Chapitre 40 – Le pire des voyages

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« Isa'th … Ne … » Marmonnait-elle faiblement. Il cherchait à découvrir encore plus de chaleur à travers ce corps. Elle se sentait partir pendant que les crocs d'Isa'th mordaient son cou sous l'excitation du pouls, il n'entendait plus que sa respiration qui devenait de plus en plus rauque et Alors qu'il parcourait son corps, la chaleur qui l'abritait semblait s'en échapper pour se répandre dans la pièce. Une odeur de fer remplaçait peu à peu celle de la transpiration et le lit semblait plus froid. Les seules sources de chaleur étaient le liquide qui coulait sur les draps et le corps d'Isa'th. Le contraste se faisait entre l'écarlate du lit et des écailles sales qui le recouvraient entièrement, des ailes disproportionnées entourèrent le sommier, une queue serrait le corps de la jeune femme contre lui, et les dents de cet exosquelette festoyait sur le cadavre encore tiède.

Isa'th se réveilla en sueur, les yeux écarquillés, la respiration brusque et maladroite, il tremblait et alors qu'il retrouvait les fragments de ses rêves, il inspecta le lit. Elle était encore là. Dormant à poings fermés sur le côté. La bouche entrouverte. Les cheveux démêlés et libres de parcourir le matelas. Il était rassuré. Il prit une grande inspiration de soulagement alors qu'il approchait sa main vers son visage. Sa main droite.

Il ne remarqua que sur le coup mais il y avait une perle de sang sur une de ses griffes. Le rêve, les souvenirs, ils revinrent tout d'un coup. Il s'éloigna, effrayé. Tomba du lit et regarda avec horreur l'étendue des dégâts. Il attrapa ses vêtements, alors qu'il mettait son manteau en précipitation après avoir recouvert de bandage son bras droit maladroitement, il renversa la chaise voisine au lit à cause de la précipitation. « Isa'th...? » Marmonna Kali en de tournant vers lui. Il recula de nouveau d'effroi. Il accourra vers l'escalier mais ne put être rapide à cause de son état. « Isa'th ! Eh ! Lui hurla-t-elle en sortant du lit en attrapant les draps pour se couvrir. Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu n'as rien fait de mal, je vais bien. Je t'assure.

  • Tu n'en sais rien ! La coupa-t-il.
  • De quoi tu parles ? Demanda-t-elle, craintive.
  • Mon père est coincé dans mon bras à cause de moi. Quand je me suis approché d'un village pour aiguiser un couteau, ils moururent. Quand j'ai volé de la nourriture à des inconnus, ils moururent. Quand j'ai voulu secourir ces inconnus d'un groupe de gens désespérés, ils moururent.
  • Isa'th …
  • Peu importe la distance que je mets entre moi et les autres, je finis par causer des morts !À quel point est-ce que je suis proche des Chats Noirs maintenant ?! De toi … ?
  • Tu as réussi à t'approcher autant de plusieurs personnes après tout ce qui s'est passé. Tu te rappelles quand on s'est rencontré, je pouvais a peine te parler. Mais regarde à quel point tu as progressé. Tu … Tu ne peux pas reculer maintenant tu …
  • C'est parce que je me suis autant approché de toi que je ne pourrais pas supporter de te perdre ! Je ne peux pas … J'ai été imprudent, j'aurais dû … j'aurais dû … Je suis désolé pour … Continua-t-il maladroitement en regardant n'importe où pour ne pas la regarder dans les yeux.
  • Isa'th! »

Il s'enfuit de la pièce, Kali ne parvint pas à sortir du lit pour le rattraper. Il percuta Oneeki et le fit tomber de l'échelle. Il commença à prononcer son nom avec inquiétude mais ses cheveux blancs s'étaient déjà enfoncés dans les petites rues de la ville. Il remonta alors jusqu'à la chambre de Kali où il la trouva au sol, les larmes aux yeux en essayant de se préparer. « Je vais le chercher, reste ici et repose toi. » Annonça Oneeki, sans sourire au visage cette fois. Isa'th perdit l'équilibre plusieurs fois en essayant de se propulser. Le vent était violent autour de lui, il était contre lui pour une fois. Il le poussait en arrière en même temps que les chariots des vendeurs qui s'étaient levé tôt. Le porteur était nullement en contrôle de la situation, il frôlait le sol plusieurs fois d'affilée tant les bourrasques étaient violentes, même pour lui qui s'entraîna de nombreuses années à les voir venir. Il ne remarqua pas Oneeki qui essaya de s'approcher de lui dans la tempête suivi de Kali qui traînait encore plus loin. Isa'th profita de l'absence de civils pour se frayer un chemin dans une ruelle adjacente. Malheureusement, à cause de la panique, il ne cherchait même pas une direction à son errance. Il déferlait dans le cul-de-sac dans lequel il s'était enfermé et entendit finalement le vent percer ses tympans entre les murs. Il se recroquevilla en douleur au sol en essayant de se boucher les oreilles. Il pouvait sentir ses écailles trembler et chercher à s'extirper de son corps. Les bandages s'assombrirent sous le mouvement des anneaux, le sang aussi semblait vouloir lui échapper. Le porteur se tordait de douleur en ressentant son pouvoir se retourner contre lui. Le vent froid se glissait et se répandait sous ses vêtements, il le mordait comme une centaine d'aiguilles. Ses convulsions le lançaient contre les murs en frappant violemment sa tête mais le vent empêchait d'avoir un impact trop puissant. Il ne pouvait même pas s'entendre hurler.

Encore une fois, Kali le trouva seul, étendu au sol en larmes et en sang. Il serrait les dents le plus fort possible pour ne pas perdre la tête, ses griffes entraient presque dans son crâne, ses jambes détériorées par les flammes commençaient à s'esquinter à cause de toutes ses chutes. Mais le vent empêchait la jeune femme et Oneeki de le rejoindre. Ils tentèrent de crier son nom mais les voix se perdirent dans les hurlements de l'air. En ayant de se frayer un chemin à travers les tourbillons autour du porteur, ils ne purent que se faire projeter encore plus en arrière pour se retrouver de nouveau chez Kali en étant balancés sur toute la rue principale. Le renard parvint enfin à les rejoindre pour observer la scène par lui-même. Lui non plus n'imaginait pas l'étendue des dégâts à partir de la dernière conversation qu'ils ont eu. Un plus petit gabarit mais le vent le repoussa lui aussi sans vraie résistance. Ils pouvaient presque entendre une certaine voix dans les airs : « Je suis désolé … je suis désolé … je suis désolé … je suis désolé … je suis désolé … » S'appuyer contre la barrière revenait à glisser sur une paroi extrêmement lisse qui écorchait les membres à chaque poussée. Lorsque les yeux de l'animal scintillèrent spontanément, la tornade recouvrant la ville s'estompait et le porteur restait étendu sur le sol, recroquevillé sur lui-même à ne pas réussir à resserrer ses griffes sur lui pour se punir d'avoir encore échoué. Plus qu'avant. Sa main était retenue contre sa volonté. Il essayait de s'enfermer pour disparaître.

Kali retenait sa poigne pour l'empêcher de se blesser. Elle espérait le convaincre de la regarder mais il continuait de délirer : « Je suis désolé Kali … Je n'aurais pas dû … Je vous ai mis en danger … Je … Je ne veux pas te blesser … Lui expliqua-t-il.

  • Je sais Isa'th, je sais.
  • Je souhaite … Je souhaiterais ne pas t'avoir mise en danger, je t'aime, je ne veux pas te perdre mais je ne peux pas … Ma parole ne vaut rien … Je ne peux pas te protéger parce que je suis faible et que je suis responsable de … de tout ça …
  • Regarde moi. Regarde moi ! Ordonna-t-elle. Je te protégerai. On emmerde ces oracles, on emmerde la Toile ! Tu comptes pour moi et je ne peux pas te laisser seul une seconde de plus ! Je veux être là pour toi peu importe la situation ! On peut s'aider l'un et l'autre, on l'a déjà fait … Je … Je ne veux pas t'oublier … Laisse moi t'aider … » Conjura-t-elle au porteur.

Oneeki et Kali portèrent Isa'th sur leur épaule, il traînait ses jambes en ravalant ses larmes en sentant les regards de pitié autour de lui. Observant la piteuse scène, le renard restait en arrière pour finalement se rapprocher et essayer de cacher les pieds ensanglantés du jeune homme. La joie de savoir son protégé entre de bonnes mains pâlissait devant l'inquiétude et la vulnérabilité d'Oneeki quant à son inutilité dans cette situation. Il jetait des regards au renard, seul maître de la situation désastreuse qui y répondait par des yeux imbus de flammes et de véhémence. Le lexidae le quitta rapidement des yeux de crainte de brûler subitement, il pouvait déjà sentir sa gorge se refermer sur elle-même à cause de la chaleur. Mais le regard de l'animal pesait encore sur lui, une pression écrasante qui, finalement, s'estompa en un battement de cil. L'animosité disparut et l'ami du vagabond revint à sa candeur particulière en cherchant à soulager son compagnon. Oneeki garda les yeux droit devant eux par crainte de subir cette menace encore une fois. Sa sueur était sur le point de s'évaporer.

Son cœur ne voulait pas se calmer. Il ne pouvait pas se calmer. Kali pouvait sentir la transpiration abondante d'Isa'th provoquée par son cœur affolé. Un vent chaud continuait de frotter leur visage et elle peinait à retenir son bras droit de trembler. Par chance, pour eux, les vagues de vent violent suivies de celles de chaleur repoussaient les éventuels témoins chez eux. Et même s'ils osaient sortir, tout ce qu'ils verraient serait un lexidae incapable de tenir une conversation et quelques camarades à lui. Le faire remonter par la trappe était ambitieux, il n'arrivait plus à serrer les doigts autour du bois et pousser de toutes ses forces pour se hisser vers le haut. Kali dû le prendre dans ses bras pour le raccompagner dans sa chambre contre son gré. Il hésitait à retourner là où le cauchemar eut lieu. Y dévorer la jeune femme, vision réelle ou non, était effrayant. Elle y était encore plus inconfortable de ne pas comprendre ce qu'il y avait vu. Paralysé devant la tâche de sang sur les draps, Isa'th sentait ses jambes l'abandonner encore une fois. Kali le soutint encore une fois en tentant le mal de se répéter : « Qu'est-ce qui s'est passé ce matin … ? Risqua-t-elle.

  • Je croyais t'avoir blessé … Je croyais t'avoir tué toi aussi et que j'étais enfin devenu un monstre …
  • Mais tu ne l'as pas fait, je suis encore en vie Isa'th. Expliqua-t-elle en enlevant la plupart de ses vêtements. Regarde, aucune de mes blessures ne viendra de toi. » Prophétisa-t-elle en approchant sa dague d'une coupure faite par une griffe.

La dague traversa une cicatrice pour faire couler le sang une nouvelle fois, Kali grimaça en se mutilant volontairement. Isa'th sauta finalement sur la dague pour empêcher sa progression, son air perdu reprit son attitude inquiète et attentionnée envers elle. Il leva alors les yeux vers elle pour remarquer son regard humide et tendre. « Tu vois ? TU ne me blesseras jamais. Et je te protégerai. » Confirma Kali en prenant le visage d'Isa'th entre ses mains, chaudes et relaxantes. Elle jeta ensuite la dague sur le sol pour le serrer contre elle et tomber sur le lit. « Préviens moi si tu refais des cauchemars, je les chasserai aussi. D'accord ?

