Douala

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« On est là... ». Comme une fatalité. Les ombres disparaissent sous les hectolitres de pluies équatoriennes se déversant sur le tas de tôle. Il attend. Il ne sait pas quoi. Il attend. Dix-huitième jour d'absence. La brousse est loin. L'aventure avec . Le Bardamu n'est pas venu. Le Bardamu ne viendra plus maintenant. On l'a attendu, espéré. On s'est résigné. Il n’y a plus d’aventure. L'aventure est devenue une bouteille de coca en verre décapsulée qui se vide de ses bulles. Il n'y a plus de bar perdu dans la ville à retrouver un cul blanc asphyxié à la bière. Les bouquins de Jean Rolin ne sont plus que de fausses anciennes impressions d'aventure. Les surprises se meurent d'autant que la mondialisation dégueule.
Les marins ne sont plus des aventuriers, ce sont des cherches-pognons fonctionnaires. Il n'y a guère plus qu'en Afrique qu'ailleurs d'onctueuses découvertes. Les ombres accentuent un peu plus le dégueulasse de l'homme voilà tout. Bardamu est mort avec. Donc. On vient ici en s'rêvant de. De la pourriture consumériste partout. Les mêmes pubs, les mêmes business, juste la coquille change un peu. Et encore. Là aussi tendance à uniformitarisme. Formol. Partout.

Vagabond. Donc. Lui aussi. Qu'il essaie du moins. Le Milo. Sans Bardamu. Sans plus rien, sans plus personne. P'tit boulot à marin, c'est du kiff-kiff. C'était du kiff-kiff. Maintenant faut du certif' comme partout. Certif' par là, certif' par ci. Les chauves aussi ! Certif' ! L'a passé donc, Milo. Plus ou moins. Matelot qualifié. Lui aussi a. Pour fourrer les dollars dans ses poches percées. Un vieux frigo, l'internationale des gueules cassées, taulards soviétiques et escrocs ukrainiens. Milo, lui, un peu serbe, un peu français, un peu espagnol. C'était une partouze européenne du niveau de ses racines. Un peu foutraque donc. De fait.

Trois ans la pige, le Milo, qui vadrouillait comme ça, à qui mieux mieux. Piquer la rouille, peinturlurer, nettoyer les coursives et le reste. Ça lui demandait pas beaucoup au ciboulot. Pouvait se permettre de l'excès à gogo, rien à foutre. Dans un bureau, plus lourd à porter, de devoir se coltiner les autres, bureaucrates costards-cravates. Les juges et les jupes.

Parti pour fuir. Parti pour avoir lu un sale bouquin. Vague recueil. Sacré écueil. Nouvelles. Journaleux. Réalité ? Jean Rolin, donc. Lui en a voulu, maintenant. Maintenant qu'il est. Maintenant qu'il vit, qu'il voit. Rien de bandant au fond. Si ce n'est le décor peut-être. Et encore, comme dit, uniformitarisme mondiale. Le monde est un conteneur. Faut de la norme . Énorme, morne. A souhait. A Abidjan, Rotterdam ou Singapour. Partout. Les mêmes. Mêmes grues, mêmes portiques, mêmes pipelines, mêmes papiers. Mêmes putes. Fort-de-France. Durban. Perth. Tanger med. Mêmes stuffs. Mêmes portiques.Mêmes grues, mêmes papiers. Mêmes putes. Ça ressemble partout. L'arrière-plan tout juste. S'endort ici, comme partout.

