Chapitre 42

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Trois jours avaient passé, durant lesquels Johany et Dao ne s'étaient pas lâchés pas d'une semelle. Le jeune français l'avait même accompagné pour rendre visite à son oncle malade, comme Dao le faisait une fois par jour.

L'homme s'affaiblissait de plus en plus, ce qui attristait beaucoup Dao. Il n'y avait pas moyen de le faire soigner, les médicaments dont il aurait eu besoin coûtaient trop chers pour leurs faibles moyens et de toute manière, ils n'auraient peut-être même pas été efficaces.

Johany aidait Dao dans ses tâches quotidiennes comme il le pouvait, en assurant le service à l'épicerie ou en faisant la vaisselle du restaurant après le passage des clients. Le laotien voulait lui verser une part des bénéfices faits dans la semaine, mais Johany refusait catégoriquement.

Ils passaient leur temps ensemble et dormaient chaque nuit l'un chez l'autre à tour de rôle.

Johany se sentait libre et heureux comme il ne l'avait jamais été auparavant. Sur l'île, il pouvait faire ce qu'il voulait, il était amoureux, il exerçait son ancien métier qu'il réapprenait à aimer, il avait même un chien...

Mais ses économies avaient filé, il devait se dépêcher de rentrer à Vientiane avant de ne plus avoir assez d'argent pour payer son billet d'avion. L'ennui était qu'il devait d'abord passer par Luang Prabang pour rendre le 4x4 qu'il avait emprunté (qu'il louait toujours alors que celui-ci était resté garé dans un parking depuis qu'il avait rejoint Don Khon).

Alors un matin, Johany décida qu'il était temps de partir.

Dao dormait à ses côtés, le jour se levait à peine. Ils avaient passé la nuit chez le laotien, à s'aimer comme jamais.

Un instant, Johany songea à s'en aller tout de suite, sans lui dire adieu, pour ne pas avoir à affronter ce moment déchirant. S'il sortait à pas de loup et faisait ses affaires en rentrant chez lui, il pouvait avoir le temps de passer à l'agence de location de sa petite maison, puis de prendre une pirogue pour partir.

Mais il chassa très vite cette idée de son esprit : ce serait d'une cruauté sans nom. Il ne pouvait pas laisser Dao, l'abandonner encore une fois, sans même un "I love you, but goodbye", sans même un merci pour ce qu'il avait fait pour lui, sans même revoir son regard...

Agir ainsi serait retrouver ses habitudes de fuyard, sa peur d'affronter les situations difficiles. Il ne voulait pas de cette lâcheté. Il avait évolué, il avait grandi. En peu de temps, il était devenu bien plus sûr de lui, plus posé, plus heureux, aussi.

Johany patienta donc jusqu'au réveil de Dao, en ressassant ses pensées démoralisantes. Il allait partir, c'était fini. Il n'avait plus rien à faire au Laos, d'ailleurs il n'avait jamais eu quelque chose à y faire.

Il avait fini par résoudre le mystère qu'il était venu percer, mais n'aurait pas imaginé que ce serait dans de telles conditions. S'il ne s'était pas lancé tête baissée dans ce défi de "s'ouvrir aux autres", peut-être aurait-il réfléchi autrement. Peut-être aurait-il pris le temps de faire ses premières recherches en France correctement, en demandant de l'aide autour de lui. Au lieu de quoi il se retrouvait à neuf mille kilomètres de chez lui pour rien.

Il était jeune et ingénu, songea-t-il. Il avait le droit à l'erreur. Mais avec un peu de recul, il se sentait tout de même très bête d'avoir agi tel qu'il l'avait fait.

Il repartait bredouille, toujours seul, rongé par le chagrin à l'idée de ne jamais revoir celui qu'il aimait, et de surcroît fauché.

Il rentrerait à Paris, puis déménagerait peut-être à Nantes, pour commencer à travailler avec Louis et Estelle. Il ne reprendrait pas le cours normal de sa vie, ce qui le soulageait grandement. S'il rentrait pour vivre le même quotidien sempiternel et morose qu'il avait déjà expérimenté, autant rester au Laos. Mais là, c'était différent. Lui serait différent. Il ne travaillerait pas dans le même restaurant qu'avant, ne vivrait plus dans son petit appartement, côtoierait son meilleur ami chaque jour...

Son seul regret était qu'il ne reverrait sûrement plus jamais Dao.

  • Morning, le salua ce dernier en ouvrant un oeil endormi.
  • Hi, Dao.

Johany prit une inspiration et lui annonça qu'il comptait partir dans la matinée. Il regretta de ne pas avoir attendu que Dao ne soit complètement réveillé, c'était un peu brutal d'entendre ça dès le réveil, se dit-il.

Le jeune homme avait cependant compris que Johany n'était pas prêt à s'expatrier alors qu'ils ne se connaissaient que depuis une semaine. Il n'insista pas pour tenter de le convaincre mais demanda son numéro de téléphone et son mail pour rester en contact.

Une heure plus tard, après un bon petit-déjeuner et quelques larmes discrètes, Johany partit faire son sac. Dao l'accompagna et l'aida à mettre de l'ordre dans la location.

Avant de partir, ils montèrent sur le toit une dernière fois, Senthang les suivit. Johany eut le coeur serré en songeant qu'il l'abandonnait, lui aussi. Mais ce n'était rien comparé à la tristesse qui l'assaillait depuis son réveil.

Ils discutèrent main dans la main sur le toit, Senthang à leurs pieds. Dao assura qu'il le nourrirait et s'occuperait, en souvenir de leur rencontre.

Et puis ils redescendirent. Ils s'étreignirent en silence, la gorge trop serrée pour pouvoir parler. Johany respira longuement le parfum de Dao dans sa nuque, cette enivrante senteur de citronnelle.

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