d'écailles irrégulières, si bien que l'on aurait pu croire la cahutte fièvreuse. C'est la porte de planches brutes qui faisait l'accueil, avec son tapis de boue. Elle ne tiendrait plus très longtemps, la vieille, tant elle avait été fendue par les températures glacées, et secouée par les bourrasques furieuses, et bousculée par ceux qui vivaient là. Car il en vivait, là-dedans ! Une petite fratrie, même qu'on pouvait les voir en mettant son oeil devant le trou qu'avait laissé là une poignée en se déccrochant il y avait assez longtemps, et qui donnait un air encore plus borgne à cette entrée qui n'invitait à rien d'autre, en fait, qu'à faire marche arrière.

* * *

Et pourtant, faut croire qu'on nous y force, mais on finit par y entrer, là-d'dans. On est à peine poussé par la curiosité, mais on est pleinement propulsé pas le gel qui s'aiguise. Enfin, quand on regarde bien, i'y a pas grand chose dans la pièce principale. Oh... Nous ne la prenions pas pour principale par ses dimensions excessives, ni même ne pouvions nous en juger par de belles armoires ou un amènagement particulier. Non, c'était la pièce principale, simplement, parce que c'était la seule. Un vaste carré, ou peut-être un rectangle. La famille s'y entaissait, sur plusieurs générations. La grand-mère était accroupie dans un coin, dont l'éternel tremblotement des mains n'était que rarement traduit par le grésillement de sa voix. On ne lui parlait pas beaucoup, faut dire, à la vieille. C'est pourquoi peu à peu sa voix s'était éteinte, soufflée par le temps, comme la flamme de la bougie l'est par le vent. Sur ses genoux se tenait le grand-père, dans un portrait fait en ville et qui lui donnait aujourd'hui, après la mort, une jeunesse éternelle. Et, bien qu'elle fut assise au-fond, c'était elle que l'on voyait en premier. Ou plutôt, devrais-je dire, c'était elle qui nous voyait en premier. Et nous regardant, derrière les deux billes noires qu'étaient ses yeux, elle faisait un rappel choquant : nous allions mourrir, et nous l'avions oublié.


On détournait le regard. On finissait d'ailleurs par lui tourner le dos, se retrouvant de nouveau face à la porte. Celle-ci semblait se moquer : car tandis que nous aurions pu la fracasser d'un coup de poing, nous ne pouvions le faire sans nous trouver face au mortel danger du blizzard. Comme nous étions à l'intérieur, l'idée nous traversait l'esprit de retirer nos vêtements, et de nous mettre à l'aise. Mais, à la vue des hôtes, qui n'aurait pas compris que le froid règnait, ici aussi, en maître absolut ? Heureusement, il y avait une cheminée. Quelque chose de simple, sorte de trou dans le toit. Trois enfants jouaient autour, et par jouer, j'entends seulement qu'ils regardaient les flammes danser. Car il n'y avait pas la place pour jouer, dans ce minuscule foyer. Trois enfants, leur mère, leur grand-mère, qui tremblait toujours, et moi, continuant de m'étonner, et le lit, le large lit, et la table de bois, posée un peu plus loin, et l'armoire, grande et large et massive et qui s'épaulait lourdement contre le mur. Comme si ça n'avait pas suffit, il planait à mi-hauteur un épais brouillard de suie. J'eus l'impression que les murs se refermaient sur moi et je m'assaillais pour reprendre mon calme.


Sous la porte, juste dans mon dos, passait un léger filet d'air. C'était comme la lame d'un couteau. Froid et net. Je réajustais mes habits en vitesse. C'est à ce moment là que je l'ai senti. Cette terrible odeur de fumée qui avait facilement imprégné tout l'air de la pièce, voilà qu'elle s'était incrustée jusque dans les derniers tissus de mon vêtement ! Décidément, toute la tanière n'était plus qu'une espèce d'encensoir géant, qui servirait à parfumer une cérémonie dont les primeurs ne m'étaient pas encore apparues.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Sutcenes ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0