Chapitre 34 – Initiation aux pas

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Après avoir obtenu les toiles pour le saut de la montagne, il fallait s’assurer que l’atterrissage de la navette de secours permettrait de suivre un passage sous le pont puis, idéalement, rentrer directement dans le repaire des Chats Noirs. Mais d’après ce qu’ils avaient entendu chez Salem, ils ne leur restaient que deux semaines et cinq jours, alors la majorité des Chats s'affectèrent à la conception de modèles de parachute plus efficaces. Un petit groupe était pendant ce temps chargé de trouver un passage pour la suite de l’opération si elle se passait sans problème jusque-là. Laissant Relm s’occuper du renard qui était toujours aussi inquiet de son absence, Isa'th partit avec Aman lorsqu'il entendit la nomination de sa partenaire. Ils étaient positionnés sous le pont et cherchèrent les différents passages qui avaient été creusés dans la structure. Ils en trouvèrent cinq dans les pierres taillées et prirent des bandes de tissu noir numérotée pour tracer leur chemin s’il était utile ainsi que les dimensions des passages associées au numéro sur une feuille de papier. En commençant à escalader un mur pour accéder à une faille, Isa'th demanda : « Tu as dit que tu m’apprendrais à être plus à l’aise avec les autres, on pourrait commencer ?

  • Bien sûr. Tu t’en sors plutôt bien avec les gens que tu rencontres. Quoique tu t’es fait embarquer par des emmerdeurs dernièrement mais c’est pas de moi que tu devrais apprendre comment se débarrasser d’eux. Ajouta-t-elle en riant et craquant ses doigts. Première leçon qui te serait utile donc … déterminer ce que tu aimes. Réfléchit-elle.
  • Ce que j’aime ? Demanda-t-il, surpris.
  • Bah oui, si tu ne sais pas ce que tu recherches, comment pourrais-tu espérer le trouver ? Si tu trouves ce qui t’attire, tu seras plus vigilant avant de prendre une mauvaise décision.
  • D’accord. Répondit-il en rougissant.
  • Ensuite … ce que tu attends de cette personne. Si tu es avec quelqu’un seulement pour ne pas être seul et t’ennuyer, c’est mal barré. Tu dois être avec quelqu’un qui te complète. Comme les âmes sœur par exemple. Tu vois ce que c’est ?
  • Un peu, dans un livre. Ça disait que les deux s'opposent mais s'assemblent.
  • Oui voilà, il n’est pas question seulement d’opposition. Tu devrais jeter ce livre d’ailleurs, si c’est pour apprendre n’importe quoi. Continua-t-elle en roulant les yeux. Les âmes sœurs ne sont pas totalement différentes, elles se complètent. Ce n'est pas … la terre et l’air par exemple, niveau élément ils sont totalement opposés. Alors que le feu et l’air, ils se complètent : pas d'air, pas de feu. Pas de feu alors peut-être pas d’air … Je suis pas sûr de mon exemple, il faudrait que je revoie ça. En tout cas, retiens qu’il ne faut pas être entièrement opposé pour se compléter, l’air et le feu sont plus proches qu’il n’y paraît.
  • Comment ça ?
  • D’après ce que j’ai compris : magiquement, ils sont très proches, même au niveau des méridiens. Celui du feu est déjà proche de celui de l’air, mais celui du feu représente la passion et celui de l’air l’amour. C’est pas un hasard.
  • Comme la vitesse et l’altitude ?
  • Hein ?
  • Quand on prend un pendule simple, à l'instant où le pendule est en haut, prêt à redescendre, toute l'énergie dépend de l’altitude et est prête à être relâchée. Au moment où le pendule redescend, cette énergie se transforme en vitesse. Il y a une transmission. À l'inverse, lorsque ce pendule remonte, cette énergie de vitesse se transforme à nouveau en énergie d’altitude, au fur et à mesure de son ascension. L'énergie d’altitude, n'existe alors que parce qu'une phase d'énergie de vitesse existait. Cette énergie de vitesse n'a été possible que parce que de l'énergie d’altitude a été accumulée. Ça marche comme exemple ?
  • Euh, oui ? Comment tu sais tout ça ?
  • Le monsieur qui vendait le pendule m’a répondu quand je lui ai posé la question. Pourquoi ?
  • Bon…, c’est bien beau de parler d’attraction et de complémentarité, mais comment faire pour attirer l’attention de quelqu’un sur soi-même. Faire l’idiot marche rarement et quitter la personne en question pendant trois ans encore moins. Mon frère m’a parlé de ce que tu as dit à Kali quand vous étiez seuls. Tu es sûr que tu peux échapper à ton destin ?
  • Entièrement sûr.
  • C’est con, tu ne sais pas quand ce dragon aurait dû mourir. Tu aurais très bien pu le laisser vivre pour que tu puisses le tuer plus tard. Ou bien il t’a menti pour que tu l’épargnes, il y a trop de possibilités mais tu penses quand même avoir changer le destin en y repensant ?
  • Pour être tout à fait honnête … il s’agit moins de penser pouvoir changer son destin que de devoir le changer. Je ne veux pas tuer d’autres personnes. Et je ferai tout pour que ça change. Et je veux croire qu’il est possible de changer son destin, c’est ce qui me fait continuer. Je veux juste qu’on puisse choisir nous-même notre mort, que l’on puisse vivre pleinement et comme on le souhaite.
  • Dis-lui ça la prochaine fois. Elle préfère l’honnêteté, et … même si ça la rassure moins, elle en serait quand même touchée. Bon, de retour au boulot? Celui-là mène à deux ruelles du repaire et mesure deux mètres de longueur pour un mètre de largeur et c’est le plus gros qu’on ait trouvé. J’imagine qu’on se contentera de ça.
  • Tu penses vraiment qu’il faut que je sois honnête ?
  • Oui, c’est ce qu’il y a de mieux à dire.
  • Justement, il y a des vérités qui blessent, peut-être qu’elles n’auraient pas dû être racontées. »

