Chapitre 27 – Si proche mais si loin

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 En progressant dans la ville, Isa'th et le renard aperçurent les rails du train. Ils les suivirent du regard jusqu’à arriver à une foule bruyante. Ceux qui étaient armés étaient les plus assourdissants. Des échafauds en bois et des abris du même matériau construits en hauteur dominaient la place où des gardes patrouillaient. Isa'th, naïvement, demanda à la personne la plus proche ce qu’il se passait : "C’est la douane. Ils ont retrouvé des types passés dans la ville moyenne sans autorisation. Ils vont être fouettés." Le jeune homme, étonné, regarda par-dessus les spectateurs et remarqua trois militaires jeter des gens au sol ou en attacher d'autres aux arches qui menaient à la partie supérieure de la ville. Les criminels pleuraient en essayant de se tenir le dos tant les lacérations irradiaient de douleur. Ils se débattaient pour ne pas avoir à porter des menottes qui les suspendaient et les exposaient aux bourreaux. Quand un des soldats fit claquer dans le vide son fouet en cuir, les cris et soubresauts des criminels raisonnèrent. Lorsqu'il prit de l'élan avec son bras pour préparer son coup, le vent se leva dans cette partie de la ville où le ciel est masqué. Le vent dessinait le contour de ses semelles, prêt à propulser le porteur. C'était un saut dont il avait l'habitude. Pourtant, il restait figé sur place. A chaque fois qu'un claquement résonnait d'un bruit sourd dans sa tête, l'intensité du vent diminuait. Il voulait aider mais tous ces gens autour de lui serait davantage en sécurité s'il se contentait de se retenir.

 Rien qu'avec le peu de vent qui avait été soulevé, Isa'th sentit le cuir couvert de sang de là où il se tenait. Ca aurait été si simple de bondir dans la mêlée et aider ces gens. Il se sentait si fort en résistant à l'homme sous la cascade mais il ne restait alors que l'impuissance, la honte et une haine pour lui même. Les blessures qu'il avait subi récemment le relançait tout comme le renard sale qui l'éloignait de la scène. Pour se voiler la face, il rabatta une nouvelle fois sa capuche sur toute sa tête en espérant ne pas entendre des cris supplémentaires. Le dégoût qu'il ressentait envers lui même lui voutait le dos. La sécurité qu'il cherchait pour lui et les autres ressemblait simplement à de la lâcheté et de la faiblesse.

 Pendant qu'il s'enfonçait dans la ville en contournant le châtiment public, Isa'th observait la foule qu'il laissait derrière lui. Lorsqu'il remarqua les murmures devenant de plus en plus bruyants, il s'imagina être la cible des bourdonnements qui se refermaient autour de lui. Pourtant, leur regard se portait au délà des portes de la ville-basse. Il profita de l'occasion pour continuer se faufiler à travers la foule. Alors qu'il gagnait un peu de hauteur sur les gens autour de lui, il remarqua le sujet d'autant de regard : un autre étranger courrait vers la ville. Un étranger pour ces citoyens mais Isa'th et le renard avait déjà vu cet homme dans le campement des bandits de la forêt. "Il vient prévenir la ville la plus proche." Pensa Isa'th, le souffle court. Plutôt que chercher à contourner les gens jusqu'à ce qu'une ouverture se présente, Isa'th se précipita et joua des épaules quitte à ce quelques personnes jurent à son passage. Aussi sal qu'il était devenu, s'il était attrapé et exposé, son bras droit l'aurait condamné de toute manière. Il ne pouvait que s'enfuir et espérer traverser toute la ville avant qu'ils ne lèvent un nouveau bûcher pour lui. Le pelage sale du canidé se mélangea aisément entre les vêtements recousu tout autour de lui, si bien qu'il semblait simplement les avoir traversé.

