Cayenne

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 Je n'étais pas de ceux-là. Qui cessent, s'arrêtent, se posent et attendent. Demain, surlendemain.

 Je demeurais plutôt avec ceux qui ont les crocs, non pas de savoir, mais de voir tout juste, de découvrir, toujours. C'est une soif sans fin, sans mesure, usante et presque désesperante tant la tâche est infinie. Tout étant, j'en restais vulnérable, jamais rassasié. Me fallait-il toujours aller voir de l'autre côté de la colline là-bas.

 Mon père était marin dans la marchande.

Marin, ça voulait dire absent longtemps, souvent.

Marin, ça voulait dire les histoires qu'il me racontait, les horizons qu'il me dessinait.

Marin ça voulait dire aventurier dans mes petits yeux de gamin.

 Le soir, avant de dormir, nous nous installions tous les deux sur mon lit. Il m'y lisait une histoire ou deux, puis nous tournions le globe qui me servait de lampe de chevet. Nous piochions alors au petit hasard , sur la grande terre, un endroit dessus. Un océan, un pays, une île, un îlot... Il me lisait le nom et me racontait ensuite si il y était allé, à quoi ça ressemblait, quand est ce qu'on pourrait s'y retrouver si on partait maintenant. Puis, une fois terminé, il m'embrassait en me disant d'allumer les étoiles. Chaque soir, m'endormais-je donc dans un nouveau monde, un nouveau paysage.

 Puis, un matin, il m'embrassait et il repartait pour de longs mois. Chercher de nouveaux horizons à me dessiner, sans doute. Ce n'était pas des jours très heureux dans la maison. Tout le monde avait un peu le blues de la séparation, de l'absence qui allait venir. C'était sa vie, c'était notre vie. On s'habituait au fond.

 De ces années-là, j'en ai gardé l'absence et l'aventure. L'absence pour ses départs et l'aventure pour ses récits.

 Aujourd'hui, j'ai un peu l'âge qu'il avait lorsque nous tournions le globe.

Lui, je ne sais pas où il est. Il y a cinq ans de cela, il a disparu tout net. Il avait embarqué sur un rafiot qui ravitaillait les ports du sud du Chili. Un jour, un matin, ma mère avait reçu un appel de l'armateur. Mon père avait abandonné son poste. Un après-midi, il avait pris son barda, récupéré son passeport et mis les bouts. C'est ce que l'armateur lui a dit, à ma mère. Il avait laissé sur le bureau de sa cabine tout juste sa lettre de démission et un mot d'excuse à sa femme, ma mère donc, et à ses gamins. Puis c'était tout.

 Ma mère reçut le mot qu'il avait laissé par courrier quelques semaines plus tard. Ne restait donc de lui qu'un coup de tampon de la poste de Puerto Chacabuco et quelques mots griffonés sur un bout de carnet.

 Ma mère ne fut pas trop surprise, pas trop choquée, comme si elle s'y était préparée depuis toujours. Savait-elle qu'un jour il partirait définitivement ? Je ne sais pas, sûrement oui...

 Tout ça pour dire que mes envies d'ailleurs toujours sont le fruit de ces nuits-là, de ces absences et de ces horizons dessinés. Sans doute.

 A dix-huit ans du matin, je me suis embarqué comme marin, moi aussi. Zef, élève officier pour ce qui est du terme officiel. Histoire de tâter l'autre côté de la mappemonde.

J'ai fait un embarquement et c'était déjà marre pour moi.

Je ne sais pas s'il m'avait menti ou s'il avait un peu enjolivé les choses pour me faire rêver ou bien encore si les temps avaient changé, mais toujours est-il qu'il n'y avait rien de bandant là-dedans. Les ports étaient inhospitaliers, immondes et déserts, les marins parlaient de pognons et de bagnoles, les escales aussi mortes que possible. Tout juste les paysages en mer le long des côtes changaient. Tout le reste, c'était du déjà vu, partout idem. Rien de plus.

Il n'y avait plus d'Amérique. Y en a-t-il déjà eu.

Ce fut pour moi donc, une drôle de déception que cette expérience.

C'est ainsi que j'ai quitté aussi vite que touché cette légende-ci.

J'aurais dû, tout compte fait, m'en douter. Les rafiots sont le coeur de la mondialisation. Comment avais-je pu imaginer qu'il en soit autrement. Qu'il y ait de l'aventure, du voyage là-dedans. C'était tout comme partout, voire même en plus, du "touch and go", du "asap", du "tinder" de la vie. Ici ou là, c'était toujours la même histoire qui se racontait.

Toujours est-il que je me suis retrouvé très vite sans le sou , sans travail après avoir débarqué à Cayenne.

J'avais alors deux possibilités, m'trouver un genre de boulot à la con, ici, tout alimentaire, ou tenter de partir.

Moi, je voulais en voir, du pays, bouffer de la vie. J'étais jeune, plein de fougue et d'arrogance.

C'est par là qu'avant de partir, je me suis retrouvé ici. Quartier de la crique, à Cayenne. Totalement ivre et heureux.

