Les Champions de La Lumière (Partie 3)

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  Jamal lui donna une petite tape sur l’épaule et se mit en garde avant d’entre-ouvrir leur cachette. Rien dans le couloir, la porte de la pièce où ils avaient vu le loup-garou n’avait pas bougé mais ça ne signifiait rien. Certaines chambres pouvaient être en enfilade, il avait pu bouger en passant par un autre chemin.

- On retrouve les autres, c’est notre priorité d’accord ? On doit mettre toutes les chances de notre côté.

  Archibald acquiesça d’un signe de tête nerveux, il prit une grande inspiration puis, dans un murmure inintelligible, il se mit à répéter les incantations enseignées par Sir Hawke.

  Assuré de son soutien, Jamal s’avança dans le couloir. Il sentait le dos de son camarade collé au sien, il sentait aussi la lourde odeur d’humus qui avait imprégné ses vêtements qui dégoulinaient sur le parquet. Où pouvaient bien se trouver leurs camarades ? Léonard était un garçon brutal et impulsif, ce n’était pas le genre à rester inactif bien longtemps. Charles, lui, était infiniment plus discret, presque vaporeux, c’était un garçon doux et mesuré. Face au Loup-garou, il préfèrerait sans-doutes le piéger dans un cercle de prière plutôt que de l’attaquer. S’ils les retrouvaient, Charles préparerait un piège avec Archibald, Jamal et Léonard y attireraient le loup-garou et Leeroy… Leeroy n’était pas aussi lâche que ce qu’Archibald prétendait, Jamal refusait de le croire. Il avait eu une mauvaise idée au début de l’examen mais ça ne signifiait pas qu’il voulait se défiler. Quels étaient ses points forts en tant que chevalier ? Il était indubitablement le meilleur bretteur du lot. Est-ce que ce serait suffisant face à la force brute d’un loup-garou ? Jamal en doutait cependant ce serait un bon calcul que de lui confier sa lame si Leeroy n’en avait pas déjà trouvé une de son côté.

  Un couinement tira Jamal de sa réflexion, c’était une semelle sur du carrelage. C’était Charles il en aurait mis sa main à couper ! L’ourlet de son pantalon s’était déchiré sur le chemin du manoir, il avait dû trébucher. Il restait qu’ils devaient trouver un moyen de lui signaler leur présence sans se faire remarquer du loup-garou qui pouvait être n’importe où.

  Archie fut plus vif que lui pour le coup. Jamal ne l’aurait pas tentée comme ça mais puisqu’Archibald était partit autant le suivre. Il suivit son comparse qui s’était précipité dans l’escalier, le souffle court pour rejoindre leur camarade.

  Un éclair argenté frappa la rétine de Jamal qui bondit sans réfléchir sur Archibald pour le plaquer au sol. Il avait tenté d’amortir leur chute autant que possible mais la toux étouffée de son ami témoignait de la rudesse du choc.

  « Oh Seigneur ! Vous allez bien ? » Se précipita Charles dans un souffle anxieux, blanc comme un linge sous sa coupe au bol d’un blond si pâle qu’aux reflets de la lune elle lui faisait une auréole. Derrière lui Léonard brandissait une hallebarde avec défiance, il avait manqué de peu de décapiter Archibald.

  Jamal poussa un soupir de soulagement et se redressa pour laisser Archie respirer. Ils étaient au moins quatre, les cieux en soient loués.

- Vous avez vu la bête ? Grommela Léonard à mi-voix.

- C’est un Loup-Garou. Frissonna Archie en se remettant de ses émotions. On l’a vu, il mangeait…

- Il mangeait un leurre. Intervint Jamal en sentant la panique gagner à nouveau son camarade. Ne comptons pas trop sur le soutien de Leeroy. La bête était à l’étage mais elle a sûrement bougé. Charles, j’aimerai que tu restes ici avec Archibald, vous allez préparer un cloître, le loup n’était pas très gros mais il a pris des forces, un stade trois ne serait pas de trop. Léo, j’aimerai que tu restes ici au cas où le loup serait passé au rez-de-chaussée, Archie n’est pas au meilleur de sa forme, il va falloir que tu fasses le guet et que tu pousses le loup dans le cloître seul si je ne suis pas de retour d’ici là. Je vais monter pour l’appâter soyez prêts au plus vite.

- Tu vas y aller seul ? S’étrangla Archie.

- Le Seigneur m’accompagne. Lui assura Jamal.

  Ce n’était pas le moment de faire du sentimentalisme. Dans l’idéal il ne serait jamais parti seul mais Charles était le spécialiste des sceaux et des purifications, Archie n’était pas en état de réfléchir clairement et les laisser préparer le piège seuls sans la protection de Léonard revenait à prendre le risque non seulement de les perdre mais surtout d’échouer leur mission.

  Jamal rappela sa lame et remonta les escaliers, à mi-chemin il fût interrompu par Léonard.

- T’es un bon chef Tandoori. La prochaine fois Leeroy ira se faire foutre avec ses idées de merde ! Si tu survis, je te suivrai toi.

