Disparu

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La fumée piquante se dissipa doucement. On commença à peine à distinguer les différentes parties de la chambre plongée dans l'obscurité. L'assaut n'avait duré que le temps de faire exploser la porte et de tirer partout où cela était possible. Larse et ses hommes, en quelques secondes, comme assoiffés de violence, avaient tout détruit. Un instant d'une rare violence. Les balles traçantes, dans leur macabre mission, effacèrent tout indice de vie. Les meubles s'étaient fendus. Ils semblaient se tordre de douleur. Le fauteuil près de la fenêtre était tombé sur le côté. Tel un vieux cheval blessé, il aurait fallu l'abattre pour abréger ses souffrances. Il s'était vidé de son contenu comme une peluche éventrée. Le lit saignait les plumes de son matelas dont quelques-unes, en flocons, flottaient encore dans l'air saturé d'une odeur âcre. Les murs étaient écorchés, griffés dans leur beauté éclatante et immaculée laissant apparaitre le béton brut. Les fenêtres, malgré un épais blindage, avaient volé en éclats. Les rideaux s'étaient enroulés sur eux-mêmes troués de souffrance et étrangement figés. Au sol, les pas craquaient sous les milliers de morceaux de tout. On n'aurait jamais cru qu'une pièce aussi vide au départ, une pièce si épurée put générer autant de débris en aussi peu de temps.

Luciath avait reculé pour se mettre à l'abri. Une fois l'attaque terminée, il se précipita dans la pièce. Le spectacle fut terrible. Il n'en crut pas ses yeux. Il croisa le regard amusé des soldats, contents d'avoir vidé leurs chargeurs. Ils étaient couverts d'une fine poussière. Il eut du mal à distinguer s'il s'agissait vraiment de poussière ou de saleté. Il se demanda un instant comment ils avaient pu ne pas se tirer dessus.

 — Qu'est-ce que t'as foutu, Larse ? Qu'est-ce que t'as foutu ? avait-il murmuré.

Il avait en tête les mots de sa femme : 'Yakath est dans la chambre !' Il se fraya un chemin parmi les décombres. Il éternua. La pièce était chargée de résidus de poudre.

 — Luminosité. Niveau 4, avait-il lancé nerveusement à l'ordinateur central.

La lumière n'entra pas davantage. On n'entendit que le ronronnement plaintif des moteurs des volets. Ils s'arrêtèrent au bout de longues secondes dans un étrange grincement strident. Le vent dispersa les dernières fumées. Luciath se mit alors à parcourir les moindres recoins de la pièce. Sous le lit, rien. Dans les toilettes, rien. La grande armoire, rien. Il bousculait parfois les soldats qui fouillaient eux aussi mais pas avec la même intention.

 — Il n'y a personne ici, chef, lança un soldat.
 — Regardez partout. Cherchez des trappes secrètes. Tapez dans les murs pour voir si y a pas des passages.

Il s'arrêta soudainement. On venait d'entendre un bruit sourd dans la penderie.

 — Quelqu'un a regardé là ? questionna Larse.

Luciath n'attendit pas. Il connaissait les lieux comme sa poche, mais cette petite penderie, il l'avait oubliée. C'était d'ailleurs plutôt un rangement pour jouets qu'une véritable armoire à vêtements. Elle était juste à côté de la tête du lit. Pas vraiment visible et toute petite. Avant les travaux, c'était une petite porte qui donnait sur le jardin en contre-bas. Il dégagea le grand tableau tatoué d'impacts qui était tombé devant.

 — Un homme ne passe pas là-dedans, pensait Luciath. Yakath à la rigueur, mais pas Bruneri... Où est-il passé, bon sang !

Il fut immédiatement saisi d'étonnement. En ouvrant la petite porte, il découvrit que la penderie était beaucoup plus grande à l'intérieur. Après s'être penché pour y entrer, on pouvait largement s'y tenir et la profondeur offrait de quoi se cacher.

 — Papa ?

Dans le noir, la petite voix de Yakath se fit fait entendre.

 — Ma petite, tu es là. Oh ma petite, tu es là !
 — Papa... Je vais mourir ? demanda-t-elle.
 — Comment ça, ma Chérie ? Mais non, tu ne vas pas mourir. Je suis là. Ne t'inquiète pas. Je vais te sortir de là.

Yakath toussa à plusieurs reprises.

 — Allez viens. Approche-toi. Je vais te sortir de là.

Luciath s'inquiéta du silence de sa fille. Il tâtonna jusqu'à trouver sa petite main. Il la tira doucement pour découvrir l'effroyable vérité. La robe bleue pâle, ses petites sandales, ses mains et ses cheveux étaient couverts de sang. Elle avait fermé les yeux. Il la prit dans ses bras pour la sortir délicatement. Il venait de comprendre.

 — Urgence médicale ! Urgence médicale ! avait-il hurlé.
 — Urgences médicales contactées. Délai estimé à douze minutes. Ouverture pièce stérilisée.

