Où il est question de La Baule, Venise, la gare du Nord et la Piazza San Marco

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En ouvrant un oeil ce matin, à six heures, je savais que mes vacances seraient réussies : Il pleuvait.

Il pleut toujours le premier jour. Il DOIT pleuvoir le premier jour.

Je déteste que l’on soit 13 à table et je ne passe jamais sous une échelle mais là ce n’est pas de la superstition : c’est une évidence, une nécessité. Je n’ose même pas imaginer ce que peuvent être les vacances des personnes dont le premier jour n’est pas pluvieux. Si je n’étais pas tellement occupé, je crois bien que je perdrais quelques minutes à les plaindre.

Tenez, avec Christine, c’est toujours la gorge serrée que nous évoquons les quinze jours de vacances passés à la Baule, l’âme émue d’une indicible nostalgie. Et bien, le premier jour, il pleuvait. Puis ce furent deux semaines de beau temps ininterrompu.

Les exemples sont nombreux, mais je ne veux pas vous lasser par une énumération fastidieuse.

 

La pluie était donc au rendez-vous et j’enfilais mes chaussettes avec l’intime conviction que j’allais passer d’excellentes vacances. Cependant, quelques incertitudes sur cette première journée ternissaient mon plaisir : allais-je devoir passer à Venise sans la voir, sans même lui dire bonsoir ? Les impératifs de l’horaire, de la douane et de l’enregistrement m’empêcheraient-ils de jeter un regard admiratif sur cette cité dont on dit qu’« elle a tout inventé » et qu’elle compte un chef d’oeuvre par habitant. [1]

Je n’osais le croire, mais un touriste fait rarement ce qu’il veut ! Il est programmé dès qu’il a franchi le seuil de l’agence de voyage et, c’est bien connu, la moindre incartade peut lui coûter très cher.

Au demeurant, le programme de nos visites et excursions ne mentionnait même pas Venise, qui n’était que le point de départ de notre croisière.

Ma curiosité ne s’en remettrait pas. J’en fus troublé au point de mettre ma chaussette gauche au pied droit.

Finalement, nous aurons la possibilité de visiter (très rapidement) la ville dont Malraux disait qu’elle est le plus fantastique du monde.


Aussi, je passerai sur les odeurs de pipi de la Gare du Nord. Je ne m’étendrai pas davantage sur l’ambiance africaine du RER. Vous ne saurez rien sur le temps passé à l’aéroport . Quant au voyage en avion, il n’y a rien à en dire. Pas le plus petit trou d’air. Pas la moindre turbulence pour justifier les craintes héréditaires d’Emilie qui nous disait que « ça lui foutait les boules ». Nous avons eu beau tendre l’oreille, nous n’avons perçu aucun signe de l’orage qui devait inévitablement nous foudroyer. Notre bel oiseau vert « Alitalia » fendait l’azur le plus sereinement du monde au-dessus d’un épais matelas de nuages « Epéda ». L’atterrissage fut parfait. Pas la plus petite angoisse ni pincement au creux de l’estomac. A désespérer d’avoir peur de l’avion...

A 11H40, un car nous attendait pour nous conduire à la gare maritime. Vite, les étiquettes sur les bagages. Vite, l’enregistrement des billets et ... des cartes de crédit. Vite à la navette qui doit nous conduire à l’extrémité du « Grand Canal ». [2]

 

A peine arrivés, nous sautons sur un Vaporetto. Il ne s’agit ni d’une bombe, ni d’un aspirateur, ni même d’un fer à repasser à vapeur, mais d’un omnibus aquatique qui doit compter une centaine de places « assises », et sur lequel s’entassent en permanence cinq cents touristes venus mitrailler à coups de Canon et de Minolta les façades lépreuses plus ou moins restaurées des palais déchus qui bordent le Grand Canal. Il y a une centaine de Vaporetti à Venise. Avec leurs 22 mètres de long et 4,50 m de large, ils font figure de poids lourds au milieu des gondoles, des canots-taxis et des traghetti (gondoles collectives) qui s’entrecroisent en permanence sans jamais se toucher. Ballet miraculeux qui ne surprend pas, car il fait partie du rêve.

