La Rencontre

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  Susan s’était levée de bonne heure pour aller à l’école avec les enfants normaux. Dire qu’elle était nerveuse aurait été un euphémisme, elle ne savait pas trop comment interagissaient les adolescents entre eux en dehors de Sainte Rita mais elle se doutait bien que les règlements de comptes à coup de surins dans les toilettes ne devaient pas être monnaie courante dans le vrai monde des vraies gens.

  Autre différence majeure : elle ne dormirait pas sur place mais ferait le trajet deux fois par jours en bus pour rentrer sagement à la maison. Après tout, quoi de mieux que quatre heures de route en sandwich autour de huit heures de classe ? Maman en avait décidé ainsi, Susan s’y plierait docilement, de toute manière, ravie ou pas, elle n’avait pas le choix.

  Alors qu’elle démêlait méthodiquement ses cheveux blonds, fins et filasses, l’adolescente eut une épiphanie : Elle allait revoir Ralph ! Bien sûr ! Il y avait une seule école dans un rayon de deux milles à la ronde, ils allaient forcément se retrouver là-bas… Enfin se retrouver… Elle allait le voir et se sentir mal à l’aise et lui allait probablement la fuir parce qu’elle avait l’air d’une folle et que l’atroce serpillière qui lui tenait lieu de chevelure refusait de tenir en place.

  Susan balança la brosse à cheveux de rage dans le lavabo. Ce truc sur sa tête la, rendait dingue. En quatorze ans, elle n’en avait jamais rien eu à foutre de ses cheveux. A Sainte Rita, elle les tressait parce que c’était le règlement, point. Et là, d’un coup, il lui semblait avoir sur le crâne les plus infâmes queues de rat de l’univers. Elle aurait pu les arranger en tresse pour qu’ils ne bougent plus, comme d’habitude, mais la tresse c’était une coiffure de petite fille et si elle croisait Ralph…

  Elle poussa un profond soupir, elle était stupide, tout cela n’était qu’une perte de temps. A quoi bon tenter de faire bonne impression ? Elle avait une sale trogne de toute manière et ça ne risquait pas de changer de sitôt. Elle devait prendre la chose de manière pragmatique, elle allait se faire une tresse parce que c’était pratique, parce que ses cheveux lui arrivaient au creux des reins et qu’il n’y avait aucun moyen de les empêcher de se balader dans tous les sens autrement.

  Alarmée par les grognements frustrés de son engeance et en retard comme d’habitude, Maman rappliqua dans la salle de bain.

- Eh bien mon cœur. Que se passe-t-il ? La brosse à cheveux est méchante ce matin ?

- Je ne ressemble à rien. Expliqua Susan en se faisant les gros yeux dans le miroir tout en s’appliquant à entrelacer ses cheveux.

  Elle avait le front petit, des sourcils blonds presque invisibles, de vilains yeux qui ressemblaient à des entailles au couteau dans lesquels on aurait collé de grosses billes bleues. Son nez était droit mais long et pointu du coup elle avait un profil de fouine ou de renard, d’espadon peut-être ? Elle avait aussi une bouche mince et pincée et comme elle faisait tout le temps la gueule ça n’arrangeait rien. L’espace d’une seconde, elle tenta de se sourire, c’était pire. Son menton quant à lui ? Eh bien il était là, c’était déjà pas mal, ça allait bien avec ses joues creuses et sa mâchoire étroite.

  Elle pût aussi constater qu’elle avait l’air salement méchant, elle n’aurait pas aimé se croiser seule dans une ruelle le soir.

- Hum… c’est donc le miroir qui fait des sienne. Commenta Maman en tentant d’être drôle. Nous allons arranger ça.

  Elle dégagea ses mains et défit sa tresse pour s’atteler à un ouvrage plus flatteur. Susan haussa un sourcil, c’était peine perdue mais les jolies filles avaient toujours l’impression qu’il suffisait d’un rien pour arranger les laiderons.