Ils repartirent en direction de leur repaire dans la moyenne en enlevant toute trace de leur passage : les bandes de tissus, les traces de pas et d’escalades. Et en silence, ils se demandaient encore s’il fallait avertir Kali des paroles d’Isa'th. En sortant du tunnel et en se déplaçant jusqu’à la trappe en bois, ils entendaient les indications des autres Chats les prévenant du manque de gardes autour d’eux et que la voie était donc libre. En montant l’échelle, Isa'th fit attention de passer en premier pour ne pas faire face à la même situation que précédemment et arrivé en haut, il fut accueilli par le renard qui le renversa et défit suffisamment le haut de sa tenue pour révéler le bras droit et il renifla en observant attentivement les moindres écailles. Quand ils le virent faire, ils rirent de l’animal avant que celui-ci s’écarte et se mette à l’écart. Puis en se relevant en riant également, Isa'th voyait Kali rire parmi eux et Aman se tenant un peu plus loin d’elle le regardant, et il perdit son sourire et se leva pour rejoindre la jeune femme rousse. Quand il se tenait à deux mètres d’elle, Aman s’éloigna pour leur laisser l’intimité dont ils avaient besoin. « Kali, je … Commença-t-il en baissant les yeux et en parlant doucement.

  • Aman m’a raconté. Répondit-elle sèchement.
  • Quoi ?
  • Pourquoi est-ce que tu serais allé chercher des conseils en demandant à Aman ? Elle est à l’aise avec les gens mais elle l’est trop, crois-moi.
  • On pourrait se mettre à l’écart ? Demanda-t-il après avoir pris une grande inspiration.
  • Ah, euh oui. » Répondit-elle en rougissant.

Ils montèrent à l’étage supérieur, Isa'th remarqua pour la première fois une cuisinière à feu traditionnel et une baignoire, les murs étaient en pierre pour cet étage. « Aman pense que l’honnêteté est quelque chose de primordial et qu’elle devrait être racontée. Mais je pense qu’il vaut mieux taire des faits, car des vérités sont trop douloureuses à accepter.

