Chapitre 30 – Chats au repos

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« Bon, maintenant que nous avons recruté notre vedette de la douane il va falloir faire très attention à ne pas attirer le regard des gardes quand on est avec lui. C’était le premier point, ensuite, sans vouloir te paraitre grossier, il faut que l’on sache de quoi tu es capable. Si les porteurs sont aussi puissants qu’on le dit, il va falloir faire attention à quel rôle tu auras. De plus … vous m’écoutez au moins ? » rouspéta Oneeki. Isa'th montrait à Relm des tours de passe avec des billes de bois qu’elle avait « trouvé ». Il les faisait léviter autour de lui assis en tailleur, les yeux fermés en respirant calmement. Relm se contentait d’apprécier le spectacle avec des étoiles dans les yeux et la mâchoire tombante. « Comment tu fais ça ?! implora-t-elle.

  • Mon père m’a appris les bases de la magie. J’essaie de nouvelles choses au fur et à mesure.
  • Je n’ai jamais vu quelqu’un maîtriser le vent. Réfléchit Aman. J’en ai vu pourtant des mages. Des saltimbanques qui se jettent dans des cerceaux de feu qu’ils créent avant, des nomades qui façonnent directement la terre pour construire des ponts et même des types qui changent la lumière et le son !
  • Elle a adoré ce spectacle. » expliqua Oneeki en ricanant.

Les chamailleries d’Oneeki et d’Aman, les sahuaguins qui s’organisaient pour les tours de surveillance dans la ville et Relm qui demandait des nouveaux tours au porteur. Isa'th aimait cette ambiance. Il était apprécié et demandé. On avait de la pitié et du respect pour lui. Il se sentait aimé. Mais, malgré la confiance qu’ils s’accordaient entre eux, il se demandait si cela pouvait durer longtemps. Plus il restait avec eux, plus il craignait de perdre ces moments, de perdre le contrôle. Mais il voulait rester là, avec eux, avec Kali surtout. Malgré toutes ces interactions, toutes ces occasions d’échange, il préférait de loin la fois où Kali avait tenu sa main. Curieux, il comparait avec les autres membres. Il tint la main d’Aman quand elle était saoule et effondrée sur la table, celle d’Oneeki avant qu’il ne le regarde surpris mais amusé, celle d’Atlas quand il essayait de le relever. Mais celles des sahuaguins étaient toujours froides et rugueuses. Alors il pensa que cela venait seulement chez les lexidae, mais toujours rien quand il tenait celle de Relm, chaude mais différente. À chaque fois que leur regard se croisaient, Isa'th et Kali rougissaient. L’une souriait vivement tandis que l’autre affichait un air benêt.

Depuis la fois où Isa'th l'avait perdu de vue, ils n’avaient plus eu d’échange et elle s’absentait de plus en plus régulièrement. Le soir venait et tous se souhaitèrent une bonne nuit en partant par la trappe. Ils restaient encore Isa'th, le renard et Kali. Le jeune homme se dirigea vers un coin de mur et fit signe au renard pour qu’il vienne dormir. Ils se blottirent puis s’endormirent. Le pelage de l’animal toujours aussi chaud, Isa'th s'endormit petit à petit avec retenu si jamais ils étaient attaqués comme ils en avaient l'habitude. Kali monta l'escalier de sa chambre. D'en bas, Isa'th pouvait l'entendre jeter ses vêtements sur le sol et relâcher des expirations brèves et rapides. Inquiet, il monta. Les seules fois où il avait expérimenté ce genre d’essoufflement était dans des jours de maladie où son père restait à son chevet jusqu'à ce qu'elle cède finalement devant lui. En haut, il l'a découvrit avec une seule chemise pour vêtement, le dos au sol, les jambes tendues bloquées par un sac massif et les mains derrière la tête. Elle faisait des aller-retours verticaux, pliant son dos pour monter de quelques degrés rapidement. Son regard était braqué en face d'elle, déterminée, elle enchaînait les flexions malgré les grimaces sur son visage. Isa'th reconnut sa rigueur en observant l'état de son ventre sur lequel les muscles étaient parfaitement dessinés. En remontant une dernière fois qui la força à grimacer pour se forcer à aller plus loin, les tremblements qu'elle éprouvait inquiéta Isa'th et lorsqu'il remarqua qu'elle commençait à s'écrouler en arrière, il eut pour réflexe de s'élancer vers elle pour retenir son dos de la chute. En sentant ses mains contre elle, elle réagit instinctivement pour le faire passer par dessus son épaule et le mettre au sol. Quand il comprit enfin ce qui venait de se passer, gisant à son tour sur le sol alors que Kali le regardait de haut avec un regard accusateur, il commença à prononcer des mots mais fut directement interrompu : « Qu'est-ce que tu fais dans ma chambre ?

