Partie 1

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     Je n’avais jamais vu cette malle avec toutes ces photos dedans. Ma mère m’avait appelée à la cave, sans que j’en soupçonne la raison. J’avais obtempéré à contrecœur, je n’aimais pas descendre à la cave. Il y avait là une atmosphère inquiétante, j’y sentais quelque chose qui ne voulait pas de moi. C’était le seul endroit de la maison qui n’avait jamais été rénové, et pourquoi l’aurait-on fait ? Il y avait bien la vieille annexe qui était elle aussi quasiment restée en l’état. Mais là-bas au moins, il y avait le grand congélateur, avec toutes les glaces pour l’été et les morceaux de gibier trop gros pour tenir dans celui de la cuisine. La vue de ces gigots sanguinolents où il restait encore le sabot avec parfois quelques poils ne me faisait pas plaisir, mais il suffisait de se pencher sans regarder pour attraper les bâtonnets glacés. La porte vite refermée, il n’y avait plus rien qui d’effrayant. La cave c’était tout à fait autre chose. C’était un antre humide et surtout d’un noir total. Rien ne pouvait donner envie d’y aller, et rien à l’intérieur ne pouvait apporter de la joie. L’endroit était maudit pour moi et je n’y allais pas.

     J’étais donc contrariée d’être dérangée, a fortiori dans de telles circonstances. Je descendis quand même par l’échelle, maudissant ma mère, tout en prenant garde à ne pas glisser sur un vieux barreau poli. Ma mère se tenait debout au milieu de la cave, éclairée par le faisceau blanchâtre d’une lampe électrique. Sans rien dire, elle dirigea la lumière en direction du fond, contre le mur et me révéla l’existence de la malle. La mise en scène était dramatique, rien d’autre ne se détachait de la pénombre que cette malle vert kaki, métallique et un peu rouillée. A vrai dire, il ne devait pas y avoir grand-chose d’autre dans la pièce, les casiers de vin avaient déjà tous été remontés et il ne pouvait plus y avoir que quelques cartons vides et d’autres gravats. Je n’eus pas plus le temps de m’interroger sur l’origine de cette caisse que ma mère en avait déjà soulevé le couvercle. Son contenu qui luisait sous la lumière artificielle me poussa à m’avancer. Une fois penchée au-dessus de la grosse malle, je réalisai que c’était le glacé du papier photo qui avait produit cet étonnant reflet. Je restais interdite, me demandant ce que ma mère attendait de moi et comment toutes ces photos avaient pu se retrouver ainsi dans notre cave. Un sentiment étrange me submergea, je n’arrivais pas à savoir ce que je ressentais face à cette multitude de moments qui s’étaient achevés pour finir ainsi naturalisés au fond d’un caveau. Nous restâmes ainsi quelques minutes ma mère et moi. J’avais les yeux fixés sur le contenu de la caisse. Je ne sais pas ce qu’elle regardait. Elle ne disait pas un mot.

  • Tu peux me passer la lampe ? Demandai-je finalement.

La tonalité de ma voix me surprit. Elle avait étrangement résonné entre les murs de pierre, comme lors d’une discussion tardive, un peu empâtée et assourdie. Il faisait presque froid, mes cordes vocales devaient être engourdies. Ma mère me tendit la lampe puis commença à s’agenouiller, un sac poubelle à la main. Une angoisse intense me saisit, voulait-elle tout jeter ? Pourquoi aurait-elle voulu faire ça ? Même des objets parfaitement inconnus avaient une âme et on ne pouvait pas les jeter aux pourceaux comme de vulgaires débris périmés ! Et voilà que ces objets-là venaient de notre maison, de notre famille, de nos propres existences ! Je ne pouvais pas supporter que ces images soient gaspillées sans avoir au moins pris le temps de leur rendre un dernier hommage.

  • Tu ne comptes quand même pas jeter tout ça ?
  • Et que veux-tu que j’en fasse ! Grogna ma mère. On ne va quand même pas tout garder. Regarde, la moitié sont totalement loupées ! Et de toute façon il faut les mettre ailleurs, je ne vais certainement pas m’encombrer de cette vieille malle pour déménager !
  • Laisse-moi faire le tri. S’il te plait. On peut la sortir de la cave au moins ?

     La malle en effet n’était pas si volumineuse, mais le matériau ainsi que son contenu lui donnaient un certain poids qui me faisait craindre de me briser le dos si j’essayais de la sortir seule par l’échelle. Ma mère me répondit de manière charmante, en jetant le sac poubelle sur mes pieds avant de sortir en soupirant. Ce qui voulait dire, en traduction plus littéraire, « démerde-toi puisque tu veux me faire chier ». Ma mère était parfois assez puérile. Nous avions une relation particulière et la situation en était arrivée à ce qu’elle me considère comme son égale. C’était elle qui devait tirer le meilleur bénéfice de cette situation. Elle pouvait se dispenser d’avoir une attitude autoritaire et acceptait facilement de me faire subir ses humeurs en s’en excusant quelques heures après. Comme des colocataires, nous faisions ensemble la cuisine et nous sortions parfois au bar. Mais lorsqu’il s’agissait de corvées ou de tâches administratives, je devais y participer tout autant qu’elle. C’était une situation qui me laissait très autonome, trop peut-être. Et voilà qu’elle m’abandonnait maintenant à mon sort, seule à la cave, dans le noir, avec une malle de dix kilos sur les bras. Je pensai d’abord à fuir vers la lumière, à quitter cette grotte pour rejoindre la vie. Mais il fallait que je reste. La tâche de trier ces photos m’incombait et il fallait en être digne. Je trouvai un petit carton vide qui trainait dans un coin, pas trop poussiéreux et surtout sans toiles d’araignées. Puis je m’agenouillais à mon tour au sol, la lampe dans la main gauche, main droite libre pour explorer ces trésors. Il fallait que je me décide sur-le-champ à propos des photos que je voulais garder. La poubelle ou le carton ? Il y en avait tellement qu’elles remplissaient la malle presque à ras-bord. J’anticipais qu’il me faudrait énormément de temps rien que pour toutes les regarder, quelques heures au moins, et cela ne comprenait même pas le temps pour juger de leur destination finale.

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