  • Qu’est-ce que tu veux dire ?
  • Quand j’ai dit que l’on peut changer le destin, je le disais parce que je l’espère, pas parce que j’en ai la preuve. Je veux croire que l’on peut changer le destin parce que je ne veux pas devenir un monstre. Je refuse de penser que je deviendrais un monstre et je ferais tout pour que cela n’arrive pas. Mais … Aman a confirmé ce que je craignais : je n’ai pas de preuve que j’ai changé le destin de ce dragon. Il y a trop de possibilités pour penser que je l’ai vraiment épargné. Je suis désolé, j'aurais dû te le dire.
  • Alors … tu m’as menti ?
  • Oui …
  • Approche-toi. Dit-elle d’un ton ferme, ton qui indiquerait qu'il ne recevrait plus de contact chaleureux de sa part et perdrait une amie à laquelle il tenait plus que tout, et il respirait de manière saccadée. Je te pardonne, tu as menti quand j’en avais besoin. Même si j’aurais préféré que tu me dises la vérité depuis le début, je suis toujours soulagée d'entendre que l’on peut changer son destin. Et de ce que je sais, les dragons mentent très mal, et ça c’est plutôt encourageant, non ? » Proposa-t-elle avec son tendre sourire.

Isa'th se mit à pleurer devant elle en tombant sur ses genoux en disant encore : « Je suis désolé … je suis désolé … ». Le vent s’intensifia dehors. Le calme retomba quand Kali posa la tête d'Isa'th sur ses cuisses en lui frottant la tête. Elle était assise et ils regardaient par la fenêtre. Puis elle murmura un air de chanson doux avec quelques remontées. Isa'th respirait normalement, il était bien et il se sentait nostalgique. Comme lorsqu’il était dans la Vallée du Vent, il était posé dans les herbes en train d’écouter la mélodie du vent. Là où il posait sa tête semblait aussi chaud que les plantes exposées à l’éclat d’Ali’i. « Tu te sens mieux ? Demanda-t-elle.

  • Bien mieux, merci. Et encore …
  • Ne le dis pas. Je comprends. Tu sais, il va y avoir un grand bal dans la moyenne. Les gens qui y vivent s’organisent toute l’année pour pouvoir aider ceux de la basse en récoltant des fonds. Les Chats Noirs financent ce projet de toutes les manières qu’ils peuvent. Il arriverait dans trois semaines maintenant, tu voudrais venir ?
  • Oui, il faut faire quelque chose de particulier ?
  • S’habiller correctement et s’amuser. Répondit-elle en souriant.
  • Mes habits sont troués, je pourrais aller en acheter ?
  • Oui je te montrerai avant le bal.
  • Je ne suis pas sûr de ce qu’est un bal.
  • C’est une fête où les gens viennent s’amuser. Surtout en dansant.
  • « Dansant » ?
  • Oui, les gens viennent et se mettent à danser. C’est amusant quand on s’y met vraiment.
  • Tu m’apprendrais ? A danser ? » S'inquiéta-t-il en se tournant vers elle.

Elle se leva en entendant sa demande, le relevant par la même occasion, et lui fit écarter les pieds de trente centimètres et lui leva les bras jusqu’aux épaules. « Alors, de base … les mains d’un côté se tiennent, et … Les deux autres se posent là. Continua-t-elle en posant sa main droite contre le dos d'Isa'th qui se raidit d’un coup et se tenait plus droit qu’un « i ». Et la tienne sur ma taille.

  • Où ça ? » Paniqua-t-il, surpris, mais surtout gêné.
  • Sur ma taille. Continua-t-elle en posant la main droite d'Isa'th d’elle même.
  • Ensuite, celui qui mène donne le rythme et les mouvements à faire, pour l’instant je vais mener. Alors … » Proposa-t-elle en décalant son pied droit vers l’extérieur, fléchissant les genoux et en élançant sa main gauche.