 

Descendre le Grand Canal (3,8 km) est certainement la plus belle croisière du monde, mais fidèle aux principes énumérés dans l’introduction de ce carnet de vacances, je me garderai bien de vous dire quoi que ce soit sur Venise. De quoi aurais-je l’air puisque tout a déjà été dit : qu’elle était la plus belle ville du monde, un musée vivant, un septième continent (poils aux dents). Venise, la mythique, la pathétique, l’énigmatique. Comment pourrais-je parler de la « délicieuse, vénale, généreuse, indifférente Venise » ? Moi qui me suis interdit toute description, comment vous parler des 118 îles qui la composent, séparées par 177 canaux, réunies par 400 ponts et parcourues par 3000 rues ?

 

Non, impossible. Lorsque je vous aurais parlé de la « calle dolera atorna al brusa » (la rue qui tourne autour de la maison brûlée), - et il y aurait déjà  beaucoup à dire -, il me faudrait ensuite vous parler de la « calle del Sole mette in corte delle Scoazze » (la rue du Soleil qui mène à la cour des Ordures), tout un programme ! Il me resterait encore 2998 rues !

Mieux vaut rêver. Cela est très facile à Venise. Il suffit de regarder des palais qui longent le canal et de laisser vagabonder son imagination : le palais Foscari (16ème siècle), le fondaco dei Turchi (palais vénéto-byzantin du 13ème siècle), palais Belloni Battagia (17ème siècle), palais Foscarini (16ème siècle),la Ca’Pesaro, chef d’oeuvre du baroque vénétien, etc..., etc...palais dei Camerlenghi (1528), palais Papadopoli (16ème siècle), Contarini (17ème siècle), Venier dei Leoni (1749), Dario (1487 - aux précieuses incrustations de marbre) etc..., etc... palais Vendramin, Sagredo, Bembo, Mocenigo, Contarini, Malipiero, Tiepolo, etc..., etc..


Comme vous pouvez le constater, il y a les palais en « i » et les palais en « o ». Une constante toutefois : ils ont tous les pieds dans l’eau. Des pieds verts, crasseux, à l’odeur de vase. Les grilles des portes d’entrée principales sont généralement condamnées et rouillées. Ils sont tous dans un état de délabrement avancé et le plus souvent vides. Leurs murs transpirent l’humidité et devraient être étayés, repeints. Leurs fondations croulantes sont inondées par une eau pourrie et nauséabonde.

Malgré tout cela, la magie vénitienne vous envoûte. Vous oubliez la façade lépreuse pour ne retenir que la ligne architecturale unique. Entre deux palais votre regard reste accroché par une ruelle qui s’ouvre comme une fente liquide entre les hautes maisons noires. Vous apercevez en perspective une collection de petits ponts dorés par un pinceau de lumière qui tombe de la ligne bleue du ciel [3] qui se dessine entre les tuiles rouges des toits.

 

A Venise, tout communique avec tout. Chaque maison est reliée à dix autres. Voilà qui devait faciliter les rendez-vous galants ! Ce ne sont que venelles, courettes, passages secrets où autrefois, glissaient en hâte manteaux de soie et perruques, pour se rendre à quelque messe noire ou bal masqué, pour mieux se plonger dans le stupre et la luxure.

 

Heureuse société qui n’avait d’autre loi que celle du plaisir et de la fête. Il paraîtrait qu’il n’y a pas si longtemps encore, les abbesses elles-mêmes étaient femmes faciles, l’Église étant devenue un abri-refuge pour jouisseurs raffinés !

 

Vous revenez sur terre lorsque votre Vaporetto vous annonce la « Piazza San Marco ».

 

 

[1] 331.000 habitants aujourd’hui.

[2] A la station « Fondamenta San siméon Piccolo ».

[3] Et non des Vosges.

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