La Rançon de la Gloire.

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  Les portes du manoir s’ouvrirent sur Sir Hawke qui applaudissait chaleureusement ses élèves pour leur réussite. Il ne pouvait pas être sincère, cet examen était une blague et le rictus mauvais que leur maître d’armes affichait sur son visage buriné témoignait de son profond mépris pour leur performance. Jamal ne pouvait pas prétendre être doué pour lire entre les lignes mais il connaissait Sir Hawke et s’attendait à se voir passer à la moulinette.

  Il serra le petit corps malingre de l’enfant dans ses bras comme pour le protéger de la tempête à venir. Jamal sentait sa peau perdre sa chaleur et le trou béant dans sa poitrine imbiber ses vêtements. Pourtant il le portait comme si le petit s’était endormi à un endroit inapproprié et qu’il lui fallait le ramener dans son lit. Une main sur sa nuque pour empêcher sa tête de dodeliner, Jamal se surprit à esquisser un mouvement de balancier pour le bercer. Ce devait être un réflexe nerveux. Sir Hawke avait cessé d’applaudir et des enseignantes de l’internat des filles étaient venues s’affairer dans un silence religieux autour de Leeroy.

  Sir Hawke avança d’un pas lent, ses bottes de cuir frappaient le sol comme le claquement d’un fouet. Il s’approcha de Jamal et, le regard dur et fixe sur ses camarades, ouvrit ses mains pour qu’il lui confie l’enfant.

  Jamal aurait menti s’il avait dit ne pas avoir eu une seconde d’hésitation avant de lui confier le louveteau mais il n’était clairement pas en position de négocier quoi que ce soit.

  Sir Hawke le prit sous les aisselles et le souleva au-dessus de sa tête comme un trophée.

- Votre premier loup-garou messieurs !

  Jamal se sentit mourir de honte sur l’instant. Il était censé protéger le monde contre les ténèbres et avait peiné face à un enfant malade et nu. Un orphelin qui plus était ! Bien entendu que la mort était une délivrance pour cette pauvre créature damnée, elle était venue la chercher sans broncher. De là à dire qu’elle s’était suicidée, pour peu qu’à son âge elle ait su ce que cela signifiait, il n’y avait qu’un pas.

  De toutes manières, un loup-garou seul est un loup-garou mourant. L’Ordre ne savait pas vraiment si les meutes exilaient les plus faibles ou si l’exil était la cause de leur faiblesse mais les observations montraient qu’une séparation d’avec sa meute tuait un loup-garou en trois mois pour peu qu’il ne parvienne pas à se trouver une famille d’accueil.

  Ce petit avait dû être exilé pour une raison quelconque ou par accident, l’Ordre l’avait capturé pour l’empêcher de causer des dégâts et il avait fini comme mannequin d’entraînement pour une poignée d’imbéciles.

  Un goût de sel envahit la bouche de Jamal tandis qu’il détaillait l’enfant dans la pénombre. Qui aurait su qu’il n’était pas humain en le voyant ainsi ? Ses yeux éteints, mi-clos, sa bouche entre-ouverte comme s’il somnolait, Jamal avait envie de le reprendre, de le couvrir dans son manteau, de lui trouver une dernière demeure pour mettre un point final à son calvaire. Il comprenait qu’ils méritaient tous de recevoir une leçon profitable mais ce petit avait assez souffert.

- Messire. S’autorisa-t-il. Je comprends votre mécontentement mais est-ce nécessaire de le donner en spectacle quand la faute est sur nous ?

  Sir Hawke qui ne l’avait pas encore regardé jusqu’à présent posa ses yeux d’un gris d’acier sur lui et Jamal soutint son regard. Il n’avait rien à se reprocher, sur ce point en tout cas, la chevalerie n’était pas une affaire de mesquinerie et d’humiliations et si elle devait le devenir il n’hésiterait pas à combattre son maître d’arme pour l’en empêcher.

- Tu aboies Singh ? Japper ne suffit plus ? Grinça Sir Hawke en ramenant l’enfant devant son ventre, il laissa le silence peser sur leurs fronts pour punir l’impertinence puis reprit de sa voix rocailleuse et puissante à en faire frémir le dôme de verre au-dessus d’eux. Avez-vous vraiment besoin qu’un Indien vienne vous apprendre à être des chevaliers ? Bryant ! Alistair ! Macpherson ! Trois des plus grandes et nobles familles de l’ordre ! Un lâche ! Une brute ! Et… bon sang Macpherson, quel imbécile tombe encore dans un miroir de Grey à ton âge ? Tu ne t’es pas dit que lorsqu’il te proposait la jeunesse éternelle il était temps d’arrêter de te recoiffer ?

  Jamal pu respirer, Sir Hawke commençait à cracher son fiel, le pire était passé, il les estimait encore assez pour leur crier dessus. La manière dont il les avait observés avec tant de précision restait un mystère pour Jamal, peut-être à travers les miroirs ou bien des mouchards astucieusement placés. Jamal aurait dû être plus attentif, l’idée qu’il n’ait pas repéré un seul des procédés d’observation de Sir Hawke lui donnait des frissons dans le dos.

- Van Helsing ! Appela Sir Hawke. Avance !

  Charles, décollant ses yeux immenses de la frise qui ornait la coursive avança de son pas traînant vers le maître d’armes. On aurait dit un lapin narcoleptique qui partait renifler une pâquerette. Il s’arrêta devant Sir Hawke et le regarda avec sa candeur habituelle. Il fixa ensuite le louveteau avec la compassion que les saints ont sur les tableaux.

- Ton cloître était très bien Van Helsing. S’adoucit immédiatement le Maître d’Armes. Ton Arrière-grand-père serait incroyablement fier de toi mais il faut que tu apprennes à faire tes ourlets correctement, d’accord ?

- D’accord. Acquiesça Charles.

  Sir Hawke n’était jamais avare en beuglantes mais avec Charles, c’était plus fort que lui, il n’y parvenait pas. Il avait bien tenté mais dès qu’il posait les yeux sur lui, sa colère le quittait complètement. Ce n’était pas surprenant, Charles faisait cet effet à beaucoup de monde et le fait que sa Grand-Mère soit inconnue au bataillon et que les rumeurs les plus folles courraient sur son identité semblaient ne pas être étrangers à ses dons pour les incantations et à sa présence si particulière.

- Singh ! Se ressaisit Sir Hawke en lui rendant le louveteau. Emmenez-le au crématorium, Van Helsing sait comment s’y prendre.

  Jamal reprit l’enfant entre ses bras et le fit reposer précieusement contre son épaule, il était à présent parfaitement froid et la fatigue reprit Jamal aux tempes comme une traîtresse. Sir Hawke se pencha à son oreille et lui murmura de sortes à ce qu’ils soient les seuls dans la confidence.

- C’est à toi de faire ça Singh. Ce sera dur mais c’est une étape cruciale dans ta vie d’apprenti. Reste près de Van Helsing, tu es du bois dont on fait de grands chevaliers mais pour grandir tu as encore besoin de lumière. N’embrasse pas les ténèbres avec trop d’empressement, elles viendront à toi bien assez vite.

  Il les laissa s’éloigner dans la nuit et les éclats de sa voix firent bientôt à nouveau écho aux grillons qui s’attardaient dans les champs. L’air lourd et moite, le cadavre entre ses bras, Jamal était dans un état second. Il avançait parce que ses pieds suivaient la trace laissée par ceux de Charles mais il était incapable de penser.

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