La Rançon de la Gloire (Partie 2)

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  Machinalement, Jamal entra dans la cabane de brique et posa le corps minuscule de l’enfant sur la grosse table de fer cabossée prévue pour recevoir le produit des dissections de l’Ordre une fois leur office accomplit. On devait pouvoir y déposer à minima une vouivre pour s’en débarrasser aisément après étude, autant dire que le louveteau faisait l’impression d’un brin de paille sur l’océan. Jamal s’écarta pour l’observer tandis que Charles préparait le four crématoire comme s’il avait fait cela toute sa vie.

- C’est Sir Galaway qui t’as montré comment faire ? Demanda-t-il pour ne plus entendre le gaz qui s’enflammait buse par buse dans le monstre de fer.

- Oui, je n’aime pas sa méthodologie, je me suis donc proposé pour le faire à sa place lorsque j’en ai le temps. Ce n’est pas parce que ces créatures sont maudites que nous ne pouvons pas les traiter avec dignité. Notre foi exige mieux de nous que du mépris pour nos ennemis.

  Jamal approuva d’un hochement de tête et fut parcouru d’un frisson, l’épuisement sans doute, la voix de Charles sonnait comme une berceuse. Jamal s’adossa au mur de brique et observa son camarade qui rinçait un linge pour nettoyer le visage et les mains du louveteau encore barbouillé du sang du cochon qu’il avait engloutit et de sa plaie béante au sommet du crâne. Il avait des taches de rousseur sur son nez en trompette et son petit ventre était tout rebondit de son dernier repas. Jamal eut comme un coup dans la poitrine, sa peau brûlait encore de la chaleur fiévreuse de la tête monstrueuse du loup-garou. Il avait l’impression que son épaisse fourrure glissait encore entre ses doigts.

  Charles, sans lever les yeux de son ouvrage auquel il appliquait le plus grand soin reprit de sa voix douce et posée.

- Tu lui as épargné une vie de souffrances Jamal. Tu as pris d’énormes risques afin qu’il puisse partir en paix. Grâce à toi, il n’est pas mort seul, grâce à toi, il s’est sentit aimé.

  Jamal sentit une vague brutale monter en lui, lui rincer le cœur, la tête, déborder par ses yeux. Le dos près à s’enfoncer dans le mur, il se couvrit la bouche pour ne pas éclater en sanglots et sur sa main, l’odeur du loup lui fit comprendre que c’était une erreur. Il la retira et un cri silencieux lui déchira la gorge. Ses jambes lui firent défaut et il glissa sur le sol de terre battue. Son corps entier se crispa et se serra sur lui-même comme un insecte mort, il sentait ses poumons se déchirer à la recherche d’un air qui refusait d’entrer. Il avait tué un garçon, un tout petit garçon.

  La main blême de Charles vint alors se poser sur la sienne.

- Jamal, tu as fait ton devoir et bien plus encore.

  Les yeux douloureusement exorbités, Jamal regardait Charles sans le voir. Van Helsing, à genoux devant lui, prit ses mains et les serra fermement.

- Nous allons prier pour lui d’accord ? Ensemble, pour que Dieu l’accueille en son royaume, pour qu’il soit entouré, aimé, près des siens à nouveau grâce à la grande miséricorde de Notre Seigneur. Prions ensemble…

  Jamal acquiesça d’un hochement de tête sporadique, à peine capable de respirer, il tremblait de tout son corps et tenta de suivre au mieux la prière prononcée par Charles. Van Helsing la répéta de sa voix délicate et régulière jusqu’à ce que Jamal parvienne à la dire avec lui d’un bout à l’autre sans trop de heurt, puis il conclut.

- Amen. Charles serra plus fort les mains de Jamal avant de poursuivre. Il est temps maintenant, d’accord ?

- D’accord. Accepta Jamal, la gorge encore serrée.

  Charles l’aida à se relever puis ils rapprochèrent la table de la porte sinistre du four. Le petit blond à coupe au bol contrôla le thermostat du crématoire afin d’être sûr de ne pas se retrouver dans une situation embarrassante puis il traça avec douceur le geste d’une bénédiction sur le front de l’enfant. La porte s’ouvrit et un souffle infernal leur sauta au visage. Charles eut suffisamment de présence d’esprit pour rapidement actionner le mécanisme qui fit basculer la table et précipita le bambin dans les flames. Les deux adolescents observèrent une minute de silence avant de sortir de la cabane de briques.

- Rentre au château, prends une douche, repose-toi, tu l’as bien mérité. Je vais rester pour m’assurer que tout se passe sans encombre. Tu as fait preuve d’énormément de courage cette nuit Jamal. Je suis fier de te compter au nombre de mes frères.

  Charles s’avança d’un pas et l’étreignit comme un assoiffé se jette sur de l’eau claire. Il le sera dans ses bras avec une force insoupçonnable et contre toute attente, Jamal s’en sentit profondément apaisé. Il lui rendit son étreinte, l’âme anesthésiée.

- Je te retrouverai pour la présentation au conseil à sept heures. Prends soin de toi.

  Jamal acquiesça et rentra en titubant sans même voir son trajet. En un battement de cils il était sous la douche, en un autre, il réalisait qu’il avait oublié d’enlever ses vêtements.

  Archibald le trouva accroupit sous la douche en train de pleurnicher d’avoir mouillé ses chaussettes. Sans lui, Jamal aurait probablement été incapable de jeter ses vêtements à la corbeille de sale, de se savonner, de se sécher, ou de rejoindre son lit dans un pyjama. Archie le borda avec soin et s’assit au pied de son lit pour le veiller.

- Dors, je te réveillerai quand ce sera l’heure, t’as besoin de dormir.

