Les Champions de la Lumière (Partie 2)

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  La salle de bains était dotée d’une unique porte vers le couloir et une grosse commode judicieusement placée permit à Jamal de la bloquer pour leur assurer un semblant de sécurité.

  Il assit Archibald sur le carrelage froid. Il claquait des dents de manière incontrôlable, des sueurs froides lui coulaient à grosses gouttes le long des tempes, il faisait une montée de fièvre. Sir Hawke avait dit que ça arrivait parfois aux jeunes recrues en mission. Seul face à son camarade en pleine crise de nerfs, Jamal avait lui aussi envie de pleurer. Il ne pouvait pas, il ne se le permettrait pas, il devait s’occuper d’Archie, ils devaient survivre, il devait faire honneur à sa famille.

  Prit par un vertige, Jamal commença à se sentir fiévreux lui aussi. Il releva Archibald, le poussa dans la baignoire sur pieds pleine d’araignées et de feuilles sèches entrées par un carreau brisé puis il ouvrit le robinet d’eau froide au maximum. Les glouglous bruyants de la tuyauterie risquaient d’ameuter toute l’île mais peu importait, il devait remettre Archie sur pieds. Ils devaient se remettre sur pieds pour ne pas crever là comme des cloportes.

  Le robinet finit par cracher une eau brune puis rougeâtre qui aurait tiré un cri d’effroi à Archie si Jamal ne lui avait pas à moitié enfoncé la main dans la bouche pour le faire taire. Une odeur ferreuse envahit la pièce, alors qu’Archibald mordait sa main jusqu’au sang, Jamal lui soufflait au creux de l’oreille.

- C’est de la rouille, c’est que de la rouille.

  Ils échangèrent un long regard piqué de larmes alors que l’eau faisait remonter du tapis de feuilles mortes des cadavres d’insectes. La pression des mâchoires d’Archibald se relâcha sur sa main et son souffle se fit plus lent, le coup de l’eau froide avait marché, il était calmé. Jamal mit ses mains en coupe sous le robinet et se rinça le visage avant de le fermer et de se laisser tomber sur les fesses à côté de la baignoire. Haletants tous les deux, ils avaient besoin de faire le point.

- Qu’est-ce qu’on a en notre possession ? Commença Jamal.

- Alors, on sait que c’est un loup-garou. Se redressa Archie dans sa baignoire le regard fixe sans arrêter de claquer des dents.

- On sait qu’il a mangé et que donc il aura moins tendance à nous chercher cependant si on le pousse à la confrontation il sera beaucoup plus puissant qu’avec le ventre vide.

- On sait que nous ne sommes potentiellement plus que quatre… Annonça Archie la voix chevrotante.

- On sait qu’on est déjà nous deux. Répliqua Jamal pour couper court à son émotivité. On sait aussi que sir Hawke aime bien placer des leurres pendant l’examen et je refuse que tu pleures sur le sort d’un cochon avec un gilet.

  Archie renifla et déglutit douloureusement en acquiesçant d’un signe de tête avant de poursuivre plus calmement.

- Deux choix s’offrent à nous. Soit on attend ici que le jour se lève et qu’il redevienne humain pour le capturer et le ramener à Hawke, soit on trouve une arme et on tente de l’abattre.

- Nous avons une limite de temps j’te rappelle, il faut qu’on sorte de là avec la bête morte ou vive avant six heures du matin. Frémit Jamal.

- Et il se lève quand le soleil ? Pâlit Archibald.

- Pas à six heures fin Août…

  Bon, ils n’avaient plus le choix ! Ils allaient devoir se mettre en route, retrouver les autres et mettre en place un plan viable. A deux sans armes ils n’auraient pas la moindre chance contre un loup-garou à la pleine lune alors autant s’y mettre dès maintenant en espérant qu’il y ait toujours cinq garçons en vadrouille dans ce fichu manoir.

  Jamal s’apprêtait à repousser la commode pour retourner dans le corps de l’exercice quand Archibald l’arrêta en se râclant la gorge. Il avait raison ! Sir Hawke avait pu planquer des outils n’importe où ! Jamal commença à sortir les tiroirs et à les retourner méthodiquement lorsqu’une chaînette rouillée attira son attention. Un médaillon ! C’était peut-être une lame ! Bingo ! Il devait la déployer avant de sortir pour être sûr qu’elle lui répondrait mais aussi pour s’assurer de sa forme.

- Jamal… Miaula douloureusement Archibald. Qu’est-ce que tu fais ?

