SANS SUITE 19/ Jour 4 : Soirée en discothèque (2)

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Je ne sais pas pourquoi j'ai sorti ça. C'est sûrement l'alcool qui a parlé à ma place. Ma voisine et la blonde me dévisagent, bouche bée ; John, qui tient une Sybille médusée dans ses bras, tente de masquer son sourire mais ses yeux vicieux parlent d’eux-mêmes. Le visage de Lukas passe par plusieurs expressions. Ses iris se transforment en glace, ses sourcils se froncent et il pince les lèvres. Puis ses traits se détendent pour afficher un air amusé :

— Tu es sûre de ce que tu viens de dire ? Moi, petit joueur ?

— Oui.

Impossible de faire marche arrière. Vu son expression, il a déjà réfléchi à la manière de me faire payer mon audace. Je l'ai provoqué ; je vais devoir assumer. Le champagne va m'y aider.

La blonde essaie d'attirer son attention. Son visage repose sur l'épaule de Lukas et ses doigts se promènent sur son torse. Lui ne me quitte pas des yeux, son verre dans une main, son bras autour du cou de la fille qu'il caresse d'un air pensif.

Par chance, Angie est occupée ailleurs, car elle aurait pris un plaisir certain à me rabaisser encore.

Il chuchote à l'oreille de la femme qui se redresse, furieuse. Elle s'en va en affichant ce qui lui reste de fierté. Ça ne m'étonnerait pas qu'il se soit débarrassé d'elle sans lui fournir la moindre explication. Il se penche aussitôt au-dessus de la table qui nous sépare. Ses prunelles brillent, il affiche son sourire amusé et c'est sur un ton assuré qu'il me défie :

— À nous deux, petite joueuse.

— Je suis prête.

À quoi pourrais-je bien être prête ? À la folie ? C'est trop tard, la démence m'a déjà gagnée. Je dois vraiment cesser de jouer avec lui ; il possède de toute évidence bien plus de ressources que moi. Il attend que je dise ou fasse quelque chose, mais je n'ai aucune idée de la suite à donner à ma provocation.

— Bonsoir. Il me semblait bien vous avoir reconnue, Carly, m'interpelle une voix masculine.

— Mickaël ! Ça me fait plaisir de vous voir !

Il n'imagine pas à quel point et c'est la raison de mon invitation :

— Vous prendrez bien un verre avec nous ?

— Volontiers, après que vous m'aurez accordé une danse, par contre.

Mon sauveur ! Au beau milieu des autres couples, il pose ses mains dans mon dos avec délicatesse et je l'imite en plaçant les miennes sur ses épaules. Ses gestes sont mesurés, rien à voir avec la brutalité de l'homme que je laisse fulminer sur son fauteuil. L'expression de son visage est menaçante ; j’en éprouve des frissons.

— J'ignorais qu'en plus d'être nageur, vous saviez danser, constaté-je, gênée par le silence qui s'est installé.

— Pour être tout à fait honnête, je suis un piètre danseur ; alors je profite des slows qui restent dans mes compétences. Pas comme votre ami qui nous a offert un sacré show tout à l'heure.

— En effet. J'espère qu'il ne m'obligera pas à me donner en spectacle moi-aussi, rétorqué-je sans réfléchir, encore une fois.

— Comment pourrait-il vous y obliger ? Il ne va quand même pas vous traîner par la force ! s'indigne-t-il en me dévisageant.

— Il peut se montrer très convaincant, croyez-moi. J'avoue l'avoir provoqué juste avant votre arrivée. Mais c'est une trop longue histoire.

— N'hésitez pas à me prévenir s'il vous importune, me conseille-t-il avec un sourire.

— Oh, ne vous inquiétez pas, il ne me fera pas de mal. Pas physiquement en tout cas.

Je n'en rate pas une !

— Je vois. J’espère ne pas me montrer indiscret, mais j’ai rencontré une foule de gens comme lui. Vous devriez vous méfier.

Il semble calme, mais je sens ses muscles se contracter, en même temps qu'il fronce les sourcils. Je suis surprise de déceler de l'inquiétude dans son regard. Il est temps de changer de sujet et c'est amusée, avec un sourire, que je le suggère :

— Vous n’êtes pas indiscret. Mais ne m’avez-vous invitée à danser que pour aborder ce sujet ? Car, sauf votre respect, Monsieur, j’ai peur que cela ne devienne vite ennuyeux pour tous les deux.

