6-Discussion privée

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  L'incertitude, la joie, la vie...

  Voilà les sentiments qui envahissaient Sasha alors qu'ils déambulaient dans les rues.

  La mort ne les avait pas encore emportés ! C'était si fou, elle avait du mal à y croire, surtout qu'elle ne comprenait pas pourquoi il les avait épargnés. Mais elle devait repousser ses réflexions pour plus tard, la priorité étant de soigner Gavroche. Ce dernier, ne profitant plus des bienfaits de l'adrénaline, s'était écroulé sitôt qu'il avait supposé être suffisamment loin de ses bourreaux. Les deux survivants étaient donc seuls, dans une ruelle pas plus propre que les autres. Ils devaient se mettre à l'abri des regards. La jeune femme inspecta rapidement les alentours, voyant son ami tanguer de plus en plus. Elle remarquait alors une porte à une dizaine de mètres de là où ils se trouvaient, elle passa son bras sous l'épaule de Gavroche et, ensemble, ils se rendirent lentement au passage qui s'ouvrait à eux. Sasha tentait d'abaisser la poignée qui ne voulait céder. Rares étaient les bâtiments qui n'avaient été victimes de la violence des libérés dans le centre et pourtant, bien que Sasha mettait tout ce qu'il lui restait de force à essayer de l'ouvrir, cette entrée restait verrouillée. Dommage qu'elle ne put le rester plus longtemps, d'un coup de pied maîtrisé, elle enfonçait cette porte. C'était la première fois qu'elle y arrivait à la première tentative. Elle souriait donc. On pouvait voir la précision et la violence germer de son expérience. En effet, lors de ses multiples pérégrinations, nombreux étaient les bâtiments encore verrouillés qu'elle avait dû fouiller. C'était l'une des rares choses de biens avec la Libération ; rien n'appartenait à personne mais tout appartenait à tout le monde. Même si lorsque quelqu'un s'appropriait quelque chose, mieux valait ne pas s'interposer, surtout si la personne en question était aussi armée et aussi folle que la bande à William.

  Les jeunes quittèrent donc la rue pour pénétrer dans ce nouveau lieu, dont la découverte débuta par une sorte de cuisine ancienne. Celle-ci donnait une première impression insalubre, sale, vieille. Mais ils n'avaient pas le temps de s'attarder sur la propreté de cet endroit ; Sasha entendait Gavroche étouffer des sanglots. Elle souffrait au travers de son ami. Surtout qu'elle ne savait pas comment faire pour l'apaiser. Elle s'accorda quelques instants pour l'inspecter. De la tête aux pieds elle chercha les blessures les plus importantes. Seule sa tête semblait avoir pris des coups, heureusement ça ne semblait pas trop grave à première vue. Il avait un contour d'œil gonflé, son nez était peut-être cassé, c'était de là que venait presque tout le sang, son oreille droite était teinte de ce liquide rouge qui le recouvrait et sa lèvre supérieure était fendue. Malgré cela, le blessé souriait et une étincelle brillait dans ses yeux, l'air de dire « Maintenant qu'on est vivant, quand est-ce qu'on fait la fête ? ».

  Sasha soupirait, ne pouvant s'empêcher de sourire à son tour avant de laisser l'inconscient pour aller fouiller les tiroirs des meubles autour d'eux espérant trouver des tissus permettant d'arrêter les saignements. Couverts, assiettes, ouvre-boîtes et autres ustensiles habituels étaient présents dans cette cuisine d'avant la Libération mais aucun tissu. Elle commençait à désespérer lorsqu'elle aperçut, posée sur une chaise, une pile de torchons. Elle les empoignait avant de rejoindre Gavroche. S'improvisant infirmière de guerre, elle recouvrait alors chacune de ses plaies à l'aide de ses trouvailles. En faisant cela, elle découvrait avec soulagement que son nez n'était pas cassé, juste ouvert. Il s'en remettra. Il ne gardera que de légères cicatrices de cette journée, ainsi que de mauvais souvenirs mais personne ne pouvait rien faire contre ça.

