La quête d'un monde meilleur

10 minutes de lecture

Depuis qu’Alrick avait pris la défense du Fama pendant les combats, les membres de la Tribu et particulièrement Adila, sa fille, considéraient Alrick comme un ami. Rapidement, Zarhan s’était remis incroyablement bien de ses blessures mais personne n’avait osé soulever de question.

Maintenant que tout le monde était transportable sans danger, les derniers blessés se remettant eux aussi sur pied, la caravane allait pouvoir reprendre sa route.

Alrick, légèrement en retrait, écoutait le Conseil qu’avait réuni Zarhan avant leur départ. Il brandissait la djambia de Bwerani.

—Cette arme devrait me permettre de jeter le discrédit sur Idriss.

—Comment pouvez-vous la relier à lui ? demanda Alrick toujours aussi curieux d’en apprendre davantage sur les coutumes du royaume.

Les interruptions inopinées d’Alrick étaient tellement fréquentes que Zarhan avait cessé de s’en offusquer. Il répondit patiemment, comme il l’aurait fait avec un de ses enfants.

—La djambia est l’arme que portent les hommes du Clan du Massaké. Celles des gardes personnels du souverain ont un manche en or. Il existe deux types de fourreaux comme celui-là. Le premier est très recourbé, cela indique qu'il s'agit d'un homme de Tribu, d'un guerrier et, dans ce cas, la dague est portée devant. Lorsque le fourreau n'est que légèrement incurvé, l'homme qui l'arbore appartient au rang des Famas, dans ce cas, il est porté sur le côté, djanb, d'où son nom de djambia. La djambia est offerte par le Chef de Clan dès qu’un garçon est en âge de se battre. Elles ont toutes un motif différent. Lors de la cérémonie, il jure fidélité à son Chef et à son Clan. Elle peut lui être retirée s’il se parjure. Dans ce cas, il perd son honneur et doit quitter sa Tribu pour toujours. Il est coutume de dégainer spontanément et remettre son arme lorsque l’on veut prouver sa bonne foi.

—C’est une preuve suffisante pour attaquer Idriss la prochaine fois que nous le rencontrerons, déclara un des hommes.

Plusieurs autour de lui murmurèrent leurs assentiments, chuchotements qui se transformèrent vite en brouhaha.

Zarhan leva la main pour leur intimer le silence.

—Il est hors de question que je m’abaisse à attaquer cette vermine. En arrivant à la capitale, je montrerai la djambia de Bwerani au Massaké. J’espère qu’il la reconnaitra et qu’il saura d’où elle provient. Il fera ce qu’il jugera nécessaire. Je ne veux pas dénoncer ouvertement Idriss car je risque de mettre en porte-à-faux notre Chef Suprême, s’il ne veut pas punir ce chacal bien sûr. Je sais qu’il est son neveu préféré, reconnaître les crimes d’Idriss devant les autres entacherait la réputation de son Clan.

—Tout est donc une question d’honneur ? demanda son fils aîné avec colère.

—Oui mon fils. Quand l’honneur apparait comme le dernier rempart avant la barbarie, il devient vitale de s’y accrocher jusqu’à son dernier souffle, répondit-il en regardant Alrick.

Après quelques instants de silence pendant lesquels chacun réfléchissait à la parole du Chef, Zarhan se leva et déclara pour clore le débat :

—Nous partons demain matin. Espérons que notre Chef ait la sagesse que devrait lui conférer son titre. Dans le cas contraire, estimons-nous heureux d’être encore là pour en débattre.

Alors qu’Alrick s’apprêtait à aider les hommes à préparer le départ, Zarhan lui demanda de rester.

Au fur et à mesure que les jours passaient et qu’il apprenait à connaître l’étranger, Zarhan s’était mis à douter du bien-fondé de leur voyage vers la capitale. Alrick ne semblait en rien l’Elu de la prophétie, tel que celui-ci avait été décrit par les précédents Massakés. Modeste, courageux, fiable et désireux d’apprendre de tous, Alrick n’apparaissait pas vouloir mettre le royaume en danger.

