Au Boulot (Partie 2)

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  Leur première tâche allait être de repérer le vampire et d’être sûrs qu’il s’agissait bien d’une créature surnaturelle avant d’intervenir. Par où commencer ? Une enquête de voisinage était assez peu envisageable : « Bonjour Madame, au nom du Père Tout Puissant, pourriez-vous nous indiquer où trouver la créature démoniaque la plus proche s’il vous plaît ? » Et Sir Hawke les avait tout bonnement largués à l’entrée du village avant de repartir avec son van.

  Quoi qu’il advienne, deux adolescents qui débarquaient sans parents pour la première fois dans un petit bourg vêtus d’uniformes d’une école qui ne correspondait à aucune du coin ne passeraient pas inaperçus. Sans compter que Jamal était loin d’avoir la complexion des gens du crus.

- Je te propose qu’on repère les lieux, avec un peu de chance le vampire se montrera et aucun riverain n’appellera la police par peur qu’on cherche à cambrioler une vieille dame.

- Mais enfin, pourquoi s’imagineraient-ils que… Charles s’interrompit de lui-même. Oh… parce que nous portons des armes.

- Je ne pense pas qu’ils puissent imaginer que nos médaillons soient autre-chose que des médaillons. Il ne faut pas oublier que la plupart des gens ne savent rien des activités de l’Ordre. Sourit Jamal.

- Et c’est ainsi que cela doit être. Approuva Charles. Mais du coup, pourquoi est-ce qu’ils appelleraient la police ?

  Jamal n’avait pas le courage d’expliquer à Charles pourquoi une personne âgée solitaire dans sa maison du Yorkshire pourrait avoir peur de deux jeunes gens inconnus au bataillon et esseulés dans son petit village. Il avait encore moins le cœur de lui apprendre ce qu’était la xénophobie. Charles était une âme pure et bienveillante, il avait besoin de penser qu’il pouvait y avoir des gens comme lui en ce monde.

   Jamal remarqua du coin de l’œil que la démarche de Charles était plus traînante que d’habitude. Ses lacets étaient défaits et il ne semblait pas l’avoir remarqué.

- Aïe aïe aïe Charlie ! Il faut que tu fasses attention à tes pieds, nous ne sommes plus au collège maintenant. Si tu tombes tu ne finiras pas qu’avec un bleu sur les fesses.

  Il mit un genou à terre pour lui refaire ses lacets de sorte qu’ils ne s’ouvrent plus. Les chaussures de Charles étaient en piteux état, toutes poussiéreuses et râpées à force de traîner des pieds et de trébucher. C’était bien le seul défaut de Charles, il n’était pas très soigneux, pas très attentif aux choses tangibles, comme si son corps n’avait pas la moindre importance voire d’existence propre.

- C’est parce que je ne sais pas très bien les faire. Répondit Charles en se grattant la nuque. A chaque fois j’oublie et mes mains s’emmêlent.

  Jamal poussa un soupir. Pour le moment il n’y avait aucun signe du vampire, ils allaient pouvoir prendre le temps de faire ça. Il avisa la margelle de la fontaine du village et fit signe à Charles de s’asseoir avant de lui défaire ses lacets.

- Tu fais le pieds droit et moi le gauche d’accord ? Regarde, tu serres d’abord tes lacets comme ça. Ensuite on fait les oreilles du lapin, là, et quand tu les tires… Hop ! Tu as une jolie boucle.

- Oui c’est vrai. Commenta Charles d’un air ébahit. On dirait un lapin avec une toute petite tête et de grandes oreilles.

- Tu diras merci à Archie, depuis qu’il est allé à l’anniversaire de sa nièce, il n’a pas arrêté de me chanter la chanson des lacets.

- Oh ! Tu peux me la chanter ?! S’illumina Charles. Je retiendrais mieux !

- Quand nous rentrerons, ce n’est pas vraiment le moment tu ne penses pas ?

- Oui, oui… Admit Charles, pensif. Il nous faut trouver ce vampire. Nous pourrions tenter de l’appâter. Est-ce que tu serais d’accord ?

- C’est dangereux mais c’est ça où on risque de rentrer bredouilles. Je doute qu’il sorte de sa tanière sans une bonne raison.

- Parfait ! S’enthousiasma Charles. J’avais peur que tu refuses de servir d’appât.

- De… Pourquoi est-ce que je…

- Parce que tu es le plus appétissant de nous deux voyons ! Maintenant que j’y pense… Leeroy aurait été parfait dans ce rôle lui aussi. Soupira Charles en levant le nez vers les étoiles. Enfin, on fait avec ce qu’on a sous la main.

