Procès Marsupial

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  Misérable petite chose crispée autour d’une tasse de café, Céleste Bach regardait fixement la table en bois qui la séparait de l’officier chargée de son interrogatoire.

- Donc, reprenons. Vous n’avez pas pu nous le livrer parce que votre fille de douze ans…

- Quatorze. Corrigea Céleste. Elle a eu quatorze ans en Août.

- Oui, bon, quatorze ans. Concéda-t-elle en modifiant ses notes. Votre fille de quatorze ans s’est battue avec lui, puis vous avez fui, puis vous vous êtes disputées alors elle est sortie de la voiture et comme il approchait vous êtes partie sans prendre le temps de la rattraper.

  Céleste acquiesça en reniflant et Mira leva les yeux au ciel. Elle travaillait depuis vingt ans au service de l’Académie Genevoise, la plus prestigieuse organisation de Sorcières et Sorciers d’Europe. Avant cela elle avait même brièvement siégé à la chambre de Sorcellerie Africaine. Elle s’était montrée digne de se voir confier la capture de l’un des plus illustres criminels du monde magique, un homme dont on disait qu’il avait découvert le secret de l’immortalité et qui l’avait prouvé à de maintes occasions. Elle était même sur le point d’entamer des négociations pour une collaboration avec ces bœufs débiles de brûleurs de lutins de l’Ordre de Saint George pour mettre la main sur lui lorsque Céleste s’était présentée.

  Céleste avait tout ce que l’on attendait de voir d’une sorcière du Rhin. La beauté blonde, la voix douce, une aura magique vibrante de puissance et à la minute où elle s’était présentée pour proposer de capturer cet homme en échange d’une réhabilitation auprès de son clan, Mira avait pensé détenir la clé d’une affaire qui traînait depuis près de trois siècles.

  Se servir de l’enfant qu’il avait poussé en elle pour l’appâter et lui mettre le grappin dessus ? En tant que mère, Mira n’était pas enchantée à l’idée de mettre une enfant dans cette histoire mais si cela pouvait mettre fin à la cavale de… Bref, Céleste s’était présentée avec cette idée en assurant qu’elle saurait lui administrer un sédatif suffisamment puissant pour qu’ils aient le temps de venir le cueillir et au final, au lieu de leur donner le signal pour intervenir, elle avait débarqué en pleurs.

  Mira aurait aimé planquer plus près de la maison pour être sûre de l’avoir mais ç’aurait été prendre le risque de se faire repérer et Il n’était pas connu pour apprécier les indiscrétions de l’Académie ni pour laisser de survivants pour témoigner de son mécontentement. Elle avait choisi de prendre le moins de risque possible pour ses troupes et avait perdu son pari. Elle allait se faire retourner les oreilles par les Grandes Enchanteresses qui avaient dû user d’un passe-droit rare pour pouvoir intervenir sur le territoire de la Congrégation des Salémites, elle en avait d’ores et déjà la migraine. Cependant ce n’était pas le plus important pour l’heure.

- Donc Il nous a filé entre les doigts et votre fille est avec lui. Soupira Mira en se massant les tempes.

- Oui.

- A quel degré estimez-vous le danger qu’il représente pour elle ?

- Je ne sais pas. Frémis Céleste. Elle se défend bien mais je pense qu’il n’est pas très content.

- Qu’entendez-vous par « bien se défendre » ? Questionna Mira dans l’espoir d’une bonne nouvelle.

- Eh bien, c’est difficile de dire….

- Elle pratique la magie ou non ? Vous l’avez éduquée à la sorcellerie ? Quelles sont les armes en sa disposition ? Est-elle capable de s’enfuir ? S’agaça Mira.

- S’enfuir ? Oh, non, elle n’est pas très costaude et elle boîte assez gravement et puis elle a plusieurs vilaines vieilles blessures qui lui font mal de temps à autre. Expliqua Céleste comme si elle parlait de son dernier pique-nique et qu’elle avait du mal à se souvenir de l’assaisonnement de sa salade de pomme de terre. Elle ne s’y connait pas en sorcellerie non plus, quant à la magie crue… Je ne pense pas qu’elle soit capable de résonner, elle n’est pas encore pubère. Elle a peut-être encore le couteau à huître. Se souvint-elle soudain.

- Vous vous foutez de ma gueule j’espère ?! Se laissa tomber de dépit Mira contre le dossier de sa chaise.

- Ne vous y méprenez pas, elle se débrouille très bien. Se défendit piteusement Céleste. Elle a tué un Wendigo en début d’année et elle a quand même réussit à arracher un œil à son père.

- Comment diable s’est-elle retrouvée face à un Wendigo ? S’ébahit Mira. La Congrégation les parque sous haute sécurité.

- Il est possible que j’aie eu besoin d’aide pour la retrouver. Concéda Céleste. Et il est possible que haute sécurité ne signifie pas forcément « insensible à certaines propositions ».

- Vous avez lâché des Wendigowak dans la nature pour retrouver votre fille ?! Bondit Mira.

- Oui mais je leur ai fait sentir un vêtement avant pour qu’ils la retrouvent et…

- Et vous ne vous êtes pas dit qu’ils allaient la bouffer ?! S’emporta-t-elle.

- Ils ne l’ont pas fait. Renifla Céleste avec mécontentement. Puis je ne vois pas en quoi ça vous concerne.

  Mira n’avait plus les mots pour répondre à cela. Bouche bée, il lui fallut un instant avant de se tourner vers la porte et d’appeler l’un de ses subordonnés.

