2. Secret

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Nathan

 Lorsque j'arrive devant la maison, il est un peu plus de six heures du soir. Mon père comme à son habitude doit être assis dans son canapé, une bière à la main. Et puis, ma mère, elle, doit être en train de se préparer pour son deuxième boulot. En journée, elle fait le ménage dans toutes sortes de structures et le soir, elle est serveuse dans le Cuba Club. Tous les jours elle se tue à la tâche dans ses deux emplois alors que mon père se la coule douce. Il n'en a rien à foutre, tant qu'il y a de l'argent dans la maison et qu'il ne fait rien pour, il est heureux. Tout compte fait je comprends le fait que ma mère est en pleine dépression. Un mari aussi fainéant que mon père n'apporte que des soucis. Parfois, je le hais tellement. Il ne donne même pas l'exemple à son fils.

Je franchis le petit portillon qui mène jusqu'à la porte d'entrée, puis juste avant d'ouvrir la porte, j'entends mon prénom. Je me retourne pour voir Todd marcher vers moi.

— Salut Nathan. Comment s'est passée ta première journée dans ce lycée de Brooklyn ? J'espère que ces petits pète-cul ne se sont pas amusés à se foutre de ta gueule ? Sinon, tu sais même si j'ai quarante ans, je leur rentre dedans sans hésiter.

Je ris avant de le saluer avec notre check familier.

— Je suis assez grand pour me défendre, Todd. Bref... pour te répondre, ça s'est passé c'est tout.

Il me sourit comme s'il était fier de moi. À chaque fois qu'il fait ça, ça me fait chaud au coeur. Je sais qu'avec sa femme, Olie, ils ne peuvent pas avoir d'enfant et Todd a toujours rêvé d'avoir un fils. Je suis sûr qu'il aurait fait un père exemplaire. Des fois j'aimerais ne pas être né dans cette famille mais dans celle qu'Olie et Todd ont construit en l'absence de petits bambins. Mais on ne choisit pas sa famille, hein.

— Par contre, j'ai bien un gars qui se la raconte un peu trop.

Todd plisse les yeux.

— Tu veux que je lui donne une bonne raclée ?

— Pas la peine. Il est pas dangereux, seulement comme les gens de son genre. Avec la thune et la popularité, il se croit supérieur aux autres. En plus, monsieur est quarterback de l'équipe de football du lycée.

J'esquisse quelques manières avec mes bras qui font rire Todd.

— C'est quoi son nom ?

— Pas de connerie Todd. Je veux pas me faire virer au bout d'un jour de cours.

Il pose sa main sur sa poitrine pour me signifier silencieusement qu'il ne fera rien et que j'ai sa parole. Et dieu sait que la parole de quelqu'un ici, compte énormément.

— Ashford Saint. Et pourtant ce n'est pas un saint. Il fume et à le sentir ce n'est pas que du légal.

Todd sourit comme un empoté, toujours en me regardant. Je l'interroge du regard, curieux.

— Je connais bien son père à ton gars. En fait, on a fréquenté la même école. Un vrai connard.

— Comme son fils.

— Bah Nat, c'est pas pour rien qu'on dit "tel père, tel fils" tu sais.

J'acquiesce en silence.

— Bon, je venais pas pour ça mon grand.

Je croise les bras sur mon torse.

— Pourquoi alors ? Tu traînes jamais par ici d'habitude sauf quand c'est important.

Je remarque la légère grimace de Todd. Immédiatement l'inquiétude me submerge. J'espère de tout coeur qu'il n'est rien arrivé à Olie.

— Olie a rendez-vous chez le médecin ce soir pour une prise de sang et j'ai besoin de toi, parce que je vais l'accompagner.

— Pas de souci, tu peux compter sur moi. Rien de grave ?

Todd se frotte la légère barbe qu'il a sur le menton. Puis, il secoue la tête négativement. S'il n'a pas envie d'en parler, je vais me la fermer.

— Nina est partie rendre visite à ses parents et Paco vient juste de se marier et tu sais ce que c'est avec les soirées et les faveurs. Je fais en sorte que mes employés aient la meilleure vie qu'ils puissent avoir.

— Je sais tout ça Todd. Il n'y a pas meilleur patron que toi, c'est d'ailleurs pour cette raison que j'aimerais tenter un apprentissage auprès de toi ou de Paco, l'année prochaine.

Il écarquille les yeux, l'air de ne pas bien comprendre.

— Quoi ? Mais gamin...

— Dis-moi pourquoi tu es là Todd, je dois m'organiser.

Il soupire. On aura le temps d'en parler plus tard et dans un endroit plus calme.