Isa'th l’accompagnait en copiant ses mouvements. « Oui, bien ! » Ils décrivirent des boucles en déplaçant leurs pieds. « Et maintenant dans l’autre sens … » Ils terminaient les boucles dans l’autre sens tout en riant quand Isa'th exagérait les mouvements qu’il copiait : elle faisait glisser son pied et il le soulevait du sol pour le poser correctement et dans le pire des cas il marchait sur les pointes des pieds de Kali ce qui l’a prenait par surprise en la faisant rire. « Voilà pour une danse classique mais il y en a d’autres, par exemple … tiens ton bras droit comme ça et garde le gauche dans ton dos pour le moment. » Elle lui prit les mains pour mettre la droite en suivant la direction du buste et la gauche un peu au-dessus du bassin. « Voilà, ensuite je te rejoins », elle prend la même pose que Isa'th, « et on tourne ». Ils décrivirent un cercle avec les traces de leur pas quand ils marchèrent, « on change de bras et de sens de rotation … puis on accélère ! » Et ils passèrent des pas de côtés aux sautillements qui les réjouirent tous les deux sous un nouveau rire. « Très bien ! Maintenant on se prend les mains, les gauches avec les droites et on se tire de l’une et on pousse de l’autre en pivotant le bassin… » Isa'th ressentit cette chaleur qui lui manquait tant, de ses deux mains, il jouissait de ce contact et rougissait de nouveau. Ils tournèrent en même temps qu’ils se tiraient et poussaient, puis Kali surprit Isa'th en soulevant sa main droite en l’air et en tournant en dessous pour se retrouver à quelques centimètres du visage du danseur. Elle tourna en repassant sous le même bras pour s’éloigner et ils continuèrent à danser en tournant l’un autour de l’autre. Isa'th essaya de nouvelles postures et posa le genou droit au sol tandis que le gauche restait fléchi et formait un angle droit. Il leva sa main droite où Kali se tenait pour passer au-dessus de la jambe de Isa'th puis devant lui et ils inversèrent les rôles. Le bruit qu’ils faisaient avec leur pas et leur rire attira le regard de plusieurs Chats : Aman, Oneeki, Relm, Minos, Mesa, Mathusalem et Crésus s’empilèrent pour voir les deux danseurs tandis que seule la tête d’Atlas dépassait de l’escalier pour observer la scène. Le visage de ce dernier disparut un moment et on l’entendait remuer des affaires en bas et quand il monta quelques marches on entendit des cordes se faire pincées.

Isa'th ignorait tout des instruments de musique et il en voyait un pour la première fois : un manche de bois recouvert de douze cordes, séparées par groupes de deux de quelques millimètres. L'extrémité donnant sur une partie recourbée avec six vis en bois reliées chacune à un groupe. L’autre extrémité donnait une partie bombée en lamelle de bois sombre où les cordes y étaient courbées par une partie surélevée pour se resserrer finalement à la fin de l’instrument. La partie bombée ressemblait à une poire pour Isa'th mais qui aurait été creusée à l’intérieur. Le tout mesurait soixante-quinze centimètres de long.

Atlas commençait à jouer à un rythme rapide suivi de percussion sur les escaliers. Il fut rejoint par les clappements de mains des spectateurs à la vue de la chorégraphie des deux danseurs qui montraient leurs mouvements : bras droit en face du buste et gauche dans le dos et décrivant des demi-cercles avec leur pas avant de revenir en changeant de bras. Lorsque le rythme d’Atlas accéléra, ils sautillèrent en tournant puis passèrent au second tour et se tirèrent les mains d’un côté et les poussèrent de l’autre tout en basculant le bassin. Puis Isa'th s’agenouilla pour que Kali fasse le tour de son corps en lui tenant la main droite. Kali essaya de nouveau de le piéger en lui faisant lever le bras et en passant dessous, mais cette fois-là Isa'th ne la laissa pas partir et se trouvait dans son dos et ils recommencèrent les pas de côté avec Isa'th qui dirigeait et lançait leurs mains en haut et en bas. Et quand il l’a fit tourner, ils se retrouvèrent à se tenir les mains et à tourner, tourner de plus en vite dans le même sens, la musique accélérait ainsi que les applaudissements. Isa'th tenta audacieusement de la tenir sous les bras et la lever au-dessus de sa tête ce qui l’a surpris mais qui l’a fit surtout rire quand elle était au sommet. La musique s’arrêta quand les applaudissements retentirent dans la pièce. Isa'th et Kali étaient essoufflés mais ne pouvaient pas s’empêcher d’en rire et leur sourire mutuel étaient aussi rassurants autant pour l’un que pour l’autre. « Je ne savais pas que vous dansiez ?! S’exclama Mesa.

