A Bacharach sur le Rhin vivait une sorcière.

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 Les leçons avançaient bien, les feuilles tombaient des arbres et Mordred tombait sur les fesses. Elle lui lançait des sorts, il les encaissait et lui expliquait ce qu’elle devait corriger dans sa posture ou sa prononciation. Le « Eh » avait été correctement maîtrisé en un peu plus d’un petit mois. Elle pouvait à présent faire glisser une tasse de thé sur la table sans la renverser et en se concentrant bien elle parvint même à faire tomber Mordred au ralenti pour lui éviter d’avoir le séant comme une pomme blette.

- Ah ! Très, très bien Susan ! Ce que tu viens de faire c’est ce que l’on appelle une nuance. Si tu continues de t’entraîner tu pourras apprendre à léviter quelques secondes. Rien de spectaculaire mais ça peut être utile. Dis-moi comment tu as formulé le sort dans ta tête. S’enthousiasma Mordred en se relevant.

- J’ai fait le Eh normal pour te pousser et j’en ai fait partir un moins fort du sol pour amortir le choc. Expliqua Susan.

- Superbe ! S’épousseta-t-il en souriant. C’est une nuance de projection. Tu es le point central du sort, tout part de toi, tout vient vers toi. Le fait qu’une sorcière ou un sorcier puisse faire partir l’énergie d’un autre endroit peut signifier trois choses : Soit que tu fais face à une Magicienne et qu’elle outrepasse les lois naturelles. Plus fréquemment que ton adversaire n’est pas seul ou encore qu’il ou elle a posé un glyphe en prévision de votre rencontre.

- Donc tu es convaincu que je vais devoir m’en servir pour me battre. Renifla Susan.

- Mouche-toi s’il te plait. La reprit Mordred. Si je n’étais pas convaincu que tu aurais besoin de la sorcellerie pour te défendre je ne t’aurais pas appris ce signe en premier. Une chose est sûre en tout cas ! Tu es une magicienne ! Bondit-il gaiement en lui ébouriffant les cheveux. Comment vas ton ventre ? Tu as des crampes ? Ce n’était pas un gros usage de la magie mais ça peut suffire à provoquer de légers malaises les premières fois.

- J’ai envie de faire pipi mais sinon ça va. Lui affirma-t-elle. On a fini ?

- Oui, pour aujourd’hui en tout cas. La prochaine fois j’essaierai de te rapporter des sceaux et des parchemins pour que l’on puisse commencer à aborder l’écriture des glyphes.

- Les parchemins, c’est des pièges à cons un peu non ? Demanda Susan en boitillant vers le terrier.

- Ça peut l’être. Admit Mordred. L’intention, la visualisation du sort et de son effet sont contenus dans l’encre, n’importe qui avec suffisamment de savoir pour déchiffrer les symboles magiques peut le déclencher pour peu de le lire à voix haute. La seule chose que je puisse te dire les concernant c’est de ne jamais lire un parchemin que tu n’as pas écrit toi-même et de ne pas lire de parchemin dont tu ne te souviens plus du contenu…. Ça a rendu mon cousin roux et dix siècles plus tard je crois bien que ses descendants le sont toujours.

- Oui ben je ne vois pas le problème avec les roux. S’empourpra violemment Susan. C’est une couleur de cheveux comme une autre !

 Elle revoyait la chevelure chatoyante du garçon de la librairie. Elle ne se souvenait plus de son visage et n’aurait plus su dire son nom non plus mais cette cascade de boucles incandescentes lui donnait des frissons rien qu’à y penser. Après tout, elle avait bien le droit à quelques images agréables quand elle fermait les yeux de temps à autre. Elle pressa le pas en culbutant pour cacher ses joues écarlates et alors que Mordred lui faisait un commentaire pincé sur le fait qu’il ne voulait pas qu’elle fréquente des garçons, Susan sentit son ventre se tordre à lui couper les jambes.

 En boule sur le sol, elle se tenait le bas ventre pour tenter d’apaiser la tourmente qui s’y déroulait. Elle avait trop mal pour bouger, trop mal pour crier, trop mal même pour cligner des yeux. Elle resta là, la bouche ouverte à chercher désespérément de l’air et à crever sur place. Mille crashs d’avions, les griffes du cornu, même les trahisons de Céleste ça ne faisait pas mal comme ça. L’ombre du Docteur Lavander passa au-dessus d’elle, elle se sentit soulevée de terre, entendit parler Mordred sans saisir le sens de ses mots. Elle parvint à comprendre qu’il l’emmenait dans le Serpent. Pour le reste, elle se sentit consécutivement partir et revenir entre la douleur et le néant jusqu’à être plongée dans l’eau glacée.

 Une clarté, soudaine, un apaisement aussi. Mordred était dans l’eau jusqu’à la poitrine et la tenait dans ses bras en sifflant, le regard sévère, comme on siffle un chien qui a sauté la clôture du jardin.

 Il beuglait des trucs en Allemand, elle savait que c’était de l’Allemand parce que parfois Céleste chantait dans cette langue en se préparant le matin. Suffisamment consciente pour se rendre compte qu’elle baignait dans une rivière dont le courant était loin d’être paisible, elle s’accrocha aux épaules de Mordred en grinçant des dents. Elle savait flotter sur une eau calme, nager dans une rivière en crue c’était déjà une tout autre affaire.