- Merci… Hésita Jamal, circonspect.

  Il n’avait absolument aucune envie de savoir ce que Charles entendait par « appétissant », Charles était une âme pure et innocente, point final. Il restait qu’il s’agissait de la meilleure tactique. Jamal était plus véloce, plus costaud et meilleur bretteur, il prendrait moins de risque en se trouvant nez à nez avec le vampire que Charles qui avait une fâcheuse tendance à trébucher sur tout ce qui se trouvait sous ses pieds y compris la semelle de ses chaussures. Le talent de Charles se trouvait dans les cantillations et les sceaux, il pourrait sans peine placer un piège pour prendre le vampire.

  Ils firent le tour du village pour trouver un endroit propice où installer leur piège et choisirent une ruelle aveugle, en cul de sac, suffisamment étroite pour que Charles n’ait qu’à dresser deux barrières pour bloquer complètement le vampire. Alors qu’ils s’afféraient, une voix timide les interrompit.

- Qu’est-ce que vous faites ?

  C’était un jeune homme à peine plus âgé qu’eux. Son corps malingre courbé de honte d’être grand, il avait de longs cheveux bruns qui tombaient par touffes éparses de son crâne pratiquement chauve à ce stade. Cette surprenante calvitie dévoilaient ses longues oreilles pointues. Si la faible lueur des éclairages publiques le camouflaient assez bien, Jamal n’eut aucun mal à deviner que sa peau avait la couleur du granit.

  Charles s’était figé d’horreur, il avait la tête d’un gamin prit en train de piquer des bonbons. Ils n’avaient pas besoin de poser de piège, le vampire était venu à eux. Avait-il seulement conscience d’être un vampire ? Il ne semblait pas plus troublé que cela par leur présence. La forme de ses oreilles et de sa dentition montrait qu’il appartenait à la famille des Nosferatu, le fait qu’il ait encore un peu de cheveux sur le crâne était une preuve de sa très récente transformation. Il était peut-être encore un peu humain au fond.

- Nous cherchons quelqu’un. Répondit Jamal pour rompre un silence qui devenait grossier. Je m’appelle Jamal et voici mon ami Charles. Comme nous n’avions pas encore trouvé nous cherchions une solution pour la nuit.

- Oh, voilà qui est bien embêtant. Grimaça le vampire en dévoilant ses spectaculaires incisives pointues et en frottant l’arrière de son crâne, en détachant une quantité de cheveux effrayante. Je m’appelle James au fait ! Je vous aurais bien aidé mais je suis malade, je ne sais pas si ce serait bien raisonnable de vous proposer de passer la nuit chez moi.

- Oui, c’est vraiment dommage. Saisit Jamal. Je suis vraiment désolé que vous soyez souffrant, qu’avez-vous au juste ?

- Je ne sais pas trop. Répondit le vampire, les yeux perdus dans le vide. J’ai fait un rêve, j’ai vu un monstre et depuis… c’est comme si le jour ne se levait plus…

- Ce monstre, vous l’avez vu il y a longtemps ?

- Dix minutes ? Hésita James. Heu… non, je vous dis des bêtises ! ça fait une semaine ! J’étais à une fête à Londres, j’y étudie le droit. Je me suis réveillé, il faisait nuit et je voulais rentrer à la maison alors je suis revenu ici.

- Comment êtes-vous rentré ?

- A pieds…je crois. Réfléchit le vampire. Mais ça n’a pas été long.

- Et vous souvenez-vous de la date exacte à laquelle a eu lieu cette fête ? Insista Jamal.

- Oui ! S’illumina-t-il. Le six Juin, c’était l’anniversaire d’Amy.

  Charles, toujours nerveux, était parvenu à passer par-dessus la surprise d’être accueillit en ville par leur cible. Ils s’échangèrent un regard entendu et Jamal reprit.

- J’ai une bonne nouvelle, James, il se peut que vous soyez la personne que nous cherchons.

- Oh, c’est Amy qui vous envoie ? Bondit le vampire extatique. C’est vrai que je ne l’ai pas rappelée après avoir quitté sa fête mais il est toujours tellement tard en ce moment. Ce n’est jamais une heure décente pour appeler les gens. Je pense qu’elle doit dormir. D’ailleurs mes parents dorment aussi tout le temps. Ou alors ils sont en voyage, je ne sais plus.

- Vous voudriez bien nous montrer où vous logez ?

- Oh oui ! Bien sûr ! Venez, je vais vous faire un thé. Il fait frais en ce moment vous ne trouvez pas ? On a souvent des étés pourris mais là c’est exceptionnellement frisquet.

