Atlantide

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Les ombres croisent mon regard. M’invoquent, m’évoquent, m’moquent. Les cris amers lacèrent l’espace et le temps. Noirceur, tout autour avec. Mes dents se déchaussent devant leurs rangs serrés. Tous uniformes. Tout uniforme. S’pressent vers moi. J’ai le cœur comme une fanfare bulgare devant leurs monotonies. Ils cadencent, je danse. Ils penchent, je pense. Il n’y a plus d’Océan entre eux et moi. Il n’y a plus d’Océan entre moi et la vie. Je continue néanmoins à godiller au milieu des agresseurs, de la foule. Toute noire, moi au milieu, debout. Ça sera un combat inachevé de plus. Une guerre éteinte sitôt allumée, sitôt ouverte.

De retour de l’exode, de l’exil, je me sens si faible, si fort. Les rafales d’humains qui me passent à travers au milieu de ce champ de bataille ne m’ébranlent pas, mais me vident tout entier. Je suis seul, ils sont dix, ils sont cent à me sucer le reste d’énergie. Dans cette bataille-ci, il n’y aura pas d’armes, mais un mort. Moi. Vivant encore tout à fait pour autant. Vivant comme ceux qui reviennent de trop lointaines contrées. Vivant ailleurs et mort ici.



La pluie vient battre la cadence de la débâcle désormais. Vite, la boue imprègne tout, déborde, dégueule de tous les orifices possibles. C’est le marécage au milieu de la ville. L’esplanade est maintenant un marais immense. Je ne bouge pas toujours. Stoïque, j’attends l’estocade. J’attends la crucifixion. J’écarte grand les bras. Je m’appelle Jésus. La pluie ruisselle le long de mon corps ; la boue, la vase grimpe depuis le bas.

L’ennemi s’est retranché. Les rangs se sont dissous. Je suis désormais seul au centre, à l’abri presque. Pourtant ils m’épient, m’observent, crient, hurlent, s’épanchent sur mon sort.

Ils ne sont plus que flous maintenant tant la pluie brouille mes yeux. La peau, ma peau est devenue déjà toute vieille, toute fripée. J’implore. Ils déplorent. Toujours tout autour, les ombres. Se demandent combien de temps la cible va-t-elle encore tenir. Combien de temps encore avant que je me penche tout à fait.

Maintenant, ce n’est plus de la boue qui monte. C’est les poubelles qui vomissent, qui flottent partout autour, qui me heurtent. Sans odeur pourtant, tout ça. Le gringue que ça me fait le dégueulis de la ville, de la vie. Ils s’en prennent plein les mirettes les ennemis. Qui s’emmerdent pas.

Si je suis déjà mort, ne sont-ils pas encore tout à fait vivants.

J’en entends quelques uns qui me crient de rentrer « Du con ». Je ne répondrai pas à la tentation. Il n’y a pas de reddition possible. Je crache dans l’égout qu’est devenu le quartier. J’frissonne mais je ne céderai pas. Je ne m’en irai pas plus loin ce coup-ci.

M’agressent-ils encore comme toujours ils l’ont fait. Aujourd’hui, j’ai les crocs pour résister. Je n’ai plus de force, mais ce n’est pas là la question. La résistance, c’est de l’au-delà. Ils crient vers moi des «  Qu’est ce que tu fous mon gars ? » Je suis le gars de personne, je n’appartiens à personne, même plus à moi.



Les éclairs continuent de claquer la mesure tandis que le vent s’engouffre, ondule les eaux autours. Bientôt c’est l’Océan qui revient, bientôt c’est l’Atlantide.

J’attends, j’attends que tout cela m’emporte, me ramène. En Afrique, en Inde, en Chine. Peu importe. Ils ne comprennent rien , les ennemis, me prennent pour un vaurien à rester là comme ça, à attendre, à crever. Je les emmerde.

Je suis parti trop loin, trop longtemps voilà tout. Pour qu’ils puissent savoir, pour qu’ils puissent accepter que je sois encore debout dans cette guerre.

Les frissons m’grimpent, me dévorent de partout. Mes jambes maintenant n’envoient plus qu’un glacial signe tant ça remonte. Ça vacille encore et encore, mais la force me quitte indéniablement. La fin du combat, la défaite, j’y tiens à rester.

La force devient désespoir et les larmes se mêlent à la pluie le long de mon visage. Je ne céderai pas aux hurleurs de hauts vents. Qu’ils aillent eux voir pour juger, pour oser me défier comme ça. «  Mais, tu vas finir crevé, gars ! » qu’ils balancent. L’ennemi se fait du souci. L’ennemi se donne bonne conscience. L’ennemi n’a plus que cela dans la vie. Aura que cela. Ce gars qui s’est laissé noyer immobile dans la montée des eaux, dans l’aqua alta.



Je me réveille dans un bruit d’aluminium, sous un spot trop puissant. Tout autour est bleu comme cet Océan aurait pu l’être. Des visages, des figures se penchent, se surveillent, m’épient.

Je veux crier, je veux me lever, je veux partir, je veux m’enfuir encore et pour toujours. Revenir n’était pas une mise à faire. Trop loin, trop longtemps, il n’y a plus de retour raisonnable possible. Et pourtant, je n’ai plus assez de force pour. Peine pour moi d’ouvrir les yeux déjà. Suis-je vaincu ? Suis-je mort ? Suis-je vivant ? Suis-je vainqueur ?



Quelques jours plus loin, un peu plus debout, appuyé sur une canne, je grimpais le petit sentier du village. Le soleil frappait innocent et me rendait faible, pourtant je continuais. Pas après pas, douleur après douleur jusqu’à ce coin fleuri à l’ombre d’un grand châtaigner. Il y avait alors mon nom dessus. Puis le prénom de ma femme, ensuite. Je m’asseyais tout à fait sur un banc en face.

Et je me mis à pleurer ce coup-ci tout à fait, du plus profond.

Oui j’étais parti trop longtemps. La guerre, la vie était toute finie en cet après-midi là. Ne faudrait-il jamais partir sans se soucier de ce qu’il n’y aura plus au retour, définitivement.

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