J'avais bu toute la nuit dans un bar plus ou moins minable, des caïpirinhas qui l'étaient tout autant, flirté avec des Brésiliennes dégueulasses. Je racontais à qui voulait m'écouter mes grandes ambitions, mes Bukowski, mes Kerouac, mes London, mes Coloane. Pour tout seul finir à la fermeture tout au bout de la nuit.

 N'ayant presque plus de sous, j'avais décidé de rentrer à pied, le chemin en zig-zag. Arrivé à quelques mètres de l'hôtel, du côté de la place des palmistes, j'eus envie d'aller voir la mer, j'avais dès lors bifurqué vers l'anse Nadau. Là, il y avait un genre de parc où venaient sans doute quelques familles en journée regarder l'océan sous les amandiers. A cette heure-ci, il n'y avait d'autres personnes que moi et un clodo dont je distinguais la silhouette à quelques bancs. Je m'étais posé en silence sous la nuit pour fumer mon dernier clope, à attendre que le jour se lève.

 J'avais toujours aimé ça, je veux dire de voir le soleil se lever. C'est de là qu'on pouvait tout découvrir le féérique comme le dégueulasse. Mais peu importait au fond puisque tout devenait possible chaque matin.

 Ici, alors que le ciel petit petit blanchissait, je repensais tout doux à quelques réveils enfantins. Au milieu de montagnes aux pics improbables comme d'un océan infini devant. Souvent mes parents nous embarquaient ainsi le soir, sans préavis, roulaient une partie de la nuit sans nous dire vers où, puis s'arrêtaient là où il leur semblait bon.

A l'arrière, dans nos petits cerveaux, c'était l'effervescence, mais nos questions demeuraient sans réponse toujours. Nous, dès lors, étions les rois aux premières lueurs.

 Ce matin-là, le ciel bas, la marée basse, la grosse vase de l'estran et les dégueulis de déchets me firent l'hommage.

 Le clodo, qu'avait dormi dans le parc s'approcha alors de moi tout puant, tout déglingué et finit par s'asseoir tout à fait sur le même banc.

 "Ce n'est pas une vie ça hein ?" qu'il avait entamé. Je haussais les épaules en guise de réponse avant de regarder de l'autre côté. " Je m'appelle Baramu, j'ai pas mal voyagé avant de me perdre ici. Je sais ce que tu penses, que je suis une merde, que je pus, que je ne fais même plus pitié". Ce n'était pas faux, mais j'avais surtout envie qu'il se taise. Je pouvais me barrer et pourtant je restais là immobilie à l'écouter tout en regardant la mer.

"On devient vite con et faible à chercher l'aventure. Moi, je l'ai cherchée, je l'ai peut-être trouvée, je n'en suis jamais revenu. C'est te dire. J'ne suis pas un gars trop bête au début, à l'origine. Regarde ce que je suis devenu. Pis tu sais quoi, j'en ai rien à foutre. Au fond, c'est ça le drame. A force d'avoir voulu faire l'aventurier, le grand voyageur, je n'en ai plus rien à foutre. Ouais, j'ai vu le monde. Aujourd'hui, je suis inadapté. J'ai vu le monde. C'est partout du dégueulis. La misère partout. Les mêmes attaques, les mêmes oppresseurs, les mêmes oppressés partout. Maintenant que j'ai vu ça, dis-moi, à quoi ça sert que je lutte, que je me réinsers . Dis-moi ? J'préfère picoler, vagabonder, pourrir, crever que faire semblant maintenant. Mon truc, c'est que le voyage m'a rendu trop lucide sur ce monde."

 Je restais la gueule sous mon béret noir, à regarder droit devant, l'horizon. J'avais envie de gerber, de dégueuler. Je voulais qu'il se tire, qu'il se taise ce putain de clodo, rabat-joie de mes couilles. Je ne lui avais rien demandé moi.

Hier encore, sans doute, moins alcoolisé, je l'aurais écouté avec attention, mais là...

 "Tu m'écoutes gamin ! Faut pas rester par là, tu m'entends ?"

 Je n'en pouvais plus, je me suis levé en lui répliquant qu'il pouvait fermer sa petite gueule de vieux con.

 Je me suis retourné une dernière fois à quelques mètres de lui pour l'insulter encore.

Il était là à me regarder, ou à regarder le vide entre nous. Il était tout rabougri, décontenancé, tout petit, tout moche. Pieds nus, veste kakis trop grande, trop sale, les cheveux mi-gris, mi-châtains, tout gras. Et tout son barda avec.

 Il avait choisi me suis-je dit sur le moment. Sa vie et de me faire chier alors que je m'apprêtai à descendre tout au Sud de cette Amérique. M'avait en somme pourri. Je ne savais pas si je devais retourner le voir et lui casser la gueule une bonne fois ou retourner et dormir enfin dans mon hôtel.

 Aujourd'hui, assis au fond de mon fauteuil, chez moi, ma femme racontant une histoire au petit gars au bord de la cheminée, je repense à cet homme. Je me dis que j'aurais dû le remercier plus que de l'insulter ; je me dis que ça aurait pu très bien être mon père. Je me dis que le plus beau voyage reste celui qu'on se crée dans la vie. Je me dis des choses comme ça. Je n'ai jamais vu Ushuaïa. Je me dis, ce n'est pas grave.

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