  Ils suivirent le vampire jusqu’à une coquette maison de famille dont le jardin semblait à l’abandon depuis un certain temps.

- Je suis désolé, d’ordinaire je tonds la pelouse mais je ne peux pas le faire en pleine nuit vous comprenez ? Les voisins dorment, ce ne serait pas très correcte.

- Ne vous inquiétez pas, nous comprenons. Lui assura Jamal.

- Vous connaissez Amy depuis longtemps ? Demanda le vampire en les faisant entrer.

  Une odeur de chair en putréfaction leur sauta aussitôt à la gorge et Jamal dû ravaler de justesse l’acidité qui lui était remontée dans la bouche, bienheureux de ne pas avoir trop mangé avant de partir. Charles, lui, fronça très légèrement le nez. A force de traîner dans les laboratoires de dissection il avait développé une certaine tolérance à la puanteur et aux miasmes que Jamal lui enviait avidement. Une chose au moins était certaine : Ils avaient résolu le mystère de la disparition des parents de James.

  Le vampire les guida vers la cuisine qui, Dieu en soit loué, n’était fort heureusement pas le lieu du massacre. Il commença à faire chauffer de l’eau et leur offrit de s’asseoir.

- Donc, Amy, vous ne m’avez pas répondu.

- C’est une amie proche de ma sœur. Mentit Charles avec une aisance à faire froid dans le dos. Elle vous a surement parlé de Cathy…

- Cathy Wilson ? Blonde avec de grosses lunettes qui fait de l’histoire ou je ne sais quoi ?

- Exactement ! Répondit Charles avec un sourire. Elle fait surtout du je ne sais quoi mais un peu d’histoire de temps à autre.

  Le vampire pouffa et leur servit à chacun une tasse de thé à la bergamote. Jamal le remercia et en inspira profondément le parfum avant de reprendre.

- Amy s’inquiète énormément pour votre santé, vous voulez bien nous en parler plus avant ? Vous avez de quoi écrire ?

  James lui laissa emprunter un calepin et un stylo bille puis se mit à décrire avec force détails et confusion les symptômes qu’il avait ressenti au cours de sa métamorphose. Une telle documentation, c’était de l’or en barre pour l’Ordre.

- C’est très inquiétant en effet. Releva Charles. Vous accepteriez que nous vous prélevions un échantillon de sang ?

  Bonne idée ! Ils pourraient en faire un phylactère et traquer le vampire qui était à la source du mal tout en ayant de quoi étudier plus avant les spécificités des vampires Nosferatu. S’il n’avait pas eu envie de vomir ses tripes, Jamal l’aurait volontiers embrassé.

- Heu oui, si vous voulez… Vous avez du matériel ?

- Non, nous n’avions pas vraiment prévu de vous faire une prise de sang en arrivant.

- Ma mère est diabétique, je peux peut-être lui emprunter une de ses seringues pour l’insuline.

- Ce serait parfait ! Lui assura Charles.

  Le vampire couru à l’étage, agitant les effluves de cadavres sur son passage. Jamal déglutit douloureusement et regarda Charles.

- Je m’occupe du prélèvement si tu veux bien.

- Tu risques de te faire mordre. S’inquiéta Charles, les sourcils froncés sous sa coupe au bol.

- Toi aussi et ta mère est une personne bien trop sympathique pour que je te laisse faire.

- C’est vrai qu’elle est sympathique ma mère. Approuva Charles, bienheureux en agitant ses pieds sous sa chaise comme un enfant.

  Le vampire revint avec un petit kit à insuline et le posa fièrement sur la table. Jamal se leva, se lava consciencieusement les mains jusqu’aux coudes pour donner le change puis ouvrit la pochette.

- Vous savez faire ?

- Bien sûr ! Répondit Charles. Jamal est en école d’infirmier, c’est le meilleur de sa promotion !

- Oh, monsieur l’infirmier. S’inclina le vampire avant de s’asseoir à table et de lui tendre son avant-bras.

  Jamal prépara la seringue et s’approcha. Jusqu’à présent ils étaient toujours restés à plus d’un mètre du vampire, Jamal prit une grande inspiration. A peine eut-il frôlé le bras de James que sa peau grise s’éclaircit, tendue sur des veines noires à travers lesquelles on voyait pulser un sang corrompu. Jamal allait se faire mordre, c’était sûr et certain et le pire était encore que ce ne serait probablement pas de la faute de James. Il n’avait pas parlé de la faim. Son esprit devait avoir refoulé cet aspect de sa nouvelle nature, il ne s’imaginait probablement pas qu’il était capable de lui arracher la jugulaire d’un coup de dents.

