SANS SUITE 39/ Jour 7 : Querelles d'amoureux ?

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Je me lève avec les premiers rayons du soleil. Il va encore faire chaud aujourd’hui. Je suis seule, les autres dorment encore. Tant mieux. Je n’aurai pas à me disputer la salle de bain avec qui que ce soit. Je vais d’ailleurs me préparer tout de suite ; je boirai ma ricoree pendant qu’ils déjeuneront.

Une bonne douche fraîche, une touche d'anti-cernes et de maquillage, un coup de brosse dans mes cheveux, un soupçon de parfum ; je suis presque prête ! J’enfile une petite jupe noire à grosses fleurs rouges et jaunes, un maillot sans manches écarlate, mes sandales plates et le tour est joué. Pas besoin de bijoux, juste ma montre. Le fer à lisser est chaud, et le résultat me satisfait quelques minutes plus tard.

Une bonne odeur de pain grillé m’accueille sur la terrasse quand je les rejoins tous. Même Mickaël est là, en tee-shirt et caleçon. Il a du passer la nuit avec Angie. Il est vraiment séduisant, mais pas autant que Lukas. Il faut absolument que j’arrête de penser à lui ! À eux, et surtout de cette façon !

— Salut.

John, la bouche pleine, me tend une tartine beurrée. Charmante attention. Que lui prend-il ? Incapable d’avaler quoi que ce soit à une telle heure, je décline poliment puis m’installe à la place qu’occupait Lukas la veille, puisqu'il est absent. Je suppose qu’il dort encore, et je veux me faire une première impression de son humeur dès qu’il apparaîtra à l’entrée du salon.

Justement, il arrive. Il a l’air serein, à peine réveillé. Il s'étire et nous gratifie d'un large sourire.

Je répète ; ce n’est pas possible d’être à ce point parfait, surtout au réveil ! Seulement, aujourd’hui, je suis déterminée. Sa beauté et son charisme ne suffiront pas à m’amadouer.

— Messieurs, Mesdames, bonjour. Tiens, Mickey, tu es encore là ? Tu as bien dormi ? Désolé pour le bruit hier soir.

Il contourne la table. Il va m’ordonner de lui rendre sa place puisqu’aucune chaise n’est libre de ce côté. Leandra, à ma gauche, ignore encore la scène embarrassante qu’elle a évitée, et le suit sur ce terrain :

— Oui, vous avez mené un sacré raffut, cette nuit.

Il est tout près de moi. Je sens sa main appuyer sur le dossier de la chaise, alors qu’il passe l’autre sous mon menton pour m’obliger à tourner la tête vers lui. Son visage est trop proche. Il dépose un léger baiser sur mes lèvres avant d’ajouter :

— Je suis certain que Carly se joint à moi pour vous présenter toutes nos excuses. Je la rends tellement folle qu’elle ne se contient plus.

Il se redresse, sourit à l’assemblée, fait demi-tour et s’installe en face de moi. J’hallucine !!! Je ne voulais pas répliquer, j’avais décidé de rester totalement inébranlable aujourd’hui, mais ses allégations font voler en éclat toutes mes bonnes résolutions :

— Parce que tu jouis silencieusement ? Ah, j’oubliais, Monsieur Sullivan est parfait, c’est vrai ! Irréprochable ! Tu voulais me filmer, c’est bien ça ? Méfie-toi que cela ne t’arrive pas un jour à ton insu ! Parce qu’au lit, Monsieur Parfait est exactement comme Monsieur tout le monde ! Ça ferait une sacrée tâche à ta réputation !

C’est d’une voix timide que la pauvre Léandra tente de calmer nos nerfs à vif :

— Je parlais des claquements de portes et des cris de colère.

— C’était quoi cette irruption subite pour te jeter sur moi ? rajoute Sybille.

— Ta copine m’a pris pour une mauviette parce que tu as refusé de jouer ton rôle de nominée, hier soir.

— Vous êtes restés là-dessus ? Vous avez un sérieux problème, tous les deux, affirme John, incrédule.

Lukas me désigne de la tête avec mépris :

— C’est elle qui est revenue sur ce sujet !

Je n'endosserai pas tous les torts :

— Je voulais que tu me dises ce que tu penses ! Que tu fasses preuve d’honnêteté !

— Non, Carlyane ! Tu voulais me faire dire ce que tu avais envie d’entendre ! Un petit conseil, ne joue pas à ça avec moi, car tu vas t’en mordre les doigts. Sybille, je te demande pardon pour ma réaction.

— Pas de problème. Mais on apprécierait tous que vous ne nous preniez plus en otage lors de vos incessantes disputes. Serait-ce possible ?

John lève la main pour signifier qu’il a quelque chose à ajouter :

— Bien que vos querelles d’amoureux m’amusent profondément, il serait…

— Querelles d’amoureux ? s'étrangle Lukas en se rapprochant de son ami.

— Laisse-moi terminer. Je crois qu’il serait temps que vous acceptiez les sentiments que vous éprouvez l’un pour l’autre.