Le Fama pouvait concevoir que l’on ait envie de suivre un tel homme mais, il n’émanait de lui aucune de cette énergie qu’il avait sentie tant de fois chez son beau-père et qui l’effrayait tant. Contrairement à son fils, lui qui ne possédait aucun mana, ne ressentait aucun attrait pour lui. Pour Zarhan, cette sorte de pouvoir était maléfique car elle séduisait celui qui se trouvait sous sa coupe. Après être complètement guéri de ses blessures, il lui était apparu comme presque certain qu’il devait la vie à Alrick. Même si sa femme soutenait que ce dernier s’était contenté de le porter jusqu’à sa tente, il se rappelait l’avoir senti poser les mains sur sa poitrine et d’en avoir éprouvé un réconfort, une douce chaleur qui s’était répandue dans tout son corps.

—J’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours à ce qui est juste ou non. Adila essaie par tous les moyens de me convaincre de vous rendre la liberté mais c’est…

—Une question d’honneur.

—Exactement, répondit-il tristement

—J’ai fini par le comprendre, admit Alrick.

—   Sur cette terre inhospitalière, si chacun applique les lois à sa façon, si le plus fort écrase le plus faible, nous mourrons tous en très peu de temps. Notre cohésion est notre force. Nous avons besoin les uns des autres. Lorsqu’Idriss et ses hommes saccagent une oasis, il s’empare peut-être du territoire mais sans eau, sans l’ombre des palmiers pour se reposer, que vaut ce territoire ? Une fois que toutes les oasis de la région auront disparu qui pourra encore le parcourir sans risquer de mourir de soif ?

Alrick écoutait en silence le plaidoyer de Zarhan. Visiblement l’homme était tourmenté et cherchait à se justifier. Il pouvait comprendre la difficulté dans laquelle se trouvait le Fama. C’était un peu comme choisir entre son cœur et sa raison.

Même si Zarhan était confiant que le Massaké partagerait son point de vue et se montrerait clément envers Alrick, le doute persistait qu’il mettait l’étranger en danger en l’emmenant à Al-Hasa. Il voulait se convaincre que si Alrick promettait de quitter le royaume, tout irait bien. Après tout, il n’avait pas souhaité venir dans le Grand Royaume des Sables. Zarhan ne voulait pas qu’Alrick croit qu’il manquait de loyauté envers lui et qu’il ne lui était pas reconnaissant de l’avoir ainsi défendu risquant sa propre vie. Il décida que la meilleure façon de lui prouver sa gratitude était de partager ses pensées avec lui.

—Depuis que vous êtes parmi nous, je vous ai bien observé. Je ne pense pas que vous soyez dangereux. Je suis même persuadé de réussir à convaincre le Massaké de vous rendre votre liberté et de vous laisser repartir vers votre monde.

—Je ne me sens pas prisonnier. Je pense que l’unique chance de retrouver mon ami est de vous suivre. Puisque notre tête est mise à prix, si quelqu’un l’a recueilli, il agira probablement comme vous, n’est-ce pas ?

Zarhan rougit violemment et baissa les yeux.

Alrick se rendit immédiatement compte qu’il avait commis une erreur en sous-entendant que Zarhan le faisait pour le profit.

—   Je sais que votre intention est toute autre Zarhan. Je vous prie de me pardonner si je vous ai offensé.

—   Ne vous excusez pas. D’autres pensent la même chose. Ma fille est bien trop jeune pour comprendre la responsabilité qui pèse sur mes épaules. Il est vrai que si votre ami est retrouvé, d’autres auront moins de scrupules que moi. Sans doute l’emmèneront-ils à Al-Hasa, mais pensez-vous vraiment qu’il a encore une chance d’être en vie ?

—Je ne peux me résoudre à croire le contraire, il représente plus qu’un frère pour moi.

—Espérons alors que les vents vous entendent et qu’ils le poussent dans notre direction.

 

Une fois en route pour la capitale, Alrick et le marabout s’isolèrent du reste du groupe pour discuter librement.