  • Je viens de voir les bases. Répondit Isa'th en souriant encore. On pourrait recommencer plus tard ? Proposa-t-il en regardant Kali
  • Ça sera pour la fête mon petit danseur. » Répondit-elle en lui frottant la tête, ce qui lui coupa le rire pour laisser place à un air gêné.

Le renard avait réussi à se faufiler pour voir le spectacle, et les Chats qui y ont prêté attention notèrent les yeux humides de l’animal quand il regardait son compagnon. « Je transpire, je prendrais un bain. T’en veux un aussi Isa'th ?

  • Un bain ?
  • On remplit la baignoire là-bas d’eau pour se laver, ça te dit ?
  • Oui, je voudrais essayer.
  • Bon, tu passes en premier. Je te trouverai des vêtements propres. Tu te déshabilles, tu t’enroules dans la serviette sur la chaise et j’amènerai l’eau. »

Isa'th se retrouvait devant la baignoire, ne portant que la serviette. Il regardait les marques à ses jambes. Les flammes avaient énormément dévoré la peau, retirer ses bas était douloureux. L'épiderme hâlé passait de l'écarlate au rouge foncé en descendant. Il coupa la peau qui se détachait en la prenant entre ses doigts écailleux, une opération douloureuse mais nécessaire. Il pensait qu'il devait faire un minimum de présentation avec ce corps mutilé et muté. Même s’il préférerait ne pas le faire, il continuait et se demandait : « Est-ce que c’est juste ? ». Est-ce qu’il était juste qu’il profite de tous ces moments avec les Chats Noirs alors qu’il avait pris l’avenir de tous ces gens dans la grotte dont il ne pouvait se rappeler leur visage. Cette pensée rendait la danse bien moins agréable à cause de la culpabilité. Mais dans tous les visages oubliés dans la grotte sanglante, deux revenaient encore et toujours dans son esprit : Strago et Relm le dévisageaient de leurs yeux injectés de sang et d’effroi et de larmes. Le bruit sourd que provoquaient les gouttes de sang tombant dans la mare rougeâtre ne faisaient qu’amplifier le spectacle macabre dans son esprit. Ce sanctuaire autrefois beau par ces nuits étoilés et éclairé par la couleur dorée de Mahina sur ces cascades et cet arbre toujours en fleur ne demeurait dans le souvenir d'Isa'th uniquement sous la forme de cette grotte et de l’homme en noir en son centre. Assis sur la chaise, il entendait les plaintes et les insultes de tous ces morts : « crève démon ! », « fuyez ! », « c’est un monstre ! » … Assis sur cette chaise, il serrait son bras droit de toutes ses forces mais il ne ressentait aucune sensation de celui-ci. Dans une tentative désespérée d’y ressentir quelque chose et chasser ces pensées morbides, il attrapa son épaule gauche de ses griffes et se déchira une partie du bras en poussant un hurlement rageur. Ses doigts étaient couverts de lambeaux de peau. Il ne restait dans le repaire qu'Isa'th et le renard qui accouru en entendant le cri de douleur mélangé à de la haine à l’étage du dessus. Il y voyait son compagnon la tête plongée entre ses mains et respirant fort en se retenant de pleurer. Le sang coulait de la plaie et se répandait petit à petit sur le bois du plancher en colorant le côté droit de la chevelure d’Isa'th.

