La pierre de sables - Le voyage

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Avant que le marabout ne le rejoignît, Zarhan questionna une fois de plus Mahdi. Le Chef était particulièrement contrarié d’apprendre par la bouche d’Alrick qu’il n’était pas arrivé seul dans le royaume. Différentes questions le harcelaient. Qu’était-il advenu de l’autre ? Devait-il le chercher ? Avait-il était capturé par une autre Tribu ou au contraire était-il enfoui sous le sable ? S’il mentionnait sa présence au Massaké, lui reprocherait-il de ne pas avoir lancé des hommes à sa recherche ? Devait-il se fier à ce que lui avait dit Mahdi à son arrivée ?

— Mahdi, raconte-moi encore comment tu as trouvé cet étranger. Il prétend qu’il était accompagné.

Mahdi ne voulait en aucun cas expliquer qu’il s’était rendu à Al-Dhila pour rencontrer le dragon. Il était formellement interdit à quiconque de se rendre à l’ancienne capitale sous peine de mort. Il ne pouvait donc pas prendre le risque de dire où il avait repéré le rescapé, ni même avec qui il l’avait surpris.

— Je ne sais rien au sujet d’un autre étranger, mentit-il avec aplomb. C’est un miracle si j’ai retrouvé celui-là. Sans mon faucon pour survoler la zone, je n’aurais sûrement pas remarqué sa trace dans le sable. Fama, je n’ai jamais vu un tel haboub. J’avais senti les vents puissants porteurs d’air chaud et humide qui annonçaient la tempête, mais je ne la pensais pas d’une telle force. Tout à coup, le ciel s’est obscurci et j’ai juste eu le temps de m’abriter. Après trois heures environ, les pluies diluviennes ont compliqué ma tâche.

—   Comment pouvais-tu être certain qu’il était seul ? Tu as vérifié ?

—   J’avoue que je n’ai pas cherché très longtemps s’il y avait un autre rescapé. En considérant l’état dans lequel il se trouvait, je ne pouvais pas me permettre de perdre du temps en vaines recherches. Seul, je n’aurais de toute façon pas pu ramener deux hommes. Et puis…

—   Quoi ?

—   Quand j’ai vu la couleur de sa peau, je me suis effrayé. Je suis parti sans trop réfléchir. Tout ce que j’ai retrouvé de plus, c’est son sac abandonné un peu plus loin que son corps.

Il indiqua du menton le sac et les objets éparpillés sur le tapis de la tente : un petit martelet, un sifflet, une boussole cassée et quelques vivres.

—Peut-être que ce sac appartenait à quelqu’un d’autre après tout ?

—Peut-être, en effet Fama. Je ne saurais affirmer le contraire.

Lorsque Mahdi était arrivé, trois jours auparavant, en compagnie d’Alrick plongé dans un profond coma, Zarhan avait fouillé le sac à la recherche d’indices sur l’identité de l’inconnu. Il avait examiné minutieusement son contenu, en vain. Il avait aussi pris le médaillon, remarqué quand il lui avait ôté ses vêtements en lambeaux.

— Tu n’ignore pas que si un membre de ma Tribu se comporte mal, le déshonneur retombera sur moi ? J’accepte que tu partes plusieurs jours de suite sans que tu m’informes de ta destination, mais je ne puis tolérer que tu me caches des informations capitales.

— Fama, je ne vous cache rien, affirma-t-il en regardant son Chef droit dans les yeux. Près du corps de l’étranger, rien n’indiquait la présence d’un autre.

Le marabout annonça sa présence en toussotant. Zarhan regretta qu’il ait pu entendre leur conversation mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même si sa colère lui avait fait hausser le ton.

—Mahdi, retourne sur place et cherche encore. Essaye d’interroger les membres des autres Tribus. Peut-être quelqu’un l’a vu et sauvé. Envoie-moi ton faucon dès que tu auras du nouveau.

—Oui, Fama. Je pars dès que ma monture est prête.

Zarhan se tourna alors vers le marabout.

—   Que pensez-vous de cet inconnu ?

—   Que dois-je en penser Fama ?

—   Ne jouez pas à ce jeu avec moi. Vous, mieux que quiconque, savez de quoi je parle.

—   Il m’a l’air d’être un innocent jeune homme.

—   Innocent ? La couleur de sa peau dément votre propos. Vous croyez peut-être que je suis dupe ? Que j’ignore ce que vous manigancez dans mon dos contre ma volonté ?