— Les Anciens disent que c’est pour nous punir que nous sommes arrivés ici. Quand nous serons humbles et en paix avec nous-mêmes, le Tout Puissant viendra nous délivrer.

Alrick éclata d’un rire franc.

— Et vous croyez que je suis celui-là ?

— Vous portiez le médaillon, n’est-ce pas ? Et vous possédez l’Oriel ? Je l’ai vu dans la tente de Zarhan. Pour lui, c’était un objet quelconque et il vous l’a rendu sans savoir à quoi il sert. Mais moi, j’ai reconnu les runes.

— Je ne suis pas tout puissant. Je ne suis qu’un soigneur d’animaux, comme vous-même êtes un guérisseur. Cependant, je ne comprends pas comment le Massaké a pu convaincre son peuple de refuser toute utilisation de leur mana.

— Lors de notre arrivée sur ce monde, il nous est devenu interdit d’utiliser la magie, la sorcellerie et autres pratiques séculaires afin de devenir plus sages. Tous avaient encore présent à l’esprit que c’est cette même magie qui nous a conduit là où nous sommes. Toutefois, il ne suffisait pas d’interdire de pratiquer la magie pour que les gens arrêtent d’y croire. Ce n’est que peu à peu, à coup de représailles et de meurtres, que les cultes et les pratiques d’autrefois ont disparus. Aujourd’hui, nous sommes une poignée à en avoir encore la connaissance. Ceux qui possèdent le don l’ignorent et ne savent pas l’utiliser.

—Pourtant le mana se manifeste forcément d’une façon ou d’une autre.

—Bien sûr, comme chez mon petit fils par exemple. Toutefois vous avez vu sa réaction lorsqu’il a senti l’énergie quitter ses mains pour réparer vos brulures ? Au lieu de se réjouir et de cultiver son don, il évitera dorénavant de toucher quelqu’un de peur de déplaire à son père. De plus, le dernier dragon de ce royaume, Dallol, se meurt nous laissant peu de chance de quitter ce monde un jour. Peu à peu tout le mana disparaît, les esprits ne parlent plus, les sources se tarissent. Toutes chances de retourner dans l’Ancien Monde s’amoindrissent de jour en jour. Le Massaké ne veut pas renoncer à son trône et souhaite anéantir tout ce qui se mettra sur son passage, il n’était pas loin d’y parvenir.

—Je serais en quelque sorte votre dernier espoir ?

—Quand j’ai vu ma pierre s’allumer, je ne pouvais croire ce que mes yeux voyaient.

— Pour que vous possédiez un tel mana, venez-vous de l’Ancien Monde ?

— Oui. Je serais exécuté sur le champ si on venait à l’apprendre. Les précédents Massakés se sont confortablement installés dans leur position sur ce Monde et n’ont jamais eu la moindre envie d’y renoncer. Il semblerait toutefois que le jeune Prince soit d’un autre avis.

— Le Prince ?

— Oui. C’est son fils unique. Il y a peut-être une ouverture de son côté. Je sais que vous pensez que Zarhan accomplit son devoir, réagit en chef de Tribu responsable et que pour cela, il doit vous emmener à Al-Hasa. Cependant, là-bas, vous serez très certainement exécuté. Je ne vous propose pas de vous aider à vous enfuir avant que nous ne rejoignions la capitale car je sais que vous refuseriez de nouveau, toutefois je vous fais le serment de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour vous sauver une fois que nous y serons arrivés.

— Si vous voulez vraiment me porter secours, aidez-moi à retrouver mon acolyte. Je sens encore sa présence. Il n’est pas mort, j’en suis persuadé.

Le vieil homme hocha la tête. Il savait par expérience qu’il y avait bien peu de chance qu’un homme résiste à une tempête de sable, surtout sans y être habitué. Secrètement, il avait demandé aux autres marabouts s’ils avaient eu connaissance d’un étranger retrouvé près d’Al-Dhila mais personne n’en avait entendu parler. Le Tout Puissant paraissait si certain qu’il n’eut pas le cœur de le détromper davantage. Il se devait toutefois de le mettre en garde avant qu’il ne soit trop tard.