— Je devais aller chercher du matériel dans ce magasin de tattoo ce soir, mais comme personne n'est là sur les tatoueurs et que je dois filer à un rendez-vous super important, eh bien...

— Tu as pensé à moi. C'est normal Todd et je vais le faire.

— Je sais bien que tu viens de rentrer de l'école et que tu as tout un tas de chose à faire mais c'est assez urgent.

Il se passe une main nerveuse dans les cheveux tandis que je lui souris. C'est un ami — ouais un vieux de quarante ans et alors ? — et je fais tout pour mes amis.

— Donne la liste et le nom du magasin, j'y rapplique dans la soirée.

Il sort un papier de sa poche arrière et me le tend. Je le prends sans attendre et jette un coup d'oeil à l'adresse. C'est dans le centre de Brooklyn, dans un quartier particulièrement chic. Dumbo. L'endroit des gens aisés.

— Je te revaudrai ça Nathan, merci.

— Pas la peine Todd.

Je le regarde prendre la route opposée pour rejoindre Olie. Moi, j'ouvre la porte d'entrée. Comme je l'avais présumé, mon père est bien assis dans son canapé avec une bière à la main et un match de MMA à la télévision. Il grogne contre les combattants.

Je ferme la porte tout doucement pour ne pas l'alerter. Dans l'entrée, je sens un parfum alléchant : le dîner de ce soir. Sans plus tarder, je m'avance vers la cuisine où ma mère s'active. Lorsqu'elle m'aperçoit, elle me sourit. J'inspire un grand coup. Elle est sûrement dans l'un de ses bons jours.

— Alors cette journée mon garçon ?

— C'était bien.

Elle me sourit encore avant de placer un morceau de gâteau à la fraise devant mes yeux.

— Merci maman.

— Mais c'est normal. Tu es dans la force de l'âge chéri. C'est important de bien s'alimenter.

Je croque dans la part, le frais sur le palais.

— Le rôti est dans le four et les petits pois à faire réchauffer. Je dois y aller maintenant sinon je vais être en retard au travail.

Elle s'approche de moi pour déposer un léger baiser sur le sommet de mon crâne. Oui, elle est définitivement dans un bon jour. Mais en sera t-il le cas demain ? Je prie pour.

— Maman avant que tu partes pour le boulot, Todd m'a demandé d'aller chercher deux trois trucs pour le salon, est-ce que tu crois que...

— Bien sûr chéri. Je vais chercher ça.

Je la regarde monter les escaliers jusqu'à la chambre qu'elle partage avec mon père. Puis lorsqu'elle redescend, mon géniteur l'appelle en même temps. Enfin, il grogne son prénom.

— Fanette, une autre bière.

Elle souffle un bon coup avant d'aller en chercher une autre dans le frigo. Elle l'ouvre avec le décapsuleur et l'emmène à mon père. Même pas un merci, rien ne sort de la bouche de mon père devant l'air contrit de ma mère. Dans ces moments-là je voudrais le frapper.

— Dis-donc Fanette, c'est quoi tout ce fric ? C'est pour l'autre morveux qu'a décidé d'aller se torcher un premier soir de cours ?

— Oui, mais ce n'est pas...

Il la coupe.

— Nathan, viens ici !

J'avance devant le regard désolé de ma mère. Je lui adresse un léger sourire.

— Va travailler Fanette, l'argent ne tombe pas du ciel.

Elle quitte la pièce et bientôt la maison. Le silence retombe l'espace d'une seconde, puis arrive l'avalanche.

— Tu crois qu'on a assez de fric pour tes virées nocturnes Nathan ?

Je ne réponds rien. Il m'a toujours appris à ne pas répondre lorsque ce n'est pas nécessaire. Et là, il s'agit d'une question rhétorique.

— Tu devrais avoir honte de pomper du fric à ta mère.

Soudainement, il se lève de son fauteuil, le bide ressorti du t-shirt. Ses yeux sont hargneux et injectés de sang. Brutalement, il m'attrape par le col de mon haut pour que nos visages soient face à face. Son haleine pue l'alcool. C'est dégueulasse.

— Espèce de petit con ! C'est d'avoir vu et fréquenté des jeunes riches qui t'a retourné le cerveau ? Tu veux du fric toi aussi ? Va donc en trouver ailleurs que dans cette maison.

Il me repose à terre puis me balance son poing en pleine joue. Je contracte mes muscles et serre les dents. Mon coeur bat fort sous ma peau, je le sens. J'ai mal. Atrocement mal. Mais je me force à me taire, à rester impassible. Voir la douleur se refléter sur mon visage accorderait une certaine satisfaction à mon père. Je continue à lui faire croire qu'il est fort, mais avec le nombre de bagarre qu'on a dans la rue, je serai capable de le mettre à terre en moins de deux.