  Jamal somnolait, encore fébrile mais rassuré par la présence de son ami lorsque le dortoir s’illumina toutes lampes dehors sous les disputes de Léonard et de Leeroy. Il se redressa brusquement. Archibald éteignit sa lampe frontale, posa le livre auquel il s’était attelé avec agacement.

- Je m’en occupe, t’inquiètes pas.

  Il se leva et tira le rideau de son lit pour fondre sur leurs camarades. Leeroy avait encore le teint gris mais ses yeux de givre avaient retrouvé toute leur vivacité, c’était rassurant. Léonard, lui, avait l’air à deux doigts de lui cogner dessus.

- Pourquoi vous entrez comme des veaux ?! On ne vous a pas appris le respect ?

- Toi la pleureuse tu fermes ta gueule ! Bondit Léonard.

- On a tous merdé ! On va passer pour des blaireaux tous les trois ! Ce n’est pas la peine de réveiller toute l’école en prime ! Baissez la lumière et embrouillez-vous en silence ! Feula Archibald en tentant de se faire entendre sans trop monter dans les décibels.

  Léonard renifla, il était colérique et brutal mais pas déraisonnable, de toutes manières, ce n’était pas Archibald qui était la cause de son énervement. Leeroy intervint après s’être éclaircit la voix. Avec sa grâce habituelle, il replaça une mèche de cheveux derrière son oreille.

- Excuses-moi Archibald mais vous allez passer pour des blaireaux.

  Leeroy s’avança vers son lit et Jamal s’assit maladroitement, bien plus ensommeillé que ce qu’il n’aurait pensé. Macpherson s’assit presque sur ses genoux et plongea son regard troublant dans le sien.

- J’ai discuté avec Sir Hawke concernant son rapport au conseil et ses recommandations pour trouver un mentor. Commença-t-il, un demi-sourire sur ses lèvres fines. Il serait possible, avec ton accord bien sûr, que nous partagions le mérite de tes exploits.

- Excuse-moi ? Balbutia Jamal sans comprendre.

- Oui, excuse-toi ?! Intervint Archibald, outré.

- Voyons Jamal, tu penses bien que je ne te demande pas de le faire par pure bonté d’âme. Reprit Leeroy sans se laisser troubler par leurs amis. Disons que je pourrais en parler à mon père et à mes oncles.

- Qu’est-ce que tu veux que ça lui foute ?! Se hérissa Archie.

- T’as cru que Tandoori c’était la même race de petite pute que toi Macpherson ? Se gaussa Léonard.

- Je crois que Jamal serait intéressé par le fait que l’Ordre reprenne les recherches pour retrouver son père. Accorda Leeroy avec grâce à leurs camarades avant de se retourner vers lui. Ça fait combien de temps qu’il a été déclaré disparu en mission ? Dix ans bientôt, non ? Ta mère en est morte de chagrin, ton grand-père est très âgé, ne penses-tu pas qu’il aimerait savoir ce qu’il est advenu de son fils unique avant de partir pour son dernier voyage ?

  Archibald était bouche-bée, Léonard rongeait son frein pour ne pas cogner aussi fort qu’il était bête et Jamal clignait des yeux en cherchant à comprendre tous les tenants et les aboutissants de la situation. Leeroy le regardait droit dans les yeux, il lui gelait les os avec le lent battement de ses cils et son visage si finement dessiné que même son long nez n’aurait su en troubler l’équilibre. Jamal ne pouvait pas lui dire non, encore eut-il fallu comprendre ce qu’il lui voulait.

- Maman est morte d’un cancer de l’utérus. Répondit-il simplement, énonçant des faits pour se ménager le temps de la réflexion. Si mon père était vivant il se serait signalé, mon grand-père a presque quatre-vingt-dix ans, c’est un homme qui a beaucoup souffert, je pense qu’il est raisonnable de ne pas raviver son deuil avec de faux espoirs. S’excusa-t-il presque.

- Bien. Accepta patiemment Macpherson. Que désires-tu alors ? Je peux tout t’offrir.

- J’ai du sang sur les mains Leeroy, c’est vraiment ça que tu m’envie ? Se mit à trembler Jamal, à nouveau les larmes aux yeux et une odeur de fourrure humide qui lui envahissait le fond de la gorge.

- Je peux considérablement améliorer ta future carrière, je peux aussi la détruire dans l’œuf, à toi de choisir. Se crispa-t-il.

- Mais enfin Leeroy… Intervint Archibald, toujours sous le choc. Je savais que tes parents étaient cousins germains mais à quel moment tu as cru que c’était malin de menacer Jamal devant témoins ?

- Des témoins ? Bryant, tu es tellement loin dans la ligne de succession à la garde de Durandal que tu pourrais crever demain sans même que ton grand-père ne s’en aperçoive. Quant à Alistair, donnes moi le nom d’un seul homme de sa famille qui soit encore en vie à ce jour, ce n’est pas sa maison menée par des femmes qui mettra en péril le nom des Macpherson. Grimaça Leeroy. Vous êtes des insectes.

  Léonard n’était plus en colère, il était pâle de haine et si Jamal n’avait pas attrapé Leeroy par le col pour le tirer hors de portée et qu’Archibald ne s’était pas mis en travers de son chemin il l’aurait probablement tué.

  Jamal s’était dressé entre eux grâce à l’adrénaline, il quitta son lit pour aider Archie qui avait un mal de tous les diables à retenir Léo. Dans son dos Leeroy pouffait d’une façon tout bonnement détestable, à croire que l’échec le faisait paraître sous sa pire facette. La déception de Jamal le concernant n’avait d’égal que le poids que Léonard exerçait sur ses épaules pour se dégager.

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