Chapitre 19,5 – Ali'i et Mahina

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 Madra-Rua sortait de sa torpeur. Il sentait que le matelas sur lequel il était enchaîné était encore humide de toute la sueur accumulée depuis la nuit dernière. Il cherchait encore à comprendre où il se trouvait, aucune odeur familière si ce n'était sa transpiration et une légère senteur sucrée qu'il avait récemment découverte. Lithilmin avait passé la nuit à son chevet, la tête blottie dans la queue duveteuse et une couverture de fortune sur les épaules. Il essaya de s'en échapper mais sa fatigue l'empêcha de braver ses chaînes. Son courage se réveilla momentanément quand ses oreilles se tournèrent vers les gouttes d'eau qui chutaient dans un seau. L'instinct prit le dessus et il commença à mordre à pleines dents le métal pour se détacher, sans succès. Le goût de fer lui donnait encore plus soif et avaler le peu de bave qu'il lui restait était péniblement douloureux. Le bruit généré finit par la tirer de son sommeil. La face encore recouverte de bave tellement l'oreiller improvisé était confortable, elle s'attendait à se faire accueillir par quelques repas chauds et thés de fleurs exotiques. Cependant elle ne vit que les yeux perçants de l'animal acculé qui était prêt à la mordre. Le retour à la réalité, aussi menaçant qu'il était, redevint banal pour Lithilmin et elle s'empressa d'observer les yeux de l'animal qui n'arriva pas à chasser la main de son visage. Elle lui ouvrit la bouche pour constater la sécheresse qui s'était installée et s'exclama : « Oh ! Je suis navrée ! Je t'apporte ça tout de suite ». Elle prit le seau et l'amena vers la tête de lit, Madra-Rua réagit au bruit de l'eau contre le bois qui le retenait en bavant le peu de salive qu'il lui restait. Lorsqu'il était finalement à portée, il plongea sa tête à l'intérieur, trempant les oreilles jusqu'au crâne et avala à grandes gorgées le contenu. Lithilmin fut forcée de lui tirer la tête du seau pour ne pas qu'il s'étouffe à l'intérieur pour avoir avalé de travers. « Nul besoin de boire aussi vite, l'eau est abondante et tu en auras davantage. Comment te sens-tu ? » Mais les yeux perçants ne lâchèrent pas le médecin. « Tu … Est-ce que tu comprends ce que je dis ? » Mais Madra-Rua ne pensa qu'au seau d'eau qu'elle avait posée au sol. Elle lui donna alors un verre sur la table de nuit qu'elle avait plongé dans le seau. Pensif, il se demandait si elle se moquait de lui ou non en lui donnant un récipient trop petit pour qu'il puisse passer la tête dedans mais il se ravisa en tendant la langue pour laper le contenu ce qui l'a fit rire malgré lui.

 En enlevant l'attache d'une des mains de Madra-Rua, celui-ci put enfin bougé sa main et retrouver ses sensations, elle lui tendit une assiette bien garnie de pain et de viande saignante sur laquelle il se jeta en tournant le dos à Lithilmin. Surprise, elle passa de l'autre côté pour s'assurer qu'il ne s'étouffe pas une nouvelle fois en mangeant trop vite mais il grogna en s'enroulant autour des vivres pour la repousser. Sa queue doubla de volume quand elle approcha la main de sa tête, la menaçant de faibles flammes rouges sur le bout de ses oreilles. Quand elle parvint enfin à frotter son cuir chevelu, l'animal se détendu en arrêtant de se presser, l'observant avec un regard plus curieux. Bien qu'il continuait de grogner, elle faisait les aller-retours pour frotter le cartilage des oreilles touffue ce qui lança le ronronnement bruyant de Madra-Rua. Quand elle s'arrêta pour se lever, il rattrapa sa main pour la poser de nouveau sur sa tête en continuant de la regarder dans les yeux au cas où elle tenterait quelque chose d'encore plus fourbe. Elle remarquait qu'elle le dominait complètement en hauteur même en s’asseyant sur le lit : il était très courbé, une sévère scoliose et une posture approximative. Elle tenta de le prendre par les épaules pour le redresser et poser son dos contre la tête du lit mais elle fut chassé par l'animal qui préféra s'en retourner à son repas d'un air déçu.

« Nous récupérâmes … ça ? Nos alliés se sont sacrifiés pour cette bête ?!