  • J'ai pensé que tu étais malade alors je suis monté pour voir si je pouvais aider … » expliqua-t-il en s'excusant timidement.

Il était étourdi par ses cheveux rouges détachées, parcourant son visage. Elle était en sueur mais parvenait encore à garder son calme et tous ses moyens. Malgré la ressemblance qu'il trouvait avec les étincelles incandescentes à travers une feuille d'arbre, il trouvait ses mèches fascinantes. Ses mains lui faisaient mal mais il était concentré sur ce qu'il voyait et sentait, les paroles de Kali s'évaporant dans l'air. Qu'était-ce ? « N'entre plus dans ma chambre sans mon autorisation, compris ?

  • D'accord. acquiesça-t-il, sentant qu'il était en faute.
  • Ça t'ira de dormir en bas ? demanda-t-elle, encore énervée.
  • Je crois, oui.
  • À demain. conclut-t-elle.
  • Est-ce que je …
  • Quoi encore ? interrompit-elle.
  • Je suis désolé si j'ai été odieux en rentrant sans prévenir. Je n'ai jamais vécu dans une maison comme celle-ci et mon père n'était jamais dérangé que je vienne le voir pendant la nuit.
  • Oui, je sais … Je suis désolé aussi. J'aurais dû me douter que tu n'étais pas habitué à ça. s'excusa-t-elle en se décontractant du mieux qu'elle pouvait.
  • Alors … où est-ce que je suis censé dormir en bas ?
  • J'ai réagi brusquement et je t'ai demandé de l'aide alors ce n'est pas très correct de te laisser en bas comme ça. Tu peux rester ici, j'ai une couverture supplémentaire que tu pourras utiliser.
  • Merci Kali. répondit-il en souriant chaleureusement. Est-ce qu'il pourrait monter aussi ? demanda-t-il en désignant le renard en bas de l'escalier qui attendait depuis le fracas qu'avait provoquée la chute d'Isa'th.
  • Oui oui, amène le si ça lui fait plaisir. répondit-elle, exaspérée.
  • Merci. continua-t-il en riant de la situation.
  • C'est pas gratuit par contre.
  • Pardon ?
  • Pas de privilégié ici, on bosse. Ton tour, il faut que je vérifie ce que tu sais faire.
  • Qu’est-ce que je dois faire ? »

Elle le força à s'asseoir en poussant ses épaules vers le bas. Bien qu'elle y alla avec force, Isa'th ne pensait qu'à ses mains posées sur lui, elles semblaient douces. Les voilà qu'elles étaient finalement couvertes de cicatrices et cales, les ongles rongés. Ce qui l'inquiétait surtout fut les petites cicatrices sur l'intérieur des poignets. Il perdit sa concentration une fois de plus lorsqu'il tomba à la renverse quand elle le poussa en arrière. « Remonte de quarante-cinq degrés, garde tes mains derrière la nuque. » Et elle recommença, elle le poussa dans différentes directions et il grimaça en remontant à chaque fois. « Plus vite. » Ordonna-t-elle en le relançant jusqu'à ce qu'il touche le sol. « Tu en es à combien ?

  • Soixante-cinq, pourquoi ? Répondit-il en grimaçant.
  • T'es en retard. Exercice suivant, sur le ventre. »

Elle le retourna d'un mouvement de main sous le dos et il s'écrasa. Il ralentissait progressivement son rythme cardiaque mais elle monta sur son dos pour s’asseoir dessus et le perturber. « Remonte encore.