 Des bouillonnements apparurent sous la surface ridée par le courant. Une, deux, six têtes émergèrent de sous l’onde. Blondes, d’immenses yeux bleus ou vert, un teint de pleine lune, toutes plus belles les unes que les autres. Puis se tira de l’eau une créature sculpturale.

 Susan planta ses ongles dans la nuque de son père. Quoi que soit ce qui s’approchait d’eux, c’était ancien et terrible. Dans son ventre, en plus des crampes qui lui poignardaient la matrice, se noua l’impression de faire face à un cataclysme. C’était se retrouver seule face à l’éruption du Vésuve au milieu des décombres, c’était être happée par la nature dans toute la majesté de sa toute-puissance, c’était comprendre soudain que les reflets dans l’eau ne venaient pas des astres mais des tréfonds de la rivière.

 L’or en fusion qui coulait sur ses épaules maigres, ses yeux, comme des perles percées d’un point d’onyx, sa peau diaphane, cadavérique et ses lèvres bleutées qui s’entrouvrirent sur ses dents grises, acérées, en un rictus cruel. Il y avait bien plus terrible que de venir de Mordred, elle le savait maintenant. Elle le savait parce que cette chose avait posé le regard sur elle et sans prononcer un mot, elle résonnait dans sa tête. Elle parlait à son cerveau par des images de Céleste et de son ventre rond au-dessus de sa progéniture. Elle lui renvoyait l’échos de ses cris lorsqu’on l’avait extraite de ses entrailles. C’était cette chose qui l’avait mise au monde de ses mains palmées aux griffes vénéneuses, c’était cette chose qui avait conclu le pacte auquel elle devait la vie.

 Ce qu’elle répondait distraitement aux vociférations de Mordred n’avait aucune forme d’importance. Ce qui comptait c’était l’étreinte aquatique que ce léviathan resserrait autour de ses chevilles pour la tirer vers le fond. Venir ici était une grossière erreur, comment Mordred qui prétendait tout savoir de ce monde ci avait-il pu la commettre ?

 Elle ne sortit de sa sidération qu’en échappant aux bras de son père, en sentant l’eau envahir sa bouche, son nez, en voyant Mordred plonger avec la force du désespoir pour la rattraper. Elle se noyait sans suffoquer, elle se dissolvait dans le Rhin ou le Rhin s’infusait en elle, elle n’aurait pas su le dire mais une chose était sûre : Elle avait mal au ventre. Un mal de chien et elle n’avait absolument aucune envie d’être là. Elle en avait assez d’être trimballée à droite à gauche par tout et tout le monde. Céleste, l’inuit, les nonnes, Mordred, le Docteur Lavander et maintenant la nature elle-même. Elle était un paquet qu’on s’arrachait ou se refilait en fonction de petits intérêts personnels dont elle n’avait strictement rien à foutre. De la part de Mordred c’était tolérable, quoi qu’elle soupçonnât grandement qu’il soit venu faire une complainte au service après-vente d’enfants femelles.

 Son ventre la vrillait atrocement, ses hanches, ses genoux, ses chevilles se disloquaient d’être traînées vers l’abysse. Se débattre ne servirait à rien, lancer un sort ne servirait à rien, elle le sentait bien, il fallait résonner.

 Elle se frappa le ventre, que cette chose marche au moins si déjà elle lui était imposée. Loin, elle voulait aller loin, sur la terre ferme. Sous le couvert des arbres, dans une forêt, elle allait crever dans une forêt, à chaque fois qu’il était question de ces histoires il était question de forêt. Au fond de l’eau, gisait un tapis d’algues. Susan s’y agrippa, elle ne se laisserait plus brinquebaler par tous les tarés qui croiseraient son chemin.

 L’air glacé la transperça de part en part. Elle avait réussi, elle s’en était sortie, elle avait résonné. Où était-elle atterrie ? Aucune idée, dans la forêt sans doute. En tout cas sont ventre ne lui faisait plus mal.

 Le vent dans les cimes décrépies, l’humus sous ses genoux cagneux. Entre ses doigts les algues détrempées étaient en réalité des poils, ça sentait le chien mouillé et les aiguilles de pin roussies par les arbres malades se collaient en plaques épaisses sur ses vêtements détrempés. La lune était haute dans le ciel et elle était enfin libre. Libre de mourir de froid très probablement mais au moins personne n’allait lui imposer ça pour le coup. Elle s’assit pour reprendre son souffle, prit le temps de s’examiner. Elle avait du sang jusque dans les chaussettes, super, merci la puberté, enfin, si c’était le prix à payer pour ne pas se faire manger par la terreur du fleuve, Susan le paierait tant qu’il le faudrait.

 Prête à se relever pour chercher un abri, elle pût remarquer dans les fourrés un mouvement bien trop vif pour venir du vent. Elle ramassa le plus gros caillou à sa portée et se releva en titubant « Qui va là ? » Mordred ? Non, la silhouette qui traversait le sous-bois était bien trop imposante. Elle réessaya en Français, après elle aurait posé toutes ses cartes linguistiques et elle devrait caillasser.

- Tu parles Français ? Demanda une voix rocailleuse, profonde à faire trembler le sol sous ses pieds.

- Oui. Répondit-elle en serrant son caillou pour se donner du courage.

 La silhouette s’approcha, voûtée, couverte d’une épaisse fourrure d’un noir d’encre, une gueule de loup juchée sur un corps disproportionné aux longs bras ballants qui la humait avec méfiance.