  Jamal acquiesça d’un signe de tête et poursuivit son ascension. Le temps des flatteries n’était pas encore venu pour peu qu’il vienne un jour.

  Ils allaient avoir besoin d’environ un quart d’heure pour préparer un cloître suffisamment puissant pour maintenir la bête. Un quart d’heure c’était une éternité. Jamal prit une grande inspiration et se faufila dans une première pièce. Rien à l’horizon si ce n’était des monceaux de toiles d’araignées et de poussière intacte. Personne n’était encore passé par ici. Jamal eut un frisson d’excitation, la bête pouvait le traquer à l’odeur certes, mais il pouvait aisément la pister aussi grâce à la crasse accumulée sur le sol et les meubles. Seule la coursive était trop piétinée pour que cela ne fonctionne, cependant si le loup s’y rendait, il ne serait alors plus question de jouer au chat et à la souris mais de foncer dans le tas.

  A pas lents et souples, choisissant soigneusement chaque lame de parquet sur laquelle il allait poser le pied, l’aspirant chevalier s’avança vers la porte au fond de la pièce qui menait sur sa voisine. Une odeur ferreuse lui monta au nez, les canalisations ? Jamal n’était pas encore arrivé à la pièce où le loup avait fait son festin alors à moins que Sir Hawke n’ait posé un second leurre…

  Un glapissement étranglé lui parvint puis un bruit de babine, le ventre noué, Jamal prépara le signe de répulsion que leur avait enseigné Sir Hawke. Son autre main occupée par sa lame, il actionna la poignée de la porte du bout du coude.

  La porte était verrouillée. Jamal sentit son cœur tomber dans sa poitrine, il n’avait pas prévu cela, de l’autre côté, des sanglots montaient et un grondement féroce, s’il faisait le tour, il n’arriverait jamais à temps pour le sauver.

  Jamal se mit donc à hurler, à hurler de toutes ses forces et à tambouriner sur la porte jusqu’à ce que le grattement sinistre des griffes de la bête sur le parquet ne s’approche. Jamal recula d’un pas, s’entailla la main pour ne pas perdre l’intérêt de la bête et continua de hurler tant qu’il pouvait tandis que la porte craquait et bondissait sous les assauts furieux du loup. La gorge sèche, Jamal siffla et piétina pour attiser la faim du loup tout en préparant à nouveau son signe.

  Une patte puissante et velue traversa le bois en envoyant des éclats jusqu’aux pieds de Jamal. Ce n’était pas encore le moment. Jamal se concentra sur sa main blessée, et se mit à marmonner une prière pour mettre toutes les chances de son côté.

  La porte chût, le loup bondit, maintenant ! Une lumière aveuglante envahit la pièce et repoussa la bête si violemment qu’il lui fallut se heurter à un mur pour arrêter son vol plané. C’était sacrément efficace !

  Jamal accouru aux côtés de Leeroy. De prime abord, le loup-garou ne l’avait pas touché pourtant ses lèvres avaient bleui, son front était perlé de sueur et sa peau froide comme du marbre. Il avait perdu de grandes quantités de sang ça lui semblait flagrant. Jamal profita de ce que la bête était assommée pour l’examiner rapidement. Il aurait sans doute dû en profiter pour achever le loup-garou mais les yeux éteints et la faiblesse de Leeroy lui avaient troublé la raison. Pas une seule trace de blessure ou de déchirure sur les vêtements de son camarade, mais qu’avait-il bien pu faire ?!

  Trop faible pour parler, il parvenait à peine à garder les yeux ouverts. Jamal ne pouvait pas le laisser seul. Il le prit dans ses bras et le souleva tandis que le loup reprenait doucement connaissance. Leeroy était grand et svelte, ça lui donnait l’avantage d’attirer les regards et l’inconvénient d’être bien plus lourd que ce qu’il ne laissait paraitre. Jamal peina à le ramener dans le couloir et sans l’aide de Léonard il ne pourrait certainement pas lui faire descendre les escaliers sans risquer de le blesser plus avant.

  Il siffla son camarade. De toutes manières le loup savait où il se trouvait et ne serait pas de très bonne composition, au diable la discrétion. Ils devaient mettre Leeroy à l’abris. Léonard monta quatre à quatre et prit Leeroy pour le balancer sur son épaule comme une poupée de chiffon.

- On n’est pas encore prêts en bas, tu peux l’occuper un peu ? Maintenant qu’on sait où il est je vais leur filer un coup de main.

- Ok, surveilles Leeroy, je ne sais pas ce qu’il a et je n’aimerai pas qu’il se transforme en quoi que ce soit de démoniaque pendant qu’on se charge du loup.

- Il s’est fait mordre ? Grimaça Léonard.

- Pas par le loup en tout cas. Frémis Jamal. Dépêche-toi de descendre.

  Dans la pièce qu’il venait de quitter, le chaos des bibelots qui tombaient et des meubles qui râclaient le sol indiquaient que la bête s’était redressée. Jamal essuya sa main blessée sur son pantalon par réflexe et prit une grande inspiration pour préparer à nouveau un signe. Il n’était pas sûr que cela soit aussi efficace que la première fois, le loup allait s’y attendre maintenant.