- La plupart des gens n’aiment pas les piqûres. Je vais vous demander de bien vouloir regarder le plafond dans cette direction et de le regarder jusqu’à ce que j’aie terminé, je ne voudrais pas que vous vous crispiez et que vous ayez un hématome.

  James agréa d’un signe de tête et obtempéra docilement. Ça laisserait à Jamal le temps d’enfoncer l’aiguille dans son bras avant de se faire niaquer.

  Il sentait la peau glaciale du vampire grouiller sous ses doigts comme habitée par des milliers d’insectes. Il la tira légèrement pour être sûr de viser juste, il n’avait qu’un seul essai. Il posa l’aiguille contre la veine et l’y fit lentement glisser. Une seconde suspendue, il eu le temps de faire reculer le piston de la pointe de son pouce avant que dans un feulement de défense le vampire de lui plante ses crocs dans la gorge.

  Jamal tint bon, gardant son attention sur la seringue, il devait l’avoir emplie de moitié lorsqu’il la tira du bras du vampire et la jeta sur la table vers Charles. Son camarade avait bondi, épée en main, tremblant comme une feuille. Le vampire le lâcha, Jamal vomit de douleur, il tremblait, fiévreux, quelque-chose de froid coulait dans ses veines et le vampire, horrifié s’était recroquevillé entre le réfrigérateur et la poubelle à bascule. Il arrachait le peu de cheveux qui lui restait en geignant comme un animal. S’il fuyait il pourrait faire de sévères dégâts dans le village et ses alentours, il fallait le contenir à tout prix.

  La bave aux lèvres, la gorge engourdie, Jamal colla le plat de sa main contre son cou et s’avança à trois pattes vers le vampire qui pleurait.

- Tout va bien James, tout va bien, calmez-vous.

- J-j’ai faim… Haleta-t-il entre deux sanglots.

- Et vous allez manger, ne vous inquiétez pas. Lui promit Jamal que le vertige fit tomber en avant.

  Il se redressa péniblement. Dans sa tête résonnait la chanson des lacets, autour de lui le monde se déformait peu à peu. Il devait continuer d’avancer, il devait garder le vampire à cette place exactement pour que Charles ait le temps d’agir quelle que soit son action.

- Vous savez que mon Grand-père voulait m’appeler James ? Il était très fâché du fait que mes parents m’appellent Jamal. Ce sont deux jolis prénoms pourtant, vous ne trouvez pas ?

  Le vampire s’apaisait, du moins c’était ce que Jamal percevait entre deux visions des boucles rousses de Lucrèce Alistair et du sourire d’Archie. Il avait un beau sourire Archibald Bryant, de beaux yeux aussi, d’une couleur assez banale mais rieurs et intelligents. Archie était un garçon intelligent avec sa grande bouche pleine de mot et penser à lui ça lui mettait du baume au cœur.

   Il se sentit rouler sur le dos. Sa tête heurter violemment le sol sans que ça ne lui fasse mal pour autant, les dents du vampire pénétrer sa chair, la vie quitter son corps. Rien de cela ne l’affectait, son corps et son esprit étaient deux choses bien distinctes et ce qui arrivait à l’un ne parvenait à l’autre qu’en un écho lointain.

  Il revoyait Archie lâcher son fémur avec la bouche entre-ouverte, on aurait dit un homme des cavernes qui découvrait le feu. Il sentit par à-coups dans sa poitrine qu’il en riait. Le feu, les flammes qui poussaient en spirales sur la tête de Lucrèce, le feu qui brûlait dans ses yeux chocolat, sacrée femme que Lucrèce Alistair. Une femme sacrée, il pourrait la demander en mariage, il pourrait se marier avec Archie. Il pourrait aussi épouser les deux. La voix de Sir Hawke lui disait « fait ce que tu veux ». Lui ce qu’il voulait c’était se marier avec Archie pour ne jamais être séparé de lui et avec Lucrèce parce qu’elle saurait lui dire quoi faire pour être un homme bon. Aussi parce qu’il avait furieusement envie d’embrasser Lucrèce. Le problème était que s’il se mariait avec Archie il devrait l’embrasser lui aussi. Il tenta de se figurer le baiser qu’il avait donné à Leeroy, s’il l’avait donné à Archie… Jamal sentit son cœur cesser de battre, son esprit s’étioler. Mince, il mourrait. Dire qu’il n’avait toujours pas résolu cette histoire de baiser, c’était bien embêtant.

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