  • Soldat, contestez encore une fois les ordres de votre lieutenant et vous perdrez votre immunité. Quel dommage pour vous d'être jugé par des ulleliens, s'ils traitent leurs semblables ainsi imaginez le sort des criminels de guerre.
  • Était-ce une menace ? Demanda-t-il en approchant sa main d'un couteau.
  • Simplement un fait, veuillez adresser vos plaintes à votre supérieur.
  • Oh, il les écoutera. Mais sachez que Rakameto est actuellement en expédition et qu'il n'y a que vous entre nous et lui. » ajouta-t-il avant de lever la main sur elle.

 Le couteau arriva horizontalement vers la gorge de Lithilmin. Elle tomba en arrière pour éviter le coup, la jambe tendue en avant pour garder son équilibre dirigea un pic qui toucha le coude de l'agresseur. Le coude cassé, il lâcha son arme à sa grande surprise avant de se faire repousser par un coup de paume ouverte dans l'abdomen. « Si vous êtes incapable de me toucher vous n'avez aucune chance contre le loriwe, allez nettoyez votre équipement et attendez les prochains ordres. Dispersez-vous. Ordonna-t-elle.

  • Bien sûr … Lieutenant. » Répondit-il en prenant congé, le bras encore engourdi.

 Lithilmin se retourna vers l'animal pour partir le rassurer. Elle partit en trombe hors de la tente pour partir à sa recherche lorsqu’elle remarqua les menottes arrachées et encore fumantes. Elle trouva des traces de pas et de traînées sur les branches cassées. Madra-Rua était en train de courir dans les bois dans une seule direction espérant trouver refuge le plus loin possible du camp. Il se déplaçait à quatre pattes, galopant sur les empreintes d'anciens animaux pour dissimuler les siennes. Il arrêta enfin sa course quand il se retrouva en face d'une falaise. Il pouvait voir les arbres d'en bas, une bonne centaine de mètres les séparaient du sol et aucun des entraînements qu'il reçut avec les loriwe ne l'avait préparé à une chute pareille. Il se retourna alors pour découvrir un autre monde. Ses sens se réveillèrent petit à petit. Bien que les oreilles des ulleliens soient aiguisées et les diriger vers le bruit suspect rendait le son clair, le son semblait venir de tous les côtés distinctement. Ses oreilles tournaient sa tête dans tous les sens pour découvrir un papillon qui prit appui sur la feuille, le vent fouettant vigoureusement les branches entre elles, un étrange vrombissement au sol. Le toucher était particulier également : les herbes à ses pieds semblaient rugueuses tellement le tracé de ses minuscules pointes semblait évident, l'air qui caressait ses oreilles était chassé par leurs réflexes même si la brise était infime, les effleurements étaient brutaux contrairement à ce que les cheveux blancs l'avaient habitué. L'odorat guida le reste de la tête plus loin dans les bois, il vit un wolpertinger se prélasser dans les herbes hautes. En gardant la cible dans les yeux, il se jeta avec grande agilité vers elle, bondit en hauteur avant de planter ses crocs dans sa chair. Le sang coula sur sa langue le ravit mais le seau d'eau lui manquait de plus en plus.

 Mais alors qu'il pensait à la dame rosée, il entendit un lourd craquement de branche et sortit la tête du buisson, le lapin encore accroché aux crocs à pencher les oreilles vers la direction du bruit. Rakameto sifflait en faisant virevolter sa masse pendant qu'il pavait le sol à chaque pas qu'il faisait. Madra-Rua l'observait avec curiosité, rangeant sa rancœur pour les coups qu'il avait subi pour en apprendre plus sur lui. Alors qu'il contournait les branches, le géant se tourna vers lui avec son célèbre sourire et cria vers l'animal surpris : « Ah, c'est toi ?! Comment ça va ?! » Madra-Rua était prêt à décamper vers la falaise de tout à l'heure pour lui échapper. « Tu ne te rappelles pas de moi ?! Eh ! C'est pas sympa ! J'ai tenu le sceau pendant le sevrage quand même ! Enfin, je veux dire … ça me dégoute un peu donc je tenais le sceau quand tu étais inconscient c'est surtout Lithilmin qui a aidé mais c'est quand même moi qui t'es ramené de là-bas ! » Fanfaronna-t-il. Le renard ne s'approchait toujours pas alors il posa sa masse, l'accompagnant jusqu'au sol le plus lentement possible pour ne pas l'effrayer. « Tu vois ? Plus d'arme et je suis sans défense ! » Expliqua-t-il alors qu'il tournait sur lui-même pour finalement trouver après un tour un Madra-Rua qui tendait le museau vers lui en entourant son lapin avec sa queue pour le garder en sécurité. Rakameto garda les bras en l'air en regardant, amusé, l'animal fouiller au nez ses poches. « Je peux te préparer ce lapin si tu veux, ça sera meilleur que cru. » Commenta-t-il en remarquant les taches de sang aux coins de sa bouche. Le géant souriant allumait péniblement un feu en faisant vriller un bâton sur des planches de bois, de haut en bas, de la fumée s'en échappait.