- Tu m’as fait peur. S’approcha-t-il lentement.

 Il avait un accent très prononcé, aucune agressivité dans la voix, la queue entre les jambes et semblait se tasser pour ne pas paraître trop imposant. Debout sur ses petites pattes bancales, elle devait lui arriver à peine en dessous du nombril, comment pouvait-il avoir peur d’elle ? Si c’étaient les cailloux qui l’effrayaient, il faudrait qu’elle s’en serve parce qu’au corps à corps l’issue d’un éventuel affrontement était toute trouvée et qu’elle ne se sentait pas la force de lui lancer un sort.

- Désolée. Se détendit-elle légèrement. Ce n’était pas le but.

 Il lui semblait que le loup lui souriait, la chose se confirma lorsque son corps velu se redressa et se mit à prendre dans, des craquements organiques sinistres et des mouvements de chair improbables, une forme humaine. Il était très grand, très costaud, mais bel et bien humain une fois que sa fourrure avait fini de s’étioler en vapeur sur sa peau. Il avait de petits yeux rapprochés qui lui donnaient un air idiot, des cheveux secs en batailles qui ressemblaient à un tas de paille posé sur sa grosse tête carrée bordée de larges oreilles décollées et un nez cassé. Il avait vraiment une gueule de gamin de la ferme et une ferme où on se marie entre cousins.

- Ce n’est pas grave, je m’en doutais. Tu es blessée ? Tu sens le sang de règles mais du coup je n’arrive pas à savoir si tu t’es…

- Non c’est bon. Le coupa-t-elle sans plus de cérémonie.

 Il n’avait pas une mauvaise tête ni l’air malveillant mais elle n’avait aucune envie qu’il lui parle de son cycle menstruel. Il s’arrêta à une distance respectueuse pour pouvoir l’observer sans sembler menaçant. Consanguin, peut-être, bien mieux éduqué que Mordred ou que quiconque qu’elle ait pu rencontrer jusque-là, c’était certain. Ce type qui restait sagement à portée de caillou lui paraissait pour le moins sympathique jusqu’à temps qu’elle ne remarque un certain détail.

 Il était nu, nu comme un ver, des pieds à la tête, pas l’ombre d’un slip ou d’une chaussette ni même d’une moufle. Il exhibait sans la moindre pudeur son poitrail solide de grand costaud, son ventre encore plat mais promit à s’arrondir d’hectolitres de bière et tout le reste qui pendouillait en dessous. Félicitations, c’est bien un garçon ! Et elle aurait préféré ne pas savoir comment leur maman les faisaient avant d’en avoir rencontré un qui ne se transforme pas en bête atroce une fois qu’il ne ressemblait plus à un loup.

 Bon, elle n’allait probablement pas crever au fond des bois ce soir, enfin la vie était pleine de surprises et les surprises pleines de poils aux cuisses et ailleurs. Toujours souriant, clairement pacifique, il avança d’un pas et lui offrit sa main à serrer.

- Je m’appelle Karl.

- Susan. Soupira-t-elle en tâchant de garder le regard au niveau de ses épaules et en lui serrant la main.

- Qu’est-ce que tu viens faire par ici ?

- Je cherche un projet de vie. Balança-t-elle pour l’occuper.

- De nuit dans la forêt ? S’étonna Karl.

- Actuellement je cherche quoi faire pour vivre malgré le fait que je sois de nuit dans la forêt. Saisit-elle.

- Je peux t’aider si tu veux, j’ai un campement pas loin.

- Ça me va. Répondit-elle en haussant les épaules. Toi tu fais quoi dans le coin ? Répliqua-t-elle par politesse.

- Je cherche mon petit-frère. Expliqua le grand garçon en prenant le chemin de son campement. On jouait à côté de chez nous et des types l’ont emmené. Mes parents m’ont dit que je devais le chercher, je suis parti avec mes cousins, on a remonté leurs traces jusqu’aux rives du Rhin. Ils sont allés voir les sorcières pour leur demander de l’aide et m’ont dit de garder le campement. Ça sentait un peu comme eux là où t’es apparue alors j’ai cru qu’ils me faisaient une blague mais c’était juste toi.

 Susan sentit des sueurs froides couler le long de son dos. Ce qu’elle avait pris pour des algues, il y avait moyen que ce soient les cousins passés par le fond par ses tantines teutonnes. Elle préférait ne pas l’évoquer sans preuves et s’essuya les mains sur les hanches en espérant en décoller le plus de poils possibles.

 Un tic nerveux agita l’oreille du garçon qui se figea avant de se tourner lentement vers elle. La moue sur ses lèvres fines donna des palpitations à Susan, il allait l’accuser d’avoir tué ses cousins et la croquer. Elle prit une grande inspiration et prépara son caillou. Elle allait le viser dans ses petits yeux idiots.

- Tu ne marches pas très bien. Releva-t-il.

- Oh, vraiment ? Pourtant je m’applique. Grinça-t-elle.

- Tu veux que je te porte ?

- Est-ce que j’ai envie d’être portée par un inconnu tout nu ? Répliqua-t-elle du tac au tac.

- Vu le carnage dans ta culotte je préfère être à poil quand je te porte que de ruiner mes fringues.

- Oh, tu possèdes donc des vêtements ? Renifla-t-elle. Félicitations, ils sont où ?