—   Fama, je vous respecte en tant que Chef et époux de ma plus jeune fille. Je me suis éloigné de la Tribu car j’ai senti que ma présence n’était plus souhaitable. Vous ne pouvez tout de même pas m’obliger à renoncer à mes croyances ?

—   Alors c’est vrai, déclara Zarhan horrifié. Vous pensez que c’est lui, n’est-ce pas ?

—   Rien ne prouve le contraire, admit à contrecœur le marabout.

—   Vous allez vous opposer à ce que je l’emmène à la capitale ?

—   Non.

—   C’est une promesse ?

—   Je m’y engage, en effet. Maintenant, j’ai des patients qui réclament mes soins, si vous êtes d’accord pour que je continue mon travail afin de mériter ce soir le pain que vous m’offrez.

Agacé par le manque de coopération évident du vieil homme, Zarhan le chassa d’un geste de la main.

Mahdi avait donc raison, pensa-t-il. La présence de cet homme à la peau clair était plus qu’inquiétante. Il devait certainement se rendre au plus vite à Al-Hasa, la capitale, pour en référer au Massaké, mais il voulait s’assurer, avant d’entreprendre un tel voyage, de l’identité de l’inconnu.

Au fond de lui, il connaissait la réponse mais redoutait d’être le Fama qui aurait sauvé celui qui pouvait porter le royaume à sa perte. D’un autre côté, il ne concevait pas l’assassinat comme une alternative raisonnable. Il devait prendre rapidement sa décision car, si le Massaké venait à savoir qu’il retenait un invité d’une telle importance sans l’en avertir aussitôt, il risquait de sérieuses représailles. Faire voyager Nabila dans sa condition pouvait être dangereux, mais il ne pouvait se résigner à la laisser seule. Il décida de remettre la décision au lendemain, la nuit lui porterait conseil…

Juste avant l’aube, une fois assuré que tout le monde dormait encore autour de lui, Zarhan sortit l’Almicantarat de la malle. Il était précieusement emballé dans un morceau de soie rouge. Il appartenait à sa famille depuis toujours. Pourtant, il était toujours aussi fasciné de voir et de posséder un tel objet. D’environ trente centimètres de diamètre, il était composé d'un disque de cuivre gradué avec un bras tournant attaché à son centre : l'alidade en corne recouvert d’or.

Le Fama choisit la route la plus longue, mais la plus sûre. Quelques jours auparavant, son frère lui avait rapporté qu’une bande de pillards sévissait dans la région d’Amon. Devoir ainsi décider de son chemin en fonction de malfrats le répugnait, mais il ne voulait prendre aucun risque inutile. Une fois sur place, il pourrait toujours demander au Massaké d’envoyer une troupe pour l’aider à rétablir la tranquillité dans cette région. De toute façon, si ses soupçons sur le Chef de cette bande s’avéraient, même tous ses hommes réunis ne viendraient pas au bout des pillards. Le Massaké se devait de défendre au mieux les Chefs de Tribus même si certains semblaient obtenir plus de faveurs que d’autres.

Au loin, le hurlement d’un chacal le ramena à sa tâche. L’Almicantarat lui permettait de représenter le mouvement des étoiles sur la voûte céleste. Zarhan aligna la marque 0° sur le cercle avec l'horizon. Il pivota l'alidade sur son axe et le pointa vers une étoile afin de lire l'angle représentant la hauteur d'une étoile majeure connue par rapport à l'horizon, sur les repères du disque. Il tenait l'astrolabe verticalement par un anneau ; les astres étaient visés en tournant le viseur jusqu'à ce que l'un d'eux soit vu par les deux bouts. Une fois certain de la direction, il rangea le précieux objet.

Un peu plus tard ce matin là, Zarhan annonça aux membres de la caravane sa décision de se rendre à Al-Hasa le lendemain, en longeant la route de l’or qu’ils rejoindraient par la Route Royale qui partait de Bel-Hafar. Ils partiraient en fin d’après-midi quand le plus fort de la canicule serait passé afin de ne pas trop fatiguer les bêtes qui devaient parcourir un long trajet.

Le sourcier partit le matin en éclaireur pour trouver le point d’eau à mi-course et allumer un feu qui guiderait le reste de la Tribu jusqu’à lui. Depuis qu’il était petit, il avait appris à humer l’eau et était capable de trouver de l’eau presque partout dans le royaume. Son don, qu’il devait à ses ancêtres, n’était pas bien perçu car il relevait de l’ancienne magie. Après avoir exterminé bon nombre de sa lignée, le Massaké avait cependant dû se rendre à l’évidence : la survie de la population du royaume dépendait de personnes capables de trouver la seule vraie richesse dont il ne disposait pas à profusion : l’eau.