  • Désolé mais …
  • Pas d'excuse, au boulot.
  • Justement. Je voudrais savoir comment est-ce que je pourrais faire mes preuves en continuant des exercices de renforcement musculaire ?
  • Comment est-ce que ton père t'a entraîné ? répondit-elle, vexée.
  • Il … mélangeait les exercices comme ceux là mais ils étaient moins éprouvants avec d'autres de respiration. ajouta-t-il, inquiet de ce qu'il répondait.
  • Respiration …? marmonna-t-elle, exaspérée.
  • Oui … en fait … il m'a appris que le corps et l'énergie interne sont … tu sais ? Tous les deux lié, ils dépendent l'un de l'autre. Si le corps est trop fort, l'énergie interne n'arrive pas à le contenter et le corps se retrouve finalement affaibli. Mais si l'énergie interne est trop forte alors le corps lâcherait. Et je pense que tu …
  • Oui … ?
  • Je pense que si tu enchaînes les renforcements du corps comme ça sans t'assurer que l'énergie interne suive tu te mets plus en danger qu' …
  • Pourquoi est-ce que je ferais attention à ça, tu crois que je suis mage ?
  • Non mais …
  • Qu'est-ce que je risque à ne pas travailler le reste ?
  • Ça arrive apparemment que le corps soit constamment fatigué malgré la nutrition ou le sommeil si l'écart est trop grand. Ou alors des énormes fièvres et des membres fragiles.
  • Je n'ai pas le temps de rattraper ce retard. Est-ce que tu vois un problème chez moi ? »

Bien que c'était une question rhétorique il prit le temps de regarder une nouvelle fois son corps maintenant qu'elle ne risquait plus de le renverser sans qu'il ne s'en rende compte. Plusieurs cicatrices sur le ventre, des marques de ses altercations musclées. Il devina ces origines en repensant à Sirnak et aux hommes armés qui l'encerclait autour du bûcher. Des blessures remontant à ses épaules venaient de son dos, des hématomes encore récents. « Tu te bats beaucoup ? demanda-t-il, inquiet.

  • Ça arrive souvent, oui. Pas tellement durant les vols, mais obtenir des renseignements ou perdre les gardes devient violent rapidement.
  • Je préférerais ne pas me battre en fait …
  • Oh ! Non, ne t'inquiètes pas. Je ferai attention à ce que tu n’aies pas à te battre. se corrigea Kali en repensant à ses vêtements tâchés de sang.
  • Merci.
  • Je devrais savoir autre chose te concernant ?
  • Les écailles sont en métal mais je ne sais pas lequel. Et je connais quelques exercices de respiration qui pourraient vous aider ? expliqua-t-il en tentant de ramener le sujet dans la conversation.
  • Très bien, dis moi comment les faire et on verra si c'est utile aux autres. accepta-t-elle finalement.
  • Il faudrait d'abord que tu te mettes dans une position confortable où tous tes membres peuvent se relaxer.
  • Fait. Répliqua-t-elle en jetant son dos sur le lit.
  • Ce n'est pas la position habituelle mais ça devrait fonctionner. réfléchit Isa'th en gardant encore une bonne distance entre eux.
  • Tu peux te rapprocher, tu sais ? Je t'ai autant effrayé ? demanda-t-elle, étonnée.
  • Non, ce n'est … ce n'est pas de toi que j'ai peur. » marmonna-t-il.

Elle se leva de son lit en le regardant avec pitié. Finalement elle tendit sa main droite vers lui mais même ce geste le projeta en arrière par précaution. « Tout va bien, je t'assure. Même si je me coupais sur ta main ça ne serait pas grave. Regarde. » Elle saisit sa main droite avant que le jeune homme ait finit d'assimiler ce qu'elle venait de lui dire. Les écailles froides se réchauffaient rapidement à son contact, il ressentait la même chaleur que s'il portait une couche de vêtement supplémentaire sur ce membre seulement. « Tu vois ? Tout va bien, non ?  s’enquérait-elle en lui montrant un tendre sourire, honnête.