- Ben au campement. Répondit-il en haussant les épaules. Je n’allais pas les déchirer en me transformant dedans, ça coûte un bras les fringues. Déjà que j’ai dû me battre pour pas devoir récupérer ceux de ma sœur.

- Si tu le dis, je veux bien te croire. Admit Susan. T’en as beaucoup des frères et sœurs ? Demanda-t-elle pour éloigner définitivement l’idée de la porter.

- J’ai six sœurs et six frères. Je suis celui du milieu.

- Et tu as besoin de partir avec tes cousins ? Tes frères et sœurs ne peuvent pas t’aider ? Pourquoi ce ne sont pas tes parents qui cherchent ton petit frère ? Pourquoi vous n’appelez pas la police ?

- Parce qu’on est des loups-garous. On ne vit pas vraiment avec les humains tu sais, on vit à côtés d’eux, on y va de temps en temps pour faire une course ou travailler un peu pour avoir des sous alors leur police elle n’est pas vraiment concernée par nos affaires.

- Mais tes parents et tes aînés ? Insista Susan.

- On est douze enfants mais en vrai y’a que Heidi, Ludwig et moi… Les autres ils n’ont pas eu le temps de grandir. Mes parents disent qu’on est que trois mais moi je compte les autres quand même parce qu’ils ont existé alors même si je ne les ai pas connus ce sont mes frères et sœurs. Frémit-il en regardant ses pieds.

- Et tes parents ne font rien ?

- Ils sont très occupés. Se redressa Karl. Mon père est l’Alpha de notre meute, c’est le meneur, il a d’autres chats à fouetter, surtout en ce moment. Ça l’embête que Lulu soit partit mais depuis qu’il s’est disputé avec Heidi et que maman a pris sa défense il a décidé de changer d’épouse alors nous ne sommes plus vraiment sa priorité.

- C’est un gros sac à merde ton père. Commenta Susan en se tenant aux arbres pour avancer.

- Bof. Souffla Karl. C’est comme ça chez nous, on peut déjà être contents de ne pas avoir été bannis. Un loup sans meute c’est un loup mort. On a besoin les uns des autres, littéralement, ça s’appelle la symbiose. Plus on a une relation forte avec la meute, plus on est actif en son sein, plus elle nous aime, nous admire ou nous crains, plus on est fort. Sans meute on dépérit, la magie qui nous tient en vie disparait et nous aussi du coup. C’est la pire mort que puisse connaître un loup-garou.

- Merci monsieur Diderot pour cet exposé. S’inclina Susan, un rictus sur les lèvres. Ton truc de symbiose, ça ne marche qu’entre loups-garous ?

- Honnêtement je n’en sais rien. Il paraît qu’on peut s’imprégner de n’importe quelle créature capable de communiquer et de penser par elle-même. Pendant longtemps y’avait un vieux qui tournait autour de la meute, il n’avait pas le droit de la rejoindre mais on jouait quand même avec lui quand nos parents ne regardaient pas. Il traînait tout le temps avec des écureuils. J’arrives pas à savoir si c’est eux qui le maintenaient en vie ou nous… Il est mort en se faisant renverser par un camion alors je suppose qu’on ne saura jamais.

 Aucun commentaire pertinent à faire là-dessus. Cette idée de symbiose et de chasse au petit-frère, ça sentait le bâton merdeux. Si elle avait eu un avis à donner elle aurait dit que le vieux voulait se débarrasser des mômes de sa vieille femme pour pas causer de problèmes avec les futurs louveteaux de la nouvelle. En tout cas, si elle était à la fois un loup-garou et un gros con, c’était ce qu’elle ferait.

 Ils arrivèrent sans trop de peine à ce qui ressemblait à un petit campement aménagé depuis plusieurs jours. Karl grimpa dans un arbre pour récupérer son sac à dos et enfiler de quoi cacher un peu tout cet étalage de bonne viande avant d’en tirer d’autres vêtements et de les lui tendre.

- Tiens, change-toi t’es trempée, je vais faire un feu.

- Je vais salir tes vêtements. Se moqua-t-elle.

- Pas si tu prends le maillot et que tu le plie comme ça. Ma sœur faisait ça quand on ne pouvait pas lui acheter de trucs pour éponger. Bon c’était des linges spéciaux pour ça mais bon, un maillot de corps ça se met en dessous, je le laverai, on s’en fiche si y’a des tâches qui restent ça se verra pas.

- Merci. Répondit-elle un peu sonnée par tant de prévenance.

 Elle profita du fait qu’il soit occupé à allumer le feu pour se changer et faire son pliage. Ses cheveux étaient encore mouillés mais il n’y avait pas à dire, même trois fois trop grands, ces vêtements étaient la meilleure chose qui lui soient arrivés ce soir.

Karl était plutôt habile de ses mains, en un rien de temps, le feu ronronnait et il avait installé une couverture de laine pour lui faire une place au chaud.

- Tu as faim ? J’ai encore des fruits secs et du lapin que j’avais attrapé tout à l’heure.

- Ah… du lapin…

 Susan fit la grimace en pensant au Docteur Lavander et à son hospitalité. L’ambiance s’était sacrément refroidie entre elles ces dernières semaines mais de là à manger sciemment du lapin… Karl fit tout de même réchauffer la portion qui lui restait et l’eau lui monta à la bouche. Quelle horreur, quelle ironie aussi et surtout quelle faim de loup.