  • D'accord … Je suis … Murmura-t-il en essayant de retenir ses pleurs.
  • Ne t'excuses pas. Repose toi pour le moment. Repose toi … » Finit-elle en lui massant le crâne pour l'aider à s'endormir.

Entre deux convulsions, Isa'th prenait de grandes inspirations tremblantes en gardant son bras droit le plus loin possible d'elle. En pensant qu'elle s'était déjà endormie en dessous de lui, il voulut vérifier s'il pouvait la tenir aussi contre lui, heureusement pour lui elle la regarda encore avec un autre tendre visage dont les lèvres formaient un « v » avec un grand angle. C'est elle encore qui prit l'initiative pour prendre ses doigts écailleux et les accompagner autour de sa taille pour affirmer son emprise. Le vent chantait calmement dehors et sa représentation était similaire à celle de la Vallée du Vent, aucune herbe pour réfléchir le son mais les dalles de pierre recouvertes de poussières offraient une version originale et osée de la performance de l'air. Même avec la fenêtre fermée, ils pouvaient l'entendre dehors et se réjouissaient de savoir cette projection d'Isa'th se calmer. Plus la main de Kali passait sur les cheveux du jeune homme, moins le vent dehors s'agitait et gardait un tempo correct. Lorsqu'il s'endormit enfin dans ses bras, Isa'th tomba dans les cheveux écarlates pour sécher ses larmes.

Il se leva avant elle. Les membres enfin détendus, baignant dans une atmosphère des plus agréables : chaude avec une odeur de fleur camouflée dans la transpiration. Le renard s'était aussi endormi sur le lit avec les deux autres, cachant son nez dans la couverture, il profita de la chaleur des autres pour se blottir contre eux. Il se leva délicatement en essayant de ne réveiller aucun des deux mais Kali resta encore accrochée à son bras, relaxant sa tête contre sa paume la bouche ouverte. Il la posa contre celle du renard qui remontait lentement le lit pour chercher la chaleur. En descendant les marches froides du bois, il inspecta les murs et les meubles. Au cas où il ne revoit effectivement pas cet endroit, il espérait en garder le plus de souvenirs possible ainsi. La table marquée par les éraflures de couteau lors des réunions où tous les membres n'étaient pas d'accord, le chemin des chaises sur le sol laissées par des masses plus ou moins importantes, les vieux meubles solides dans les coins, la fameuse trappe qui lançait leurs aventures palpitantes qu'Oneeki aimait tant raconter, lui même. Il attendait sur une des chaises, jambes croisées, se tapant le bras du doigt, l'œil inquiet et fatigué. Il remarqua alors Isa'th qui venait d'arriver et se leva alors pour le saluer : « Isa'th ! Alors ?! Comment tu te sens ?! Demanda-t-il en panique mais avec regret en craignant la réaction de son interlocuteur.

  • Moins fort, ils dorment encore là haut. Lui répondit-il en évitant son regard apeuré. Je me sens mieux. Kali m'a beaucoup aidé.
  • Tu veux en parler ? Osa-t-il proposer en se rappelant que c'était son protégé en face de lui et non une catastrophe naturelle.
  • Non merci. Je préférerais en parler avec Kali éventuellement, et quand elle sera réveillée.
  • Très bien. Très bien, très bien, très bien. Et avant … ça, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Il n'y a pas eu de problèmes ?
  • Non, on n'a rencontré personne. Et en rentrant … C'était intime ?
  • Encore ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Demanda-t-il avec intérêt.
  • On s'est lavé et …
  • Isa'th … Tu n'es pas censé en parler à tout le monde, c'est privé. Interrompit Kali, les cheveux dispersés avant qu'elle se les attache en queue habituelle.
  • Désolé, mais j'ai déjà parlé de moments que je trouvais gênant. S'excusa-t-il.
  • Comme quoi ? Demanda-t-elle, intriguée.
  • « Je te ferai transpirer bien plus que la dernière fois » par exemple ? Taquina Oneeki.
  • Eh ! Protesta alors Isa'th.
  • Alors … ? Ça veut dire que vous partez ? »

La question fatidique arriva enfin, tous espérèrent ne jamais l'entendre. Le renard était le seul à pouvoir s'en réjouir, lui qui venait de se réveiller et de descendre les marches. Oneeki balaya son regard d'Isa'th à Kali avec stress. Il s'intéressa surtout au jeune homme, « Est-ce qu'il a réussi ? » se demandait-il sans cesse, qui avait une promesse à tenir. « Je … Je vais quitter Aelton ! » Hurla Kali avec difficulté. Elle parlait de quitter cette même ville où ils s'étaient rencontrés et agît pour ce qu'ils défendaient. « Je suis désolée, c'est égoïste je sais. Mais si j'ai vraiment une chance de survivre, je voudrais quitter Aelton pour de bon au moins pour observer un peu le monde.

  • Tais toi abrutie. Marmonna-t-il. Il était temps que tu te décides à sortir de ça. Ajouta-t-il avec des larmes de joie.
  • Oneeki …
  • Aelton t'a déjà causé assez de soucis comme ça, c'est pas plus mal que le gamin t'emmène faire un tour. Ajouta-t-il les yeux embués de larmes.
  • On se reverra, je te jure.
  • Je n'en doute pas, je pense juste que ça va être très dur. Mais rassure moi, tu ne comptes pas partir comme ça sans me faire un câlin ? Autant demander maintenant avant que tu sois accaparée par la foule. » Demanda-t-il avec un sourire tremblant.

Elle se rua sur lui pour le serrer au cou et laisser tomber ses larmes, il ne se retenait pas non plus d'ailleurs. Chacun abandonna ses inquiétudes pour souhaiter bon courage à l'ancien compagnon. « Viens par là, gamin. » Ordonna-t-il ensuite en regardant Isa'th qui s'approchait lentement, incertain de la méthode à suivre. Mais Oneeki contourna habilement le problème en lui tirant le bras pour le faire s'écrouler sur eux et rejoindre l'accolade. Bien que cette embrassade était très chaleureuse, Isa'th remarqua la tension qui régnait. Heureusement, ils furent interrompus par l'ouverture bruyante de la trappe par Aman : « Bonjour les danseurs ! Bien dormi ?! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Demanda-t-elle, remarquant tardivement les trois autres enlacés.

  • Les autres sont avec toi ? Interrompit Oneeki.
  • Oui, on espérait taper l'incruste mais … Répondit Crésus qui sortait à peine la tête de la trappe en poussant Aman.
  • Bien, rentrez tous. » Ordonna-t-il.

Ils attendirent la nouvelle avec inquiétude. Jetant leurs regards de droite à gauche en espérant tomber sur quelqu'un qui aurait la bonne réponse. Mais ils se doutaient de ce qu'il pouvait arriver pour qu'Oneeki se mette à pleurer après un casse exceptionnel puis une danse nocturne avec ses amis. « Tu pars Kali ? Demanda Relm, choquée.

  • … Oui Relm, je quitte Aelton bientôt.
  • Quand ça ?! Demanda Minos.
  • Je ne suis pas encore sûre, il faut qu'on passe chez Salem avant qu'on puisse aller n'importe où.
  • « On »? Remarqua Mésa.
  • Je suis Isa'th, on doit aller à Laniakeä.
  • Je veux te suivre ! Hurla Relm de désespoir.
  • Non, Relm. On ne sait pas où on va, ça pourrait être dangereux et on n'aura sans doute pas assez de ressources pour finir le trajet. Ici au moins, je te préfère sous la protection des autres. Vous travaillerez efficacement et vous répondrez aux besoins de tout le monde, d'accord ?
  • Non ! Je veux pas que tu partes ! Et puis comment on va faire pour travailler sans toi ?! C'est toi qui diriges … Argumenta-t-elle, larmoyante, et l'assistance se retenait de la suivre dans ses plaintes : se mordant les lèvres, tremblant, détournant le regard, n'importe quoi pour retarder les larmes de couler.
  • Relm … Tu sais que j'ai grandement contribué au dernier casse ? Fit remarquer Oneeki. Et on s'en est bien sorti, à quelques épaules près mais on s'en est bien sorti quand même.
  • Tu te souviens quand on passait près de la caravane de la divinatrice ? J'ai vraiment envie de lui prouver tord, et j'ai peut-être les moyens de le faire alors je ne veux pas laisser passer l'occasion. Tu te rappelles ? Demanda encore Kali.
  • Oui … Je m'en souviens. Répondit-elle alors. Tu vas le faire, hein ? Tu vas lui prouver qu'elle avait tort ?
  • Autant de fois que possible, oui.
  • Mais on se reverra quand même ?
  • Bien sûr.
  • Et toi aussi Isa'th ?
  • Je voudrais aussi te revoir. Répondit-il pour la rassurer. Je voudrais tous vous revoir quand j'aurais fini. Et je pourrais peut-être vous faire voir la Vallée du Vent. Proposa-t-il avec un demi-sourire en se rappelant de tous les événements qu'il y avait rencontrés.
  • Ouais, ça a l'air sympa pour une retraite à la campagne. Se réjouit Crésus.
  • Mais on a encore du boulot avant de pouvoir être trop vieux pour ça. Et j'imagine que ça ne va être qu'une promenade de santé, pas vrai Isa'th ? Demanda Mathusalem.
  • Non, je ne pense pas. Répondit-il en regardant le renard qui semblait attristé.
  • On se voit chez Salem ? Demanda Aman.
  • On se voit chez Salem. » Répondit Oneeki.

Et ils sortirent de la maison, traînant les pieds. Tous sauf Kali, Isa'th et le renard qui regardèrent encore autour d'eux : « Ça va vraiment me faire bizarre de quitter cette maison. J'y suis depuis que … Tu sais, mes parents ont appris pour mon destin et ont préféré m'expatrier.

  • Je sais. Quitter la Vallée du Vent m'a dérangé aussi. Mais j'imagine que la situation est différente de celle-ci, il n'y a pas de dragon qui cherche à nous tuer et nous motive à partir de notre ancienne maison.
  • On peut au moins s'estimer heureux de ça. Répondit-elle ironiquement.
  • Pourquoi est-ce qu'on doit passer par chez Salem ?
  • Je lui ai confié de quoi traverser la haute et le train. Et … Isa'th ?
  • Oui ?
  • Merci. »

Ils partirent alors à leur tour, Kali laissa un jeu de clés sur la table. En descendant l'échelle, elle ne lâcha pas le dernier barreau par hésitation. Sa gorge se nouait et la main accrochée tremblait. Elle se rétablit en sentant une légère attraction par sa main gauche, Isa'th essayait de récupérer son attention. Il avait déjà remis sa capuche de son ancienne veste, gardant ses habits abîmés et son sac improvisé avec le drap qui le recouvrait et des bandages pour cacher l'éclat des écailles. Il y portait ses livres et les habits qu'il portait lors de la fête et un autre sac à dos contenant des provisions : principalement du pain et des viandes secs diversifiées et quelques pommes. Il avait laissé tombé par terre un autre sac contenant les affaires de Kali : ses outils de crochetage, une longue corde, quelques couteaux et sa robe de bal. « On pourrait revenir là quand on en a fini à Laniakëa. Proposa-t-il pour la rassurer.