— Quels sentiments ? s'insurge encore Lukas. Va au bout de ton idée, John !

Il n’est pas en colère ; il n’est pas furieux, non plus. Il est hors de lui et il va encore m’écraser, comme un vulgaire insecte. Ses yeux ne pétillent plus ; ils sont sombres, réduits à deux fentes, tels ceux d’un fauve prêt à bondir. Sa bouche, d’ordinaire si sensuelle, exprime un tel dégoût que j’en vomirais presque. Je ne le laisserai pas me dégrader, cette fois. Je me lève et m’adresse à John :

— Querelles d’amoureux, sentiments ? Tu ne connais même le sens de ces termes, John. Pas plus que lui, d’ailleurs. Les amoureux commencent par se respecter ; ils se font confiance ; ils ont envie et besoin de partage. Je ne parle pas de sexe, soit dit en passant. Ils veulent passer le plus de temps possible ensemble. Ce n’est pas notre cas. Pour que les choses soient bien claires, Lukas ne m’inspire aucun respect, pas plus qu’il ne m’en accorde ; il m’est impossible de lui faire confiance à cause de ses éternelles sautes d’humeur ; ensuite, je n’ai rien à lui offrir et je ne veux rien de lui, donc aucun partage, hormis nos parties de jambes en l’air ; et pour finir, mon unique attente, en ce qui le concerne, est de me trouver à des milliers de kilomètres pour ne plus avoir à subir ses airs autoritaires et supérieurs ! Vous n’êtes pas d’accord, Monsieur Sullivan ?

— Personne ne t’oblige à me supporter.

— Si, toi ! Tu ne supportes pas que je t'ignore, alors tu reviens à la charge, à chaque fois, pour mieux me salir après !

— Stop ! s'interpose Sybille. La journée commence seulement ; allez vous défouler ailleurs. Merci.

— Puis-je m’exprimer à mon tour ? demande Lukas sur un ton faussement calme. Tu voulais que je sois honnête, Marie-Madeleine, soit. Reprenons point par point. Le respect : comment pourrais-je te respecter alors que tu ne respectes pas ce que je suis, ce que je représente ? La confiance, ça se gagne, mais je te fais suffisamment confiance pour te proposer de m’accompagner à une soirée mondaine.

— Où tu m’as fait passer pour une escort girl !

— Je ne t’ai pas interrompue. Ceci dit, je me suis déjà excusé pour ça. En effet, il n’y a pas grand-chose à dire sur le partage, si ce n’est qu’il est tellement facile de partager ton lit que je n’ai pas à me fatiguer pour en trouver un autre. Ce sont d'ailleurs les seuls moments que j’ai à t’offrir ; le reste ne présente aucun intérêt pour moi. Sur ce, bonne journée.

Il s’en va à l’intérieur de la villa. Angie masque mal son petit sourire de satisfaction. John et Sybille restent pensifs, tandis que Leandra et Mickaël paraissent profondément mal à l’aise et gardent la tête baissée. Mon état ? Un mélange de leurs réactions, avec la colère en plus. Je me réjouis d’avoir réussi à exprimer mon ressentiment, mais je suis meurtrie par ses paroles. Il me considère comme une femme facile. Me voit-il vraiment comme un jouet sexuel ? Ne suis-je réellement que ça à ses yeux ? J’ai été la pire des idiotes de le croire capable de sensibilité. Je le déteste, mais je n’en saisis pas bien la raison. Je ne devrais pas attacher autant d’importance à son opinion. Ses mots durs ne devraient pas m’atteindre de la sorte. Ce pourrait-il que… ? Non, les seuls sentiments qu’il déclenche en moi sont la colère et la haine. Rien d’autre.

Je flâne sur Facebook en attendant Sybille et Leandra.

Les organisateurs proposent une seconde fois la conférence à laquelle je voulais assister, car elle a attiré tellement de monde que beaucoup n’ont pu y participer. Une chance pour moi.

Le trajet m’est pénible. Leurs questions me torturent. Je leur réponds, car d’une certaine manière, exprimer mes pensées les plus profondes à voix haute me soulage. J’espère à chaque tirade mettre fin à mon calvaire, mais elles insistent et me martyrisent encore un peu plus à chaque problème soulevé.

— Pourquoi ne l’envoies-tu pas balader une bonne fois pour toutes ? cherche à comprendre Leandra, d'une voix affligée.

— Je le fais, mais il balaie d’un regard toutes mes intentions. Passons à autre chose.

— Qu’est-ce qui te plaît tant chez lui ? creuse-t-elle.

Son sourire, son corps parfait, les sensations toujours nouvelles qu’il me fait découvrir, son charisme, mais plus que tout, son regard, quand il se pose sur moi, quand sa respiration change, que ses yeux ne parviennent plus à me quitter, et que j’y lis tout son désir.

Stop! Non !!! Non ! Non. Je me sens comme anéantie. Il faut qu’elles arrêtent leur interrogatoire :

— Je ne sais pas ! Tout et rien à la fois ! Stop, s’il vous plait.