- Eugène, pourriez-vous informer Miss Putnam que nous avons des informations concernant un soucis au centre de détention des Wendigowak du Vuntut ? Nous sommes évidemment prêts à leur assurer notre entière collaboration dans le cadre de cette affaire et avons un suspect potentiel à leur livrer.

- Vous allez me dénoncer ?! Couina Céleste surprise d’un tel affront. Nous avions pourtant un accord !

- Accord que vous n’avez pas remplit il me semble. Soupira Mira en refermant la porte derrière Eugène.

- Vous savez que les Salémites brûlent les sorcières qui sortent du rang ?! Vous me condamnez à mort ! Se scandalisa-t-elle.

- Céleste. Tenta de l’apaiser Mira. Savez-vous ce qu’est un Quokka ?

- Hein ? Grimaça-t-elle d’incompréhension.

- Il s’agit d’un petit Marsupial d’Océanie dont on dit que, lorsqu’il se trouve face à un prédateur, il se saisit du petit qui se trouve dans sa poche ventrale pour le jeter face à la menace et ainsi profiter de cette distraction pour s’enfuir.

- Son propre petit ? Mais c’est horrible… Souffla Céleste.

- Voilà, vous avez compris. Conclu Mira avec un sourire aigre. Je vous souhaite une agréable journée et bonne chance avec la Congrégation.

  Elle sortit de la pièce sans plus de cérémonie. Le ventre noué de colère, elle avait besoin d’une cigarette et de rentrer chez elle.

- Madame ! L’interpella Eugène. Miss Putnam est déjà là ! Que dois-je lui annoncer ?

- Que la suspecte est toute à elle. L’Académie renonce à ses droits et ses devoirs envers elle en raison d’un acte de félonie. Nous libérons la place, nous excusons pour la gêne occasionnée et remercions infiniment la Congrégation pour son concours.

- Bien Madame ! Se mit-il au garde à vous avant de filer comme l’éclair.

  Mira dût attendre que la congrégation soit en place pour prendre le relai avant de pouvoir se glisser dans l’un des fauteuils poussiéreux du Serpent pour rapatrier son équipe à Genève.

  Mi-taxi, mi-train, tenu par des hommes-rats au mines patibulaires, les Serpents filaient sous la terre sans la percer grâce à une série de portails magiques qu’ils généraient à l’avant de la locomotive. Se rendre n’importe où dans le monde en moins de deux heures, c’était la promesse du Serpent. Une technologie fabuleuse, des sortilèges incroyablement fins et maîtrisés, crées et apposés par le Prince Sorcier Mordred en personne. Sans l’habileté des Hommes-Rats et sans l’incroyable talent de Mordred cela n’aurait jamais été possible. Il était juste dommage que les Hommes-Rats ne s’appliquent pas autant dans la bonne tenue des wagons que dans celle des locomotives. Au mieux poussiéreux, il n’était pas rare que les sièges sentent le vomit à défaut d’autres fluides corporels dont personne ne voulait savoir la provenance.

  En sortant de là, tout le monde avait la nausée et il fallut bien la brise caressant le lac Léman pour que les cœurs des agents de l’Académie retombent à leurs places. Elle salua ses troupes, les remercia pour leur implication dans leur mission et leur donna congé.

  Mira rentra chez elle sous l’éclatant soleil de midi et les regards pesants des passants. Elle vérifia l’heure à un clocher, réajusta celle à sa montre et prit une douche pour se débarrasser de la crasse de Céleste autant que de celle du Serpent. Elle avait besoin de sommeil, elle commençait à avoir faim aussi.

  Dans la cuisine son grand Arthur lui avait laissé une note et de la quiche à réchauffer. Brave garçon, meilleur cuisinier que sorcier, il ne s’en sortait pas si mal pour autant. C’était un garçon émotif mais soigneux et appliqué dans tout ce qu’il entreprenait. Il avait déjà trois ans lorsqu’il lui avait été confié par l’Académie mais il l’avait immédiatement adoptée et appelé « Maman ».

  Mira s’assit et pensa à son fils, la gamine qu’ils avaient perdu cette nuit était sa demi-sœur, mieux valait qu’il n’en sache rien. Il savait de qui il était l’enfant, il ne savait pas pour les autres enfants de son père et c’était mieux comme ça.

  Un long frisson lui parcouru l’échine, il avait cherché sa fille, il n’avait jamais cherché son fils. Pourtant Mira était sûre et certaine qu’il connaissait l’existence d’Arthur… Que voulait-il à cette pauvre petite ? Peut-être était-il seulement conscient des capacités de Céleste et avait préféré récupérer sa fille à la première occasion ? Peut-être estimait-il qu’Arthur fût trop bien gardé pour que cela ne vaille le risque de l’approcher ? C’aurait-été flatteur, elle devait l’admettre, mais elle doutait fort d’être capable de quoique ce soit contre Lui s’il souhaitait vraiment récupérer Arthur.

  L’idée que son fils lui soit enlevé lui mit un coup au ventre et l’idée que Céleste ait pu abandonner sa fille lui en mit un second. Quelle salope ! Elle aurait aimé compatir à la vie merdique que Céleste avait vécu entre sa relation trouble et douteuse avec le père de sa fille, le bannissement de son clan, son exil en terre étrangère, les accusations criminelles qui pesait sur elle de la part de l’Académie sans preuves réelles mais non, elle n’y parvenait pas.

  Une gamine boiteuse portant de lourdes séquelles physiques se battant pour sa survie contre des créatures maudites et un père dangereux, abandonnée deux fois par une mère candide pour ne pas dire tout bonnement conne. C’était trop pour elle. Elle allait rédiger son rapport, elle allait le faire bien proprement et poser une requête auprès de l’Académie. Il fallait retrouver Susan Bach.

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