  • Je sais. Je sais. Mais ça me fait encore bizarre de me dire que je quitte enfin ma routine. Tu sais combien de temps on serait là-bas? Demanda-t-elle, inquiète.
  • Non. Mais on m'a promis qu'on m'expliquera tout quand j'y serais. » Ajouta-t-il en regardant le renard.

Ils s'éloignèrent enfin de l'échelle et s'enfoncèrent dans les passages étroits en longeant la ville. Bien que le chemin pour atteindre l'arrière boutique de Salem était toujours aussi difficile, ils étaient tous les trois motivés à le traverser. Mais le renard compliquait la traversée, même lui ne réussirait à sauter une telle distance sur une plate-forme aussi étroite. Il resta devant la douane entre la ville moyenne et haute de lui même, il se contenta de pointer du nez la direction de la boutique de Salem aux deux autres et attendait patiemment en fermant les yeux. Surprise mais pressée, Kali ouvrit la marche à la demande de l'animal. À bonne distance, elle en profita pour demander à Isa'th juste devant le gouffre qu'ils avaient déjà emprunté pour visiter le marchand la première fois ensemble : « Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ? C'est clairement pas un animal ordinaire.

  • Je l'ai rencontré juste après … que mon bras ait changé. Répondit-il, encore non-habitué à parler ouvertement de son passé. Et juste avant de partir de la Vallée du Vent.
  • Et tu l'as suivi comme ça ? Sans vérifier ce qu'il voulait ? Comment est-ce que tu peux lui faire confiance ?
  • Parce qu'il a été le premier à m'accepter après que … ! Après que mon bras se soit transformé. Et je devais trouver un endroit sûr avant que ce dragon ne me retrouve. Ajouta-t-il pour se calmer de la réponse énervée qu'il venait de donner plus tôt.
  • Je comprends, tu avais besoin d'aide. Se reprit-elle pour témoigner sa compréhension.
  • Désolé d'avoir crié. Tu m'as aidé aussi, c'était indécent et irrespectueux. Je lui fais confiance parce qu'il peut empêcher mes … transes. Répondit-il en cherchant ses mots. Je ne comprends toujours pas comment il fait ça mais c'est comme s'il … retabilisait mon énergie interne en me tirant de cet endroit.
  • La grotte ?
  • Oui. J'ai l'impression à chaque fois que j'y suis d'être entouré de fumée noire très épaisse mais que c'est très confortable à l'intérieur, tellement que je pourrais m'y oublier. Mais à chaque fois, il m'arrache de cette fumée pour m'exposer à la réalité. Mais à chaque fois que je l'implorais pour des réponses, il me montrait Laniakëa. Je ne sais pas si j'ai raison de lui faire confiance, mais c'est ma meilleure solution maintenant.
  • “Notre” meilleure solution. Pour le peu de temps que je le connais, il ne m'a pas paru mauvais. Coincé et calculateur mais pas mauvais. Et on ne devrait pas trop le faire attendre ou lui il aura de bonnes raisons de ne pas nous faire confiance. »

Ils se partagèrent les sacs et se suspendirent au-dessus du vide, ressentant encore leurs membres se tendre et fatiguer. Ils se dirigèrent alors vers une impasse, le mur en pierre bloquant la progression mais on pouvait encore entendre un léger bruit aigu dû au faible courant d'air venant de l'autre côté. Ils enlevèrent consciencieusement les pierres pour les remettre finalement derrière eux, la dernière pierre étant la plus dure à placer. Ils remontèrent jusqu'à la cave de Salem, encore remplie d'artefacts manufacturés et de traces de poussière rajoutées. Ils attendirent un peu avant de voir descendre Salem qui les remarqua et ne put contenir son excitation : « Héhé ! Vous avez réussi votre coup comme des champions ! J'ai même pas encore fini de tout revendre et j'en ai déjà fait sortir une vingtaine ! Il faudrait voler des vaisseaux plus souvent ! Me dîtes pas que c'est déjà fait ? J'ai pas encore raté l'appel ?

  • Non Salem, on n'a pas volé d'autre vaisseau. Répondit Kali, amusée.
  • Oh. Tu m'as fait peur. C'est quand le prochain alors ?
  • Salem, on ne va pas voler un vaisseau par semaine.
  • Mais pourquoi pas ?! Ça s'est bien passé, non ?
  • J'ai trouvé ça dur. Se plaignit Isa'th.
  • Mais on ne vient pas là pour parler du casse ou d'une autre opération. Interrompit Kali, mélancolique.
  • Oh, de quoi alors ?
  • Je viens récupérer les badges de passage.
  • Quoi ? Tu veux dire que … Tu vas quitter Aelton ?
  • Oui. Tous les deux, plus un renard.
  • Mais … Attend attend attend, je veux être sûr de comprendre : toi, Kali, tu veux reprendre ces badges, un des premiers butins que tu ais jamais volés mais que tu n'as jamais utilisé ? Pour … pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est le nouveau qui te force à partir ?! Sale petit... !
  • Non non non non, Salem. J'ai dit qu'on était trois, je pars pour Laniakëa avec lui parce qu'il me l'a demandé et que … Formulait-elle avec difficulté mais Salem remarqua le collier de fleur que portait Isa'th.
  • Ooooooh, d'accord. Autant pour moi. Alors … Voilà les badges. Et le sceau pour que la garde vous foute la paix. Dit-il en sortant d'un placard une boîte hermétique qui contenait une chemise avec les badges et à côté une boîte de métal avec un tampon avec des motifs uniques représentant un diamant.
  • Comment tu as eu ça ?! Demanda Kali, choquée.
  • J'ai économisé mes parts des casses, arnaqué quelques pigeons, acheté des actions favorables … Mais c'est mieux fait que ce que je pensais, j'ai pas réussi à en faire une seule copie. J'ai gardé l'original en pensant qu'un jour, peut-être, tu arriverais à quitter ce coin tordu … et te voilà avec le nouveau qui te tire de là. Si tu savais comme ça me fait plaisir d'entendre ça. Alors … que dirais-tu d'un câlin de ton vieux sénile préféré ? Proposa-t-il avec un sourire tremblant.
  • Merci … Merci Salem. » Répondit-elle en se jetant à son cou et en invitant Isa'th à les rejoindre.

L'accolade s'éternisa. Le tampon qu'il avait acheté était un signe rare à Aelton. C'était un gage dont l'encre ne durait qu'un jour et adressait aux gardes, vautours et autres douanes que les tatoués sont des privilégiés, évitant les questions désagréables dues à leur fonction haut-placée dans la ville. C'est monnaie courante pour les exécuteurs des vautours pour qu'ils se déplacent aisément en rappelant la supériorité du quartier haut et inspirant la loyauté des habitants par la terreur. Ils s'éloignèrent, remontèrent au rez-de-chaussé et saluèrent encore Salem en entrant finalement dans le quartier haut. Cette nouvelle partie de la ville changeait des maisons de plaque de fer du bas, des maisons de bois et de pierre de la moyenne. Celle-ci avait des constructions en marbre, aucune maison empilée maladroitement sur une autre mais placée verticalement sur de solides bases aménagées par les supports du pont, chacune avait son toit en tuile rouge sur les côtés du pont, des plantes arrivaient à pousser à côté d'eux. Les hauteurs portaient des pics blancs traversant le ciel. La structure la plus impressionnante restait l'entrée de la gare, un trou dans le plafond permettait de laisser passer suffisamment de lumière pour que le bâtiment resplendisse et attire les travailleurs comme des papillons de nuit à une lanterne.

Les personnes portaient le plus de vêtements possibles : portant l'équivalent d'un masque complet par la nouvelle peau blanche craquelée par la chaleur, les couleurs froides représentaient des croissants de Mahina alors que les chaudes, les rayons d' Ali'i. Les lèvres écarlates éclatantes éclairaient leur visage pâle comme l'astre dans un ciel dégagé. La lourdeur de leur visage n'était dépassée que par celle de leurs habits qui étaient incroyablement inutiles en cette saison à l'instar de leur ego qui transpirait de tous les pores de leur peau et permettait de rivaliser leur manque d'intérêt pour leur voisin. Les moins fortunés exposaient leurs épaules car si elles ne brillaient pas par leur fortune, la blancheur naturelle qu'était la leur reflétait aussi bien la lumière. Les robes des femmes étaient semblables à des fleurs maladroitement disposées ou bien des cloches : fines à la taille, le corset dissimulé était d'ailleurs étouffant tant le torse était compressé, mais larges aux jambes. À croire que, malgré leur pudeur, la cloche d'une robe était comparable à celle d'un repas onéreux : les deux contenant des bienfaits que les bonnes familles cherchent pour satisfaire leurs besoins égoïstes. Contrairement au bal auquel avait pu brièvement assister Isa'th, les tenues n'étaient pas aussi belle qu'il imaginait : les couleurs étaient trop sobre : du blanc, du violet, du rouge très rarement car il était vulgaire ; les accessoires trop nombreux : des chapeaux gigantesques servant d'ombrelles, des colliers étant plus intéressant pour exercer sa nuque que la mettre en valeur, des gants pour ne pas toucher les coins qui seraient poussiéreux et des éventails pour espérer équilibrer le surplus de vêtements en se rafraîchissant dans une ville qu'ils avaient eux mêmes privés du vent. Les hommes préféraient un lourd manteau parcouru par un petit animal mort comme décoration, des chaînettes pour ceinture, toujours laquant de couleurs faisant rêver ou de figures fascinantes, la tenue qu'ils portaient restaient une simple exposition grossière de richesse.

Isa'th restait perplexe devant ce spectacle quant à l'utilité dont ses acteurs tiraient parti. Il se concentra davantage sur la douane entre la moyenne et cette partie d'Aelton : un grand renard blanc qui attendait assis en regardant maintenant avec inquiétude la scène, cherchant d'autres poils blancs. Mais ils prirent la précaution de dissimuler les mèches brillantes, trop irrégulières pour passer inaperçu. Kali se dirigea seule vers la douane avec le sceau au poignet le montrant avec confiance, sans hésitation. Comme quoi, les lancées théâtrales d'Oneeki avait plus de répercussions positives que prévu. Isa'th attendait, s'appuyant contre un mur à l'entrée du magasin de Salem pour observer du coin de l'œil pour s'assurer que le plan fonctionnait. Le jeu de Kali était moins osé que celui de son professeur mais au théâtre, « C'est le bon costume qu'on regarde et non le visage » était la première leçon qu'il avait enseigné. Elle s'approchait, stressée, et lança : « Le chien blanc au fond va passer cette douane maintenant.

  • Oui m'dame. » Répondit-il en observant avec méfiance le diamant sur son poignet.