— C’est un bon coup ? insiste Sybille, avec son tact habituel.

— Je ne veux pas parler de ça !

— Pourquoi ? Ça ne me dérange pas de dire que John est un bon coup.

— Ok ! Oui. C’est bon, ça te va ? Oui, c’est un incroyable bon coup ! Je ne voulais pas parler de ça !

Mes nerfs sont en train de me lâcher. J’ai chaud, beaucoup trop chaud et je tremble. Mes yeux commencent à brûler. Les battements de mon cœur accélèrent à chaque image de Lukas qui me traverse l’esprit.

Silence. J'aspire un grand bol d'air et parviens à me calmer, mais les souvenirs affluent toujours, incessants. Cruels. Et bons.

Nous atteignons enfin l’immense parking. Je roule au pas, à la recherche d’une place.

— Tu l’aimes, Carly.

Je sursaute tellement fort que mes pieds lâchent les pédales, ce qui provoque un soubresaut et l’arrêt de la voiture.

Je me tourne vers Sybille avant de redémarrer :

— Non. Les seuls bons moments qui me reviennent en mémoire se déroulaient tous au lit. Ce n’est pas de l’amour, Sybille.

— Il t’aime aussi. Votre problème, c’est qu’aucun de vous deux ne l’avouera, résume-t-elle avec certitude.

— Parce que tu te trompes. Nous arrivons. Le sujet est clos.

Impossible de me concentrer sur les brochures des agences de voyages, et encore moins sur les exposés des conseillers qui vantent leurs destinations. Pourtant, je ne suis pas venue jusqu’ici pour me tordre l’esprit et encore moins pour faire une cure de sexe avec un homme ingrat ! Sybille serait-elle devenue folle, elle aussi ? Comment peut-elle imaginer une seule seconde qu’il y ait de l’amour entre ce tyran et moi ? À moins qu’elle n’essaie d’analyser sa relation avec John. C’est ça. Ce sont eux, les amoureux !

À l’heure du déjeuner, je sors pour prendre des nouvelles de mes enfants. Leandra me rejoint, puis Sybille. Une dernière cigarette avant de me rendre dans la salle de conférences.

— En tout cas, Lukas doit être un sacré bon amant pour que tu replonges à chaque fois, reprend Sybille.

Une chance pour elle qu'elle n'ait pas choisit une carrière de psychologue.

— Nous avons déjà abordé ce sujet, Sybille. Oui, c’est un bon coup. Mais il n’est pas mon amant. Serais-tu intéressée ? Et John ?

— Evitons le sujet John. Je n’ai que partiellement apprécié le coup du glaçon, même si je sais ce que vous cherchiez à faire, lui et toi.

— De quoi tu parles ?

— Court résumé pour Leandra. John est allé chercher un glaçon dans la bouche de Carly. Ils ont fait ça de manière un peu… très sensuelle. Pour provoquer Lukas. John l’a confirmé après ton remerciement pour avoir essayé de vous réconcilier. Ne dis pas le contraire, Carly.

— Je voulais me venger pour toutes les méchancetés qu’il me fait subir !

— S’il y a vengeance, il y a sentiments, Carly. Vous cherchiez à provoquer la jalousie de Lukas, et ça a marché !

— Non ! Il a trouvé ça, je le cite : « excitant » !

— Bien, tu es en colère. Tu ne l’aimes pas. Alors quand il t’embrassera, ce soir, car ça ne manquera pas d’arriver, tu le repousseras. Prouve ce que tu dis, Carly.

— Vous ne comprenez pas. C’est comme une force attractive qui me pousse vers lui. Comme si on était chacun un aimant, et qu’il m’attire malgré moi. Je ne peux pas résister ! Il est plus fort que moi ! Il efface tout ce qui se trouve autour, il empli la pièce de sa présence. Il n’y a plus que lui !!!

— Ça s’appelle l’amour, Carly.

Sybille ne laisse place à aucune réponse de ma part. Elle retourne à l’intérieur, suivie par Leandra. Elles me laissent seule face à mes réflexions. Elles ne peuvent pas avoir raison. Car si c’est le cas, je perds la mienne. De raison. Je ne peux pas me le permettre. De perdre la raison. Mes enfants ont besoin de moi. Qu’est-ce qu’ils me manquent ! Leur amour si pur, leurs bras d’enfants tendres et aimants, si confiants. Maman ne vous décevra pas, mes chéris.


Pendant le retour, nous comparons les tarifs proposés sur les prospectus ; nous nous arrêtons essentiellement sur ceux qui vantent les Antilles en général, car la Guadeloupe n’y est pas très présente. À peine cinq ou six, sur une trentaine d’offres ! Les clients préfèrent-ils les autres îles ou les agences bouderaient-elles l’archipel ? Quel dommage ! Peut-être figurerons-nous sur les brochures l’année prochaine. L’espoir fait vivre, n’est-ce pas ? Nous sommes déçues toutes les trois.

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