5-La mort

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  Silence...

  Silence brisé par des applaudissements et des cris d'ovations.

Les yeux toujours clos, Sasha se demandait si telle était la mort ; un ensemble d'acclamations dans la plus sombre obscurité. Mais comme elle pouvait avoir ce genre de réflexions, elle se dit qu'elle n'était peut-être pas morte et qu'il lui suffisait d'ouvrir les yeux pour le confirmer. La peur au ventre, c'est ce qu'elle fit, lentement. La première chose qu'elle put voir était du sang. Une flaque de sang s'était formée à ses pieds. Elle se demandait si c'était le sien quand ses yeux se posèrent, au milieu de tout ce liquide rougeâtre, sur une tête ou du moins ce qu'il en restait. Elle était rattachée à un corps que Sasha reconnut directement ; le père de famille qui avait été son otage. La jeune femme fixait donc sa dépouille, sans comprendre. Que s'était-il passé ? Comment la balle qui lui était destinée s'était retrouvée dans le crâne de cet homme ?

  Perdue dans ses pensées, elle n'entendit pas ce que le tueur avait dit. Ce dernier était pourtant tout proche, trop proche. Sasha détacha son regard du corps du mort pour le poser sur l'assassin. Il dut comprendre qu'elle n'avait pas écouté ses paroles car il s'exclama :

  -Waouh ! Tu jouais pas la comédie ?! T'étais vraiment prête à crever pour cet imbécile ?! d'un mouvement de tête, il montrait Gavroche. Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas, mais sache que tu m'impressionnes. Ouais, on peut dire que t'en as dans le ventre. Tu sais quoi la suicidaire ? Tu me dis juste ton nom et je vous laisse partir tous les deux comme ça ! Un claquement de doigt illustra ses paroles.

  L'esprit de la jeune femme était encore embrouillé du fait de s'être trouvée aux portes de la mort, elle ne pouvait répondre tout de suite. Était-il réellement prêt à les épargner en échange de son seul nom ? Quel était son but ? Pourquoi faisait-il tout cela au lieu de les tuer de suite ? Pourquoi leur infliger cette souffrance ? Sasha ne comprenait pas. Elle cherchait une logique à ce dénouement, en vain.

  Malgré ces interrogations, elle tenait encore suffisamment à la vie pour tout tenter. Mais elle voulait tout de même s'assurer qu'il ne bluffait pas.

  -Pourquoi ? Pourquoi t'arrêterais cette torture ? À quoi mon nom va-t-il te servir ? Il soupira, visiblement agacé.

  -Qu'est-ce que ça peut te foutre ? J'accepte de vous laisser ton copain et toi en vie si tu me dis simplement ton nom. Je ne veux rien d'autre, il n'y a aucun piège. Mais tu trouves quand même à redire. Je ne te comprends pas, donc maintenant tu me dis si t’acceptes ou si je dois d’abord tuer ton pote.

  On pouvait percevoir dans sa voix autant d’exaspération que de doute. Il n'était plus aussi sûr de lui qu'au début de leur rencontre.

  -Bon, alors oui. Apparemment on n'a pas le choix. Mais d'abord tu laisses partir mon ami, ensuite je te dis mon nom et après je me casse. On est d'accord ?

  Il ne prit même pas le temps d'y réfléchir, il tenait à contrôler la situation.

  -Non. C'est mon deal, mes règles. Vous vous éloignez tous les deux ensemble jusqu'au début de la rue, tu me dis ton nom et vous partez ensemble. Tu comprends, je ne voudrais pas laisser deux jeunes gens seuls dans les rues. Je tiens à votre... comment dit-on déjà ? Ah oui à votre sécurité.

  Il avait insisté sur ce dernier mot, le prononçant en souriant, avec plus de lenteur que les autres. Ils n'avaient pas d'autre alternative, Sasha se retourna juste pour croiser le regard de Gavroche qui la priait silencieusement d'accepter puis elle hocha la tête en direction de l'ennemi, qui s'exclama alors :

  -Allez-y, souriez donc, c'est votre jour de chance ! C'est bien la première fois que quelqu'un s'en tire aussi bien après nous avoir rencontrés. En même temps, c'est la première fois que je croise une meuf si suicidaire. Bon, assez tergiverser, passons aux actes. J'espère que ça ne vous dérange pas d'avoir quelques fusils pointés sur vous jusqu'à votre départ ? Avant que les intéressés n'aient pu répondre, il ajouta : vous n'avez de toute façon pas votre mot à dire pour cela.