  • Tu ne devrais pas … marmonna Isa'th en ne pouvant retenir un sanglot qui lui broyait la gorge.
  • Montre moi ton exercice de respiration et on ira se coucher, d'accord ?
  • D'accord … Tu devrais t'allonger sur le dos et respirer très lentement. expliqua-t-il en reniflant. Le but pour le moment est de ressentir l'air se répartir dans tout le corps petit à petit. On va commencer par la main. continua-t-il en tapotant légèrement la paume ouverte en face de lui, de sa main gauche. Est-ce que tu ressens ta main ?
  • Je crois, oui.
  • Est-ce que tu ressens aussi tes doigts et ton poignée ?
  • Oui ? Répondit-elle, perplexe.
  • Essaie de remonter le bras et de ressentir de plus en plus. »

Il était tenté de l'aider dans cet exercice en effleurant du doigt sa peau mais malgré les contacts que s'efforçaient de bâtir Kali, il ne pouvait s'empêcher de se rappeler des dernières personnes qu'il avait approché. Elle continuait très bien seule : le peu d'énergie interne qu'elle produisait, comparé à Isa'th, circulait agilement dans la moitié de son corps maintenant. L'effet sur son physique se fit sentir : elle commençait déjà à transpirer de nouveau à cause de la concentration intense dans laquelle elle entrait et le travail rigoureux que son énergie appliquait à son corps. « Tu devrais respirer encore plus lentement, il faut prendre le temps de bien répartir l'inspiration jusqu'à ce que ça devienne naturel de faire attention à ta respiration. Tu peux essayer de visualiser tes os en premier lieu, quand tu seras à l'aise tu devrais essayer de ressentir les fibres des muscles puis les vaisseaux sanguins. » En essayant de suivre ses conseils, Kali contractait ses muscles inconsciemment en gonflant sa cage thoracique le plus lentement possible et sa concentration se dispersait. Isa'th remarqua l'accumulation de sueur de la racine des cheveux glissant le long de la nuque. Lorsqu'il se surprit à regarder une goutte descendre vers son torse il détourna ses yeux vers le mur soudainement, gêné. Il avala sa salive suffisamment fort pour que Kali le remarque et se relève amusée : « Un problème ?

  • Non, c'est juste que tu transpire beaucoup. Il faudrait peut-être te reposer pour le moment.
  • C'est vrai, je dois me lever tôt demain. Tu devrais te coucher aussi, ça fait longtemps que tu cavales. Quand tu te réveilleras demain, rendors toi. On prendra soin de toi, d'accord ? insista la jeune femme en frottant la tête du porteur qui sursauta.
  • Oui … » se contenta-t-il de répondre

Il aurait voulu lui tenir la main une nouvelle fois, surtout s'il pouvait encore ressentir de la chaleur sous toutes ses écailles froides. Même si sa cupidité avait grandi exponentiellement depuis sa rencontre avec les voleurs, il gardait en tête la patience que son père lui a enseigné et profita de la chance inouïe qu'était la sienne à ce moment là. Repousser le désespoir qui l'abritait a demandé beaucoup de courage à toutes ces personnes. Ignorer son égoïsme pour atteindre, un jour peut-être, le bonheur et ne pas risquer de redevenir seul en jouissant du plus grand plaisir immédiat était le choix qui importait le plus auprès d'eux. Il s'installa sur un second matelas en recouvrant lui et le renard de la couverture fournie par Kali en continuant de se persuader qu'il prenait la bonne décision.

Il n’avait pas aussi bien dormi depuis longtemps. Il était au chaud sans feu, sans pluie pour le déranger ou animaux pour le chamailler et sans bras écailleux à cacher. Pourtant il ne se réveilla pas de son plein gré. De petites mains roses remuaient le renard et le porteur pour les réveiller. Mais les deux ruminaient et gardaient leurs yeux fermés, jusqu’à ce qu’ils sentent une odeur de pain. Ils entendirent Aman en train de dilapider ce qu’il y avait comme nourriture sur la table tandis qu’Oneeki se battait contre elle pour lui retirer des main le maximum qu’il pouvait sans perdre de doigts. « Allez, viens manger ou y aura plus rien ! » dit Relm en secouant l’animal encore endormi. « J’arrive, j’arrive. » répondit-il en s’essuyant les yeux. Lorsqu'il descendit enfin les marches, tiré par l'enfant, il inspecta les alentours et demanda : « Où est parti Kali ?

