Venise

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« Venise ! Ce seul mot semble faire éclater dans l’âme une exaltation, il excite tout ce qu’il y a de poétique en nous, il provoque toutes nos facultés d’admiration ». Ainsi commençait la description de Venise par Maupassant en 1885 avant qu’éclate sa petite désillusion si romanesque. Cent trente et un an plus tard, je m’y suis aventuré à mon tour.

J’y suis donc parti voir moi aussi, cette ville, cet appel à la rêverie, au romanesque, au voyage. Un peu par hasard, je le concède. Une escale imprévue. En droiture depuis les fin-fonds de la mer Noire, chargé de gas-oil. Loin du romantisme.

Passé les digues de Malamocco, sous la brume matinale de décembre, la lagune. Calme et paisible. Trop calme, trop paisible. Les pêcheries toujours ça et là emergeant d’une eau saumâtre. Le canal Leonoardo, puis le Litoreano balisés mieux encore qu’une autoroute quelconque. D’un bord, les marais s’exhibant de leurs couleurs sèches ; sur leurs berges des milliers de plastiques s’exhibant de leurs couleurs criardes.

Tandis qu’on filait, remontant vers le Nord, vers Porto Marghera, la brume laissait envisager au loin quelques clochers envieux. Venise !

Avant, avant donc, il y avait ça. Porto Marghera. Le port industriel. Oui, il y a eu cette révolution là depuis. Ici, pour tout clochers, des dizaines de cheminées droites comme des perches, pour tout pont, des oléoducs volants. Des hangars et des citernes pour palais. L’odeur putride du centre de collecte des déchets. Un genre de colline d’expulsions humaines. Des centaines de mouettes, de goélands au-dessus attendaient pour glaner. Là aussi une centrale électrique, noire.

Etait-il loin le temps où le port de Venise ouvrait, lançait, fêtait ses navires à la conquête du monde inconnu.

Peut-être.

Finissant mon quart, mon foulard et ma veste dressés, je m’étais mis en route, longeant la déchetterie, et son odeur, puis les rails, la voie rapide. Le bus et les taxis se font rares dans les ports, dans les zones industrielles. J’avançais. J’avançais donc tant qu’entre conteneurs et usine je finis par en trouver un de taxi. Comme un miracle premier.

Venise s’est alors ouverte de loin de dessus ce pont surplombant la lagune.

Déjà, au vue du trafic, entre voitures, bus et trains, je compris sensiblement ce qu’il y avait là-bas, au bout du pont. Comme si tout cela venait corroborer mes craintes, évacuer toute naïveté dans le voyage.

Rentrer dans Venise, via la plaza Roma, c’est tout comme rentrer dans un parc d’attractions. Un peu moins organisé certes, mais tout comme. Taxis, bus, trains déversaient un flot presque ininterrompu de touristes dans un brouillon extra-ordinaire. J’y étais resté perplexe quelques minutes. On s’y attendait certes.

Alors fermai-je les yeux cinq secondes, prenant ainsi le regard d’enfant, d’innocence. N’est-ce pas là d’ailleurs la définition du voyageur. Avoir un regard d’enfant sur toute chose. Si le voyage a de la place pour exister encore ces années-ci, ça c’est une autre question.

En les rouvrant, j’avançais, décidé d’en faire abstraction. Mais très vite, il avait fallu me faire à l’idée. Fallait se faire à la désillusion malgré tout. Je me retrouvais trop vite marchant sur les pavés le long du grand canal, coincé entre deux groupes de chinois. Petit drapeau au-dessus des têtes. Partout il y avait des selfies. Partout il y avait des chinois. Ce n’était pas Marco Polo et sa Chine. C’était la Chine qui y vient.

Il fallait pourtant se convaincre de regarder au-delà. Il fallait en avoir la force.

D’ici, de là, assez vite lorsque je m’enfoncais dans la ville, je réussissais à m’échapper et alors tout appellait à l’errance. Tant de ruelles, de ponts ouvraient à la rêverie. On bifurquait des axes touristiques, et déjà se retrouvait-on, en tout contraste, dans un silence séculaire, sur une petite place désertée. Au milieu, s’érigeait alors un genre de puits, ai-je supposé, recouvert d’un acier ancien noir. Tout autour l’ocre des murs crépitait à nos yeux. Je tournais sur moi-même en élevant les yeux jusqu’à découvrir cette brèche bleue tout au-dessus.

Existait-il des gens encore vivant ici. Ou n’était ce qu’un grand musée imaginé par ses farfelus d’italiens. Il était pourtant légitime de s'interroger tant le contraste entre les voies touristiques et l’arrière Venise était béant. Il y avait bien quelques linges qui sèchaient à certaines fenêtres, quelques noms sur des sonnettes dorées, toutes ressemblantes les unes aux autre, mais rien de bien vivant. Il nous fallut alors surprendre un tout vieux sortant d’une de ces invisibles ruelles,son chapeau et sa canne pour se rassurer un peu sur la vie ici.

Dès qu’au hasard des dédales, je retrouvais les touristes de Venizialand, la magie historique s’évaporait en quelques nanosecondes. Je me retrouvais à Venizialand, oui, bien plus Louis Vuitton que Marco Polo. En était-il ainsi de toutes ces villes où la richesse et l’histoire ont été remplacées par l’opulence et le tourisme.

Les paquebots en masse gerbaient à leurs tours leurs milliers de passagers dans ses rues. Revenaient-ils à bord avec de grands cabas remplis de babioles, de fripes hors de prix. Sans réserve, sans retenue, sans honte. Oui, Venise, nous en étions là.

Mon ombre filait devant les vitrines de Dolce&Gabanna, et sans m’avertir, elle s’ouvrit devant. Celle qui colle à Venise comme la tour à d’autres. La place Saint-Marc, la tour vertigineuse du Campanile et sa basilique vêtue d’or. Ces milliers de touristes devant. J’y marchais enfin, évitant les gens qui s’prennaient en photo, les vendeurs ambulants qui vendaient les mêmes babioles que partout ailleurs.

Puis se découvrait-il de sa couleur, de ses mauresqueries, là posé en masse au bord de l’eau. Le palais. Au soleil rasant, de ses ombres, majestueux comme on pouvait l’imaginer avant de.

Mon errance devait s’en finir en se perdant dans ces dédales, la nuit tombée. J’avais déjà dérapé depuis le début de l’après-midi, le quart à venir s’approchait inexorablement

Alors j’ai vagabondé encore et encore, humant une dernière fois l’égout essence de cette riche ville.Dans la noirceur des ruelles , je marchais, je rêvais encore un peu d’histoires.

Venise, au fond, c’était rien que cela, ce paradoxe entre le parc , le supermarché et le silence soudain de son labyrinthe.

Bientôt arrivai-je au niveau du pont ; non ayant admiré une dernière fois quelques gondoles abandonnées qui revêtent encore le romantisme ancien, tout en dégustant un cappuccino divin.

Venise, c’était ça. Venise, c’était tout comme Istanbul. C’était une où tout avait changé, où tout pouvait encore changer.

Bien convenu que le marin ne fait qu’effleurer ses portes d’escales. Il y a toujours un taxi qui file dans les lumières industrielles.

Il y a toujours un marin le sourire aux lèvres à les regarder, à les admirer encore un peu.

Le jour suivant, la ville plantée sur sa lagune disparaîtra peu à peu dans la brume matinale à travers les sabords d’une passerelle d’un navire.


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