  Sasha s'assit à ses côtés et, silencieux, regardant dans le vide, les deux amis pensaient à ce qu'il s'était passé et à ce qu'il se passera ensuite. Ils restèrent ainsi un long moment, jusqu'à ce que Gavroche s'exclama d'un ton qui pouvait tout signifier :

  -Merde alors !

  Le silence qui s'ensuivit plongeait Sasha dans une terrible appréhension. Elle le regardait en attendant une suite qui pourrait l’apaiser mais qui ne vint pas. Elle prit donc les devants, en sentant le stress, la peur et la haine qui résumait cette journée, commencer à s'échapper de ses yeux :

  -Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Hein ? Sans s'en rendre compte, elle haussait le ton à mesure que les larmes coulaient. Comment t'as fait pour te retrouver là-bas ? C'est toi qui m'avait dit de se faire discret, de ne jamais regarder ces monstres dans les yeux. Mais toi t'en fais toujours qu'à ta tête, toi. Imprudent ! Inconscient ! Fou ! J'aurais pu te retrouver mort ou même ne pas te retrouver du tout...

  -Stop !

  Il la regardait dans les yeux et lui sourit. Sasha en fit de même, son énervement avait laissé la place au soulagement. Elle ressentait la bonne humeur qu'il lui transmettait à travers ce sourire. Il ferma ses yeux, les paupières plus lourdes qu'il ne l'aurait cru, inspira longuement puis décida d'ouvrir son cœur :

   -J'en ai marre. De tous ces principes débiles qu'on est obligé de s'imposer comme de ne pas regarder dans les yeux ces idiots ou de ne pas vivre comme on le voudrait. C'est pas une vie ça. J'en ai marre de cette soi-disant liberté. Et je sais que toi aussi.

  Il fit une pause durant laquelle Sasha se rendit compte que ce qui s'était passé n'était qu'un prétexte pour avouer cette vérité qu'il venait de dire. Il continua alors, dévoilant ses véritables pensées :

  -On doit partir. On doit fuir cette ville, ce pays, cette liberté qui nous a élevés. Je sais qu'il y a des villes qui ont réussi à remettre un peu d'ordre. On pourrait y aller, juste tous les deux.

  -Gavroche... elle était prise au dépourvue par cette révélation. Elle devait trouver quoi dire. On ne peut pas... Et mes petits frères et sœur ? Aaron a besoin de moi et je ne veux pas les laisser ni Ethan ni Jade avec Léonard. Je dois veiller sur eux.

  Il avait déjà pensé à ça, il avait déjà pensé à tout, car il répondit avant même la fin de sa phrase.

  -On les prend. On peut les emmener loin de ce vieux coiffeur morbide où vous vivez. Ensemble on trouverait la ville parfaite. T'imagine quand on l'aura trouvé. Ils pourraient manger à leur faim, vivre en sécurité et même s'amuser. Ce serait le paradis. Est-ce que t'acceptes de leur offrir ça ?

  Sasha savait qu'elle aurait dû être d'accord. Mais elle ne pouvait pas. Elle devait refuser, poussée par son instinct qui la guidait depuis toujours. Malheureusement, elle n'avait aucune raison valable d'expliquer son choix, elle en inventait donc une, quitte à ce qu'elle ne soit pas convaincante.

  -Tu voudrais aller dans une ville que tu ne connais pas sans même savoir où tu te trouves maintenant. Et, je ne sais pas toi, mais moi, je n'ai pas de réserve de nourriture pour cinq personnes pour une durée indéfinie. De plus on sera bientôt en hiver. Malgré tout cela, tu veux quand même tenter le coup ? On mourait de faim si ce n'est de froid avant d'avoir pu trouver cette fichue ville. Et, imaginons qu'on arrive tout de même à ce «paradis», qui te dit qu'ils nous laisseront rentrer, nous, les étrangers ? On a frôlé la mort aujourd'hui et tu veux déjà remettre ça, embarquant des enfants dans ton délire. Désolé mais ce sera sans moi.