Se rendant compte un peu tard de son erreur, le Chef Suprême lui avait alors promis de l’or s’il venait travailler pour lui, mais il avait refusé, prétendant être loyal envers Zarhan. En réalité, la haine qu’il éprouvait à l’égard du Massaké n’avait aucun égal.

En fin d’après-midi, il rejoignit enfin une source qu’il connaissait bien et qui aurait dû être une petite oasis abritant un hameau prospère. À part quelques palmier-dattiers rabougris, toutes traces de l’ancienne oasis avaient disparu.

Le sourcier secoua la tête par dépit. Il était consterné de voir qu’à chacun de ses passages sur la route qui menait à la capitale, les petits villages qui étaient censés la jalonner disparaissaient, laissant la zone de plus en plus inhospitalière.

L’oasis de Yokudé était encore florissante durant sa dernière visite. Quelques personnes entretenaient l’irrigation qui permettait la culture de légumes et de fruits et offrait une station d’arrêt aux Tribus de passage. Les villageois étaient toujours contents d’accueillir des voyageurs pour échanger des biens et des nouvelles. Seule une terrible attaque, décimant la population, pouvait avoir réduit le village à l’abandon.

Après avoir allumé un grand feu visible à plusieurs kilomètres, il chercha où creuser pour trouver le point d’eau.

Le reste de la Tribu arriva quelques heures plus tard. Telle une ruche en plein été, la caravane s’anima pour préparer le campement. Chacun connaissait sa tâche et participait afin que tout soit prêt rapidement. Alors que les hommes ramassaient du bois pour le feu et abreuvaient les bêtes, les femmes montaient les tentes et préparaient le repas.

 

Une fois assuré que tout son petit monde était installé, Zarhan se rendit à la tente du sourcier. Comme avec toutes les personnes démontrant un certain don, Zarhan l’évitait la majeure partie du temps mais, ce soir, il ne pouvait refuser de lui parler de ce qui le préoccupait.

—   Fama ? Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta le sourcier qui n’avait jamais eu l’honneur de recevoir la visite de son Chef auparavant.

—   Ne m’avais-tu pas dit être venu ici il y a peu et y avoir trouvé de la nourriture en abondance ?

—   Si, Fama. Apparemment, plus personne ne vit ici et le désert n’attend la permission de personne pour reprendre son territoire.

—   Pour quelle raison les habitants auraient-ils quitté une telle oasis ?

—   Je ne sais pas Fama. La peur peut-être ?

—   Cette région est tranquille. Si près de la Route Royale ce serait une folie de s’attaquer à un territoire aussi sacré qu’une oasis. Le Massaké enverrait aussitôt ses guerriers.

En entendant ce nom, le sourcier rougit de colère. Zarhan connaissait les raisons de ses sentiments envers le Chef Suprême et, même s’il ne partageait pas son point de vue avec lui, il le comprenait.

—   Le village n’a pas seulement était abandonné Fama. Le puits a été détruit et rebouché. Une personne ayant travaillé cette terre n’aurait jamais eu le courage de faire cela.

—   Sais-tu me dire depuis combien de temps cette terre a été abandonnée ?

—   Deux, trois semaines tout au plus.

—   Bon, s’il s’agit de pillards, ils ne sont probablement plus dans les parages. Aurons-nous des problèmes d’approvisionnement d’eau ?

—   Malgré le fait que le puits ait été rebouché, j’ai réussi à creuser en amont. L’arrivée d’eau est faible mais suffisante pour tous, rétorqua le sourcier vexé que Zarhan doute de ses facultés.

—   Bien sûr, je voulais juste m’en assurer. En ce qui concerne le reste de notre périple ?

—   Demain soir, nous aurons rejoint la Route Royale, je pense. Tout le long, nous trouverons certainement des oasis pour nous accueillir.

—   Oui, j’ai d’ailleurs hâte de me rendre à Bel-Hafar pour y retrouver un de mes amis. Merci pour ton aide si précieuse. J’imagine que demain tu partiras à l’aube, je te souhaite donc déjà un bon voyage.

Zarhan s’était éloigné avant que le sourcier n’ait pu le saluer. Il le regarda rejoindre sa tente, encore surpris par les remerciements inattendus de son chef.



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