Tema

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« Je le donne à Ghana »

C’est ce qui était marqué sur un vieux panneau de bois, près des terrains de tennis, dans le village où j’ai grandi.

Vingt-cinq ans plus loin, je suis venu voir ce qu’il en était de toute ça. Tema. Ghana.

Cela fait cent jours de mer, loin d’ici, loin des miens. Tout au milieu de l’absence, du manque. Cela fait cent jours de mer et je commence à l’être. Amer. Tout facile. Au mouillage au large de Tema, je les fête en me perdant dans le noir de la nuit, lointain, au-delà des autres navires au mouillage et de leurs projecteurs immondes. Je les fête en souriant toujours un peu de savoir ceux-là m’attendant toujours ailleurs. Je les fête en écrivant ceci que, peut-être, un jour liront-ils.

Déjà deux semaines que j’aurais du débarquer, revenir. Mais nous restons enlisés dans le golfe de Guinée. Non pas que le coin me déplaise, loin d’ici. Mais n’ai-je plus vraiment l’âme au voyage dès lors que l’idée d’un retour s’est immiscé partout chez moi.

Je patiente, je résiste depuis. Déjà trois débarquements avortés, déjà trois enthousiasmes déçus. Je n’espère plus grand-chose, dois-je avouer. Nous sommes là, Tema, peut-être que dans trois, quatre jours, je serai chez moi, chez nous. C’est une possibilité. Mais je ne tiens plus à y croire.

En attendant, au fond de ce noir océan, j’écume les quarts au mouillage. On y attend que rien ne s’y passe. Et toujours ou presque rien ne se passe. Alors laissé-je l’esprit errer. De l’enfance à l’avenir. De l’avenir à la mort. Du monde tout autour, du reste et des restes avec.

Souvent j’ ai écrit, gribouillé pendant ces quarts. Presque toujours en prenant soin de me mettre pieds nus. Très important d’avoir les pieds libres pour écrire.

Depuis, que nous sommes là, je pense à eux. A ceux qui restent. A ceux qui attendent. A ceux qui quelque part pensent à moi. Depuis, je pense ô combien ce métier, ce choix de vie est tout à fait égoïste. Tout ce dernier est choisi par un, et imposé à tous. On fait l’absence, on fait le manque. De départs en retours. On fait les tristesses de la femme, des enfants. On fait chialer sous l’oreiller le p’tit gars qu’attend son père, la femme qu’attend son homme.

C’est notre choix qu’on impose. C’est notre absence qu’on inflige. On y laisse tout à celle, à ceux qui restent. Les pénibilités du quotidien, les pleurs, les cris, les blessures. Nous, moi, sommes là au fond dans notre con-con. Loin de tout. On soutient mais on sent bien que c’est juste du paraître, du semblant. Tout à fait égoïste. Lâche peut-être même parfois. Et pourtant, ils en reviennent toujours. Et pourtant j’en retourne toujours. Sûrement, sans doute, un jour, il y aura les reproches. Tout cela sera sans doute mérité, je n’aurais alors qu’à me taire et baisser les yeux. Le donner à Ghana.

Depuis que nous sommes là, je serre les poings. J’ai la patience et l’empathie d’une mouche à merde. Quand je ne mélancolise pas sur le manque d’eux et ce retour qui n’arrive pas à se décider, j’ai plein d’énergie pour envoyer chier les marins du bord. Pas que je sois violent, pas que je sois méchant. Mais ça me détend faut croire. Et puis, après tout puisque ce métier reste un métier du tiers-monde, un métier de sous-homme, dont je suis bien entendu corps entier, pourquoi faire dans le protocole, la bien séance quand on peut faire dans le proctologue. ( oui, bon….) Bien désagréable donc que ma présence doit être depuis des jours. L’absence, le lointain de la civilisation, ça finit par tout à fait asseoir ma grandeur asociale. Était-ce donc cela qu’il lui avait donné à Ghana,tout comme un bouquet de nerfs ?

« Je le donne à Ghana » C’était rien qu’un petit message anodin. Ce mot sur le tableau c’était l’ancêtre du SMS. Je n’ai jamais su de quoi il parlait , mais toujours, tout au long de ma vie, comme une petite musique, ce message là m’était revenu à l’esprit.

C’était, oui, pour moi une des nombreuses invitations au voyage. C’était l’évocation de l’Afrique, des forêts primaires, des sables, des chaleurs de l’équateur, des animaux tout à fait improbables et des couchers de soleils flamboyants. Aujourd’hui que j’y suis, que cette phrase prend un sens...ou pas, rien y change, elle résonne toujours autant mélodieusement. Et même si, ici, il n’y a rien de tout ce dont je rêvais, tout juste des cheminées, des portiques à conteneurs, des pipelines. Et même si, là encore, je ne ferai qu’y passer, que ne rien voir de la réalité, cette marque reste dans mon esprit, comme un tatouage.

L’histoire d’un souvenir d’enfance n’est elle rien d’autre qu’une histoire universelle, une boucle chez chacun. N’est-il pas une réalité que chacun perçoit, croise un jour un visage, une marque, une circonstance qui le replonge dans un souvenir jaillissant de ses yeux d’enfants. N’est-il pas une réalité qu’il y a toujours tout comme une petite déception ?

Maintenant, ça devient presque tout à fait sûr, le lieutenant qui doit me relever a son vol réservé. Maintenant, je peux envisager le retour. Je peux rêver d’abord de cette froidure qui me prend au sortir de l’avion quand je reviens d’un pays qui ne connaît pas l’hiver. Chaque fois, ça m’a pris tout comme des frissons de joie, d’enthousiasme. Qu’en sera-t-il demain ?

Maintenant, encore plus, je peux envisager le retour. Je peux rêver d’abord de ce hall d’aéroport. Là-même où je les avais laissés, là même où j’étais parti cent jours plus tôt. Je peux rêver de les revoir, repeupler plus loin le même hall, le même sol, le même espace, le même continent. Je peux les voir sourire, je peux me voir sourire.

Je peux encore…

L’histoire est terminée. Je suis revenu. Il y a eu des rires et des larmes. Il y a demain.

« Je le donne à Ghana ». Ghana, c’était son surnom. Parce qu’il était noir, le seul noir, qu’il en venait. Il paraît aujourd’hui qu’il est mort. Il paraît aujourd’hui qu’ils ont enlevé ces panneaux de bois. Il paraît que la boucle se referme toujours.

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