 Madra-Rua regarda attentivement la vapeur grise s'élever et chercha à l'attraper entre ses crocs à l'amusement de l'amal'jha qui devint de plus en plus frustré de ne pas réussir cette simple tâche. « Tu comptes me laisser galérer encore longtemps ? Tu contrôles le feu, tu me vois essayer d'allumer ces branches pour qu'on puisse manger, mais tu joues avec la fumée … ? Tu es très frustrant, tu le sais ça ? » Le renard continua de le regarder avec curiosité sans chercher à comprendre ce qu'il lui disait. « Enfin, tu n'es plus drogué alors tes capacités sont réduites. Pour ce que j'en ai vu en fait, tu ne contrôlais rien et ton énergie s'échappait sous forme de flammes. Mais c'est sans doute pour le mieux. Plus de bataille pour toi. » Pensa-t-il à voix haute d'un air triste. Et alors que le vent leur caressant l'échine, le froid surprit l'animal et il éternua violemment sur le bois. À la grande surprise de Rakameto, le feu démarra immédiatement. Madra-Rua essaya d'éteindre ses poils de nez encore enflammés quand son voisin de table restait encore bouche bée devant cet apprentissage aussi naturel : « Tu viens de produire des flammes par réflexe, sans drogue et sans entraînement ? » Enquêta-t-il en le regardant en train d'essayer d'éternuer de nouveau. « Et tu n'as aucune idée de ce que ça peut impliquer. S'exclama-t-il en riant aux éclats. Quand on aura fini de t'éduquer tu pourras représenter les ulleliens pour la réunion au sommet ! Mais ça pose tout de même le problème de savoir si les autres de ton espèce accepteront ça alors que tu n'es pas noble et qu'ils ne te connaissent pas … Mais c'est déjà une super nouvelle ! On rentre au camp ? Lithilmin doit s'inquiéter aussi, tu pourras manger un autre moment. » Finit-il en prenant le lapin de la broche au grand détriment du chasseur qui se mit à la poursuite du voleur. Quand Madra-Rua parvint enfin à monter sur les épaules du géant pour lui reprendre le lapin, ils étaient déjà arrivés au campement. « Vous étiez où au juste ?! Hurla Lithilmin en jetant des regards accusateurs sur les deux vagabonds.

  • Bah quoi ? Je rentrais de mission et je suis tombé sur celui-là qui chassait. J'ai couru avec son repas pour le ramener. Tu vas pas te plaindre non plus ?
  • J'ai lancé les recherches et tu reviens comme une fleur avec l'autre qui récupère d'un sevrage forcé avec un corps dans cet état … ?
  • Justement, en parlant de ça. Euh, éternue encore un coup toi » Ordonna-t-il à l'animal qu'il retira de son dos en le prenant sous les aisselles.

 Il se débattit un moment et retomba sur ses quatre pattes en sentant le regard pesant des membres du camp qui le dominaient en hauteur. Il se sentit exposé et en danger et recula progressivement vers Rakameto et Lithilmin pour se protéger. « Tout va bien, ne t'en fais pas. Pourquoi voudrais-tu qu'il éternue de toute façon ?

  • Il a fait du feu la dernière fois, il a failli incinérer le bestiau qu'il venait de choper !
  • Il a subi le sevrage mais ses méridiens sont sans doute encore remplis.
  • Oh je l'ai affronté je peux te garantir qu'il ne s'est pas économisé. Il a récupéré sans les drogues, il a un apprentissage qu'il a manifesté par lui-même. Il a inventer sa propre magie tout seul ! »