Sa sollicitude me touche. Sans pouvoir l’expliquer, sa présence me rassure. Cet homme m’inspire confiance. Je n’ai fait sa connaissance qu'aujourd'hui, et pourtant, il m’apporte calme et sérénité. Lukas, lui, ne m’occasionne que peine et tracas. Un peu de plaisir aussi, mais uniquement à sa convenance. Qu’est-ce qui me pousse à les comparer ? Ils n’ont rien en commun. Voilà, je continue. Une chose est sûre, l’homme auquel je ferai peut-être un jour une place dans ma vie se rapprochera plus de Mickaël que de Lukas. Stop, Carly ! Tu t’évades ! Ta relation avec Mickaël n’est que professionnelle. Alors cesse de divaguer !

Je ne m’aperçois qu’à ce moment que nous nous sommes rapprochés. Est-ce lui ou moi ? J’évite ses yeux. Je ne voudrais pas qu’il croit… Je ne peux pas lui donner de faux espoirs. À condition que cette idée l’effleure, bien sûr. Il mérite ma franchise. J’ai également besoin de faire le point en ce qui concerne Lukas, car j’ai l’impression d’avoir subi un lavage de cerveau et de demeurer sous son contrôle.

— Avez-vous pu penser à ma proposition ? me demande-t-il en s'écartant pour me dévisager.

— Je suis désolée. Pas encore. C’est très… tentant.

Je pèse mes mots, il est hors de question de provoquer le moindre malentendu.

— Mais ?

— Mais, malgré ce qu’on peut penser, je suis plutôt méfiante, et je ne te connais que depuis peu. Pardon, vous.

Mon lapsus le fait sourire, ouf. Ou c’est peut-être ma bêtise et ma façon de m’exprimer ce soir qui l’amusent. J’en ai assez de passer pour la débile de service, ou pire, pour une femme facile. Je ne suis pas facile !

— J’en ai marre de te dire vous ! je râle. On danse ensemble et tu me demandes un service pour pouvoir m’en rendre un. Alors on est amis, non ?

— Ça me convient.

— Madame me fera-t-elle le plaisir de m’accorder une danse ? nous dérange-t-on.

Une voix que je ne connais que trop bien. Une requête lancée sur un ton agressif à peine voilé.

Sans lâcher les épaules de mon cavalier, je tourne la tête vers l'intru : Lukas. Il apparaît toujours au mauvais moment, celui-là ! L’espace de quelques secondes, j’étais presque parvenue à l’oublier. Serais-je en train de guérir ? Ça prouve au moins que c’est possible. Je vais le lui prouver :

— Je suis navrée, Lukas. J’ai promis un verre à mon ami juste après une danse.

— Ça fait déjà deux danses, gronde-t-il, impatient.

Il inspire profondément pour contenir sa colère ; je le vois à son torse qui se gonfle et à ses narines qui frémissent. Bien que nous ayons cessé de danser, Mickaël n'a pas ôté ses mains de mon dos.

— Non. Juste deux chansons. Nous entamons la troisième, rétorqué-je en reportant mon attention sur mon partenaire.

Pour prouver ma détermination, d’un pas, je lui tourne le dos. Hélas, mon élan provoque un face à face entre l’homme qui partage mes nuits et celui avec lequel je viens de me lier d’amitié. J’imagine, à tort, peut-être, la tension qui émane d’eux. Impossible de l’imaginer, elle est bien réelle. Mickaël a resserré son étreinte, il me protége de ses bras aux muscles tendus. Il m’avait dit de l’avertir si Lukas m’importunait. J’ai la confirmation de son soutien. Je ne suis pourtant pas fière de mon comportement. J’utilise l’un pour me défendre de l’autre. Je risque de faire du mal à non pas une personne, moi, mais à trois. Je parviendrai à faire face. Mais Mickaël ? Bon, comment pourrait-il souffrir de quelque chose qui n’a même pas vu le jour ? Et Lukas ? Pas d’inquiétude, il se trouvera un nouveau jouet dès son atterrissage en Amérique et je ne serais plus qu’un lointain souvenir. Tout comme moi, quand j’aurai retrouvé ma maison et surtout mes enfants.

Lukas partit, nous reprenons notre calme. Pourtant, le cœur n'y est plus, et l'absence de discussion devient pesante.

— Viens, allons prendre ce verre, invité-je en desserrant notre étreinte.

Je lui prends la main pour l’entraîner jusqu'à la table. J'ai omis de préciser qui paie. J’espère juste que cela ne provoquera pas une nouvelle scène. Si c’est le cas, je m’excuserais auprès de mon ami et partirais rejoindre mon lit. Seule, bien sûr.

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