Ses mains tremblaient et le vent dehors faisait claquer les volets des maisons et renversait les chariots laissés nonchalamment. Le renard s’approcha lentement et prudemment mais des deux dans la pièce, il semblait le plus triste. Quand il eut presque touché le jeune homme, celui-ci se releva et lança avec un regard noir : « Tu sais où tu m’emmènes, tu sais pourquoi. Tu es intelligent et comprends ce que je te dis. Alors pourquoi est-ce que tu me laisses autant dans le noir ?! Tu étais là depuis le début mais comment et pourquoi ?! Est-ce que tu connais également la fin du voyage ou tu me guides en espérant que je ne meurs pas trop tôt ?! Qu’est-ce que tu veux de moi ?! Réponds moi … Tu peux le faire mais tu restes muet, tout le temps … Qu’est-ce que je suis censé faire ?” Le renard était toujours aussi muet, il se contenta d’aller chercher dans les affaires d'Isa'th une carte dans un livre où il pointa la ville de Lazulis sur Laniakeä. Et ce fut tout. Aucune autre information. Le silence régnait une nouvelle fois entre les deux.

« Si tu ne me donnes pas plus d’informations je devrais rester ici avec eux. Mais tu me guides depuis longtemps. Dès qu’on en a fini avec cette opération je me dirigerai de nouveau à Lazulis et quand j’y serai tu répondras à mes questions aussi nombreuses soient-elles. Compris ? » Il répondit par un acquiescement vertical. Dans ce silence, ils entendirent parfaitement les bruits de pas dans l’escalier qui montait vers eux pour finalement révéler Kali avec des vêtements et un grand seau en bois sur les bras. En voyant la scène devant elle, elle prit une inspiration en affichant un air choqué : la vue des jambes d'Isa'th, marquées ainsi par le feu lui rappelait les histoires qu’il avait raconté et le sort qui était le sien. Mais les griffures sur son bras étaient de toutes évidences récentes et elle demanda alors : « Qu’est-ce qui s’est passé ?! » en jetant les affaires par terre et en récupérant une trousse sous le lit qu’elle ouvrit pour en sortir des bandages et différents liquides.

  • Je me suis coupé en sursautant. Répondit-il avec un faux sourire, mais les gouttes de sueur sur son visage le trahissaient.
  • Tu mens mal. Commenta-t-elle en appliquant un liquide alcoolisé sur un torchon. Ça va faire un peu mal … À quoi est-ce que tu pensais idiot ?
  • Depuis quelque temps, je voyage à partir de la Vallée du Vent et j’ai rencontré plusieurs personnes. De toutes ces personnes que j’ai rencontrées, les survivants se comptent sur les doigts des mains. Je vois encore leur corps dans cette grotte, leurs vêtements, leur physique … tout sauf le visage. Je ne sais plus à quoi ils ressemblent à part deux d’entre eux : ils me regardent, pétrifiés par la peur. Ils me dévisagent. J’ai du mal à dormir certaines nuits à cause de leurs paroles qui reviennent. Ils avaient peur de moi, ils me détestaient. Je ne voulais pas que ça arrive mais je les ai tués … Je ne me rappelle même plus des autres ...
  • Isa'th … »

Elle ne savait pas quoi dire, elle se contenta de nettoyer les plaies et de poser son torchon dessus qui provoqua un autre sursaut et une grimace de la part du blessé. Elle passait le tissu qui se retrouva salit de sang rapidement. Elle nettoyait en silence en cherchant quoi dire mais elle ne trouvait rien à part : « Va dans la baignoire. » d'un ton ferme sur lequel il s’exécuta. Isa'th se tint en boule dans la baignoire en se demandant ce qu’elle voulait faire et elle lui versa le sceau d’eau froide précipitamment sur la tête ce qui le fit frissonner et redresser le dos d’un coup. Il regarda Kali d’un regard vexé qui lui fit afficher un sourire encore triste. Elle se racheta en frottant ses cheveux en récupérant de l’eau dans la baignoire et en enlevant les taches de sang de ceux-ci. Elle les faisait passer entre ses doigts et en tirant légèrement dessus, des racines aux pointes. Puis elle passa au dos, elle commença par le bas et en remontant elle atteignit l’épaule droite recouverte d’écailles. Des écailles se formaient en sortant de la peau et d’autres s’aggloméraient en s’éloignant de l’épaule : elles formaient plusieurs petites plaques par-dessus d’autres écailles, et une pointe se formait sur le haut de l’épaule. Alors que celles de l’avant-bras étaient déjà développées : les écailles autrefois immatures avaient fait place aux anneaux de métal qui s’allongeaient et commençaient à s’éloigner du coude et trois petites plaques se relevaient sur le dos de la main et après le poignet. Mais malgré toutes ses écailles qui causaient la peur chez les autres, elle les lavait avec attention en frottant avec ses doigts délicats.