Alors qu’elle avait enfin trouvé une posture confortable pour s’asseoir, Karl lui fourra une cuillère de civet sous le nez.

- Mange, les filles doivent manger de la viande. En plus j’ai mis de la sauge, c’est bon pour ce que tu as.

- J’ai de bons amis parmi les lapins… Renifla-t-elle avec le ventre qui gargouillait.

- Moi aussi j’ai un bon ami lapin. Pouffa-t-il en mettant un coup de tête en direction de la casserole. Il t’invite à dîner, c’est pas poli de dire non.

- Tu comprends pas quand on te parle ?! A quoi elles te servent tes grandes oreilles si t’es pas fichu d’écouter ? S’agaça-t-elle en reculant.

- A duper les lapins pour les attraper. Répondit Karl tout naturellement.

 Susan se laissa pouffer, elle devait admettre qu’il était marrant avec sa tête de benêt champêtre. Karl lui sourit, il avait de sacrés chicots tout de même, des dents plus proches de celles d’un chien que d’un humain. Massives, solides, jaunâtres aussi, il ne devait pas être super au fait des innovations en matière d’hygiène buccale. Il lui posa sur les genoux un sac de noix et de noisettes et continua à manger son civet.

- Tu vas réussir à les ouvrir avec tes petites papattes végétariennes ? Lui demanda Karl, la bouche pleine.

- Pas avec juste mes papattes. Admit Susan.

Il interrompit aussitôt son repas et commença à casser les fruits pour elle.

- Mange, je t’entends gargouiller jusqu’ici. S’inquiéta-t-il.

- Tout doux, je ne vais pas mourir… Soupira-t-elle en commençant à grignoter.

- Ça j’en sais rien, t’es toute maigre… un coup de vent et hop ! Partie dans les étoiles. Gloussa-t-il en continuant à casser ses noix.

- Non mais t’as quel âge ? Tu parles comme les vieilles qui reçoivent jamais de visite.

- J’suis pas vieux ! Se défendit Karl. J’ai…

 Il jeta la coquille de la noix qu’il venait de lui décortiquer dans le feu et commença à compter sur ses doigts. Il leva ensuite les yeux au ciel comme s’il s’attendait à ce que la réponse lui tombe dessus, la bouche entre-ouverte, prêt à la gober.

- T’es né quand ? Lui demanda Susan en soupirant.

- Le huit juillet mille-neuf-cent-soixante ! Répondit Karl avec assurance cette fois.

- Alors tu viens d’avoir seize ans gros malin.

- Ben ça je le savais hein… Rougit-il en baissant les yeux pour se remettre à casser des noix. Puis toi t’abord, t’as quel âge ? Reprit-il pour se redonner un peu de contenance.

- Je suis née le douze août mille-neuf-cent-soixante-deux. Fais le calcul. Répondit-elle en souriant.

 Karl fronça les sourcils et se remit à regarder ses doigts en grinçant des dents. Compter ça n’avait vraiment pas l’air de lui plaire. Elle abrégea ses souffrances avant qu’il ne se mette à pleurer.

- J’ai quatorze ans. Soupira-t-elle. Tes parents ne t’ont pas appris à compter ?

- Non, ben ils avaient pas le temps parce qu’il faut travailler. Répondit Karl qui n’osait plus la regarder.

- Et tu sais lire au moins ? Insista-t-elle, de plus en plus fâchée du peu d’intérêt que ses parents semblaient lui avoir porté.

- Je sais écrire mon prénom. Hésita-t-il.

- Tu veux que je t’apprenne ?

- Je veux d’abord retrouver mon petit-frère. Grommela-t-il, soucieux. Nous verrons ces histoires-là plus tard.

- Tu veux que je t’aide à retrouver ton petit-frère ?

Karl la regarda longuement, de haut en bas et lui posa une poignée de noix ouvertes dans la main.

- J’aimerai bien mais si demain mes cousins ne sont pas revenus je vais devoir reprendre la route et j’ai pas de temps à perdre… Plus Lulu est tout seul, plus il risque de lui arriver des ennuis, je dois vraiment me dépêcher pour le retrouver et puis toi… ben t’es pas très costaude et puis tu ne vas pas très vite.

- Je comprends. Sourit pâlement Susan. Je te souhaite bonne chance, j’espère que tu retrouveras ton petit frère.

- J’espère aussi. Lui répondit Karl, à nouveau enjoué, souriant d’une oreille décollée à l’autre.

 Encore une fois, que dire de plus ? Ils finirent leur repas dans un silence ponctué par le souffle du vent entre les arbres, les crépitements du feu et le hurlement des chouettes. Susan se roula en boule dans la couverture que Karl lui avait prêté et commençait à s’endormir malgré la fraîcheur quand elle le sentit se coller à son dos.

- Qu’est-ce que tu fous ? Chuchota-t-elle comme si elle avait peur de déranger les renards et les blaireaux.

- Je me colle pour avoir chaud. Répondit-il comme s’il s’agissait d’une évidence. On fait tout le temps ça avec mes cousins.

- Et j’ai une gueule à être ta cousine ?! Répliqua-t-elle en lui donnant un coup de coude dans les côtes.

- T’as une gueule à avoir froid surtout. De toutes façons c’est moi le plus vieux, c’est moi qui décide, si t’es pas d’accord t’avais qu’à être plus forte que moi. Conclu-t-il en se dandinant pour caler son dos bien à fond contre le sien.