  • En repérage dans la moyenne, elle cherche des rumeurs sur nos prochains coups. Elle attend surtout des nouvelles de la haute. expliqua Aman.
  • Tu la cherches beaucoup, non ? Je vais devenir jaloux à force. taquina Oneeki.
  • Ils ont dormi sous le même toit après tout, pas étonnant qu’il se passe des choses après ça.
  • Qu’est-ce qui aurait dû se passer ?
  • Eh bien, tu vois … chuchota la sœur en se penchant vers le jeune homme avant de se faire tirer l'oreille d'un coup sec par son aîné.
  • Elle a l’air de beaucoup travailler. dit-il pour changer de sujet
  • Disons qu’elle profite … annonça Oneeki d’une voix triste.
  • Qu’est-ce que tu veux dire ? » s'inquiéta Isa'th.

Oneeki fit un geste de tête en montrant Relm à Aman qui se manifesta alors : « Tu viens Relm ? On doit aller dans la moyenne aussi.

  • J’ai pas envie.
  • Mais il pourrait y avoir les gâteaux en forme d’oiseau dans la rue.
  • Ouais ! »

Et elles partirent par la trappe, Relm en première ligne qui courrait après avoir sauté dans la rue malgré les conseils d’Aman. Puis Oneeki se retourna vers le porteur et lui parla : « Assieds-toi. Tu n’as rien lu ou appris sur les Oracles jusque-là ?

  • Ce sont ceux qui savent comment les gens devraient mourir ?
  • En gros, les six dieux bestiaux ont existé il y a très longtemps. Mais pas depuis toujours. Avant qu’ils ne soient là, il y avait de grandes batailles sur n’importe quel front, c’était la Guerre, certaines en mer d’autres sur terre et quelques-unes dans les airs. Mais, quand ces six dieux sont arrivés et ont mis fin à la Guerre en cours, ils ont cherché une solution à long terme pour s’assurer qu’il n’y en aurait plus. Et … ils ont trouvé.
  • Je croyais que ce n'était qu’une religion.
  • Il y a des croyances sur eux. Soit ils ont une forme physique et seraient les plus puissants mages du monde, soit se sont des êtres supérieurs invisibles exerçant leurs pouvoirs de manière immatérielle, il y a beaucoup d'autres théories qui partent de ces principes. Après la Guerre, les Six ont « tissé la Toile » et créé un Destin qu'on ne peut pas échapper.
  • Je ne comprends pas comment ça a arrêté les conflits.
  • Les Six choisissent les morts de tout le monde, animal comme végétal. Toutes les morts sont écrites sur la Toile.
  • C’est impossible … Il ne peut pas y avoir d'apprentissage qui influence l'énergie des autres. L'intérêt même c'est d'avoir des années d'expérience pour imposer à son propre corps des réflexes et encore plus pour pouvoir l'utiliser correctement ensuite.
  • Les madra-ruas ont des apprentissages innés. avança son interlocuteur.
  • Mais même si c'est le cas, il y doit y avoir des centaines de milliers de naissances par année. Il faudrait contrôler de plus en plus de personnes à cause du progrès et connaître la constitution de tout le monde ! » expliqua-t-il à lui-même.

Oneeki n'était pas convaincu par ses arguments. C'était censé, même pour quelqu'un qui n'avait jamais pratiqué la magie. Mais les résultats étaient là pour lui. Isa'th repensa au dragon qui prophétisait ses meurtres. Penser que tous ses crimes pouvaient être reliés aux décisions d'individus aurait pu alléger son fardeau, mais se rendre compte qu'il avait encore moins de contrôle sur sa vie était oppressant. Tandis que son bras irradiait de douleur, il préféra porter son attention à la conversation pour persuader Oneeki mais surtout pour se rassurer lui-même. « On doit pouvoir y échapper d’une manière ou d’une autre.