 À cette nouvelle, le médecin accouru récupérer une bûche incandescente qui occupait un feu de camp. Elle la planta devant le loriwe qui pencha la tête devant elle par perplexité. Il se contenta de fixer des yeux les flammes en face de lui et remua sa queue en souriant, appréciant les formes voluptueuses qui dansaient devant lui. En restant debout et seule, la bûche perdit en intensité et les flammes diminuèrent ainsi que la passion des spectateurs qui attendaient encore la réaction de l'animal. En regardant le feu s'en retourner aux craquelures du bois, Madra-Rua chassa l'air qui chatouillait ses oreilles et souffla délicatement sur la bûche qui cracha des langues de flammes par toutes ses éraflures qui devinrent béantes. Le sourire revint sur les lèvres écorchées du renard tandis que les flammes reprirent leur spectacle. Tant qu'il était absorbé par la représentation, il ne prit pas attention aux personnes autour qui restèrent bouche-bées face à cet apprentissage naturel chez l'« ennemi » qui semblait aussi innocent qu'un bambin en réalisant ce que peu avaient la chance de perfectionner en une vingtaine d'années. « Je te l'avais dit : avec lui, on pourrait faire la réunion au sommet. Et j'ai une autre bonne nouvelle : les lexidae acceptent une entrevue.

  • Ça fait beaucoup à apprendre d'un coup. Mais on a encore beaucoup à faire avec lui.
  • T'inquiète, il est plein de potentiel. Il faut lui apprendre à parler entre autres surtout. Ça et … »

 Il fut interrompu lorsqu'il remarqua Madra-Rua à ses pieds en train de se lécher les babines, regardant avec attention son repas en trépignant sur place. Elle l'arracha des mains de Rakameto en se dirigeant vers sa tente et installa le wolpertinger dépecé dans une casserole avec des herbes sur le feu. Le renard regarda le repas perdre son odeur au gré du vent et demanda avec pitié au médecin de retirer du feu la viande. Après plusieurs minutes de plaintes, elle lui servit la viande sur une assiette qu'elle posa sur une table à l'intérieur de la tente. Elle s'installa en face de lui en tirant deux chaises. Il approcha lentement et d'un coup sec attrapa la viande en ruant vers l'extérieur. Mais il ne sortit pas entièrement. Un son le retint, ses oreilles le tirèrent en arrière puis la tête suivit pour observer Lithilmin en larmes. La fatigue accumulée, les dernières nouvelles et les morts récentes au sein du camp étaient beaucoup à supporter. Elle se laissa aller, profitant de l'absence de soldat autour d'elle. Être enfin seule après tout le travail qu'elle avait enduré. Une drôle d'odeur lui releva la tête : de la viande cuite avec des herbes et un renard malodorant qui essayait de le rapprocher d'elle avec des mouvements lents, prêt à déguerpir au moindre geste suspect. Elle ne put s'empêcher de relâcher un rire désespéré en le regardant tendrement : « Tu ne sais pas parler, n'est-ce pas ? Tu as vécu très différemment de moi et tu ne comprends sans doute pas ce qu'est parler, tu communiques très basiquement. Qu'est-ce que tu essaies de faire ? J'ai besoin de savoir que tu comprends ce que je te dis, j'ai besoin de savoir qu'on a fait des progrès avec toutes ces vies. Dis quelque chose s'il te plaît … » Il se contenta de renifler ses cheveux en cherchant où il aurait pu rencontrer cette odeur sucrée plus tôt. Déçue, elle le saisit contre lui pour se réconforter contre son pelage chaud et doux des cheveux et oreilles au sommet de son crâne et de la queue qui les entouraient. Elle frotta ses mains tremblantes contre son dos bouillant, sentant la colonne vertébrale tordue avec tristesse. Comment pourrait-il les aider, même avec sa magie originale, avec un corps aussi physiquement maltraité ? Il se libéra de son emprise et se dirigea vers le centre de la tente et inspecta un drap qui pendait attaché aux deux extrémités. Il s'attacha sous les aisselles et se laissa suspendre en grimaçant. « Qu'est-ce que tu fais maintenant ? » Se demanda-t-elle. Sans attendre de réponse, elle le regarda avec désintérêt et fatigue puis retourna vers son lit. « Drrr …

  • Mh ?
  • … oua !
  • Qu'est-ce que tu viens de dire ?
  • Droit … Dos. ”

 Elle le sortit du drap, les larmes coulaient à grands flots de nouveaux mais elle riait surtout. Enfin une récompense à leurs efforts. Il pouvait aider. La fatigue la terrassa enfin et ils tombèrent dans le lit. Il tentait tant bien que mal de manger la viande qu'elle venait de préparer en tendant le cou hors de l'embrassade et se remplit la panse. Satisfait, il se plongea dans les cheveux ondulés blancs aromatisés qui semblaient plus chauds que le reste de tout son corps.

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