SANS SUITE 28/ Jour 5 : Les vautours (2)

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Avant que je n'ai pu trouver un motif valable pour m'enfuir en courant, elle saisit ma main et me conduit à travers la salle vers un groupe de femmes. Je vais passer un sale quart d'heure, c'est certain.

— Je vous présente Carlyane, l'amie de mon très cher frère.

Elle dessine des guillemets en même temps qu'elle insiste sur le mot amie. Je n'aime pas ça du tout. Elle continue :

— Joli prénom, n'est-ce pas ?

— Pour quelle agence travaillez-vous ?

Une autre femme glisse à l'oreille de sa voisine :

— J'ignorais qu'ils avaient en France des agences dignes des nôtres, aux States.

De quoi parlent-elles ? J'ai peur de comprendre.

— Je ne travaille pour aucune agence. Je suis désolée, je ne saisis pas bien...

— Vous êtes indépendante, alors.

— Non, vous n'y êtes pas ! Carly n’est pas une escort girl, même si Lukas a passé la journée à la transformer ; robe, coiffeur et j’en passe. Il reste fidèle à ses habitudes, quoi.

Mon cœur bondit dans ma poitrine et le bruit sourd de ses sauts se répercute dans ma tête. Je les regarde, une par une, incrédule. Puis, après un petit rire qui sonne volontairement faux :

— Vous pensez vraiment que je permettrais à ce cher Monsieur Sullivan de m’acheter pour que je l’accompagne ? Juste pour information, Mesdames, si je suis parmi vous ce soir, c’est uniquement parce qu’il a insisté sur ma présence. En ce qui concerne les objets ayant contribué à ma transformation, sachez qu’ils lui seront restitués à la minute même où je me serais changée pour redevenir la femme que je suis fière d’être. Êtes-vous satisfaites, Mesdames ? Mais parlons de toi, Angie. As-tu présenté ton amourette de vacances à tes amies ? Au fait, d’après Lukas, Mickaël me tournerait autour. Ça explique sans doute pourquoi tu ne parviens pas à conclure avec lui. Encore une chose, pourquoi participe-t-il à cette petite sauterie ? Pour toi, ou pour moi ?

Ses yeux sont plissés et sa mâchoire est tellement serrée que ses dents claquent quand elle reprend la parole, verte de rage :

— Que crois-tu représenter aux yeux de mon frère, Carly ? Ne rêve pas, tu ne seras jamais plus qu’un jouet d’occasion pour lui. Reste avec les tiens et n’essaie pas de te faire passer pour quelqu’un que tu ne seras jamais. C’est peine perdue. Que tu le veuilles ou non, ce soir, tu es l’escort girl de Monsieur Lukas Sullivan.

— Monsieur Lukas Sullivan a pour habitude de passer toutes ses nuits avec la même escorte girl ? Il offre des bouquets de roses rouges à chacune, aussi ? Et, il permet à toutes de conduire sa voiture ? Oh, j’allais oublier, il se montre jaloux et possessif avec ces femmes ? Je ne crois pas, non. Mais je peux continuer, si tu n’as toujours pas compris…

Sa main atterrit sur ma gorge au moment où j'entends son grognement de fureur et ses ongles me griffent lorsque ses doigts s’agrippent au collier. Je pousse un cri de surprise et recule tandis que la chaîne tombe lamentablement sur le parquet, entourée de quelques pierres qui se sont décrochées. Il y a maintenant foule autour de nous.

Je cherche Lukas du regard, en vain. J’aperçois Mickaël. Il me contemple tristement. J’espère qu’il n’a pas entendu ce que j’ai dit. Je n’aurai pas dû me servir de lui pour atteindre la vipère. C’est indigne de moi et puéril. J’en ai plus qu’assez de cette famille. Depuis que je les fréquente, il ne m’arrive rien de bon. Je ne fais rien de bon, non plus.

Je vais manquer à ma promesse, mais je n’en ai plus rien à faire. Veiller à la réputation de Lukas ! S’intéresse-t-il à la mienne ? Pas une seule seconde ! Qu’il trouve une autre pigeonne !

Je me dirige le plus calmement possible vers l’estrade où se trouve une sono et je m’empare du micro avant de me tourner vers mes futurs spectateurs.

Angie s'affaire à ramasser les diamants éparpillés sur le carrelage. Qui ressemble à Cendrillon, maintenant ? Pas moi. Je suis toujours debout malgré les injures ; vous ne me ferez pas tomber, ni toi, ni ton frère.