Les gouttes de sueur n'attendaient que de tomber devant ce garde mais le manque d'expérience de celui-ci suffisait pour que le renard s'avance de lui-même pour le pousser et entrer dans la ville haute. Bien que la douane était passée et que la gare se tenait devant eux, ils ne pouvaient s'empêcher de se sentir oppressés par celle-ci et observés par quelques forces obscures qui se dissimuleraient derrière des visages élégants dans les bâtiments qui les dominaient. Ils se forçaient à garder la tête haute et le regard stoïque. Des silhouettes inquiétantes les suivaient. Ils ne savaient pas d'où, lorsqu'ils tournèrent la tête en espérant voir une intention menaçante dans un visage, ils ne voyaient que des statues mouvantes ou des manteaux disparaître dans des ruelles. La marche s'accéléra jusqu'à la gare étincelante mais leur concentration était braquée sur les bruits environnants. Ils entendirent des bruits sourds comme des poids qui atteindraient le sol, et d'une marche. Des regards jusque-là cachés derrière des sourires factices se tournaient vers eux avec des yeux de prédateur. Des dos se redressèrent autour d'eux, prêts à bondir de leur chaise pour leur sauter à la gorge. Et d'une marche. Les plis des habits dessinaient de petits objets d'une vingtaine de centimètres.

La tension augmentait. Ils entendirent un long bruit strident en face, éloigné. Le train ralentissait pour entrer dans la gare. Et d'une marche. Ils étaient entrés. Le personnel les regardait avec inquiétude mais surtout avec méfiance par leur manque de superficialité. Les autres pas se rapprochaient, résonnant sur les marches jusqu'aux oreilles du renard qui frissonna sur place, n'osant tourner la tête. Ils se tenaient alors devant la réceptionniste, menteuse à ses heures comme le témoignait son faux sourire aux yeux fermés. « Bonjour ! Comment puis-je vous assister aujourd'hui ?! Demanda-t-elle, excitée.

  • On voudrait prendre le train. Répondit alors Kali d'une voix assurée, elle se contenait malgré la situation qui devenait de plus en plus pressée car à la moindre erreur, les fauves se jetteraient sur eux.
  • Bien sûr ! Puis-je voir les tickets ? Exigea-t-elle en collant presque ses doigts parfumés au visage de Kali et elle lui donna sans se débattre, frustrée. Tout semble en ordre, mais les frais sont supérieurs s'il y a un animal, je suis sûre que vous comprendrez. Ajouta-t-elle avec le même sourire.
  • Oui oui, on paiera. Répondit Kali qui s'impatientait en sentant les autres s'approcher.
  • Avez-vous entendu parler des nouvelles règles de sécurité ? Elles vous assureront … Continua-t-elle avant d'être interrompu par un bruit agréable mais perturbant, Isa'th avait lâché un sac d'argent sur la table.
  • Je suis sûr qu'il y en a assez. Ajouta-t-il avant de partir en faisant signe à Kali de se dépêcher en pointant du haut de la tête les potentiels poursuivants
  • Bo … bonne journée. » Marmonna-t-elle en se hâtant de compter les pièces qui venait d'arriver devant elle.

L'endroit n'était rien face à la simple vue extérieure de la gare : bien que le bâtiment visible était très impressionnant, la structure intérieure rendait l'apparence de la structure risible. La gare était bien le passage d'un monde à un autre. L'intérieur était creusé : on voyait les chemins de rails s'arrêter un peu en dessous du rez-de-chaussé mais les arrivées de charbon étaient légion dans les tunnels qui s'enfonçaient dans le pont. Ils convergeaient vers des monte-charges qui tractaient les combustibles jusqu'au niveau des fourneaux situés à l'extrémité du train, dans un wagon spécialisé. Lorsque tout le charbon était remonté pour remplir les réserves du train, on pouvait voir les fourmis retourner dans leurs trous pour échapper à l'astre brûlant. Les portes s'ouvraient tandis que des ouvriers rangeaient les cerf-volants utilisés pour l'aller. Tous étaient subjugués par l'architecture et la différence entre cet endroit et le leur. La bouche ouverte, les yeux écarquillés, un sourire de plus en plus prononcé au fur et à mesure qu'il faisait un pas de plus vers la ville haute. De nul part, des hommes en noir formaient une ligne bloquant l'accès au reste de la ville. Isa'th et Kali les voyaient enfin, les vautours d'Aelton : de grandes personnes de deux mètres de haut recouverts de robes noires amples ouvertes sur le côté des jambes. Aucune fioritures sur les manches, seul un chapeau large rigide de la même couleur, semblable à une cloche large aplatie cachant leurs yeux. L'animosité qu'ils dégageaient et la surprise de leur apparition faisait reculer les arrivants d'effroi et d'une légère panique mais les partants étaient tout bonnement pétrifiés sur place. Les vautours leur adressèrent un simple regard coordonné, autoritaire et effrayant et les partants montèrent dans le train avec précipitation tandis que les arrivants étaient soumis à une fouille corporelle.

Isa'th et Kali remarquèrent leur mouvement et suivirent le renard qui accourut vers les entrées du train, sentant la présence des hommes en noir derrière eux se rapprocher et le départ imminent de la machine. Les pas de derrière étaient de plus en plus lourds mais ils ne pouvaient plus y prêter attention à ce point là. Ils débarquèrent dans le wagon le plus éloigné de la chaufferie à toute allure comme l'indiquaient d'autres vautours, qui semblaient apparaître de nul part, en se tenant devant les portes des wagons déjà remplis. Ils étaient à l'intérieur avec d'autres rescapés, tous soulagés d'être enfin aussi proches de la sortie. Un enfant d'un groupe voisin regarda avec étonnement les nouveaux venus et inspecta surtout Kali de la tête aux pieds. Ils récupérèrent leur souffle en s'asseyant sur les places disponibles et se regardèrent avant de sourire et rire quelques instants, Kali tenait absolument à vérifier leur arrière pour retrouver les poursuivants, mais rien. Aucun des vautours n'avait bougé, elle restait perplexe. Elle était persuadée d'avoir été observée. Les portes du train se refermaient et on souffla un cor pour annoncer le départ aux personnes qui se tiendraient trop près des rails. La vapeur s'échappait et le train commençait à se déplacer. La sensation déstabilisa d'abord le trio mais ils purent en rire légèrement en remarquant le cri agité du renard inquiet et embarrassé. « Ah ! C'est la dame qui donnait l'argent ! » Fit remarquer l'enfant à ses parents. Isa'th était parti de son siège pour observer l'extérieur de la terrasse à l'avant du train. La capuche suffit pour se frayer un chemin à travers les gens terrorisés, mais pas les vautours. Lorsqu'il ouvrit la porte, une dizaine d'hommes en noir déferlèrent comme un raz-de-marée dans le wagon et firent signe aux autres passagers de rejoindre le wagon suivant. Seuls restèrent Kali, le renard et Isa'th. Quand le sahuaguin en face de lui leva la tête pour regarder plus clairement son interlocuteur, il sembla d'abord surpris mais reprit une expression plus effrayante lorsqu'il prononça simplement : « Je t'avais dit que je te retrouverais, gamin. »

À ces mots, Kali comprit les attentions du vautour et ouvrit brutalement les portes du wagon vers l'arrière en appelant Isa'th. Mais il n'arrivait pas à bouger. La vision qu'il avait en face de lui le renvoyait à ses pires moments : ce qui semblait n'être qu'une vingtaine de mains ressemblaient à l'obscurité d'une certaine grotte dont les habitants cherchaient tous à en échapper. Il tremblait en regardant ses mains s'approcher. Subitement, un flash de lumière et un vacarme retentit dans le wagon, Isa'th eut le réflexe de reproduire son exploit avec les banshees pour contrer le bruit par opposition de phase. Il se sentait tiré, ses oreilles sonnaient et sa vue était obstruée par sa capuche. Kali traînait Isa'th derrière elle par la main et le renard dégageait le chemin devant eux en hurlant sur les passants, bave tombante. « Qu'est-ce qui s'est passé ? Demanda l'encapuchonné, à peine réveillé.

  • Grenade aveuglante, on verra plus tard. On doit se cacher mais ils n'auront qu'à balayer les wagons et ils nous auront. J'ai cru voir un chemin praticable entre eux, on y est presque.
  • Désolé … Répondit-il en baissant la tête.
  • J'ai dit plus tard. Prépare toi, on va avoir beaucoup de vent dès qu'on sera sorti. »

Il se reprit alors et courut sans retenu, le renard accéléra le rythme en remarquant la motivation de son compagnon. Les portes étaient balayées par le renard qui semblait agir sur tout le train par sa présence, mais le bruit de celles qu'ils avaient déjà passées étaient d'autant plus inquiétants. « Là, Isa'th ! On sort par cette fenêtre ! » Prévint-elle en pointant du doigt la dernière fenêtre du côté gauche du wagon. Elle resta en arrière et sortit un marteau de son sac et explosa la poignée, bloquant le verrou à l'intérieur et retardant les poursuivants, elle vérifiait s'ils avaient pris suffisamment d'avance mais les manteaux noirs parcouraient toujours le train à grande vitesse. Elle reprit le marteau et fracassa le hublot pour y lancer une autre grenade et les sonner encore une fois. Aveuglés, les poursuivants s'arrêtèrent et explorèrent le wagon à la recherche d'un trio dissimulé parmi la foule dans d'autres habits.

Le vent extérieur était très fort, Isa'th n'arrivait pas à dévier le vent pour faire avancer en sécurité le renard, ils traînaient sur le ventre vers l'opposé de la chaufferie. Heureusement, le vent brutal et glaçant occupait suffisamment le porteur pour qu'il n'ait pas à remarquer le feu qu'il y aurait derrière lui. D'ailleurs, la vue qui s'offrait à lui méritait quelques bourrasques : le défilement de paysages à cette vitesse était ravissant, la musique artificielle de ce déplacement était acceptable mais l'air agité n'avait rien à voir avec le vent véritable et sa représentation quotidienne, toujours aussi juste. C'était une grande plaine qui s'étendait sur des kilomètres. La végétation était humble : les arbres, rares, ne dépassaient pas les cinq mètres de hauteur. Le reste n'était que de l'herbe à perte de vue. Traverser la « Mer Verte » était un voyage esthétique, même si les rails désacralisant la qualité naturelle sauvage de cet endroit par son industrie civilisée, le pelage verdoyant de la plaine rayonnait toujours autant. Les cratères dans la terre encore humide formaient des dunes continuant encore la métaphore de la mer en formant des vagues immobiles et les rochers dispersés dans celle-ci étaient les îles de l'océan toujours aussi propice à l'élaboration de fables. Les mouvements prédictibles et énervants de l'air les forçaient, lui et le renard, à fermer les yeux par intermittence. Ils remarquèrent tout de même une voix faible qui leur demandait de l'aider à monter, Isa'th tira Kali du sol pour qu'elle les rejoigne. « Merci Isa'th. Il faut qu'on trouve une autre solution, ils ne vont pas tarder à penser au toit. Hurla-telle dans son oreille.

  • On pourrait retourner vers l'avant du train ? On en vient et le chemin est difficile, peut-être qu'ils n'y penseront pas ?
  • Ça vaut le coup d'essayer. » Répondit-elle en repensant à la chaufferie de l'autre côté.

