Hydra

3 minutes de lecture

Après l’embarquement vers 19H00, le bateau quitte le port du Pirée et reprend la route du sud, laissant sur sa droite l’île d’Aiyima. Il atteindra la côte d’Hydra aux environs de 20H30.

 

Aïe ! fait la nuit en tombant. Hou Hou ! fait le vent en se levant. La mer d’huile tourne en mayonnaise. A bord, les messages se succèdent pour dissuader les gens de débarquer à Hydra avec les chaloupes du paquebot. La mer est grosse et les opérations d’embarquement et de débarquement sont fortement ralenties. Hésitants, nous persistons dans notre intention de visiter l’île aux chats. Nous attendons notre tour les mains moites, crispées sur nos tickets verts. Les enfants regardent par les  hublots la grande bleue déchaînée. Les hauts-parleurs invitent les personnes enceintes, sujettes au mal de mer, délicates, grosses, peureuses, timides, tristes, névrosées, inquiètes, âgées, à béquilles, ayant une jambes de bois, un bras dans le plâtre, un oeil de verre ou constipées... à ne pas embarquer. La mer est trop mauvaise. Certes il n’y a pas de danger mais le transbordement est très délicat et fortement déconseillé aux personnes en cours de digestion (nous sortons de table), sans entraînement physique de compétition, psychopathes, névropathes ou courts sur pattes. Les hauts-parleurs grésillent : « Votre attention s’il vous plaît, le commandant va vous parler ». Les choses sont sérieuses. C’est le commandant lui-même, en personne (dérangé en plein travail et qui se rhabille précipitamment) qui va prendre la parole pour nous mettre en garde. Un vent de tempête souffle. Force 9. Creux de 8 mètres. Embruns plein le visage. Visibilité nulle. Risques d’icebergs dérivants. Emilie est verte. Je la rassure pour son « baptème de chaloupe ». Tout va bien se passer. Nous n’avons pas fait le voyage jusqu’ici pour ne pas débarquer à Hydra. C’est dit, nous embarquerons pour débarquer.

 

Ah ! mes aïeux, quel voyage (le passage qui va suivre est déconseillé aux personnes émotives). Deux officiers déchaînés nous ont jetés dans la chaloupe blanche au milieu des éléments empressés. Non, les officiers étaient en blanc et les éléments déchaînés. c’est bien ça, les officiers étaient empressés et la chaloupe enchaînée. Une fois chargée, la chaloupe a fait rugir les petits moteurs nerveux mais toute leur puissance ne suffisait pas pour lutter contre les vagues que j’ai trouvées très méprisantes pour notre frêle embarcation qu’elles traitaient comme une vulgaire coquille de noix.

 

En de telles circonstances, les mots roulis et tangage perdent toute signification. Il vaut mieux que je vous parle de Grand Huit, toboggans, montagnes russes, trains fantômes, labyrinthe de la mort et autres manèges qui déménagent. Au sommet des vagues, hautes comme l’arche de la Défense, la chaloupe hésitait un court instant avant de tomber littéralement au fond des abîmes. Une autre vague la soulevait comme un fétu de paille avant de la jeter dans un nouveau précipice. L’embarcation malmenée gémissait de toutes ses planches. Des femmes livides priaient. D’autres, hystériques, hurlaient. Des hommes vomissaient. Ceux qui avaient déjà vomi rédigeaient leur testament et le jetaient à la mer dans une bouteille de coca cola, avec des gestes pathétiques. Certains (dont nous étions) riaient nerveusement. A chaque vague, les survivants (dont nous étions) criaient « Olé » en éclatant de rire.

 

Puis tout se calma. Nous avions franchi la jetée du petit port d’Hydra. Le pilote, - car il y avait un pilote dans le bateau -, dit que nous étions sauvés. Quelques femmes, la culotte mouillée, firent semblant de rire.

 

A présent, vous pouvez jeter ce carnet. De toute la croisière, ce moment sera, et restera, le seul oû nous nous sommes vraiment tordus de rire. Mais cela valait bien une année de labeur, l’échine courbée sur le sillon.

 

Si vous demandez à Christine ce qu’elle pense de l’île d’Hydra, elle vous en parlera avec enchantement. Les mots qui s’échapperont de ses lèvres poétiques embaumeront l’atmosphère de leurs parfums capiteux. Personnellement, je n’ai rien vu. Il faisait nuit noire. L’île n’était éclairée que par les lumières de ses boutiques de souvenirs. Et encore ! J’ai du faire l’acquisition de dix cartes postales pour en avoir deux qui représentaient réellement le port d’Hydra.

 

Après avoir bu une bière trop froide, importée du village d’Obernai (un lieu où les gens ne font que travailler et où les contribuables vivent dans la crainte permanente de représailles), nous rembarquerons vers minuit. La mer s’était calmée.

 

Dommage.

 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Oncle Dan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0