Cezy Dao

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Tchong est mon ami, enfin, je veux dire pas sur facebook, hein. Mon ami. D'une heure. De pas longtemps. Tchong et moi, nous ne parlons pas la même langue, nous nous comprenons avec. Nous marchons comme cela, dans la vie,au milieu de la broussaille, sa chèvre entre. Nous nous poêlons,nous nous bidonnons, nous sommes moches, et nous nous amusons. Nous avons pris ce qu'ils ont bien voulu nous donner, c'est dire pas grand chose, nos deux corps, nos deux cervelles.

Tchong et moi, nous nous sommes rencontrés le temps d'un passage, le temps d'une attente de quand j'étais un de ces marins. Oh si, savez, de ceux qui ferment leurs braguettes et sortent en rotant, de ceux qui se plantent le nez au ciel, se mouchent dans les étoiles, et pissent comme Brel pleure sur les femmes infidèles. Voici, d'eux, je faisais parti, la mer et les escales, les rues glauques autour des ports, le reste. Tchong pendant. Tchong est chinois.

Je l'ai vu ne pas m'attendre. Là, sur le palier de sa maison. Il ne disait rien, ne regardait rien. Il pensait à son fils. Il pensait à la libellule qui l'emmerdait depuis tout à l'heure (Oui, il y a beaucoup de libellules en Chine). Il pensait à je ne sais pas quoi. Il était beau. Simplement, Humain. De toutes ses rides, de sans ses dents, on le sentait joliment vivant. Terriblement, là. Tchong est un homme gentil, enfin c'est ce que je me dis en le voyant. Il finit par lever la tête, je finis de l'observer, de le regarder, de l'admirer pour être honnête. Tchong rigolait à plein poumon, enfin du moins de ce qui lui en restait. Oui, Tchong toussait beaucoup aussi. Toute sa carcasse en tremblait du dedans, n'avait tout de même pas l'intention de rompre. Dans les mirettes, nous nous guettions, nous nous rapprochions. Pas après pas. Nous nous balancions des gentillesses, des bonjours, des bazaars dans nos langues. Nous gesticulions tant que nous pouvions. Tchong n'avait jamais vu au dela de la colline là-bas, et s'en foutait comme de l'an 40 (oui, l'an 40, on s'en fout aussi en Chine!). De ses bras , musclés, semblant prêts de se briser, il m'attacha la main, m'entraîna dans sa cahutte, là, au bout de son jardin, au bout de son potager. Force me fut de constater que je me retrouvais un peu désorienté, un peu perplexe devant ce contrat, du haut de mon blanc cul d'européen. J'étais fragile. J'étais servile. Tchong était maître et je l'écoutais. Tchong parlait beaucoup, ponctuait toutes ses phrases par un éclat de rire. Moi, avec. Je ne savais pas pourquoi. Assis sur des tabourets douteux, au milieu de ce petit cagibi rafistolé, en tête à tête, il se tourna vers moi pour me proposer une cigarette, je fus juste absorbé par ses dents, enfin du moins ce qu'il en restait. A ce moment-là, je l'admirais. A ce moment-là, je pensais à toute la vie de Tchong, à tout ce qu'il avait vu, à tout ce qu'il avait entendu, à tout ce qu'il l'avait fait rire, à tout ce qu'il l'avait fait pleuré, je me demandais s'il avait été salaud (oui, il y a des salauds en Chine), s'il avait été héro(oui, il y a des héros en Chine). Loin de nos codes. Loin de nos images. Je n'y arrivais que si peu, je veux dire, à savoir ce que ça vit fut et dans le fond, je m'en moquais pas mal, de comprendre. Je prenais. Je prenais. Tout. Sur lui. Tchong parla beaucoup. Tchong m'offrit un thé. Ou un truc dans le style, bien dégueulasse. Nous nous en sommes donnés du bidon. Je vous le dis. Tchong est comme cela. Tchong s'énervait d'un coup. Se calmait ensuite.

Au bout de quelques incompréhensions en symphonie, nous sommes sortis, nous avons marché encore un peu plus dans la broussaille, chemin ridicule sous nos savates, la brebis s'égara. Je voyais Tchong de dos. Bien courbé, bien vouté sous le poids. Tchong m'ouvrit le chemin de sa machette. Tchong n'a pas peur des alligators (Non, il n'y a pas d'alligators en Chine). Il se retournait de temps en temps pour regarder si je le suivais, il souriait, il rigolait. Sur moi. Sans aucun doute. Avec raison. N'étais- je pas risible, là, ici. Le visage pâle, suant, pis pas rassuré du tout au milieu de ça. Et ce fut à ce moment là même que je me rendis compte que je ne l'avais pas encore pris en photo. Le prendre comme ça. ici, c'est ce que je désirais. C'est ce que j'ai regretté plus tard. D'avoir emporté un peu de lui, d'avoir emporté un peu de sa tête. Tchong en voyant l'engin me regarda, un peu étonné, pis se mit à éclater de rire, en hochant la tête comme ça. Tchak. Tchak. Tchong, son sourire dans l'appareil. Ses tétons qui pendent gravés.

Tchong me montra le chemin, plus loin, lui, lui dut redescendre, enfin du moins, c'est ce que j'ai compris. Tchong et moi, on allait bientôt se quitter. Tchong et moi. Nous nous étions volés ce moment. Tchong et moi, au fond, on est identiques, tout pareil. Deux trous dans le nez.

Quelques semaines plus tard, je me suis retrouvé, un soir de retour, ici, dans les rues parisiennes. Tchong était là, bien au delà de ces passants. Tchong est vivant.

Tchong ne s'appelle pas vraiment Tchong, mais rien est grave.

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