Ils progressèrent alors lentement dans cette direction, croulant pour ne pas se risquer d'être emportés. Mais le voyage était plus dur que de traverser une douane en se suspendant au-dessus du vide. Ils trouvèrent heureusement un creux dans la largeur du train, au-dessus du sas entre deux wagons, alors Isa'th amena d'abord le renard pour qu'il se repose. L'exercice était d'autant plus dur pour lui puisque ses appuis et points d'accroches ne sont pas adaptés, il accepta finalement la proposition d'Isa'th après avoir essayé de pousser les deux autres à l'intérieur. Ils se serrèrent mais les trois y tenaient et soufflèrent de l'effort qu'ils fournissaient. Le calme à l'intérieur de ce trou changeait drastiquement du bruit ambiant, l'air soufflé ne les atteignant pas alors Kali en profita : « Moins reposant que prévu cette retraite. Dit-elle en riant.

  • Désolé.
  • Ne le sois pas, j'aurais dû prévoir que ce type était un vautour. Ça crevait les yeux pourtant, des mages pareils dans Aelton ça court pas les rues. Mais on n'a rien sans rien, j'imagine.
  • Comment ça ?
  • C'est pas en restant là-bas que j'aurais pu regarder Ali'i aussi longtemps. On repassera pour l'insouciance mais je trouve que c'est un début plus que convenable. Ajouta-t-elle.
  • Pourquoi est-ce que tu ne sortais pas plus souvent ? Vous aviez déjà trouver les tunnels, non ? Demanda-t-il, avec hésitation, même s'il sentait que c'était le genre de question qu'on gardait pour soi.
  • Oui on les avait déjà trouvés. Je n'y allais pas parce que … j'avais peur d'être trop tentée de partir du jour au lendemain avec des vautours à mes trousses.
  • Désolé. Si j'avais fait attention sur le vaisseau, il ne m'aurait pas reconnu et tu n'aurais pas à t'inquiéter.
  • Ne commence pas avec ça. Et tu ne devrais pas t'excuser autant. Quand quelqu'un s'inquiète pour toi, dorénavant tu devrais dire « merci ». Compris ?
  • Compris, et merci Kali.
  • Prends ton temps pour récupérer. Dit-elle au renard qui semblait pressé de ressortir, il sortait la tête avec difficultés pour finalement grogné dans une direction. Qu'est-ce que … »

Elle restait bouche bée quand elle remarqua une silhouette inquiétante en hauteur : une grosse ombre agitée qui grandissait encore et encore. Malgré le vent, on l'entendait fendre l'air en trombe en s'approchant, repoussant bourrasque après bourrasque par la force brute. Un grand dragon noir. Il redressa finalement pour suivre le train en faisant claquer ses grandes ailes cendreuses parcourues de cicatrices, engorgées de chaleur sous Ali'i n'étaient qu'annonciatrices des flammes qu'ils produiraient. Bien plus énergétiques que la dernière fois où il l'a rencontré, Isa'th reconnut la colère qu'il l'habitait. Il tournait autour du train avec férocité. Il marqua sa présence par un hurlement grave, plus bruyant que l'air qui faisait vriller les oreilles du renard. Kali regarda Isa'th, effrayée et balbutia : « Isa'th …Est-ce que ça peut être un autre dragon que … ?

  • Non, c'est bien lui.
  • Comment tu pourrais en être sûr ? Même si c'est rare d'en voir ça pourrait très bien en être un autre.
  • Non, c'est moi qui lui ai enlevé ces écailles là. Désigna-t-il en essayant de montrer les avant-bras du dragon.
  • Comment est-ce qu'il a pu te retrouver ? » Demanda-t-elle, bouleversée.

Mais elle ne put en tirer aucune réponse car, malgré ses efforts pour l'éviter, Isa'th remarqua les flammes bien distinctives du dragon : d'un éclat jaune avec des nuances de rouge. Dansantes devant lui comme pour le narguer de son incapacité à le défier. Kali se rappela les aventures qu'il avait narré ainsi que du dénouement pour la plupart des personnages qui y participèrent, elle prit peur d'abord. Puis, elle se ressaisit en remarquant le visage paralysé du jeune homme qui s'engouffrait dans des larmes lourdes et sombres. Elle le saisit par la main et profita du vent pour accourir vers l'arrière du véhicule pour retourner à l'intérieur d'un wagon, quelques vautours étaient préférables à un dragon pour sa survie et celle d'Isa'th. Le renard restait caché de la vue du dragon en suivant le mouvement des deux autres, profitant du cache-poussière mais le pelage blanc restait très visible. Le sol sembla instable pendant un moment : bien qu'il ralentit sa chute, le poursuivant se tenait alors devant le trio. Se redressant, il révéla l'ampleur de sa présence en inspirant et jetant un regard effroyable puis surpris à Isa'th qui cette fois n'était pas fanfaron pour cacher sa peur mais sincèrement apeuré de revoir ses flammes. « Qu'à-t-il bien pu t'arriver pendant mon absence ? Des cheveux blancs, une peur bleue de moi semble-t-il, un renard irrégulier, et qui d'autre ? Un otage ? Non, c'est elle qui a essayé de te faire t'échapper. Es-tu bien consciente de qui tu t'es épris jeune fille ? Demanda-t-il avec des yeux sévères. Réponds-moi.

  • Ou … oui. Marmonna-t-elle, intimidée et réfléchissant à une échappatoire.
  • Vraiment ? Malgré sa condition ? Admirable mais stupide. T'a-t-il raconté le sort qu'est le sien ?
  • Seulement ce que vous en pensez. Répondit-elle avec hésitation et esbroufe.
  • Je vois, il t'a persuadé qu'on pouvait changer la Toile. Navré de devoir te le rappeler, mais ce qui doit arriver arrivera. Tu es bien silencieux aujourd'hui Voix du Vent.
  • Je ne le ferai pas … Je ne le ferai pas … Ce n'est pas ma faute … Je ne voulais pas … Je jure … Marmonna-t-il.
  • J'imagine que ça explique le changement de couleur. Je suis navré d'en arriver là, mais c'est mieux ainsi. » Conclut-il en abreuvant sa gueule de flamme.

En un élan, le renard lâcha un éclat bleu éblouissant, Kali attrapa l'épée noire de Isa'th, l'accrocha à une corde qui pendait à sa ceinture et se jeta du train avec les deux autres dans ses bras en plantant l'arme dans le sol et défonça une des vitres qui parcourait les wagons pour y entrer en force avec les autres. S'écrasant au sol, bousculant ses nouveaux voisins, elle prévint les autres passagers de se baisser en remarquant les griffes du dragon s'étendre vers eux : « À terre ! » Hurla-t-elle. Le dragon balaya les morceaux de verre encore accroché au mur et balançait sa patte de gauche à droite en espérant attraper des fuyards, mais il ne put que blesser des inconnus. Le tour de passe-passe réussi, Kali attrapa Isa'th par le col et lui dit : « Isa'th ! Reprends toi !

  • Je ne peux pas … Je les entend … Je suis désolé, je ne voulais pas, ce n'était pas moi … Prononça-t-il avec difficultés en pleurant.
  • J'ai un plan mais il faut que tu m'écoutes ! On peut encore s'en sortir mais j'ai besoin de toi !
  • Plan … ? Qu'est-ce qu'il faut faire ? Demanda-t-il, essayant de se ressaisir.
  • Jusqu'à quelle portée tu peux contrôler le vent ?!
  • Ce n'est pas du contrôle, c'est plutôt …
  • Plus tard ! Quelle portée ?! L'interrompit-elle.
  • Je l'ai contrôlé jusqu'à six mètres une fois, c'était fluide.
  • Ça fera l'affaire, tu vas te déplacer jusqu'à l'avant du train et tu vas libérer les cerf-volants. On doit pouvoir le restreindre, tu vas le coincer comme ça, mais tu dois rester à l’abri.
  • Et après ? On ne peut pas se contenter de le coincer et espérer qu'il abandonne.
  • Il va falloir qu'on le fasse tomber du train, tant qu'on bloque les ailes, on est tranquilles. Le train est rempli d'issues de secours au cas où il y ait un accident, un type d'entre elles se trouve sur le toit. Ils tenaient absolument à réussir un train qui traverse la moitié d'un continent sans encombre alors les mécanismes de sortie sont très puissants, capables de balayer les décombres les plus proches. On ouvrira les portes supérieures et il trébuchera.
  • D'où est-ce qu'on pourrait avoir accès aux commandes ?
  • À chaque wagon ses commandes d'évacuation, il va falloir vérifier sur quels wagons on le bloque.
  • Alors je me tiens vers les cerf-volants pour le piéger, mais qu'est-ce que vous ferez ?
  • Le renard sera le plus apte à trouver la position du dragon par l'ouïe, ça sera plus frustrant pour toi mais t'es le mieux placé pour le faire. La poignée ne devrait pas être trop dur à activer pour toi, tu n'auras qu'à l'abaisser au moment venu. Dit-elle en regardant l'animal qui acquiesça sans discuter.
  • Mais toi alors ? Si lui reste à l'intérieur … tu ne veux pas dire que tu …
  • Si, je remonte sur le toit et l'amène à l'arrière du véhicule. Ça se tente.
  • N'y pense même pas ! C'est moi qu'il veut, autant me laisser y aller !
  • C'est justement parce que c'est toi ! Je ne te laisse pas aller dehors justement parce qu'il ne se retiendra pas contre toi ! J'ai plus de chance de ce côté là. Tu restes là et attend le signal, je planterai l'épée dans le sol, ça devrait suffire pour traverser le plafond. En position ! » Ordonna-t-elle finalement.

Kali accouru au passage qu'elle avait déjà emprunté plus tôt, grimpant sur le toit. Le renard cherchait la respiration du dragon en hurlant aux passagers d'arrêter de se plaindre du danger et de se taire. Isa'th essayait de se dépêcher d'arriver à l'extrémité du train mais il titubait encore, s'appuyait contre les murs, respirait avec difficulté. La rencontre brutale avec d'autres flammes ressassait trop de souvenirs d'un coup. Mais il marchait, lentement, s'accrochait à son bras qui le démangeait. Il sentait que les écailles progressaient beaucoup trop vite et qu'elles creusaient la chair pour se frayer un chemin et planter ses racines, repoussant la peau alors devenue inutile. Comme un froid glacial pénétrant une peau trempée. Gémissant sur le trajet, les cheveux blancs se révélant enfin, les passagers essayèrent de bien comprendre la situation mais les bruits sourds au-dessus d'eux étaient suffisants pour ne pas rester en dessous. Les autres autour de lui se ruaient dans la direction opposée sauf quelques ombres. Le renard repoussait quiconque essaierait de l'attraper pour quelque confort ou pour marquer sa domination par manque d'affection. Les effrayés s'agitaient autour de lui et bloquaient le chemin. Fouillant entre le balayage de l'air, les cris, les bruits de pas, un cri de dragon ou une respiration plus lourde que les autres, il était aussi difficile de trouver une aiguille dans une botte de foin. Mais il repoussait tout obstacle en face de lui. Chassant la moindre personne qui se tiendrait entre lui et un levier. Attendant le moindre signal qu'il pourrait avoir, il essaya de passer sa tête à travers les fenêtres pour observer, sans succès, sa frustration s'accumulait en attendant la suite de l'opération.

