Lorsqu'il n'en put plus, le renard prit les devants : il sauta sur le garçon, quitte à le renverser sur son côté blessé. Il se retrouva les jambes étendues et le dos appuyé contre le tronc. « Qu'est-ce que tu fais ? C'est toi qui veut aller rapidement à ce train, non ? On doit se dépêcher … et … » Mais il fut interrompu par son compagnon qui le regardait fixement. Il voulait qu'il se repose. Au moins pour qu'il reprenne son souffle, son bon sens et sa vigilance. Il n'était pas nécessaire d'attendre qu'il gagne la parole pour le comprendre : lorsqu'Isa'th cherchait à le pousser la moitié de son corps le lançait. L'animal étendu sur lui, il n'arrivait pas à le bouger avec ses bras trop faibles. Le renard s'endormit alors tandis que les paupières d'Isa'th se fermaient à cause de la fatigue.

 Ses paupières refermées, Isa'th glissa dans un sommeil profond. Il n'y avait que des ténèbres tout autour de lui. L'enveloppant et recouvrant les blessures encore fraîches qui marquaient sa peau et le dissimulait du reste du monde trop dangereux pour lui. Mais au milieu de ces mêmes ténèbres et des plaies éclatantes de sa peau, une lumière posée sur lui, agréable et chaleureuse, la seule couverture qui apportait du réconfort dans ce froid nocturne, que ce soit dans ces ténèbres où cette forêt, elle est la seule qui accompagnait Isa'th. Avant de sortir de cette douce torpeur, il vit la silhouette d'un dragon se dissiper en centaine de lumières blanches. La grande forme se réduisit en un trait étincelant qui contrastait avec les nuages sombres autour de lui. Un trait de lumière, qu'il tenait dans sa main droite, sous son apparence de lexidae, comme autrefois. Mais plus sa perception se faisait à l'intensité de cette arme et plus il distinguait une épée à la lame courbe, au manche recouvert d'écailles et pour seule garde une tête de dragon sculptée.

 Quand il ouvrit enfin les yeux, il tenait fermement son épée : la lame était toujours noire comme le jais, aucune écaille sur le manche, seulement de l'ivoire. Le renard demeurait allongé sur lui, un peu de bave sortait de sa gueule et ses longues oreilles chassaient les insectes qui s'approchaient trop d'eux tandis que sa queue touffue l'enroulait pour tenir leurs membres au chaud. Le porteur resserra les bandages autour de son bras droit et le cacha sous la chemise sale. Ils entouraient tous les recoins, pas une écaille n'était visible. Puis, il gratta la tête de l'animal pour tenter de le réveiller mais sa seule réaction fut de se cambrer et de diriger son nez vers les doigts d'Isa'th. Sous ses étranges airs, ce compagnon de route faisait une fois de plus sourire le garçon. Quand le renard ouvrit les yeux il était encore un peu endormi : il regarda Isa'th sourire en réponse du filet de bave qui dégoulinait de sa gueule. Son éveil fut ensuite brutal : il se releva sur ses pattes et baissa la tête, gêné, et partit derrière un arbre en courant pour revenir avec un lapin au pelage encore marron du début de l'été. Il le posa au sol et tourna le dos à son compagnon qui devait s'occuper du repas, sans oser le regarder dans les yeux. Le repas était frugal : bien que la préparation fût bonne, le lapin n'était pas très gros et les fruits qui accompagnaient n'étaient pas encore mûrs. Les crocs de l'animal esquivaient les os du dîner et arrachaient la viande du squelette mais il n'osait pas croquer les restes pour combler le vide de son estomac. Isa'th, quant à lui, mangeait lentement. Il pensait au Sanctuaire et à son père qui l'attendait là-bas pour ses futures leçons.