— T'as compris, va en trouver ailleurs ! Dégage ! Je peux plus te voir !

Je profite de ce moment pour filer. J'enfourche mon vélo pour dévaler les rues à grande vitesse. Je suis sûr que le bleu que j'ai sur la joue se voit déjà aux yeux de tout le monde. Pas de chance pour mon père qui aimerait rester discret, je marque très très facilement. Mais pourtant, il l'air de s'en foutre.

Sans plus m'arrêter de pédaler, je roule dans les rues de Brooklyn où la nuit est déjà tombée. J'arrive à trouver le magasin que m'a indiqué Todd. Le gars à la caisse s'appelle Gary et il m'aide à trouver ce qu'il me faut. En deux trois mouvements, je suis sortie d'ici et me prépare à repartir. Seulement la vue qui s'offre à moi me laisse sans voix. J'observe les moindre détails, émerveillé.

— C'est souvent la première expression qui passe sur le visage des gens quand ils voient ce foutu paysage.

Je me retourne, intrigué par la voix qui me parle et qui me dit vaguement quelque chose. Je ne suis pas surpris de trouver Ashford Saint dans ses quartiers. Décidément, c'est bien ma soirée. Quand je disais que j'ai peur de la nuit, c'est vrai.

Je l'ignore en regardant le pont de cuivre devant mes yeux.

— On t'a cogné ou tu t'es bagarré ?

Je ne réponds pas. Ce bleu sur ma peau ne regarde personne d'autre que moi et encore moins ce gars.

— Il va falloir se montrer plus coopératif avec moi pour les sélections.

Je me retourne une seconde fois vers lui.

— T'as pris un coup sur la tête ou quoi ? Pourquoi tu viens me causer ?

Il soupire.

— Je viens de me faire virer de chez moi. Je pue l'herbe et ça fait chier mon père.

— Je m'en fous.

Il se rapproche de moi, en serrant les dents.

— Tu me parles mieux le bouseux.

Je le fusille du regard. Puis je le pousse de toutes mes forces. Il recule à peine sous l'impact de mes mains.

— Je marchais pour prendre l'air et je t'ai vu, c'est tout.

— Tu peux continuer ton chemin, alors.

Il continue de me regarder de son regard perçant.

— Tu veux fumer avec moi ?

Je fronce les sourcils, surpris. Le mec a clairement plusieurs faces. Il y a quelques heures, il m'a dit qu'on deviendrait jamais potes et maintenant il me propose de fumer avec lui. C'est clairement contradictoire. Tu m'étonnes qu'il sente l'herbe, il est encore en train de planer.

— T'as des potes pour ça, non ?

Il hausse les épaules. Étrange, le mec.

— Je fume pas de la beuh.

— Menteur. Je parie que t'aime ça.

— Non, je ne veux pas fumer avec toi. Si mon père découvre ça, il ne me vire pas de chez lui, il me tue.

— Carrément ?

Je lui envoie un regard meurtrier, prêt à foutre le camp.

— Tu ne le connais pas et il ne vaut mieux pas le connaître.

Je me prépare à partir mais Ashford bloque mon vélo en mettant une main sur mon guidon. Il serre la poignée entre ses doigts, qui deviennent blancs face à la pression qu'il exerce avec sa force.

— Alors il t'a cogné, c'est ça ?

J'entre dans une rage folle. Dans un mouvement brusque, j'attrape sa main pour me libérer de sa poigne, puis je fonce pour retourner chez moi. Après des minutes de trajet, j'ouvre la porte en silence et la referme avec beaucoup de précautions. Mon père dort dans son canapé, il ne vaut mieux pas que je le réveille.

Sans perdre de temps, je monte les escaliers pour aller me réfugier dans ma chambre. Je n'ai pas faim. Ce qu'il vient de se passer ce soir et toutes ces conneries m'ont coupé l'appétit.

Je me glisse sous les draps après avoir ôté mes vêtements. Les bras croisés derrière la tête, j'observe le plafond blanc qui s'étend devant moi. À cet instant précis, je me rends compte que je viens dévoiler un de mes plus grands et sombres secrets à quelqu'un. Pas à n'importe qui, cela dit. À Ashford Saint, le petit péteux, à qui la vie sourit. Et ce qui a de pire dans tout ça, c'est que c'est vraiment la mauvaise personne. Celle qui est capable de tout briser en une seule parole.

********

Hello tout le monde ! Voici le deuxième chapitre de Night ! J'espère que vous avez aimé ! Rendez-vous au prochain chapitre, et bonne journée !

PS : je voulais remercier les 4 personnes qui ont voté, annoté et commenté mon chapitre 1. Votre aide et vos avis sont précieux. Merci beaucoup.

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