  Maman était belle comme dans une réclame. Une blondeur d’or qui ondulait merveilleusement, un minuscule nez en bouton, une peau de pêche, des yeux de biche, une bouche délicatement dessinée. Comment avait-elle pu pondre un engin pareil ? il fallait vraiment qu’elle ait voulu bâcler le travail ou qu’elle ait un goût plus que douteux en matière d’hommes. Quoique, peut-être qu’en garçon elle aurait été moins vilaine ? Susan fronça le nez et tâcha de se figurer en mâle… Elle aurait été laid comme garçon aussi.

- Il faudrait les couper. Tu as une belle base mais ils sont trop longs. Ça ne t’ennuie pas si je m’en occupe maintenant ? Je n’arriverai à rien de sympa avec ça. Renonça Maman en relâchant sa tignasse.

- On a le temps ? J’ai mon bus dans moins d’une heure.

- Tu ne prendras pas le bus mon cœur. Annonça Maman en évitant soigneusement de poser les yeux sur elle.

- Tu me conduis ? Demanda Susan intriguée.

- Non, tu n’iras pas à l’école aujourd’hui, nous allons avoir de la visite. Répondit-elle en fouillant dans un tiroir à la recherche de ciseaux capables de faire l’affaire.

- Qui donc ?

- Tu verras bien. Sourit Maman, crispée.

  Elle voulait ça rassurant ? Elle aurait dû s’abstenir d’être au bord des larmes alors parce que là Susan avait un très mauvais pressentiment.

  Maman lui retira son pull et la fit se pencher au-dessus de la baignoire pour lui mouiller les cheveux. Susan ne parvenait pas à se souvenir de la dernière fois qu’on les lui avait coupés. Jamais, pas à Sainte Rita en tout cas, elle n’avait jamais eu de poux et les nonnes avaient mieux à faire que de jouer aux coiffeuses.

  Maman l’avait fait s’asseoir et tranchait dans le vif du sujet sans retenue. Elle avait de la marge avant de la rendre chauve mais Susan devait admettre que de voir le sol se couvrir d’un épais tapis de mèches pâles faisait naître en elle comme un doute concernant la survie de son capital capillaire.

  Elle espérait tout de même secrètement qu’en se regardant à nouveau dans le miroir elle découvrirait que finalement elle ressemblait un peu à Maman et pas tant que cela à un mustélidé avec une moumoute hirsute.

  Lorsque Maman eut terminé sa session d’élagage, de séchage et de coiffage, Susan se releva pour se regarder dans la glace. Elle ressemblait bien à une fouine avec une perruque mais au moins c’était une jolie perruque bien coiffée. Elle s’observa un instant, elle était ridicule, certes, ça valait mieux qu’avoir l’air d’avoir passé les dix dernières années au fond d’un puits.

  Elle sourit et passa les doigts dans le carré droit qui frôlait la naissance de ses épaules, la frange longue qui marquait ses pommettes n’était pas mal non plus. Susan n’était pas fan de la raie au milieu mais ça c’était un détail. Elle ébouriffa ses cheveux et ils retombèrent bien sagement à leur place ou à peu près : Parfait.

- Merci Maman. Lui accorda-t-elle.

- Mais de rien mon cœur. Je suis contente si tu te sens mieux.

  Maman entreprit de nettoyer ciseaux peignes et brosses tandis que Susan passait le balai. Elle n’aurait pas imaginé avoir eu tant de cheveux sur la tête.

  Ce n’était que la première étape du ravalement de façade pour Susan puisque Maman prit le soin de lui choisir une jolie tenue de gentille fille pour accueillir leur visite du jour.

  Certainement quelqu’un d’important, plus les minutes passaient, plus Maman semblait nerveuse et pâle, le cœur au bord des lèvres. Avant midi elle était devenue parfaitement mutique et servit son repas à Susan sans en prendre pour elle.

- On reçoit pour quelle heure ?

- Je ne sais pas mon cœur. Frissonna Maman avant de s’occuper les mains dans la vaisselle pour couper court.

  Que faire ? Rien de trop prenant ou salissant pour ne pas risquer d’ajouter aux angoisses de Maman. Susan se jeta dans un fauteuil avec un livre et scruta par le trou de la serrure les Rougon-Macquart tomber comme des mouches. Gervaise crevait dans sa niche sous l’escalier et il faisait déjà nuit noire lorsque quelqu’un frappa à la porte.

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