Gibraltar

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Tout droit, immense, se jettant tout à fait la gueule dans la mer. Cette brume toujours qui l'enveloppe léger, léger lorsqu'on le découvre accentue encore la magie.

Tout rocher si évocateur n'existe pas ailleurs, du moins dans mes pensées, dans mon passé.

D'Ouest en Est, d'Est en Ouest, s'dégage-t-il toujours avec autant de majesté. Ce rocher est un éléphant, est un visage, une bouche qui tente d'embrasser l'Afrique. Et puis, non.

Gibraltar.

D'un bord, l'autre deux continents qui s'repoussent et s'attirent infiniment, deux amants enchainés.

Les carcasses d'acier s'faufilent entre, d'un sens, l'autre, toujours. D'Est en Ouest. Du Nord au Sud, du Sud au Nord. D'autres traffics à grande vitesse, drogues, humains, contrebandes.

Au demeurant tel détroit demeure semblable à tant d'autres en toute objectivité. Théâtre des plus grandes partouzes, des échanges en toutes de directions et de l'activité folle.

Il n'y a pas autre détroit, pourtant, qui me fasse tant vibrer. Chaque passage y invite à l'imaginaire, à l'exil, au voyage.

Ai-je navigué presque sur les sept mers, n'existe nulle part ailleurs un tel scintillement.

Aujourd'hui, je m'y faufile pour la dernière fois avant de rentrer au port tout bon.

Je n'ai pas la gueule d''un vieux marin. Ni d'un vieux tout simplement. Trente-cinq balais, pas plus. Quinze à passer sur l'eau. Quinze à passer sur de telles carcasses. Ce n'est pas immense, mais ça a suffit.

C'est ce que je me suis dit il y a quelques jours maintenant. Je ne pensais pas que cela allait arriver tout comme, cette envie-là, ce besoin-là. Rentrer au port. Tout quitter.

Gibraltar.

Comme un bouquin qui s'y referme.

Ce n'est pas un endroit où partir la mer. Enfin, du moins, pour les mélancoliques, pour les contemplateurs. Comme moi. Ca ne fait pas de très bons optimistes la mer. La mer, le lointain, c'est les yeux grands ouverts sur la mascarade.

Les marins ne sont pas de grands aventuriers, de grandes personnes. Tout juste les pions du grand échiquier du commerce outrancier. Les marins, les navires sont le coeur de la mondialisation, les marins les petites boules du balancier.

Moi, aujourd'hui, je les ai. Les boules. Et puis bien.

La grande tristesse, la grande dépression d'avoir à tout cesser. Non pas par envie, par simple désillusion, par rêves taris. Gamin, rêvait-on de milledécouvertes, de milleaventures ? Qu'à ce jour pas vieux, mais plus gamin, ne récolte-t-on tout juste mille amertumes tant tout est tout pareil partout. La sécheresse au niveau de l'aventure, d'un port l'autre.

Existe-t-il quelques éparses endroits pour laisser l'âme s'envoler, s'écrase-t-elle toujours la gueule dans une gerbe immense de déception, de semblable si tôt. Du sourire au soupir.

C'est ainsi toute l'émotion partagée qui m'emplit passant une dernière fois le rocher.

Je ne sais alors que trop peu de quoi l'avenir sera fait me concernant. Peu importe au fond. Dans le sens où peu est important, vital dans cette vie-là. Accepter ceci n'est-elle d'ailleurs pas la plus grande des aventures.

Un paysage à contempler, une rivière à écouter, un feu dans une petite cheminée, un petit truc où dormir, de petits repas fruguaux.

Une femme à aimer,des enfants à sourire, une main dans une main. Rigoler, pleurer, aimer.

Tout ça, ce n'est pas grand chose, ne demande presque rien, et pour autant est-ce tout ? Le plus grand défi. Le reste, c'est de la conversation, du superflu, du commercial. Accepter de voir la vie ainsi, telle qu'elle est, telle qu'elle en a besoin.

D'ici là, je ne peux le renier. Tout mes voyages, toutes mes escales furent pour moi, le doux moyen de rêver, d'ignorer, de fuir. Mais aujourd'hui...aujourd'hui, seul se pose la question du sens.

Arrivé tout ici, s'est donc ouvert la perspective, l'idée que tout cela soit temporaire, provisoire et urgent : la vie. Est-ce donc l'absence de vraie vie au milieu de rien, loin de tout, ici et ailleurs qui faire remonter en moi mille inquiétudes de rater quelque chose d'autre, l'essentiel. N'était-ce pas tout simplement l'intérêt du voyage, au fond : savoir revenir.

Inconsistence dans les choses réelles. Inadaptés au monde que sont les marins. Que je fus. N'ai-je fait, tout ce temps, que passer d'un monde l'autre. De la terre, la mer. Entre deux.

Gibraltar.

Comme un passage, comme une porte, une ouverture. Là où tout devient envisageable. Du Nord au Sud, d'Est en Ouest, mille horizons devant ; mille déceptions; mille merveilles. Tout dans le pari, dans le regard qu'on veut bien y poser.

D'un sens l'autre, tout file si vite et pour autant presque suspendu. Tout au fond dans la contradiction. Tout dans le paradoxe.

Aujourd'hui, où je décide de rentrer au port, je n'ai pas d'intention, aucune ambition. Suis-je donc arrivé à l'acceptance. Cet état de si profonde désillusion qu'on n'arrive plus à lutter, à résister, à rêver. Accepte-t-on ce qui nous arrive sans sentiments aucun. Ni joie, ni regrets, ni violence, ni quiétude. Je ne crois pas. Juste le sentiment d'avoir fait un beau voyage et d'en revenir, et tout ce que cela implique : les richesses et les illusions perdues, une certaine sagesse.

Gibraltar.

On y sort comme ça, de rien, pour rien. Les yeux grands ouverts et le sourire incertain aux lèvres. De la magie tout en-dedans, l'éventualité d'un bonheur, d'un autre voyage.

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