Premier coup d'oeil

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 A l'extérieur le froid était mordant, si bien que j'aurais juré qu'aucun être n'eu jamais pu y survivre. Là-dehors, ce devait être une hécatombe. Aussi, lorsque la porte s'ouvrit, je crû apercevoir la mort qui venait nous chercher. Mais, ce n'était pas elle, pas encore. L'homme qui entrait été couvert d'un épais manteau en peau de bête, et pendant un instant, je voyais autour de lui une sorte de lueur surnaturelle. Mais ma vue devait me jouer des tours, car l'instant d'après, il me paraissait tout à fait normal. Il s'est assit, sans nous saluer, et pendant plusieurs minutes, il est resté à nous regarder sans nous voir, comme une espèce de bonhomme de neige. Nous, nous le dévisagions. Après tout, c'était une sorte de surhomme. Les enfants avaient détourné leur face du feu, et même ma fille s'était un peu redressée sur le lit dont le matelas de paille n'avait pas été changé depuis le début de la saison froide. D'ailleurs, il était éventré le matelas, et ses vicères jaunies s'étallaient piteusement sur le sol, jusque sous la vieille table de bois. Je crois que notre demeure étonna un peu l'invité.

 Il faut dire qu'un étranger ne pouvait pas s'y sentir chez lui. Tout était chargé d'une histoire familliale. C'était un nid de coton imbibé des souvenirs de nos ancêtres. La table, par exemple, avait déjà servie à ma propre grand-mère. Elle s'était parée d'une véritable géographie faite de bosses et de vallons crasse, qui étaient chacun comme l'empreinte d'un repas passé, d'une discussion véhémente. Là, preuve de ces épreuves, sur le coin le plus proche de moi, se dessinait une large crevasse. C'était celle que mon mari avait faite avant de partir. Un coup de couteau si violent que l'on avait cru la table fendue, de part en part ! Mais il fallait le comprendre, mon pauvre mari. La ville ne cessait jamais de lui réclamer ses récoltes ! "C'est un dû à la ville qui vous protège des bêtes truandes et des hommes féroces !" disaient-ils, les fonctionnaires rondouillards qui se faisaient envoyer depuis les lointains remparts de boue. Il n'avait jamais voulu entendre ces gens-là, mon mari, et il avait raison dans le fond : nous étions très isolés de la ville.

 Mais ce jour-là, comme tous les ans, ils avaient pris la récolte, et ils étaient repartis. Ah ! Ca, mon mari jura, jura fort mais très justement : c'était un cri du coeur, un hurlement sauvage ! Se ruant dans la maison, saisissant un grand couteau, il rattrapa les fonctionnaires et les tailla d'un coup. Il faut dire, le voisin avait un verger de bonne taille et, entre paysans, nous nous serrions les coudes. Avec ce couteau, mon mari avait rabattu plus de branches que n'importe lequel de ces mendiants sans honte. Eux n'avaient jamais travaillé, jamais tenu un outil, jamais senti le soleil couler brûlant sur leur nuque ! Eux n'avaient jamais eu les doigts crasseux, les mains abimées, le dos raide et courbaturé ! Eux n'avaient jamais eu, une seule seconde, la dure tâche de gagner leur vie. Et, pour cela, ils ne la méritaient pas.

 Il la leur prit donc, en échange de la récolte. C'était le prix qu'il avait choisi. Je me souviens qu'il les avaient rattrapé au milieu du champ de tournesols. C'était une belle année pour les tournesols, il avait beaucoup plu mais jamais trop et les températures élevées permettaient de garder un temps pas trop humide. Ils avaient déjà une bonne taille, au moins un homme et demi ! Et ils regardaient le soleil, la journée. Je m'en souviens bien, parce justement, c'était le soir. Le ciel était nuageux, mais l'horizon dégagé laisser filtrer une lumière d'un orange vif, presque sanguin. Les grandes couronnes d'or commençaient à baisser la tête vers le sol. La compagnie de bandits légaux était avachie à même la terre, aux pieds des immenses troncs verts, le ventre béa, tout surpris et tout pareil que le matelas du lit dont je parlais tout à l'heure. Tout pareil, oui... Puis il s'est mis à pleuvoir, et j'ai pensé que les tournesols aussi pleurent.

 Après, mon mari est rentré à la maison, c'est à ce moment là qu'il a frappé la table. Puis il est sorti, et on ne l'a jamais revu. Heureusement qu'il me reste encore ce cadre que je tiens toujours entre mes mains. J'espère que je mourrai avec, j'aurais l'impression d'être moins seule. Depuis que mon mari est parti, personne n'ose plus me parler : sur la liste, je suis la prochaine.

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