  Sur le qui-vive, Jamal s’apprêtait à devoir faire courir un loup-garou dans un manoir. Le brouhaha qui s’amplifiait petit à petit dans la chambre où était resté la bête lui faisait se dresser les cheveux dans la nuque. Le parquet ancien commençait à trembler sous ses pieds lorsqu’un hurlement bestial retentit dans le manoir, le loup appelait du renfort.

  En temps normal ça aurait été mauvais signe mais ici aucun membre de sa meute, pour peu que l’un d’entre eux ne soit encore en vie, ne pourrait entendre son appel. Le loup était seul et le jappement qui acheva son appel à l’aide fit sentir à Jamal qu’il le savait.

  La bête mit un temps interminable à sortir de sa cachette, elle titubait et grondait, la fourrure sur sa gueule imprégnée de sang, elle s’était ouvert le crâne en s’écrasant contre le mur, ça expliquait sa lenteur.

  Maintenant qu’il la voyait clairement, Jamal pu se rendre compte d’à quel point elle était maigre. Cette créature tenait plus du chien errant que du démon féroce qui lui avait été décrit par ses aînés et le fait qu’un simple coup sur la tête ait réussit à la mettre dans un état aussi pitoyable alors qu’elle aurait dû être au faîte de sa puissance témoignait d’une chose : Ce loup était mourant, mourant et juvénile à bien regarder les crocs immaculés et les gencives roses qu’il dévoilait dans une tentative d’intimidation.

  C’était une évidence à présent, Leeroy, Archie et Léonard venaient de grandes familles de chevaliers, leurs ascendants étaient riches et puissants, il aurait été inconscient de la part de Sir Hawke que de les mettre en réelle situation de danger. Ce louveteau était un charognard, il avait senti leur présence et les avait soigneusement évités pour se contenter de se nourrir des leurres. Son erreur avait été de chercher à compléter son repas avec Leeroy.

  Cela valait-il la peine d’enfermer cette créature ? Elle n’en avait plus pour longtemps de toute manière, autant faire preuve de miséricorde et lui offrir une voie vers la rédemption.

  Jamal rengaina sa lame, sa main blessée toujours en avant prête à signer au cas où son plan ne fonctionnerait pas. Il gardait précieusement le médaillon serré au creux de son poing et se mit à pousser de petits gémissements d’appel. La chienne de son grand-père faisait ça quand elle cherchait ses petits et Jamal avait appris à l’imiter pour retrouver les chiots qui se perdaient dans le jardin. Il s’était fait gifler plus d’une fois pour avoir jappé et grand-père avait fini par donner sa chienne à un fermier afin que Jamal ne s’entête plus à faire des cris d’animaux.

  S’il l’avait vu faire, l’aurait-il giflé une fois de plus ? Le loup-garou cessa d’avancer et le fixa avec un intérêt nouveau et hésitant.

- Regarde, j’ai rangé mon arme, ne crains rien. Dit alors Jamal de son ton calme et mesuré habituel.

  Les oreilles de la bête tournèrent d’avant en arrière, méfiante mais attentive, toujours hébétée elle renifla, baissa les épaules, eut un mouvement de recul, la queue entre les jambes. Jamal se remit à japper et avança d’un pas, la bête se tapit ventre à terre. Jamal s’accroupit et tourna lentement sa main vers le haut pour lui présenter sa paume blessée. Le silence se fit, deux mètres le séparait du loup-garou et ils étaient tous les deux sans défense.

- Tu es tout seul ? Demanda Jamal avec douceur.

  Les yeux noirs de la bête s’emplirent de larmes et Jamal reprit ses gémissements maternels. Lentement, très lentement, ventre à terre, la bête s’avança pour humer la main qui s’offrait à elle. Jamal dû se retenir de bondir en arrière en voyant sa gueule immense s’entrouvrir. Une langue lisse et visqueuse en sortit pour lécher sa plaie et Jamal se mit à genoux.

- Viens. Fit Jamal en tapotant ses cuisses.

  La bête rampa avec la force du désespoir se blottir contre son ventre en poussant une complainte par trop semblable à des pleurs d’enfant. Penché sur son énorme crâne à la peau éclatée, Jamal enfuit ses doigts dans l’épaisse fourrure du loup garou et le temps d’une caresse, il sentit dans son ventre le poids sur sacrifice qu'il avait juré de faire pour préserver l'humanité.

  Jamal n’aurait su dire combien de temps il était resté à caresser la bête mais au moment de lui plonger sa lame dans le cœur, sa queue battait lentement et des yeux sombres pleins de gratitude s’étaient levés vers lui.

  C’est avec dans les bras le corps décharné d’un enfant de trois ans que Jamal redescendit dans le hall. Ses camarades l’accueillirent avec des remarques qu’il n’écouta pas. Peu importait ce qu’ils avaient à dire, le travail avait été fait aussi proprement que possible, Jamal était épuisé.

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