 "Aelton, enfin ! On va enfin pouvoir agir !" Essaya de prononcer le bandit avant de perdre souffle. Il continuait de se marmonner à lui même qu'il allait bientôt être victorieux pour se pousser à continuer de courir. Ses jambes étaient en feu, ses pieds en sang. Sa gorge le menaçait d'imploser tant elle le serrait. Bien qu'il était déshydraté, il parvint à pleurer des larmes de joie avec ses yeux qui étaient fouettés par l'air chaud et aride. Sa tête était sur le point d'exploser. Des vagues suffocantes se renfermaient autour de sa gorge alors qu'il franchissait le seuil d'entrée de la ville. Le paysage se torda autour de lui, il venait de tomber. "Mes jambes m'ont lâché ? Pas maintenant ! J'y suis presque ! Je dois les prévenir ... Le porteur ..." Son coeur se resserait sur lui même et, alors qu'un petit groupe se rapprochait de lui pour l'aider à se relever, il n'arrivait plus à respirer. Il essayait de griffer son torse et sa gorge dans l'espoir qu'un peu d'air y rentrerait malgré les foules de main qui le gênaient. Dans une dernière requête, il attendait que quelqu'un parvienne à lire "porteur" sur ses lèvres. Sans succès. Pendant que les silhouettes autour de lui se perdaient et se mélangeaient, ne devenant qu'un tas informe indiscernable, il comprit que si son message pouvait quitter ses lèvres il se perdrait dans la foule. Entre deux spasmes, il essaya de graver sur le sol le mot qui lui lacérait la gorge. Son ongle s'enfonça dans la terre mais ne parvint pas à tracer quoi que ce soit. Il était retenu. Lorsque ses yeux injectés de sang parvinrent à se lever, sous la déshydration et les hallucinations provoquées par sa douleur, il ne reconnu qu'un canidé le dominant de toute sa splendeur. Sa majesté rayonnante traversait la boue qui osait le toucher et l'air royal qui l'entourait ne parvenait pas à cacher son regard qui lui inspirait une élégie.

 Isa'th repensa aux gens du campement de la forêt qu'il avait fuit dernièrement. "Est-ce qu'ils m'ont déjà retrouvé ?" La question envenimait son esprit. Tout ce à quoi il pouvait penser alors était qu'il devait s'enfuir et que les gens en face de lui lui bloquait le chemin. Isa'th était déjà arqué mais il se baissa davantage en espérant disparaître. De loin, les passants avaient simplement l'air d'être écartés par une vague. Il était persuadé qu'il allait étouffer s'il restait là. A force de courir dans la même direction, il retourna vers l'arche où les prisonniers étaient punis. La peur provoquée par l'arrivée du bandit dépassait celle pour la douane et la sécurité des gens autour de lui. Sa course continuait, contournant toutes les personnes jusqu'à pouvoir avoir une vue dégagée de la scène. Sans aucun plan ou astuce pour échapper à cette situation, il restait tendu face aux gardes qui s'échangèrent des regards, incertains de la réactions qu'ils devaient avoir. L'un d'eux réagit lorsqu'il remarqua son supérieur s'approcha, arme à la main et sourire sadique au visage. "Joue pas au héro et rentre chez toi avant que ça tourne mal.

  • J'ai besoin ... je dois aller de l'autre côté de la ville ... Bégaya Isa'th
  • Faire le malin, ça ne marche que si tu ne t'en prends pas une. Alors barre toi tant que tu peux ! Insista le garde en repoussant le jeune homme pendant que son supérieur faisait des mouvements de balancier avec son arme.
  • Il t'emmerde le pégu ? Demanda le plus grand amal'jah et le plus hautain.
  • Non non ! Rassura le garde. Il avait juste quelques questions mais il va rentrer chez lui maintenant, pas vrai ?! Confirma-t-il en regardant d'un air sévère Isa'th.
  • Ah, et bah retourne bosser alors. On tient pas un stand de crêpes ici." Répondit l'exécuteur d'un air déçu.

 Le jeune garde était d'abord tendu d'éloigner un civil hors de la portée de son supérieur et de sa masse mais en cherchant le visage sous la capuche en face de lui il ne trouva que panique et peur. Quand il approcha sa main de la capuche, il ouvrit sa bouche prudemment : "Est-ce que ça ...?". Avant qu'il ne puisse poser sa question, Isa'th se torda sur lui même pour éviter la menace et contourner le garde. Après qu'il lui ait filé entre les doigts, le garde essaya de le plaquer au sol avant que le garçon encapuchonné affronte le chef, sans succès. Isa'th se rua pour prendre appui sur le garde assourdissant qui armait son coup. Avant que ce dernier n'arrive à la porter, il était propulsé contre le sol pendant que son aggresseur traversait l'arche qu'il devait défendre.

 « Arrêtez-le ! » hurla l’amal’jha à terre tandis que des gardes de la même espèce poursuivaient le lexidae en fuite. S'il n'était pas poursuivi et inquiet pour sa vie, Isa'th aurait pu trouver cette parie de la ville bien plus accueillante. Il n'y avait pas de fourneau au milieu de la rue mais des produits de plus en plus exotiques lorsque l'on s'éloignait de la ville basse. Les vêtements n'étaient ni troués ni salis ou lacérés. Ils pouvaient même être ornés de plusieurs fioritures excessifs. Ces détails ressortaient également dans les bâtiments. Les habitations étaient aussi plus travaillées et luxueuses : des fenêtres de verre aux volets de bois à la place de trous dans les plaques de métal rouillées de la ville basse.