Milo. Ivre. Glou-Glou. La vodka. Mauvaise, sur son rafiot roulant et rouillant. Santander. Douala. Donc. Eekom, Manga Bell. Atturi. Wouri. Ça fait dix maintenant. Jours. Dans le port. Les mâts de charge exhumant les dernières palanquées chinoises valsent, sifflent sur le pont, derrière le sabord.
Dans cinq minutes, sera dessus. Le pont. La nuit et les lumières portuaires. Les dockers s'agitent, hurlent, dorment. L'agitation des ports est sans commune mesure à l'Europe ficelée, planifiée, terne. Ici tout vadrouille comme y peut. A bord, à terre ? Ça ne se ligote pas sur les échéances. Encore un peu du moins. Là-bas, plus loin, ailleurs sur les quais, les portiques, les piles de légo, rapido ! A gogo qu'on les dépote. Ça reste du un jour, ça repart, ça appareille, le temps de frôler tout juste. Pas le temps à la carambouille, d'installer son bureau.
Pour cela, Milo avait vu juste. Pour choper ce qui reste encore un peu d'aventure, un peu d'cargos ronflants, devait chercher dans les mafieux, raclures d'armateurs, ce qu'on fait de plus Youla-Youili, tangent.
Mais, au fond, c'était du tout pareil, du tout cru les choses sur ce vieux tas de tôles. Ce n'était que l'asséchement d'un ancien système, des anciennes possibilités. Bientôt, rapidement tout cela disparaîtra définitivement, même les ports les plus reclus seront identiques, les navires dedans itou, les marins itou !

De ces ports, d'ailleurs, comme dit, l'aventure s'oublie. Bardamu a fuit. Quelques coups de machettes, comme ci, comme ça, voilà tout. Pas plus. La violence, la misère, la pourriture, on n'a pas besoin d'passer bien loin pour voir. Ici et ailleurs, ça crève toujours.
Un peu déçu donc le Milo. Rêvait de plus. Plus foutraque, plus large, plus loin, plus inconnu, plus bazaar, plus aventure. Tout est bien menti. De ses rêves, la réalité a tout annihilé sans distinction. Oh, quelques miracles encore, par là, dans le dedans. Il lui en faut de l'imagination parfois. Pour s'pétiller l’œil, les narines, le ciboulot.

Demain, demain appareilleront. Port-Gentil. Ailleurs. Tout pareil. En attendant, la marée, le plein, ce soir, il sort. Sortir pour la majeure partie des marins, c'est du cyber dans les seamen's club, ou des bars à putes. L'un précédent l'autre souvent. Prendre des nouvelles de la maison avant d'aller s'finir. Ni l'un, ni l'autre, le Milo ? Internet...ça supposait d'avoir encore quelques attaches quelque part. Putes...ça supposait d'avoir quelques envies extatiques encore. De tout ça donc, Milo, il s'en contre-branlait le mou ? Cherchait juste à s'oublier. Passer à la trappe ses antécédents. Grande dégueulasserie, tromperie, anesthésie. Il avait passé son temps à ça. Comme beaucoup. Comme tous. La vie. Salaud. Salope. Courait donc Milo, milieu de Bonapriso, Akwa pluvieux. Enfin son âme du moins. Son corps, lui, dégoulinait, s'effilochait sous l'humide chaleur de la nuit camerounaise. Perdu au milieu de cette excitation excessive. Perdu au milieu de lui-même. La rue s'agitait autour, son cul blanc demeurait impassible. L'orage éclatait, la pluie pissait. Trempé de tout ce que ses vêtements pouvaient accepter, Milo n'y croyait plus. A sa présence, à la pluie, à la sueur, à la rue. N'y croyait plus. N'y voyait plus. Avait bu tout le soir, gambergé dans ses pensées gigognes dans une cahute quelconque. La bière à 800 CFA. L'alcool y est facile. S'y était engouffré.

Lorsqu'il se sentit happer par deux mains, il crut d'abord à de l'agression . Coupe. Coupe . Machettes. Cul blanc qu'il est. Ferma les yeux, sourit. « Restes pas là, viens mon gars, mon Milo, on va s'en jeter une dernière ! » Il finit par sourire pour de bon, s'appuyant sur Bardamu, rentrant dans le sérail. « Tu sais tant qu'nous sommes sur deux pattes, ça veut dire que ça va ». Il était comme ça Bardamu.

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