Kali remontait sur le toit, réfléchissant encore au déroulement du plan. « Comment attirer son attention ? », « S'il est aussi dangereux que ça, pourquoi ne pas se contenter de détruire le train ? », « Qu'est-ce qu'il ferait s'il arrivait effectivement à tuer Isa'th ? Est-ce qu'il se contenterait de ça ou se débarrasserait-il des autres témoins pour cacher l'accident ? » étaient tout ce à quoi elle pouvait penser. Elle grimpait et s'accrocher au train autant qu'elle pouvait, traînant l'épée noire derrière elle. Le balayage de l'air s'était enfin calmé à cause de l'explosion du mur par ce dragon et l'air qui rentrait dans le wagon, le ralentissement permettait enfin de s'entendre mieux sur ce toit. Elle réfléchissait encore en regardant le dos du poursuivant, transpirante, nerveuse, elle cherchait encore et encore toutes les possibilités pour s'en sortir, les issues de chaque choix mais elle revenait toujours à un échec. « Qu'est-ce que tu espères accomplir ici ? Demanda le dragon qui l'interrompit.

  • Je … pour te dire la vérité je suis pas sûre moi même. Répondit-elle nerveusement.
  • Tu aurais pu descendre de ce train avec tes ressources, même si je t'aurais rattrapée de toute façon.
  • Qu'est-ce que tu comptes faire si tu attrapes Isa'th ?!
  • Je suis sûr que tu es au courant de ce qu'est la Toile. Mais as-tu déjà entendu parler de ce qu'il deviendra ?
  • Seulement ce que m'a rapporté Isa'th … ? Demanda-t-elle, quelque peu inquiète.
  • Si on le laisse ravager aussi librement cette terre, il s'en prendra à tous ses habitants et aux six dieux bestiaux.
  • Comment est-ce qu'il pourrait faire ça ? Tu l'as regardé ?! Il perd tous ses moyens devant du feu !
  • Pour le peu de temps que je l'ai connu, je doute qu'il aurait osé oublier de mentionner quelques endroits par lesquels il est passé ?
  • J'ai eu des détails, oui.
  • Et il n'a seulement dix-sept ans et il a déjà accompli plusieurs prouesses magiques. Imagine ce qui pourrait arriver s'il perdait encore le contrôle. Je ne fais qu'être prévoyant, et tu fais aussi partie de ce monde alors pourquoi essayer de m'empêcher de le sauver ?
  • Parce que je lui dois plus qu'à ce monde. » Répondit-elle en fonçant vers lui.

Elle courrait en direction du dragon, épée dans la main droite et une résolution ferme dans les yeux. Réalisant l'échec qu'était le sien, le poursuivant n'entreprit plus de la raisonner et tenta plutôt de l'attaquer par un coup de patte descendant, perforant une partie du toit sur lequel il se tenait. Sa patte s'enfonça et resta coincée un instant suffisamment long pour que Kali puisse la contourner et sauter assez haut pour atteindre la tête de la bête et trancher son œil gauche d'un coup précis, direct et efficace malgré l'arrivée d'air. Le dragon lâcha un cri de douleur en sentant sa paupière brûler tandis que le sang en coulait, il arracha sa patte du trou qu'il avait créé en retirant tout le membre dans un excès d'adrénaline, détruisant le reste du toit et faisant s'écrouler les débris. Heureusement pour elle, Kali parvint à quitter ce wagon là à temps et sauta sur le suivant, se rapprochant encore plus de l'extrémité du train. « Maudite ! » Hurla le blessé. Kali perdit son élan en entendant la plainte de son adversaire et se retourna pour voir la bête se ruer sur elle en affaissant le toit sous son poids, l'œil rageur et le corps émettant déjà des flammes dorées menaçantes. Il les lança en ligne droite en agitant ses ailes vers elle, des traits épais décrivant des arcs de cercle avant de courir vers leur cible. Ils se croisèrent vers Kali. Elle se jeta au sol en regardant les émanations de chaleur se jeter sur elle et roula avant de se redresser. Réalisant ce qu'elle venait d'échapper, le feu l'effrayait de moins en moins. Elle reprit confiance en ses actions et accéléra, jetant derrière elle une des dernières grenades aveuglantes qu'elle possédait. Les flammes ratèrent leur cible, se dispersant au gré du souffle de l'air alors il relança son attaque. Des jets rougeâtres dessinant les écailles noires sortirent pour devenir d'autres flammes jaunes s'écrasant cette fois sur le sol sur lequel se tenait Kali et la fit tombée. Les débris amortirent quelque peu sa chute mais elle se foula tout de même la cheville et lâcha un cri de douleur en remarquant qu'elle venait de tomber. Les passagers étaient déjà partis en entendant les plaintes selon lesquelles une bête aurait détruit un wagon. Elle se redressa douloureusement se tenant le pied mais l'enflement qu'elle sentait l'en a dissuadé cependant, traîner au sol n'était pas une solution viable à ce moment. Elle se tenait debout malgré la douleur, se traînant vers l'extérieur du toit pour ne pas tomber sur le passage de Isa'th mais elle s'arrêta en plein milieu se demandant : « Où est Isa'th ? Il aurait déjà pu traverser le train mais il n'y a même pas une trace de passage, de boue sur le plancher, de poussière absente à certains endroits … rien de tout ça. » Elle cherchait. Pas d'Isa'th derrière ou devant elle, elle remarqua seulement le renard qui se ruait sur elle en gardant la tête en l'air, traquant un dragon. Et il lui rentra dedans, choquant les deux et fit tomber Kali de nouveau, causant une autre vive douleur à la cheville. Récupérant de l'impact, les deux se relevèrent quelque peu sonnés et ils avaient la même question qui brûlait leur esprit : « Où est-il ? »

Isa'th titubait jusqu'à l'extrémité du train, laissant des traces sur le sol, les ombres elles-mêmes semblaient plus lourdes. D'ailleurs deux d'entre elles se posèrent sur lui, le retournant comme si de rien n'était et lui adressèrent quelques mots : « Qu'est-ce qui se passe bordel ?! Demanda le sahuaguin. Pourquoi est-ce qu'il y aurait un dragon qui vous attaque ?!

  • Ce n'est pas ma faute … Je ne voulais pas … Je dois aller au fond … Marmonna-t-il.
  • Qu'est-ce qui lui prend ? Demanda la seconde ombre.
  • Aucune idée. Pourquoi est-ce qu'il y a un dragon à tes trousses ?! Réponds ! »

Mais il n'eut pas le temps d'en tirer une réponse, un toit se brisa plus loin et la chute des débris résonnaient dans les autres wagons devant eux. « C'était encore le dragon ?! Demanda le deuxième vautour.

  • Ça a l'air, oui. Les passagers sont regroupés à l'arrière du véhicule en attendant. Heureusement que l'autre se dirige vers l'arrière. Mais pourquoi est-ce qu'elle irait là-bas ?
  • Distraction ? Non, ce sont les Chats Noirs ! Ça m'étonnerait qu'ils n'aient aucun plan, l'arrière du train doit avoir un intérêt pour eux.

Kali et le renard se relevaient péniblement, essayant de récupérer leur équilibre du mieux qu'ils pouvaient. Voyant la difficulté qu'elle avait à se tenir debout, le renard l'a laissé s'appuyer sur lui mais elle ne pouvait s'empêcher de dire : « Merci. Mais on a un plan à exécuter et on s'y tiendra. Il faut que tu restes vers les leviers, compris ? ». Cependant l'animal répondit par un non de la tête en plongeant son regard dans celui de Kali, comme s'il pouvait le traverser rien qu'en regardant. Alors, le renard la tira en hauteur, remontant les débris qui formaient un escalier rudimentaire, pour retourner sur le toit et elle s'exécuta sans discuter. Les yeux qu'il avait, ils transpiraient l'hostilité. De retour sur le champ de bataille, le dragon les avait enfin rattrapés et se tenait en face d'eux, la respiration agitée. « Maudite … Quel tour accomplirais-tu maintenant dans ta condition ? Tu espères que ce renard parviendra à me repousser ? Même s'il sort de l'ordinaire par son physique, je demande encore à voir ses capacités …

  • Est-ce que tu la fermes jamais ? Demanda-t-elle en l'interrompant. Tu veux peut-être tuer Isa'th mais j'ai plutôt l'impression que tu veux juste entendre le son de ta putain de voix. T'as un orgasme dès que tu peux la ramener ou ça se passe comment ? Continua-t-elle insolemment.
  • Petite sotte ! » S'exclama-t-il en crachant directement de sa gueule un jet continu de feu vers eux.

Le brasier se dispersa en large cône, dépassant la largeur du train par deux fois sa taille à cause du manque de concentration du dragon. L'ancienne couleur dorée devint soudainement rougeâtre et perdit en intensité. Cependant, les flammes fonçaient toujours vers eux et Kali n'arrivait pas à partir suffisamment vite vers l'arrière du véhicule ou les flammes étaient trop faibles pour être dangereuses, elle y était presque pourtant. Une vingtaine de mètres restants et elle pourrait déclencher le piège qu'Isa'th activerait. À la place, les flammes se rapprochaient dangereusement. Rapidement. Elle sentait la chaleur étouffante tendre son étreinte mortelle vers elle. Elle repensait alors à la prédiction que lui avait faite l'oracle. La mort horrible que serait la sienne. Elle manquait d'air, que ce soit à cause de la chaleur ou de la panique, le désespoir la guettait en regardant les langues de feu s'approcher pour lui souffler des mots d'horreur. Cette « condition horrible », l'incinération était tout ce à quoi elle pouvait penser. Elle se sentait tombée en arrière. Le renard se tenait devant elle, les pattes avants tendues en avant et se rejoignant, les yeux clos, la respiration détendue mais le cœur emballé. Des flammes rouge-orangées le menaçaient. Alors il forma un cône de flamme bleutée azur-cyan, la pointe dirigée vers le dragon. Un petit cône. Minuscule contrairement à la démonstration de magnitude dont le poursuivant faisait preuve, il ne recouvrait que le renard, et Kali qui était alors allongée dans un des tous qui séparaient deux wagons. Elle observait, fascinée par les couleurs mirifiques du brasier qui dansait devant elle mais la chaleur était insupportable : elle sentait sa gorge se serrer, sa peau s'assécher, ses cheveux sur le point de brûler en étant à deux mètres de distance. Le duel de flammes continuait. La concentration du renard était inégalée : il ne regardait même pas l'affrontement, ignorant la présence en face de lui, les flammes bleues autour de lui étaient à sa merci et le protégeraient coûte que coûte. Elles s'estompaient enfin. Le dragon était encore plus surpris que Kali en regardant le renard : « Comment est-ce que tu aurais pu … ? Non … Tu ne serais pas …? Non ! C'est impossible! Pourquoi serais-tu ici ?! Comment ?! Tu devrais … ». Mais il fut interrompu par l'animal qui lança deux traits bleutés vers son ennemi. Bien qu'elles perdirent de la couleur pour devenir jaune lorsqu'elles s'éloignèrent, elle purent tout de même transpercer les bras de l'adversaire qui rassemblaient de nouvelles flammes rouges à travers ses écailles, elles se dispersèrent alors au gré de l'air dans un soupir de douleur de la part de l'adversaire. Kali profita de la situation pour se tirer de son trou et arriver vers la fin du train en traînant sa jambe engourdie sur le reste du trajet. « Hmm ! Pourquoi … Pourquoi l'aider ?! » Continua-t-il de demander mais un troisième pic bleuté du renard était assez explicite pour montrer qu'il n'était pas d'humeur à converser avec lui. Malheureusement pour eux, le renard ne parvint à maintenir ce pic et celui-ci se désagrégea en plusieurs particules jaunes selon le balayage de l'air. Il titubait, exténué et avait du mal à garder un contact visuel avec le dragon . Les yeux menaçants devenaient peu à peu épuisés et apeurés. « Tu es encore incomplet … ? » Se dit-il à lui-même. Il profita de cette occasion pour marcher lentement mais sûrement malgré ses muscles perforés et la quantité de sang qui s'en échappait. Haletant, il faisait de son mieux pour calmer son rythme cardiaque pour ralentir l'effusion de sang. Il était sur le dernier wagon.