« Tu te blâmes pour la mort de ces personnes, mais ils avaient peur. Peur de l’inconnu et ils n’ont pas cherché à te comprendre. Mais s' ils étaient nés comme toi ? S’ils avaient eu un bras différent des autres parce qu’ils avaient besoin de faire un pacte, ils auraient voulu vivre malgré la haine des autres. S’ils t’avaient connu, ils auraient fait preuve de compassion. Et moi qui apprends à te connaître, je veux que tu t’accroches à la vie, compris ?

  • Compris ?
  • Je veux que tu me promettes, peu importe ce qui t’arrive ou aux gens autour de toi, tu vivras et chercheras à être heureux. Promets le.
  • Seulement si tu promets la même chose. Je ne te laisserai pas partir.
  • On se reverra, on arrivera à changer ce destin. Je crois en toi.
  • Kali … Murmura-t-il en baissant la tête.
  • Oui ? Demanda-t-elle en inclinant la tête pour mieux l’entendre.
  • Après cette opération, je devrais aller à Lazulis. Je me plais ici, beaucoup je t’assure. Mais je dois quand même y aller.
  • Je vois …
  • Et je me demandais si tu serais intéressée de … partir avec moi ? »

La question d'Isa'th avait stoppé les mouvements des doigts de Kali et laissait un silence gênant dans la pièce. Il restait la tête baissée en attendant la réponse, pour cacher sa déception si elle était négative. Tout en serrant ses bras, il entendait les battements de son cœur résonner dans sa tête, de plus en plus vite. « Je… » Les premiers mots de Kali annonçaient une douleur dans le cœur d'Isa'th. Bien qu’il s’y était préparé, il redoutait de quitter ces liens qu’il a forgés depuis son arrivée à Aelton. Il attendait la fin de sa phrase avant de se rendre compte que le poids de ses mots était aussi dur à supporter que les blessures qu’il avait endurées. « J’accepterais à une condition. Dit-elle en parlant doucement dans l’oreille du jeune homme.

  • Laquelle ?! Exigea-t-il de savoir en montrant un air attentif et stressé en se levant de la baignoire.
  • Remets ta serviette comme il faut. Répondit-elle en riant de manière gênée et en tournant la tête sur quoi Isa'th s’exécuta en se retournant et resserrant la serviette le plus vite qu’il pouvait.
  • C’était ta condition ?! Demanda-t-il avec des étoiles dans les yeux.
  • Non. Ma condition est que je t’accompagnerais si … Murmura-t-elle en se rapprochant de son oreille droite en passant sa tête à côté de la sienne. Tu me fais danser comme personne ne l’aurait jamais fait dans le monde.
  • Compris. J’y arriverai. Dit-il avec un sourire qu’il avait perdu avant qu’elle ne rentre. Et tu verras, tu transpireras beaucoup plus que la dernière fois. Continua-t-il avec un regard innocent.
  • Très bien … Je vais déjà finir de te laver puis je me laverai et … on verra ça plus tard, hein ? Annonça-t-elle en se retenant de rire et en rougissant plus que d’habitude.
  • D’accord ? »

Isa'th réfléchit à la réaction surprenante de Kali. En cherchant une réponse, il se rappela de l’explication d’Aman à propos de ce qui aurait dû arriver si deux personnes dormaient sous le même toit selon elle. Et, en prenant une grande inspiration, il réalisa le sous-entendu qu’il avait donné avec le plus grand sérieux du monde. L’eau autour de lui aurait pu bouillir à cause de ses rougissements. Il y eut d’ailleurs peu de transactions clandestines cette nuit à Aelton. Trop de vent.

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