Elle aurait eu un couteau, elle lui aurait appris la vie. Elle avait mieux qu’un couteau, elle avait un regain d’énergie. Elle se retourna et lui planta son doigt dans le creux des reins.

- Bah ? T’as la gaule ? Gloussa-t-il.

 Dans la pénombre, Susan sourit et l’envoya s’écraser contre le tronc le plus proche. Il était beaucoup plus lourd que Mordred et si elle avait mieux estimé son poids il se serait probablement fait beaucoup plus mal.

- C’est moi qui décide maintenant ! Déclara-t-elle avec douceur mais d’un ton sans réplique. Va te coucher plus loin.

- Plus loin où ? Grommela Karl en toussant un peu à cause de l’impact.

- Où tu veux mais pas contre moi.

- Et si tu as froid ?

- C’est mon problème, pas le tien.

- Et si moi j’ai froid ? Grimaça-t-il en se frottant le creux des reins.

- Tu me demande gentiment et on verra ce qu’on peut faire.

- Ouais ben de toutes façons les sorcières c’est toutes des tordues de la ville. Vous mangez pas de viande, vous dormez pas en tas, vous êtes juste bonnes à vous faire servir et à vous moquer des gens parce que vous avez des pouvoirs ou je sais pas quoi… Moi aussi je pourrais apprendre la magie si je voulais…Maugréa Karl en attrapant sa couverture pour s’installer de l’autre côté du feu.

- Ben… fais-le. Sourit Susan.

- Ben j’vais p’tet le faire si ça se trouve ! Pis ce sera de nouveau moi le plus fort et tu devras faire ce que je dis parce que je suis le plus vieux aussi.

- Seize c’est plus vieux que quatorze ? Se moqua-t-elle.

 Le doute passa sérieusement sur le visage du garçon qui blêmit d’ignorance et recommença à regarder ses doigts. Sans voix il tenta d’articuler une réponse avant d’abandonner et de se coucher en lui tournant le dos.

- Heureusement que tu pars demain. Grogna-t-il.

 Susan l’entendit renifler. Est-ce qu’il pleurait ? Tant pis, il n’avait qu’à comprendre quand on lui disait « non ». C’était un bon gars, plein de bonne volonté, très gentil, très prévenant mais même la générosité avait des limites à ne pas dépasser. Susan trouva le sommeil en grelotant de froid et se réveilla aux premières lueurs de l’aube.

 Karl avait rallumé le feu et le remuait sur des châtaignes. Il avait toujours l’air renfrogné mais ça ce n’était pas bien grave, elle n’avait pas prévu d’en faire un élevage. Susan s’attela à secouer sa couverture et à la plier proprement pour tout de même signifier sa velléité à entretenir des rapports cordiaux.

- Tu prépares le petit-déj ?

- Je prépare le mien, toi tu te débrouilles. Répondit Karl sans lâcher ses châtaignes des yeux. Celui qui décide c’est celui qui pourvoit. J’ai pas envie de crever de faim alors je me débrouilles même si tu choisis de faire la grasse mat’ mais je vais pas m’amuser à te pouponner aujourd’hui.

- Tant mieux. Répondit Susan en rangeant la couverture de Karl dans son sac. Tu as beaucoup de route à faire aujourd’hui. Tu sais par où tu vas ?

 Karl répondit en haussant les épaules. Il boudait ostensiblement, c’était pénible, Susan poussa un soupir et s’approcha de lui, attendant toujours sa réponse.

- Je ne sais pas… je vais remonter le Rhin je pense… Toi tu vas aller où ? Céda-t-il.

- Je vais essayer de retrouver mon père. Il s’est bagarré avec les sorcières du Rhin hier soir, moi je me suis enfuie.

- Bagarré sévère ? S’inquiéta Karl.

- J’en sais rien.

- Elles ressemblaient à quoi ?

- A des femmes, blondes, y’en avait une qui avait plus une tête de vieille morue que les autres, mon père a dit que c’était la doyenne.

 Karl la regarda avec des yeux ronds et lâcha une bardée de jurons germaniques. Il mit un temps à se reprendre avant de lui annoncer très sérieusement.

- Ton père il s’est fritté avec la Lorelei, il est probablement mort.

- Probablement pas, il a de la ressource. Lui assura Susan.

- On pourrait descendre à Bacharach pour voir si on retrouve son cadavre. Avec un peu de chances elles ne l’auront pas laissé dans un trop sale état.

- On pourrait effectivement. S’assit Susan.

 Mordred n’était pas mort, il devait être en train de retourner toute l’Allemagne pour la retrouver c’était tout. Aussi puissant qu’elle avait pu l’imaginer, ça ne se faisait pas en un tournemain, surtout s’il avait dû se coltiner la belle-famille la veille au soir. Elle posa sa tempe contre le gros bras de Karl qui s’écarta vivement, manquant de la faire tomber.

- Qui t’as dit que je voulais que tu te colles ? S’offusqua-t-il par principe.

- Toi quand tu as insisté sur le fait que mon père était mort et qu’on allait retrouver ses restes en train de flotter sur le Rhin.

 Karl déglutit bruyamment, réalisant sans doute qu’il n’avait pas été très délicat, il reprit sa place et retourna au secouage de ses châtaignes.

- En même temps faut être con pour chercher des noises à Lorelei.

- Je n’en doute pas. Soupira Susan. Je peux ? Demanda-t-elle en attrapant son poignet.