  Il rit un peu, seul, avant de faire un signe de main à trois de ses sbires qui sortirent de longues armes à feu afin de mettre les jeunes en joue, ce qu'ils firent après un deuxième signe. Les deux amis eurent des frissons à la vue de ces hommes qui obéissaient au doigt et à l'œil à un de leurs semblables, l'idolâtrant tout en le craignant, ne sachant quel sentiment l'emportait. Mais ce n'était pas leur problème à cet instant précis. Ils ne voulaient pas mourir et, c'est à ce moment que Sasha prit conscience de sa volonté de vivre, de cette force qu'elle avait toujours cachée comme une faiblesse mais qui l'animait plus fort que la haine.

  Ils reculèrent alors, ne tournant pas le dos à l'ennemi et, à cause de cela, Sasha faillit, à deux reprises, s'étaler sur le goudron. Un bruit derrière elle lui indiqua qu'elle n'était pas la seule, elle entendit Gavroche jurer et pester. Heureusement, elle reconnaissait la rue dans laquelle ils allaient s'engager, c'était celle qui tournait dans tous les sens et qui était visiblement déserte. Lorsque la première intersection, à leur gauche, se présenta, à une dizaine de mètres du groupe, le chef du gang les fit s'arrêter d'un signe, le même qu'avec ses hommes de main. Sasha s'en voulait d'avoir involontairement suivi ses ordres, comme il le voulait. D'ailleurs, elle le vit esquisser un sourire. Il était certain de pouvoir les contrôler, les manipuler à sa guise. Elle dut faire de grandes inspirations pour se retenir de lui dire d'aller se faire voir, lui montrant son majeur levé bien haut et en le traitant de tous les noms d'animaux qu'elle connaissait. C'était dur pour elle d'être bien élevé et de tenir à la vie...

  Il s'avança alors d'une démarche assurée, jouant avec son arme autant qu'avec les nerfs des jeunes, pour se placer entre le café et eux. Il leur parla d'une voix aussi calme que son allure le laissait penser :

  -Maintenant veux-tu bien me donner ton nom ? Et ne pense pas à me mentir, je le saurais et tu le regretteras.

  Sasha n'y avait même pas songé une seule seconde. Pourquoi mentir alors qu'un nom, là où elle vivait, ne signifiait rien ? C'est vrai, si elle avait voulu changer, il lui suffisait de le dire à ses proches. Certains ne gardaient jamais le même prénom deux jours de suite. Mais pour la jeune femme, le moment de la révélation était venu. Elle prit une grande inspiration durant laquelle elle repassa les détails dans sa tête, ne voulant pas tomber dans un piège.

  -Sasha. Je m'appelle Sasha Lagarde.

  Il la fixa un instant, enregistrant l'information, avant de répondre, souriant comme s'ils n'étaient que deux inconnus qui venaient de se rencontrer dans un environnement normal, calme, oubliant toute l'horreur qu'il avait ordonnée :

  -Et bien, Sasha Lagarde, je suis heureux de faire ta connaissance. Moi, c'est William mais tu peux m'appeler Will. Je sens que l'on va très prochainement se recroiser toi et moi. Au revoir et... à bientôt.

  L’intéressée partait déjà, entraînant Gavroche dans ses pas. Elle ne voulait penser ni à ses derniers mots, ni à tout ce qui venait de se passer cette matinée. Seule leur fuite était présente dans ses pensées. Dire qu'avant aujourd'hui, elle n'avait jamais utilisé son couteau et voilà qu'elle blessait gravement un gars dans la rue puis qu'elle tirait sur deux hommes, en tuant l'un, condamnant l'autre et la faisant passer beaucoup trop près de la mort. C'était du passé, ils couraient désormais vers la liberté et la vie mais, avant de tourner, elle ne put s'empêcher de regarder en arrière. Will n'avait pas bougé mais deux de ces hommes l'avaient rejoint. Il leur parlait et, lorsqu'il eut fini, les deux gorilles partirent en courant dans le centre, afin d'accomplir les quelconques désirs de leur chef. Avant de disparaître, le bourreau fit signe à Sasha, continuant de sourire et elle comprit que ce qu'il avait dit était vrai ; ils allaient se revoir, ce n'était pas fini, mais elle comprit aussi que, quand ça arriverait, elle le tuerait.

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