- Je crois que j’ai trouvé une lame, on va pouvoir avancer ! Sourit l’adolescent en se tournant vers son camarade.

- On peut aussi attendre qu’il fasse jour…

  Jamal se figea, incrédule, pour fixer la face épuisée d’Archibald Bryant, glorieux descendant de la grande et noble famille Bryant, gardiens depuis deux siècles de la légendaire Durandal. Si le chevalier Roland avait su que sa lame finirait par servir des Anglais il en aurait probablement fait une crise d’apoplexie. Jamal n’était pas loin de cet état non plus, il mit un temps à se ressaisir.

- Mais ça veut dire qu’on a abandonné l’examen… Souffla l’adolescent à mi-voix comme s’il proférait une insanité.

- Jamal. Reprit Archibald en chuchotant lui aussi. On s’en fout de l’examen, si on sort d’ici on va crever !

  Jamal cligna des yeux, c’était impensable. Archie avait deux frères aînés dont un était déjà chevalier oint, il avait toute une tripotée de cousins et avec le siège de son grand-père au conseil des Lords il trouverait sans peine un poste administratif. Bien sûr qu’il s’en foutait de cet examen, il avait une voie impériale toute tracée devant lui. Avec un peu de chance et une intervention bien placée de son père et de ses oncles, il obtiendrait même une note excellente et un très bon rapport à son examen après l’avoir passé, planqué dans une salle de bain. Jamal en avait la gorge serrée et un goût amer lui envahissait la bouche.

- Tu as prononcé un serment Archibald. Se mit-il à frémir. Tu as juré de servir la lumière…

- Et comment je ferais pour la servir si je crève à quinze ans à cause d’un vieux taré qui nous enferme avec un loup-garou à la pleine lune ? Tu as cru qu’on était des héros c’est ça ? Mais réveilles-toi Jam’ ! On est des mômes et ce truc va nous tuer !

- Et bien qu’il nous tue. Se raidit Jamal d’une colère froide. Nous sommes ici pour devenir des chevaliers, nous sommes ici pour nous battre contre les ténèbres et leurs créatures. Nous mourrons pour que des innocents n’aient pas à le faire. C’est toi qui es en plein rêve Archibald, ça fait sept ans que tu rêves d’une belle armure, de lames de légendes et d’une gloire « héroïque ». J’ai des nouvelles pour toi, la gloire ça n’existe pas pour les chevaliers. Nous sommes des pions dans le combat de la lumière et rien de plus. Nos misérables vies n’auront de la valeur que lorsque nous les mettrons en jeux, nous sommes des serviteurs, pas des maîtres, met toi ça dans la tête pendant que tu profites bien de ton bain !

  Jamal tourna le dos à son camarade, ce qu’il venait de lui dire, ils l’entendaient peu ou prou tous les jours de la part de leur Maître d’Arme et il avait du mal à croire qu’Archie ait pu l’oublier si facilement. Il sera le médaillon dans son poing, prit une grande inspiration pour se calmer et invoqua une vieille épée défraîchie et cabossée mais au tranchant plus satisfaisant que celui d’un chandelier. Elle ferait l’affaire.

  Un bruit d’eau lui indiqua qu’Archibald sortait de sa baignoire. Jamal serra les dents, il ne pouvait pas le regarder, s’il posait les yeux sur lui il perdrait le peu de concentration qu’il avait réussi à reprendre, il perdrait aussi un temps précieux.

- Attends, je… je vais t’aider. Hésita l’héritier de la maison Bryant.

- Comment ? En plaisantant sur le fait que Leeroy se cache dans un placard pendant que tu fais la même chose dans une salle de bains ? Cracha Jamal.

  C’était un coup bas, suffisamment bas pour titiller l’orgueil d’Archibald. Alors qu’il repoussait la commode de devant la porte, Jamal priait pour ne pas avoir aimé comme un frère un type aussi lâche et veule que ce qu’Archibald venait de lui montrer. Ça lui faisait mal au ventre rien que d’y penser et au fond, il espérait que tout ce qui venait d’être dit dans cette salle de bain n’était dû qu’à un moment de panique. Jamal pouvait pardonner la panique.

- Je peux incanter pour te couvrir. Hésita Archibald.

- Enfin quelque chose qui valait la peine d’être dit ! Sourit Jamal, soudain réchauffé par la proposition de son camarade.

  Archie tenta de répondre à son sourire, il était terrifié. De petits spasmes agitaient son œil gauche et ses joues semblaient creusées, pâle comme un linge, mortifié. C’était ça, il était déjà mort et il avançait malgré tout. C’était ça la bonne attitude.

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