  • Il y en a eu des comme toi, ils ont connu leur destin et ont essayé de le changer. Ils n’ont pas réussi.
  • Ils l'ont connu à cause des Oracles ?
  • C’est leur rôle, oui. Des « élus » des dieux à ce qu’on dit. Mais ce sont juste des mages qui ont abandonné leur volonté et leur magie pour servir les Six.
  • « Abandonné » ? Mais elle existe grâce à des organes.
  • C’est ça oui. Ils se sont arrachés ces organes sur un autel et en sont ressortis capables de lire la Toile. J’ai les fanatiques en horreur à cause de ça.
  • Et ils peuvent donner tout ton avenir ?
  • Seulement les détails de la mort qu’ils jugent utiles de donner, comme la date.
  • Et tu as dit que Kali profitait … ? pensa-t-il, angoissé.
  • Elle a rencontré un oracle il y a longtemps. Et il lui a dit qu’elle mourrait dans un mois maintenant.
  • Comment ?! s'écria-t-il en se levant de sa chaise et en attrapant Oneeki par le col.
  • Elle n’a pas voulu me dire. Peut-être qu’elle s’y est résigné. Ne t’en mêle pas et ne rends pas les choses plus compliquées qu’elles ne le sont, compris ? ordonna son opposant fermement.
  • Comment est-ce que tu veux que je ne m’en mêle pas ?! Elle s’y résigne ?!
  • Tous ceux qui vont voir les oracles le font avec cette pensée. Qu’est-ce qui te surprend là dedans ? demanda-t-il, honnêtement surpris.
  • C’est sa vie, elle n’a pas à la perdre parce qu’on lui a dit que ça devait se passer comme ça ! »

En entendant ses mots, le renard se leva et était très attentif. Isa'th respirait fort après cette conversation et Oneeki avait perdu son superbe sourire. « Pourquoi tu tiens tellement à ce qu’elle change d’avis là-dessus ?

  • On m’a décrit mon « destin ». Quand je vivais dans la Vallée du Vent, mon père et moi avons été attaqués par un autre dragon qui n’acceptait pas le fait que mon père m’enseigne une magie du vent qu’il convoitait et il craignait que je devienne un porteur. Puis mon père m’a demandé de passer un pacte avec lui. J’ai fini par reprendre mes esprits et il m’a dit que je déclencherai la fin du monde que je le veuille ou non. Mais on peut changer le destin. Il m’a dit qu’il aurait dû mourir de ma main mais je l’ai épargné. Je ne l’ai pas tué, c’est possible de ne pas suivre cette Toile ! Et on n’a pas à suivre ces Six parce qu’ils n’ont rien trouvé d’autre que de prendre la liberté des autres !
  • J’ai trouvé le coup du siècle, les gars ! annonça Kali en balayant la tête de gauche à droite de la trappe, en remarquant le regard triste d’Oneeki et celui de Isa'th qui sembla au bord des larmes. Qu’est-ce qui s’est passé ? se reprit-elle de son air sérieux.
  • Je lui ai dit pour ta visite chez l’oracle. amena l'aîné avec conviction.
  • Oneeki, la prochaine fois que tu dis une connerie de ce genre je te plante ce poignard dans la langue, compris ? lança-t-elle, sur quoi il se tut.
  • Kali … On va trouver un moyen, c’est possible de …
  • Non, Isa'th. Ce n’est pas aussi simple que tu le crois.
  • Affronter un dragon non plus, mais ça ne m’a pas empêché de le faire et de l’épargner quand il aurait dû mourir cette nuit-là !
  • Quoi ? Non, c’est gentil d’essayer mais … on ne peut pas y échapper Isa'th. Je m’y suis fait il y a longtemps et … 
  • Et tu crois que les autres s’y sont faits ?! Tu crois que je …
  • Arrête. C’est assez dur comme ça … »