 Karl acquiesça et elle se blottit sous son bras. Il faisait chaud ici, chaud et doux et elle allait se rendormir lorsque Karl lui tendit une châtaigne qu’il venait de sortir du feu et d’éplucher.

- Ne te brûle pas, fais attention.

 Susan la mangea et retourna à sa somnolence. Karl lui caressait pensivement les cheveux avec sa grosse paluche caleuse.

- T’es une drôle de fille tu sais… T’es un peu comme un écureuil.

- Comment ça ? Emergea Susan.

- T’es vraiment pas gentille mais t’es mignonne comme tout. En fait si le bon Dieu t’as faite si mignonne c’est sans doutes pour pas qu’on ait juste envie de te bazarder dans le premier puits qui passe.

- Tu sais que t’es la première personne qui me dit que je suis mignonne. Sourit Susan.

- J’me doute, j’ai vraiment pas envie de te le dire parce que t’es une teigne mais tu es vraiment jolie comme tout.

- Je ressemble à un furet boiteux et anémique mais puisque tu trouves ça joli…Pouffa-t-elle. Bah, après tout, qui suis-je pour juger ?

- T’es la pire des pires ! Voilà qui tu es ! S’amusa Karl.

- Je vais prendre ça comme un titre honorifique. S’enorgueillit Susan. Même si j’ai eu de meilleurs surnoms.

- T’as eu quoi d’autre comme surnom ? Mâchonna Karl autour d’une châtaigne trop chaude.

- La Crevette. Enuméra Susan. Rousseau, mais c’est mon nom de famille alors ça ne compte pas vraiment…. Mon préféré c’est Stabby Susie, on pourrait traduire ça par « Susie la plantouille ». Je l’ai eu parce que j’ai poignardé une fille à l’internat.

- La pire des pires ! Confirma Karl en la regardant avec incrédulité. Comment tu dis ça ? Stabby ? Jésus, Marie… Pire encore qu’un écureuil. Se mit-il à rire.

 Le rire de Karl tenait plus de l’aboiement que du rire à proprement parler. C’était une sorte de glapissement rauque et sonore à vous faire siffler les oreilles mais il lui allait si bien qu’il aurait été impossible de l’imaginer rire autrement.

- Tu me trouves toujours aussi mignonne ? Demanda-t-elle, les yeux brillant d’amusement.

- Hé ! T’y peux rien, faut ce qu’il faut. Répondit Karl en haussant les épaules. Elle l’avait sûrement mérité dans ta tête quand tu l’a fait.

 Karl lui ébouriffa le sommet du crâne avant de la repousser pour pouvoir se lever. Il éteignit ensuite le feu et acheva de rassembler ses affaires.

- Tu viens ? On va descendre en ville.

 Susan s’approcha et lui attrapa la main pour marcher plus aisément. Les dix premières minutes furent faciles puis la pente décida de s’ajouter à l’addition. Susan avait deux choix, la descendre sur les fesses ou bien sur les épaules de Karl.

- Fais attention à ta tête, je ne vais pas pouvoir regarder mes pieds et vérifier que tu ne te prennes pas une branche en même temps. Lui conseilla Karl.

 Il descendit presque à la verticale sur le tapis de feuilles, s’accrochant là à un tronc, là freinant tant que possible pour éviter une grosse pierre ou bondissant par-dessus une autre qu’il n’avait pas le temps d’esquiver. Si bien qu’une fois arrivés sur ce qui semblait être la départementale qui menait au village le plus proche, Karl la traversa presque entièrement avant de parvenir enfin à s’arrêter et de la faire descendre de son dos.

- Ça va ? Pas trop secoué l’écureuil ?

- Non. Répondit Susan avec un frisson, tout de même bien soulagée d’avoir retrouvé la terre ferme. Merci de m’avoir portée.

- De rien. Lui répondit-il en lui attrapant la main pour poursuivre leur route sur le goudron.

 Karl adaptait son allure à la sienne. Ses longues jambes faisant de tout petits pas très lents pour qu’elle n’ait pas à cavaler. S’il n’avait pas été incapable de compter, elle n’aurait jamais dit qu’il n’avait que seize ans. Elle aurait dit qu’il en avait au moins vingt et qu’il était très fort et très grand. Pour la première fois elle regrettait de ne pas avoir l’air plus d’une femme, la puberté était vraiment une salope. Si elle avait été un peu plus grande, avec un peu plus de ventre, de hanches, au moins un semblant de poitrine, elle n’aurait pas eu l’air d’être en train de se faire promener par son papa.

- Dis Karl… Demanda-t-elle en regrettant immédiatement d’avoir lancé cette interjection.

- Hum ? Répondit-il en baissant les yeux vers elle.

- T’aimes bien les filles ? Bafouilla-t-elle sans trop savoir elle-même où elle voulait en venir.

- Un trou c’est un trou, si ma bite avait des yeux je le saurais. Pouffa Karl. Moi j’aime bien les gens aimables, quand ils sont mignons et gentils j’aime bien, après si c’est des filles c’est bien, sinon c’est pas grave, c’est bien aussi.

- A quel moment je t’ai parlé de ta bite Karl ? Rougit-elle, fâchée qu’il ait si aisément deviné quel type d’inquiétudes lui trottaient en tête.