— En attendant, je vous en conjure, cachez vos pouvoirs et ne les exercez jamais en présence d’un membre de la caravane. Au fil du temps, l’interdiction est devenue si forte qu’ils en ont peur. Méfiez-vous de Mahdi, il cache très bien son jeu. Il joue les grands bêtas mais en fait, c’est un Sage de l’Ancien Monde. Il a été recueilli par notre Tribu, prétendument perdu dans le désert. Depuis, l’on s’ignore l’un l’autre feignant de ne pas savoir qui nous sommes en espérant que notre secret mutuel soit la garantie du silence de l’autre.

— Pourquoi vouloir à tout prix retrouver l’Ancien Monde qui de toute façon ne sera plus jamais comme avant ? Uniquement pour retrouver votre mana ?

— Imaginez un monde d’échanges, d’idées, de coopérations et de bien-être. Un monde où vous pouvez exprimer tout ce que vous pensez sans avoir peur de vous faire couper la langue. Ne souhaiteriez-vous pas, vous aussi, y retourner ? Ici, c’est étriqué, il est interdit de savoir lire ou écrire. Le Massaké nous tient sous sa coupe.

—Vous seriez prêt à renoncer à toute forme de magie pour recouvrer cette liberté ?

Le marabout se tourna vers Alrick et chercha à lire ses pensées.

—Voilà une terrible question que vous me posez là. Vous pensez que notre retour sur l’Ancien Monde nécessitera ce sacrifice ?

—Je l’ignore, mais je suis sûr d’une chose, tout a un prix. Quelquefois, ce prix est bien plus élevé que ce que l’on obtient, mais il est alors trop tard pour revenir en arrière.

Sur cette perspective des plus sombres, le marabout se renfrogna et continua la route, pensif. Alrick lui donnait à réfléchir et trouver la réponse à sa question n’allait pas de soi.

 

La caravane progressait lentement sous la chaleur aride de l’après-midi. La prochaine oasis était encore à quelques heures de marche. Le marabout talonna sa jument pour rejoindre son Fama en tête de convoi.

— Zarhan, je ne crois pas que Nabila puisse continuer sa route, déclara le guérisseur.

Zarhan arrêta sa monture pour écouter son beau-père qui avait l’air préoccupé.

—Elle a de plus en plus de douleurs et j’ai peur qu’elle ne tombe de cheval avant que nous n’arrivions, continua-t-il.

— Je ne peux pas arrêter la caravane si loin du point d’eau. Les bêtes ont soif et, si nous nous arrêtons maintenant, vous savez qu’elles ne voudront pas repartir demain.

— Tu as raison Fama. Pourquoi ne nous laisses-tu pas des chevaux avec trois ou quatre gardes et ta fille pour nous aider ? À peine Nabila aura accouché, nous vous rejoindrons.

Zarhan était tiraillé entre son amour pour sa femme et la certitude qu’il ne devait pas abandonner la caravane. En tant que Fama, il ne pouvait pas faire passer le bien-être d’une personne en mettant en péril le reste du groupe. D’autant qu’avec cette chaleur, c’était un miracle qu’ils ne perdent pas une bête ou deux.

— D’accord. Vous croyez que la naissance est proche ?

— Je pense que dès qu’elle sera installée de façon confortable, le bébé viendra.

— Bien, dans ce cas nous continuons et nous vous attendrons. Nous allumerons un grand feu pour vous guider, dans ces plaines, vous devriez le voir de loin.

Le marabout emmena avec lui quatre gardes et demanda à Adila de le suivre pour le seconder. Ils prirent quelques gourdes et du linge propre pour la parturiente et son bébé.

Pendant ce temps, le reste du groupe s’éloignait peu à peu. Bravement, Zarhan rejoignit la tête du convoi luttant contre le désir de rester avec sa femme et la peur de ne plus la revoir vivante.



Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Emma B ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0