 Les gardes étaient encore à sa poursuite mais ils étaient ralentis par leur armure. Isa'th et le renard détalaient à travers la rue principale et commençaient à les perdre de vue. Puis, quand les gardes ralentirent et s’arrêtèrent pour reprendre leur souffle, ils se cachèrent dans une ruelle adjacente. « Ils ne nous suivent plus ? On devrait se cacher mieux que ça. » Dit Isa'th. Il remarqua ensuite qu’il n’avait pas vu Ali’i depuis son entrée dans Aelton et regarda en l’air. Les gardes s’étaient séparés en petits groupes : cinq groupes de deux patrouillaient dans la ville moyenne à la recherche d'un fuyard qui avait franchi la douane avec plus de pièces que prévu. Deux des cinq cherchaient dans la rue principale tandis que les autres partaient dans les plus étroites ruelles, bousculant les passants et criant pour menacer le fugitif. Isa'th les observait d’en haut, tenu sur une poutre d’acier qui tenait des escaliers pour les habitations en hauteur mais cachés par des murs. Le renard sous un bras, et l'autre, planté dans le mur pour se servir d’appui. Il se tenait au-dessus des deux gardes qui se mirent à parler en négligeant leur travail, appuyés contre des murs : "Tu as vu comme le chef était furax ?

  • Il se fait rarement renversé par un type qui fait deux têtes de moins que lui.
  • Comment il a fait ? J’ai pas compris.
  • Je te l'ai déjà dit. Le chef était pas équilibré comme il se tenait.
  • Non je vois pas.
  • T’es exaspérant, tu le sais ça ?
  • Des nouvelles des voleurs ?
  • Pourquoi tu me parles d’eux maintenant ?
  • Bah ce type est entré dans la ville moyenne et on le perd de vue en une minute. Si c’est pas un voleur il a déjà de bons débuts. Peut-être qu’il connaissait les passages.
  • Il y a eu le rapport de Grégory comme 'nouvelle' ? Les Chats Noirs ont encore commis une rapine dans un des magasins de la moyenne, il paraît que celui-là payait des pots de vin au chef pour éviter de surveiller leurs affaires.
  • Bon, il va pas se trouver tout seul le petit." Termina l'autre après s'être relevé.

 En tenant en équilibre sur la poutre d’acier, Isa'th se replaça correctement : il posa le renard sur la même poutre et se tint accroupi pour observer en contrebas. Il voyait les gardes continuer plus loin dans la ruelle et souffla de soulagement. Jusqu’à ce qu’une voix attire son attention : "Hé, viens par ici et ne fais pas de bruit." Alors il s’approcha du coin d’ombre d’où elle venait et quand ses yeux s’habituèrent à l’obscurité il vit une jeune femme rousse. Des cheveux attachés en queue de cheval. Quelques mèches de part et d'autre du front qui révélaient des yeux corail sévères, un visage beige et tendu, oreilles rondes, nez droit et sourire narquois. Elle portait une veste en cuir noir courte ouverte, son col remontait pour couvrir son cou. Dessous, son haut-de-corps recouvrait tout sauf ses doigts et son visage, une capuche y était cousue maladroitement. La veste était décorée d’étuis. Une ceinture retenait un couteau. Son pantalon était de la même matière que sa veste, aussi serrée que l'était sa chemise, surmontée par des bottes montantes contenant des outils de crochetage. « Comment t’es monté par là avec le chien sous le bras ? Je surveillais l’entrée et j’t’ai pas vu, t’es monté depuis la ruelle, dix mètres en dessous ? Proposa-t-elle, amusée.

  • Renard. Marmonna-t-il avant de reprendre en acquiesçant de la tête.
  • J’te reconnais pas par contre. Bien joué pour les gardes en tout cas.
  • Merci. Vous sauriez comment rejoindre la ville haute ?
  • Bien sûr, tout le monde le sait. Les gardes adorent nous parler de là-bas. Histoire de nous narguer. Tu vas où ?
  • Lazulis.
  • Tu prends le tram alors ? Les tarifs sont élevés."

 Il avait vu le tram s’arrêter à Aelton quand il était encore dans la forêt mais il ne pensait pas qu’il lui faudrait attendre encore plus. Il prit un instant pour inspecter la femme à côté de lui. Elle avait des yeux perçants qui semblaient scruter son âme à la recherche de la moindre opportunité pour lui sauter à la gorge. Mais il ne pouvait pas s'empêcher de penser que malgré l'hostilité qu'elle dégageait, son regard était empreint de tristesse.

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