Kali attrapa alors le renard et planta l'arme dans le sol, découpant les gonds des trappes qui renfermaient les cerf-volants. « Maintenant !!! » Hurla-t-elle dans l'espoir qu'Isa'th soit présent et qu'il puisse encore diriger le vent. Les toiles s'envolèrent, se déployant vers le dragon qui perdait de vue ses proies derrière les voiles colorées. Il tenta de déployer ses ailes pour les balayer en un seul coup mais Kali lui renvoya sa dernière grenade lui obstruant complètement la vue. Il s'agita en essayant de repousser tout autre assaut qu'ils pourraient lancer. Lorsque ses ailes se resserrèrent lors du débat, des brises firent des arcs de cercles aux cerf-volants, s'enroulant autour du dragon avant de se resserrer rapidement autour des ailes, faisant le tour des membres et les bloquant dans la même position inconfortable : replié sur eux mêmes jusqu'à ce que les membranes touchent le dos de la bête. « Bien joué Isa'th ! » S'exclama Kali en remarquant la position du poursuivant. « Occupe toi de la suite ! » Hurla-t-elle. Suite à quoi, Kali et le renard se suspendaient sur le côté du train lorsque le toit s'ouvrit brusquement vers l'extérieur et poussa le dragon hors des rails, le faisant tomber brutalement sur le sol. «Je suis en vie … ? Je suis en vie, je ne rêve pas ? J'aurais dû mourir, l'oracle a dit que … Mais tu m'as sauvé. » Commenta-t-elle en regardant le renard, exténué. « Qui es-tu au juste ? ». La question lui brûlait les lèvres depuis un moment, tout comme Isa'th. Cependant, le renard ne répondait que par un « non » de la tête. Elle acquiesça pour montrer qu'elle attendrait comme lui, respectant les secrets qu'il dissimulait à tous. Kali releva le renard pour revenir à l'intérieur du wagon alors ouvert. « Bien joué Isa … » S'arrêta-t-elle en remarquant un visage différent à côté de la poignée d'activation : un sahuaguin qu'elle avait rencontré sur un vaisseau on ne peut plus hostile.

« Bien joué, vous avez réussi à tromper un dragon malgré la différence de puissance. Cependant, vous vous doutez du nombre de questions qu'on a maintenant. Pour commencer, qu'est-ce qu'il a au bras ? Demanda-t-il en montrant du doigt Isa'th, recroquevillé sur lui même contre un mur du wagon à côté du deuxième vautour.

  • Qu'est-ce que vous avez fait à Isa'th ?! S'écria-t-elle.
  • On a posé plusieurs questions, il a répondu comme il pouvait. Vu son état, vous pourriez vous sentir chanceuse sinon ce dragon ne serait jamais tombé. Ça a été long mais on a pu comprendre le plan de ce qu'on a tiré de lui.
  • Isa'th ! Est-ce que ça va ?! Demanda-t-elle, ignorant les explications de l'autre.
  • Je suis désolé … J'arrivais pas à bouger … Je voulais, je t'assure … Ne m'en veux pas … Je t'en prie …
  • Non Isa'th, je t'en veux pas. T'inquiètes pas. Répondit-elle pour le rassurer.
  • Alors, ce bras ? C'est contagieux ?
  • Non, c'est … ce n'est pas contagieux. Il pourrait te l'expliquer quand il se reprendra.
  • Et ce dragon alors ? On pourrait voir plus tard vu les dégâts qu'il a fait mais est-ce qu'on devrait l'aider ? Demanda le deuxième d'un regard accusateur, le renard et Kali tentait de rester stoïque face à sa menace.
  • Il a détruit plusieurs wagons et tué des passagers. Peu importe ce qu'il essaie de faire ce n'est pas bon pour Aelton. Répondit le sahuaguin en se tournant vers Kali.
  • Mmh. On doit encore calmer les masses et les changer. Tu restes avec eux, Ahmost. Ajouta-t-il en quittant le wagon et partant dans l'autre direction.
  • Et maintenant, on devrait ... » Mais il fut interrompu lorsque le train subit une autre secousse et ralentit dangereusement.

On voyait sur le côté du train de larges explosions de flammes détruisant la végétation autour d'eux. La Mer luxuriante devenait un océan déchaîné. Kali retourna alors à l'extérieur, se penchant pour observer l'arrière du train : le dragon revenait, suivant le train de loin. Il s'agitait pour accourir derrière ce train. Haletant, il crachait ses poumons pourvu qu'il puisse s'approcher un peu plus du porteur. Il relâchait d'autres projections de flammes rouges déchaînées en s'élançant vers eux tout en s'attaquant lui-même, cherchant à brûler les cordes qui le restreignaient. « Bordel, il n'abandonne pas. On peut s'en débarrasser au moins ? Se demanda Ahmost.

  • On ne peut pas le tuer, non. Le persuada Kali en regardant Isa'th qui faisait de son mieux pour reprendre son calme.
  • Le train aurait pu gagner de l'avance s'il gonflait les voiles avec sa magie mais cette option n'est plus d'actualité. Dit-il, déçu avec une pointe d'amertume.
  • Ça n'aurait pas marché ! Il se serait déjà libéré et nous aurait rattrapé ! Il fallait qu'on s'en sépare et l'immobilise !
  • Et attacher un dragon avec des cordes a apparemment payé ?
  • C'était la meilleure option qu'on avait ! On n'allait pas se déplacer dans le train en attendant qu'il saccage tout et pareil pour les prochaines villes jusqu'à ce qu'on trouve un autre moyen ?!
  • Pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas essayer de le tuer ? Il doit bien avoir une faille. Proposa Ahmost dont les mots provoqua Isa'th à s'attraper la tête en respirant fort de nouveau.
  • On ne sait pas comment le battre ! Répondit-elle en remarquant l'attitude de l'autre lexidae.
  • Et la magie ? C'est toujours un bon point de départ pour tuer quelqu'un.
  • Il n'est pas en état de le faire et la dernière fois que j'ai vérifié il n'y a pas beaucoup d'eau sur ce train. Et la maîtrise du sang n'est sans doute pas à ta portée.
  • Qu'est-ce qu'il faudrait pour le remettre d'aplomb alors ?
  • Quitter ce train, ne plus voir de flamme ou ce dragon. On a déjà de la chance qu'il ait réussi à vous rejoindre. »

Une autre salve déstabilisa le train, brisant les anciens torrents d'herbe pour d'autres de flammes. Isa'th se perdait de plus en plus, son bras tremblait, les écailles le démangeaient et ses yeux chauffaient. Kali ne savait plus quoi faire, elle se tournait vers le renard mais lui non plus n'était pas en état de faire de magie. Ahmost cherchait encore du regard la deuxième ombre mais rien ne venait avec son rapport. « Merde … Qu'est-ce qu'il fout … ? » Continuait-il de ruminer. Kali tournait autour d'une jambe en essayant de faire partir la douleur de celle-ci mais aucune autre idée ne lui venait en tête et l'agitation d'Isa'th n'aidait pas. Sentant le train ralentir encore une fois, brusquement, elle craignait le pire : une secousse importante se propageait à travers tous les wagons et un brouhaha venait du fond. Les passagers se ruèrent vers eux, la panique résonnant était contagieuse : les échos des cris, l'encerclement et l'espace confiné rappelaient trop la grotte à Isa'th et il se mettait aussi à crier de douleur en se tenant le bras droit et les jambes. Ses deux compagnons se ruèrent sur lui pour essayer de le réconforter : le renard reprit son habitude et se blottit contre lui pour lui rappeler la chaleur qui le guidait dans les ténèbres et Kali le prit dans ses bras et soufflait, sifflant presque. Un sifflement maladroit que l'on a comme réflexe pour calmer un enfant apeuré. « Eh … Isa'th ? Tu te rappelles ce que tu m'as dit quand Oneeki t'a appris comment je comptais vivre ?

  • J'ai dit … « On peut trouver une solution » ?
  • Oui, tu as dit ça. Tu peux encore penser ça maintenant ?
  • Je ne sais pas … Je ne sais pas …
  • Et la Vallée du Vent ?
  • La Vallée … ? Oui, je m'en souviens.
  • Je sais que le vent ici est désagréable et artificiel mais je crois qu'on va devoir le sentir si on veut sortir de ça, tu veux bien ?
  • Y a du feu … Y a du feu … Je ne veux pas le voir . Je t'en prie, je ne veux pas le voir ! Exigea-t-il en s'accrochant à elle.
  • Je sais, je sais. Mais on doit aller sur le toit, et avec ce vent et la fatigue de l'autre. Le feu ne nous atteindra pas.
  • Tu promets ?
  • Je promet. Répondit-elle, avec hésitation.
  • Tu peux me tenir ?
  • Oui, je vais t'aider. »

Elle prit Isa'th par le bras et le posa sur son épaule tout en tenant le bas de son manteau pour s'aider à le remonter. Le renard passa la tête en premier pour constater que le dragon était bien sur le toit, cherchant inlassablement parmi les foules qui défilaient devant lui si le porteur était parmi eux mais sa vue s'obstruait de plus en plus avec son sang se répartissant sur son front. Il n'arrivait pas à l'essuyer à cause de l'effort que demandait ses bras après sa course effrénée et les blessures infligées par le renard. Il sentait d'ailleurs ses forces diminuer et tomber régulièrement tant l'envie de se reposer était tentante. Ahmost fonça pour prendre l'autre bras d'Isa'th et le soutenir également en remarquant la difficulté qu'avait Kali à soutenir deux personnes avec sa jambe. Ils remontaient, lentement mais sûrement. Kali priait pour que le dragon ne les remarque pas mais elle espérait qu'Isa'th réagirait mieux face au poursuivant épuisé que face à une foule agitée lui chargeant dessus. Mais il se retourna, regardant avec fureur et son dernier œil le porteur « Voix du Vent … Viens-tu porter le coup de grâce ?

  • Pas moi … Je ne voulais pas … Continuait-il.
  • Allez … Montre toi. Comme la dernière fois. » Demanda-t-il en marchant rapidement vers lui, cherchant à économiser ses forces.

Le sang coulait sur le toit, colorant le bois et le métal en orange sale. Kali et Ahmost tremblaient de peur, ils se concertaient d'un regard mais aucun d'eux n'avait de plan. Ahmost se rappela alors où était parti son camarade et demanda : « Qu'est-ce qui s'est passé à l'arrière du train ?!