- Bah si tu veux savoir si je te sauterai toi, la réponse est : Non. Si c’est pour te fracturer le bassin c’est pas la peine et puis si c’est pour que tu me plantouille encore moins. Se mit-il à rire.

- T’es vraiment con ! Conclu-t-elle en détournant le regard et en serrant ses doigts plus fort pour ne pas tomber. Je voulais juste savoir si t’étais pas une espèce de pervers ou je ne sais quoi.

- Tu sais, y’a des pervers partout. Se reprit-il en essuyant ses larmes d’hilarité. Ça ne veut pas dire qu’ils sont pervers au point de vouloir te retourner. Non parce que t’es mignonne mais t’es pas vraiment mignonne dans ce sens-là.

- Oui ben j’ai compris, je ne suis pas attirante, tant mieux pour moi…tu peux arrêter d’insister maintenant s’il te plait ? Se sentit-elle bouillonner.

- C’est pas que t’es pas belle, c’est juste que t’as l’air d’avoir huit ans. La corrigea-t-il comme si ça ne retournait pas le couteau dans la plaie. Tu vas quand même pas te vexer pour ça, ça va venir t’inquiète… Je te promets qu’un jour tu seras baisable et que je serai le premier à me proposer.

- Ça, ça m’étonnerait. Gronda une voix familière au sortir du sous-bois.

 Mordred était détrempé, des algues grisâtres recouvraient ses épaules et s’empêtraient dans ses cheveux. Ses yeux enfoncés et ses joues creusées de fatigue lui donnaient un air terriblement cruel. Une lueur de plaisir alluma son regard absinthe lorsqu’il lança son doigt vers Karl pour l’ensorceler. Il frémissait presque de suffoquer Karl, écrasé contre l’asphalte du bout des doigts.

- Hé, le vieux ! Qu’est-ce que tu foutais ? J’ai failli attendre ! Beugla Susan pour le distraire de son meurtre sadique.

 Mordred relâcha le loup-garou immédiatement, stupéfait, comme s’il découvrait sa présence. Soudain paniqué et effondré d’avoir fait attendre sa précieuse progéniture, il fondit sur elle pour l’examiner sous toutes les coutures.

- Mon bébé, mon pauvre bébé, j’ai eu tellement peur, tellement peur. Je suis désolé, vraiment désolé, je n’aurais jamais dû t’amener chez elles mais tu avais tellement mal, je ne savais plus quoi faire mon bébé. Déblattera-t-il, fiévreux, les yeux emplis de larmes.

- Ouais, bon, on parlera de ça plus tard. Comment tu nous as retrouvé ?

- J’ai pris une mèche de tes cheveux quand nous étions chez Céleste. Cette idiote les avait mis à la poubelle au lieu de les brûler. J’en ai fait un talisman. Expliqua-t-il en sortant de sa poche un médaillon en fer blanc qui avait manifestement vécu des jours meilleurs. Avec ça je saurai toujours où te trouver, mon bébé, ma princesse…Conclu-t-il en la serrant contre son cœur et en lui embrassant la tempe.

- T’aurais pas eu besoin de me retrouver si tu n’avais pas amenée à une abomination lacustre. Se renfrogna Susan.

- Voyons Susan, ne sois pas ridicule. Soupira Mordred. Lacustre c’est dans les lacs, ta grand-mère est une abomination fluviale.

 Elle le gifla. Sans plus d’explications ou de commentaire. Sa main avait frappé sa joue, assez fort pour y laisser une petite tâche rouge et faire déborder ses yeux comme des baignoires d’eau salée. Ses larmes tracèrent des sillons pâles sur ses joues crasses d’une nuit agitée. Elle s’en voulu immédiatement mais le mal était fait et au final, elle espérait que cela aiderait Mordred à venir à une conclusion simple qu’elle énonça d’un filet de voix.

- Ne fais plus jamais ça. Ne m’emmène plus jamais où que ce soit sans me dire où, comment, ni pourquoi.

 Mordred déglutit, tremblant, ses iris pâles confuses et terrifiées. Ses longs doigts blêmes se crispaient autour d’une emprise qui n’existait pas, bien trop nerveux pour qu’il ne parvienne à serrer les poings ou à se mordre la langue pour retenir ses larmes. Susan sentit une pierre lui tomber au fond du ventre, si elle ne débloquait pas la situation immédiatement, la culpabilité finirait probablement par lui faire avoir une attaque. Elle détourna le regard de son père pour le poser sur Karl qui reprenait douloureusement son souffle.

- Ça va le gros ? Demanda-t-elle.

 Karl leva un pouce en l’air et se redressa en toussant. Mordred lui avait broyé la trachée, cet imbécile. L’adolescente poussa un soupir et posa la suite des évènements.

- Nous allons nous trouver un coin où nous pourrons nous laver, nous changer et nous installer pour réfléchir calmement. Mordred, tu vas nous trouver ça. Ensuite nous parlerons de Karl, il a un problème que je souhaiterai l’aider à régler, une fois que nous aurons avancé sur ce point, nous rentrerons chez le Docteur et nous discuterons de ce qu’il s’est passé cette nuit.

 Les yeux de Mordred retrouvèrent un semblant de vie, il essuya ses joues et prit une grande inspiration avant d’acquiescer. Des directives claires et précises, il n’y avait rien de mieux pour calmer une crise de nerfs. Susan attrapa la main de son père pour s’aider à s’équilibrer et fit signe à Karl de les suivre. Ils avaient du pain sur la planche.

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