L'ordinateur de la maison avait enclenché la procédure pour la première fois. Elle sonnait comme un aveu d'échec pour Luciath. Il traversa difficilement les gravats, parcourut quelques mètres pour se rendre d'un pas pressé dans la salle d'urgence dont toutes les pièces de la maison étaient équipées. Un pan complet de mur s'était ouvert pour laisser place à une salle dédiée aux urgences. Il déposa sa fille sur le grand lit-caisson et laissa le couvercle de protection se fermer sur elle. Une brume d'oxygène enrichi envahit immédiatement le tube. Le processus de baisse de température était lancé.

 — Bon les gars ! On va ratisser un peu plus large, annonça Larse. Je sais pas comment il est sorti, mais on va le retrouver. Jimmy et Scott, vous partez vers le mur et prenez deux gars avec vous. Olivier et Fred, en position ici avec Steeve. On reste en contact radio en permanence. Je veux tout savoir. Je pars avec Sylvio et Donk vers le nord. Il lança un regard furtif à Luciath.

 — Je te préviens Larse... S'il arrive quelque chose à ma fille, réagit-il.
 — Tu feras quoi, Luciath ?

Ils se fixèrent droit dans les yeux pendant quelques secondes.

 — On en reparlera, avait-il répondu entre ses dents.

Larse partit et à l'entrée enjamba le corps d'Emma, évanouie autour de laquelle le personnel, dans un silence compatissant, s'affairait.

 — Amenez-la à l'intérieur s'il vous plait, décida Luciath.

Tandis qu'il partit de nouveau dans la chambre, Emma fut amenée dans une autre pièce. Luciath fit aérer la maison pour la débarrasser de la puanteur des soldats. Dans la pièce, la fumée finit par disparaitre. Un dépôt blanc de poussière recouvrait maintenant toute dans la pièce. Il sembla qu'il était le premier à fouler le sol lunaire.

 — Mais où est-il passé ? Ce n'est pas possible ! pensa-t-il, irrité.

Il ouvrit encore et encore les placards, les tiroirs – comme si Isaac put s'y cacher – et les armoires en vain. Il tapa sur chacun des murs de la pièce pour y déceler une entrée dissimulée. Il souleva même des meubles, frappa du pied sur chaque centimètre du sol. Rien. Au bout de quelques secondes, il lui vint une idée.

 — Mais oui ! Yakath doit savoir. Elle seule peut me dire où est ce maudit Bruneri !

Il se précipita vers la pièce d'urgence. Yakath dormait. Elle avait le visage serein des matins d'été quand il venait la réveiller.

 — Ouverture du sas ! ordonna-t-il.
 — Attention Monsieur. Caisson pressurisé. Nécessité de garder le taux d'oxygène et la température intacts. L'unité médicale sera là sous peu.
 — Ouverture du sas, immédiatement !
 — Ouverture non autorisée. Élément féminin. Protocole 31.10 de sauvegarde des Reines.

Il connaissait bien le Protocole 31.10. Une règle imposée sur la Terre entière définissant les modalités de préservation de l'espèce humaine. Toutes les femmes devaient recevoir les meilleurs soins dès leur naissance. Elles bénéficiaient de la meilleure nourriture, d'une éducation et d'un enseignement de qualité ainsi que d'une protection maximale en cas de conflit ou d'épidémie. Elles avaient également accès à un antidote au vieillissement leur permettant d'allonger considérablement leur existence afin de pouvoir accroitre leur possibilité de donner naissance à des filles. Ce caisson avait la capacité de traiter les petites blessures et fournir une protection en attendant l'arrivée des soins. Luciath comprit qu'il ne pourrait pas discuter avec une machine. Il saisit un objet pointu non loin de là, le planta près d'un joint de scellement. Il fit de nombreux mouvements nerveux sur cette partie peu solide.

 — Ouverture non autorisée détectée. Danger.I Infraction du Protocole 31.10.

Il ne se préoccupa pas de la voix de l'ordinateur. Il fallait qu'il sache où était parti Bruneri. Il fallait le rattraper, qu'il n'atteigne surtout pas la Zone Libre. Ce caisson était difficile à ouvrir. Des gouttes de sueur perlèrent sur son front gonflé par ses veines. À mesure qu'il forçait, que le joint s'abîmait, l'espoir de retrouver le fugitif grandissait. D'un seul coup, il sentit de l'air frais sortir sous pression. Le caisson se vida en une poignée de secondes. Le couvercle s'ouvrit immédiatement. Elle n'était plus sous protection. De la main il dispersa les dernières vapeurs.

 — Yakath ? Yakath ? Il est où Brun..., il est où tonton Zazac, hein ? Il est où ?

Le corps de la fillette ne bougeait pas. Sa respiration s'était arrêtée. Figée, celle qui ne deviendra jamais Reine venait d'agir comme une véritable souveraine. Celle qui ne porterait jamais la vie venait d'en sauver une parce que son instinct le lui avait dicté. En ce jour disparut toute une lignée royale.

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