  • Oh, je ne t'avais pas remarqué. Perdre un œil est plus handicapant que je ne l'imaginais. Tu es un vautour pas vrai ? Cet uniforme grossier, celui-là avait le même. Il essayait de marchander d'autres passagers pour sa survie. Et apparemment, il n'avait jamais rencontré d'oracle pour agir aussi imprudemment.
  • Enfoiré … Comment est-ce que tu espères cacher ça au monde ? Même les autres dragons trouveront ton comportement déplacé et irresponsable !
  • J'en doute. Espères-tu sérieusement gagner du temps en m'assommant de paroles ?! » Rugit-il avant de déployer ses ailes et se propulser vers les autres.

Kali lâcha le bras d'Isa'th, le laissant reposer entièrement sur Ahmost. Le dragon armait son coup, la patte gauche remplie de flammes fonçait sur elle. Un pas. Elle dégaina l'épée noire du porteur et s'avança malgré la blessure à sa jambe. Un pas. Elle tenta de s'interposer entre le coup et Isa'th. Elle craignait encore la force de la bête ainsi que son pouvoir étouffant. Un pas. Les flammes la déshydratait déjà. Elle amena l'épée devant elle pour qu'elle la protège sur la longueur. Ahmost la regarda avec stupéfaction tandis qu'il supportait Isa'th qui regarda, impuissant, Kali s'élancer devant lui. Le dragon frappa et Kali fut projeté au fond du train malgré le balayage de l'air, prête à en chuter. « Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas sauvé ? » Entendit-il en la regardant allongée sur le sol, des mèches de cheveux cachant ses yeux, la bouche ouverte et la peau parcourue de gouttes de sang. Il se retourna, lentement, regardant le dragon récupérer de la douleur qu'avait causé ce mouvement de bras et il chargea sa gueule de nouvelles flammes, jaunes cette fois-ci.

Il se sentit attiré vers la grotte, imaginant l'homme en noir au fond de celle-ci. Il s'avançait en dehors de la grotte, se tenant à l'entrée cachée par la cascade. Il commençait à tendre la main à l'extérieur. L'attaque destructrice qui avait ravagé la végétation autour du train était lancée vers eux cette fois. Ahmost eut le réflexe de lâcher le bras gauche du porteur pour chercher à atteindre ses gourdes remplies d'eau et en sortir le contenu, mais même en faisant les arcs de cercles pour la manipuler, il ne savait quoi en faire face à l'envergure de l'attaque. Il tremblait de peur en regardant son eau s'évaporer à une vitesse folle. La boule de feu se rapprocha rapidement. Isa'th s'avança. Une bourrasque s'éleva, le sabre fut arraché de la main de Kali pour atterrir dans la droite de Isa'th. En l'attrapant, il lui fit faire des moulinets avant de tourner sur lui même pour finalement décaler l'attaque de son adversaire sur le côté gauche du train avec une plus grand vague d 'air, elle faisait bourdonner les oreilles de tous ceux qui étaient encore conscients. Ahmost fut surpris de la différence de puissance qu'il y avait entre celle-ci et celles qu'il employait dans leur court échange sur le navire. L'explosion déstabilisa le train mais les deux opposants restaient là, stables à se dévisager : les mèches de Isa'th cachaient ses yeux, le dragon cherchait encore s'il verrait une lueur rouge en sortir. Il prépara alors une autre salve, sa concentration décroissait. La gueule était imbue d'un autre brasier jaune qu'il s’apprêtait à lancer. Son adversaire se rapprocha instantanément de lui, ne restait que deux mètres entre eux mais le dragon se sentit menacé alors il eut le réflexe de reculer un grand coup, sa concentration s'envola et les flammes commencèrent à être de plus en plus instables dans sa gueule. Il tira l'épée de la gauche de sa jambe à son épaule droite, gardant la lame horizontale avec son annulaire et auriculaire seulement, toute sa force y était mais son énergie était concentrée sur le tranchant de toute la lame. L'air dessina un trait blanc sur l'aile du dragon, une partie du toit sur la gauche. Le trait disparu et la connexion entre les différentes parties de l'aile se séparèrent, une partie du toit tomba lourdement du train mais le boucan causé par le balayage du vent et la bourrasque cachèrent le son de sa chute. Le dragon lâcha un cri de douleur en relâchant maladroitement les flammes qu'il accumulait, lui rentrant dans les yeux, cautérisant l'un et blessant l'autre.

« Maudit ! Tu t'es enfin réveillé ?! » Rugit-il de nouveau mais il n'eut aucune réponse, son adversaire se contentait de rengainer son épée dans son fourreau se préparant à recommencer l'assaut : il posa sa main droite sur le manche, main ouverte, jambe droite fléchie, la gauche tendue et main restante au bout du fourreau, le pouce était sur le point d'en tomber. Il tenta de le frapper avec sa patte droite cette fois, chargeant encore son coup remarquant les tremblements qui prenaient le corps de Isa'th lors de sa pause dynamique. Il frappa violemment le toit, écrasant le bois qui le constituait et celui-ci tomba. Son adversaire était contre lui, il dégaina son arme et frappa le torse de la bête en imprégnant la lame de toute l'énergie qu'il pouvait rassembler. Bien qu'il fallait que le résultat soit le plus tranchant possible, l'air autour d'eux était bruyant et désagréable, son cœur se crispait et son ventre brûlait. Il toucha alors les écailles du dragon : des fragments noirs volèrent hors de l'impact ainsi que des perles de sang sombres. Isa'th regarda surpris l'état de son arme : brisée, les fragments tournaient autour de lui, suivant l'air qu'il invoquait, accompagnées de quelques écailles noires tranchées. Il assista impuissant au fracas de son arme qui l'accompagnait depuis si longtemps. Le dragon recommença son attaque avec son autre bras, les dernières flammes qu'il pouvait réunir. Un brasier jaune suffisamment chaud pour brûler les herbes d'en bas si elles étaient plus proches. Le feu s'écrasa vers son adversaire, asséchant les planches qui composaient ce toit. Le bras doré fonçait sur son adversaire qui le regarda avec effroi. Le bras s'écrasa de nouveau. Isa'th tourna autour de la colonne de feu. Il sentait la chaleur traverser son manteau mais il la sentit surtout de son bras droit qui semblait brûler du même éclat. Sa manche droite se déchira tandis que les écailles semblaient se développer de plus en plus. Le vent et la chaleur détériorèrent l'habit jusqu'à l'épaule, révélant la forme des nouvelles écailles : celle du bras supérieur formait une tête de dragon, plus jeune que celle de Druni. Sa mâchoire renfermait le bras : l'intérieur du bras était recouvert de la mâchoire inférieure, le haut, la supérieure. L'intérieur de la gueule était entièrement noire, on y voyait les racines des écailles. Il tenait encore l'arme du mieux qu'il pouvait, même avec les deux-tiers de la lame envolée autour de lui. Mais il remarqua quelque chose d'inhabituel avec ses écailles ce jour-là : les écailles semblaient de plus en plus souples, voire mobiles. Il avait presque réussi à transpercer le torse du dragon. Et cela arriva : les écailles se détachèrent de son bras droit. Elles s'alignèrent sur la lame, la recouvrant entièrement, formant la lame manquante en reprenant les éclats précédents comme base, laissant derrière un bras de lexidae recouvert de cuir noir mince en laissant des coins plus sombres pour révéler les racines. La lame était aussi longue que l'ancienne mais d'un éclat argenté brillant, ne laissant aucune garde : la jonction entre la lame et la poignée était assurée par la tête de dragon qui coulissa le long du bras d'Isa'th. Le vent formait une troisième couche de la lame. Aiguisée, la pression de l'air autour de l'arme perça sans difficulté le torse de la bête qui inspira lourdement tandis que la lame se faufila entre les écailles restantes.

Alors que l'air échappait ses poumons par la blessure, il parvint à murmurer quelques mots quand son sang se répandit sur le toit du train « Je te l'avais prédit. Tu ne changeras pas ton destin. » Dit-il en regardant Isa'th dans les yeux qui restait debout, les yeux emplis de larmes tandis qu'il réalisait ce qu'il faisait devant ce dragon. La bouche ouverte, il essayait de formuler ce qui lui passait par la tête. Mais il restait perdu dans ses pensées en sentant un sang autre que le sien le parcourir. Le dragon recula, se retirant de l'arme lui-même, laissant son sang tomber sur le sol. Respirer devenait impossible, sentant le froid parcourir son corps pour se refermer de plus en plus sur son cœur, il regarda un petit animal effrayé, embrassé par le désespoir, il pleurait toutes les larmes de son corps sans être capable de bouger le moindre muscle. Les yeux vides mais parcouru de lueur rouge. Il le regarda avec pitié : « Je regrette qu'on en soit arrivé là. Je suis sûr qu'en d'autres circonstances, d'autres temps, on aurait pu rire de cette ironie. Tu voulais prouver que tu pouvais échapper à l'ordre de ce monde. Je voulais vivre et découvrir où il irait. Je suis curieux de savoir jusqu'où tu iras dans ce monde tordu. Ria-t-il péniblement avant de murmurer plus bas. Ce renard sera ta perte. Tu le percevras bien plus perfide que moi plus tard. La Voix du Vent est vraiment impressionnante, tu pourrais bien être le seul vrai mage de cette planète. Reconnut-il. Adieu, Isa'th de la Vallée du Vent. »

Le dragon chuta, tombant du train. Laissant une dépouille dont les vautours et les autres charognards se régaleraient. On pouvait voir des traits blancs se disperser dans l'air, les derniers vestiges d'un supérieur, emportant sa conscience sur la Toile. Kali se réveilla enfin. Se tenant encore le bras en sang et cherchant le poursuivant mais elle ne voyait qu'Isa'th de dos qui relâchait enfin sa garde pour tomber au sol, se reposant sur ses jambes. Sa nouvelle arme se désagrégea : les écailles qui composaient son arme quittèrent l'ancienne épée de jais pour s'enfoncer précipitamment dans le bras du porteur. Kali s'approcha de l'animal blessé qui asséchait ses yeux en pleurant, son bras saignait encore de l'implantation de toutes les écailles, mais sous le choc, il ne réagit pas à leur assaut. Elle était à portée pour le saisir, elle s'attendait à ce qu'il retourne pour la repousser à cause de son chagrin mais il n'entendait rien : il regardait le vide, encore paralysé. Elle s'approcha lentement de lui, boitant jusqu'à lui. « Isa'th … Je suis désolée, si désolée … ». Il se retourna alors, regardant Kali dans les yeux. Elle fut surprise, au point d'en reculer : des cernes s'étaient creusées sous ses yeux qui venaient de voir l'enfer devant lui. Il la regarda, une confession lui brûlait les lèvres. Il tentait de prononcer son nom mais aucun son intelligible ne sortait. Il pleura de nouveau en la regardant, la suppliant de son pardon. Elle ne dit rien non plus, elle l'attrapa. L'enlaçant, elle le rejoignit dans ses pleurs. Bien que plus faibles, elle le serra en essayant de prononcer à son tour « On va s'en sortir … On va s'en sortir… » Continuait-elle de répéter en passant ses bras autour de lui. Il arrivait enfin à prononcer quelque chose de compréhensible : « Je suis désolé … Je suis désolé … ». Le renard et Ahmost assistaient à leur réunion. L'animal regardait, impuissant, l'horizon qui se rapprochait inéluctablement.

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