  La tête dépitée de son ami la peinait mais Sasha ne pouvait se résoudre à ne serait-ce qu'imaginer devoir partir, fuir alors qu'ils venaient de se faire attaquer. Gavroche lui fit part de son point de vue à ce sujet qui différait du sien :

  -T'as raison, on a frôlé la mort aujourd'hui. Mais on est toujours en vie. Qui nous dit qu'on le sera encore demain. Tout à l'heure, t'as risqué ta vie pour me sauver. Laisse-moi faire de même pour ton bonheur. Et puis ce William me fait carrément flipper, j'avoue. Si on reste, on le reverra et moi j'en ai pas vraiment envie. Car la prochaine fois qu'on le croisera, il n'hésitera pas. On s'en est sorti aujourd'hui, profitons-en. Vivons.

  En entendant le nom de cet homme, elle sut la raison pour laquelle elle ne voulait pas partir. Elle ne voulait pas fuir. Elle devait, avant cela, faire face à William. Elle voulait d'abord le tuer. Mais elle ne pouvait pas avouer à son ami cette vérité. Il ne comprendrait pas, et ils finiraient par se disputer. Elle devait donc finir cette conversation sans le vexer. La seule solution qu'elle trouvait était alors de lui laisser l'espoir qu'il méritait :

  -Tu sais quoi ? Je te promets d'y réfléchir puis on en reparlera après. Il me faut du temps pour me faire à l'idée de quitter cette sécurité, certes relative, mais bien existante pour pénétrer dans l'incertitude totale.

  Il était déçu mais réussit tout de même à sourire. Elle en fit de même, le visage crispé. Elle n'aimait pas lui cacher la vérité mais elle ne pouvait pas non plus se résigner à la lui avouer. Il reprit vite les choses en main, passant outre sa douleur :

  -Parfait, avant tout il faut qu'on trouve de quoi manger. Notre mésaventure de ce matin nous empêche de retourner au centre. On doit donc décider à qui on va voler les vivres. Aux riches ? Aux pauvres ? Ou aux morts ?

  Il sourit, mesquin, en disant ce dernier choix. Lorsqu'ils disaient voler aux morts, cela signifiait se faufiler dans des bâtiments abandonnés et les fouiller. Le plus souvent, ils choisissaient de prendre de la nourriture aux capitalistes comme aimait les appeler Gavroche. Ceux-ci étaient les riches, le garçon avait expliqué à Sasha d'où venait ce mot mais elle n'était pas sûre d'avoir compris ; il savait tant de choses sur l'avant Libération qu'elle avait parfois du mal à le suivre. Mais ils ne pouvaient pas prendre le risque de voler à des humains, pas après ce qu'ils venaient de vivre.

  -Ok on n’a qu'à fouiller ce bâtiment puis après on ira dans ceux des alentours. Cet immeuble était verrouillé alors on trouvera sûrement quelques choses intéressantes.

  Il acquiesça et se leva en s'appuyant sur sa chaise, les doigts crispés sur le rebord et la mâchoire serrée. Alors qu'elle se dirigeait vers les placards de la cuisine, Sasha remarqua un mouvement à la fenêtre. Sans plus attendre, le cœur battant, elle se précipitait à la porte, à l’affût du moindre danger. En passant, elle vit la tête d’incompréhension de Gavroche. Elle ne s’en préoccupait guère, elle était déjà dans la rue. Elle regardait des deux côtés et, au bout de l’allée, elle aperçut leur voyeur qui fuyait. C’était un homme. Elle l’avait déjà vu. Mais où ? Elle ne le savait pas. Gavroche la rejoignit, juste avant la disparition de l’espion. Il posa sa main rassurante sur l'épaule tremblante de la jeune femme. Ce contact lui fit l’effet d’un flash dans lequel elle reconnut l’homme. C’était l’un des sbires que William avait envoyés à leur départ. Il les écoutait. Il les surveillait. Il connaissait désormais leur plan, les noms de ses frères et sœur, l’amour qu'elle leur portait et même l’endroit où ils vivaient. La haine qu'elle avait envers lui décupla, elle était désormais impatiente de le revoir pour le tuer.

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