— Un, deux, un, deux.

L'appareil fonctionne, parfait.

Lukas n’est toujours pas là. Pas de problème. Je n’entends plus la musique dans la salle voisine ; je suppose que le fait d’allumer le micro doit automatiquement couper la sono.

— Mesdames, Messieurs, merci de vous réunir, s’il vous plait. J’ai une déclaration à faire. Ce sera très bref, ne vous inquiétez pas.

C’est bon, Lukas approche. Il est éberlué de me trouver sur la scène et je lis de l’inquiétude sur son visage.

— Merci. Je souhaite clarifier un point pour lequel vous ne trouverez aucune utilité, mais qui possède une réelle importance à mes yeux. En effet, je suis fière d’être la personne que je suis. D’ailleurs, j’ignore ce qui me pousse à me justifier. La colère, sans doute. Mais j’en viens au fait : ce soir, j’accompagne Monsieur Lukas Sullivan, le frère de Mademoiselle Angie Sullivan, tous les deux présents.

Je désigne la jeune femme du menton puis pose mes yeux sur Lukas quelques secondes. Il fronce maintenant les sourcils. Elle, elle est toujours à quatre pattes et a redressé la tête lorsqu’elle a reconnu son nom.

— Tout comme beaucoup d’autres femmes avant moi, et tout comme celles qui suivront. Ma différence avec elles est la suivante : je ne travaille pour aucune agence, et surtout, je ne suis pas escort girl. J’ai accepté cette invitation, uniquement par amitié pour Monsieur Sullivan, car oui, nous partageons une certaine complicité ; et encore oui, nous sommes en quelque sorte amis ; de plus, j’avoue avoir été poussée par une très forte pointe de curiosité envers votre milieu auquel je n’appartiens pas. Comme quoi, il est possible de rencontrer des gens biens à chaque coin de rue. J’ai fait certaines promesses à Monsieur Sullivan, qui, en tant qu’ami, craignait mon franc-parler, c’est pourquoi je vais m’arrêter là. Maintenant que les choses sont claires, je vous remercie de m’avoir écoutée.

Je repose délicatement le micro, car mes tremblements de rage contenue que je pourrais me rendre maladroite. Si je n’étais pas une personne de parole, j’aurais vidé mon sac sans penser aux réputations de l’homme ingrat auquel j’ai à faire et de sa monstrueuse soeur. Elle, je pourrais lui vomir dessus sans éprouver le moindre remords.

Je descends les marches lentement, par crainte d’en rater une, et de me faire mal.

Lukas se dirige vers moi à grands pas, mais je l’évite et pars à la rencontre de Madame Madma.

— Madame Madma.

— Appelez-moi, Eloïse, ma chérie. J’ai beaucoup aimé votre petit discours. Vous devez être au cœur de toutes les conversations. N’est-ce pas, Lukas ?

Il m’a suivie. Je ne pourrai malheureusement pas l’éviter indéfiniment, mais pour l’instant, je n’ai aucune envie de lui adresser la parole. Je crois que dans mon état actuel, je pourrai le frapper, le griffer, le mordre, et lui arracher les yeux et la langue !

— Eloïse, je vous présente mes excuses pour mon comportement. C’était très incorrect de ma part. Pour cette raison, il vaut mieux que je m’en aille. Pourriez-vous m’appeler un taxi, s’il vous plait ?

— Hors de question. Tu ne vas pas partir comme ça. Carly ! Regarde-moi quand je te parle !

Eloïse m’assure de son soutien d’un hochement de tête, puis elle m’invite à porter mon attention sur Lukas d’un clignement des yeux. Son attitude m’étonne. Il n’a pas l’air en colère. Il me semble toujours surpris et inquiet.

— C’est quoi cette histoire d’escort girl ? Carly ! Tu me dois une explication, non ?

— Tout le monde nous regarde, Lukas. Essaie de remonter ta réputation tout seul, car moi, je ne peux plus rien pour toi. En ce qui concerne ma déclaration, va voir ta sœur. Je vais prendre un dernier verre, avec Mickaël, en attendant mon taxi. Puis-je passer, s’il te plait ?

Il s’écarte, parcourant déjà la salle des yeux, à la recherche d’Angie. Mince, elle est devant le buffet, avec Mickaël. Je vais les ignorer tous les deux. Je n’ai pas envie de parler, de toute façon. À personne.


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