Et le silence régnait. Oneeki, Kali, le renard et Isa'th, personne ne faisait de bruit. Le jeune homme ravala son mutisme pour s'exprimer sur son sort : « J’ai tué beaucoup de personnes, volontairement ou non. Je ne sais pas si celui qu’il l’a fait est une partie de moi ou s’il a sa propre volonté mais je refuse de laisser cette partie donner raison à ce dragon. Je ne détruirai pas le monde. Et je me battrai pour lui donner tort, je l’ai épargné pour lui donner tort. Ce Destin n’est pas irrévocable. » Même s’il pensait que son monologue n’aurait que peu d’effets sur ses auditeurs, il ne s’était pas arrêté de parler. Et les spectateurs montrèrent leur réaction : « Aman était trop petite pour s’en souvenir, mais un oracle nous a dit qu’on mourrait dans un an maintenant dans un incendie. Je ne peux pas lui rappeler ça, je veux juste qu'elle soit tranquille. On ne devrait pas vivre avec la peur de demain, c'est pas une vie. » Le renard baissait la tête en les écoutant. Puis ce fut le tour de Kali : « Quand j’étais jeune, je vivais avec mon père, ma mère et ma sœur. Une famille aisée comme il y en a des centaines. On vivait sans peur de ce qui venait puisque tous les membres de la famille devaient mourir de manière « normale ». Et quand ce fut mon tour, quand l’oracle a dit que je mourrais tôt dans des conditions atroces … Ils m’ont chassé. Ils ne voulaient pas d’une porteuse de malchance dans la famille et m’ont jeté dans Aelton. Mais je suis limitée en temps alors j’essaie de faire le maximum pour m’assurer que je ne regrette rien quand je ne serai … plus en condition de le faire Isa'th. Je n'ai plus le temps d'être prudente, je dois me dépêcher … C’est comme ça. On doit faire avec… » Un nouveau silence se faisait sentir. Isa'th n’avait plus idée de ce qu’il pouvait dire pour les persuader. Lorsqu'elle commença à partir à l’étage supérieur il réagit instinctivement : « Kali … Tu m’as dit quand on s’est rencontré que tu ne m’abandonnerais pas. Je ne t’abandonnerai pas non plus, on peut trouver une solution. »

Elle n'avait pas à être calme devant eux. Il n'y avait personne à tromper à part elle-même. Elle était terrifiée mais elle voulait se montrer forte et fiable car elle était choisie pour mener. Ses amis étaient doués, disciplinés et très bons en groupe, la seule place qu'elle occupait habituellement était de travailler seule pour qu'ils se débrouillent sans elle. Pour les habituer. C'était difficile, elle devait se montrer autoritaire et déterminée même envers eux. Mais tout cela allait toucher à sa fin, elle voulait s'ouvrir au moins une fois. Pour s'excuser de ne pas pouvoir les aider davantage et se montrer vulnérable pour qu'elle puisse être aidée à son tour. Une nouvelle promesse qui s’est soldée de la même manière que la précédente pour des rôles différents : Kali trembla mais Isa'th était là. Ses genoux la lâchèrent et elle tomba en bas. Bien qu'Isa'th était déjà près d'elle, Oneeki se leva par réflexe de sa chaise pour l'aider. Le jeune homme la rattrapa par les épaules avec sa main droite involontairement. Quand il arriva à placer ses doigts correctement pour ne pas la blesser, il fut suffisamment confiant pour la serrer contre elle pour essayer d’empêcher celle qui s'épuisait dans son devoir de se sentir anéantie car sa fin approcherait. Alors : « Repose toi, et quand tu te réveilleras demain, rendors toi. On aura besoin de toi et on peut t'aider. » Entendre qu'elle était encore aimée malgré son sort et qu'elle était encore nécessaire, Kali regarda Isa'th les yeux aveuglés par ses larmes en essayant de le remercier. Mais elle n'avait pas non plus besoin de parler, il la serra contre lui pour qu'elle évacue toutes ses préoccupations et ses sentiments enfouis. Le renard et Oneeki se tenait à l’écart en se demandant s’ils pouvaient vraiment tenir une telle promesse. Une lumière bleue azure brilla dans les yeux de l’animal.

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