Chapitre 1 : Une étrange nuit

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 La Vallée du Vent portait bien son nom : un petit territoire situé au centre d’Eundasery, à l’ouest d’Hashia regorgeant de collines, fleuves, forêts et montagnes. Les brises omniprésentes et les rafales puissantes ont forgé une terre forte et malléable pour supporter les plus puissantes bourrasques qui menacent de déraciner les rochers. L'éclat du seul satellite gravitant autour d’Eundasery : Mahina, si brillant qu'il fait disparaître les étoiles autour de lui, rendait la scène incroyable. Cet endroit était très calme, aucune civilisation n'osait s'y installer sous peine de perturber quelques animaux inférieurs comme des banshees ou autres mammifères mais il existait quelques supérieurs dont les capacités magiques dépassent énormément celles des précédents. La Vallée du Vent compte de rares chimères : énormes ovipares dotés d’un corps de félin à l'avant, ruminant sur le dos et encore un autre de reptile. Bien que principalement nomades, elles peuvent séjourner plusieurs mois au même endroit pourvu qu'il soit suffisamment riche pour une des têtes. La cupidité des humanoïdes voisins, les lexidaes, n’est pas suffisante pour contrer leur stupidité. Ils préfèrent ne pas poser de pierres taillées si c'est pour les voir brisées par un animal qui s’en servirait comme tapis.

 C'était un endroit tout trouvé pour Druni, un très grand mage qui savait utiliser le vent à sa guise. On disait même qu'il pouvait le faire venir des cieux les plus hauts dans les cavernes les plus profondes. Un ermite qui se plaisait sur les collines à l'écart des querelles et des villes. C'est donc dans cette même vallée que le fameux mage se promenait d'un air tranquille en sentant le vent et en écoutant son chant. La plupart des gens se replie sur eux-mêmes quand ils sentent l'air glacial pénétrer leurs os, trop froid et irrégulier pour être agréable. Mais une sensation de frisson qui s'exerce sur l'épiderme était très agréable pour ce mage, bien que ses parures étincelantes dissimulaient la plupart de sa peau. Que ce soit un vent froid du Nord ou chaud du Sud, ressentir cette brise à travers les arbres et les montagnes était excitant. Il comprenait qu'on ne fuit le vent seulement quand son cœur s'arrête et sa caresse peut être aussi brutale que le guerrier mais aussi douce que le barde.

 Cette musique autrefois claire et agréable fut malheureusement interrompue par un faible cri qui venait des bois. Exaspéré, Druni s'y dirigea pour qu'il puisse stopper les chahuts qui dérangeaient la représentation de l'alizé. Il venait du haut d’une colline. On y voyait le ciel avec une immense clarté et le seul arbre qui s’y trouvait semblait aussi grand que la forêt voisine. Il marcha d’un pas ferme et une pression écrasante se faisait sentir autour de lui. Les animaux qui l'observaient n'osaient s'approcher de lui au risque de subir son courroux. Les chimères connues pour leur agressivité devant n'importe quel défi, s'inclinèrent en soumettant toutes leurs têtes. Le cri se faisait de plus en plus intense et le mage aperçu une silhouette encapuchonnée. Une longue cape noire recouvrait cette personne de la tête aux pieds. Le tissu était mat avec une doublure bleue ciel, la couture chirurgicale, elle semblait faite sur mesures pour un noble. La silhouette déposa sur une souche d'un vieil arbre un drap blanc enroulé sur lui même puis se retourna et remarqua son observateur. Mais elle ne fut pas surprise. Elle révéla simplement son visage et le salua. Il s'agissait d'une jeune lexidae dans la vingtaine avec des cheveux courts noirs, un visage fin et basané avec de longues oreilles sur le côté. Deux yeux aux iris bleus ciel et contours noirs assortis à sa cape, des saphirs à se méprendre. Elle avait un visage triste mais elle rit impulsivement en voyant l'ermite. Elle demanda : « Êtes-vous Druni und Azilèth ?

  • Tout à fait, répondit-il enjoué et curieux.
  • Je vous en prie, prenez-en soin. » commenta-t-elle en désignant la souche.

 Le sourire de Druni s'effaça. Le vent s'atténua jusqu'à n'être qu'un sifflement de mauvais augure, oppressant même. Il était exposé et se sentait menacé malgré l'assurance qu'il avait. La défensive ne l'aurait mené nul part sans vérifier les motivations de son interlocuteur. « C'est vous que le Renard a désigné ? Demanda-t-il, méfiant.

  • Oui ... déclara-t-elle attristée.
  • Vous a-t-il exposé les conditions ?
  • Oui : "pas d'intervention". Mais ...!
  • Non. L’interrompit-il. S'il l'a choisi personnellement il ne souffrira pas autant que les autres et disposera de mon soutien. Pour le peu de réconfort que ça peut vous apporter. Vous n'auriez pas dû rester ici aussi longtemps en premier lieu. Votre peine sera sans doute moins sévère si vous ne réapparaissez pas par vous-même. Je pourrais prétexter un besoin de faire votre connaissance pour diminuer votre faute. Proposa-t-il avec inquiétude.
  • Non, vous vous exposeriez. Vous non plus n'êtes pas satisfait de son mode opératoire ? Demanda-t-elle d'un ton désespéré caché sous un sourire.
  • Il ne m'a confié que le minimum malgré le temps depuis lequel je le connais. Il est de plus en plus stressé maintenant. Non … anxieux. Il va agir après tout ce temps et le monde ne s'en remettra pas. La Toile doit être maintenue jusqu'à ce que tout soit prêt, comptez au moins quarante ans pour que les détails soient affinés. Rien ne doit être exposé d’ici là. Continua-t-il.
  • Aussi longtemps ? Mais pendant tout ce temps il sera d'autant plus en danger ! S'exclama-t-elle avant de se ressaisir et s'incliner pour demander pardon.
  • Son Fil n'existe pas, il n'apparaîtra pas sur la Toile. interrompa-t-il. J'espère surtout ne pas déteindre sur lui et le rendre insupportable. Commenta-t-il, rieur.
  • Ça serait un honneur pourtant ! ajouta-t-elle en cachant son sourire de quelques doigts par politesse.
  • Lui avez-vous donné un nom ? Reprit-il sur un ton sérieux, doutant de la dernière déclaration de son interlocutrice.
  • Je n'ai pas pu m'y résoudre. Chaque fois que j'y ai pensé, j'ai fondu en larmes. Je ne peux... je ne peux pas le nommer et le perdre aussi vite c'est trop je ne peux … !
  • “Isa'th Seth”. Interrompit-il, discernant les larmes au coin de ses yeux.
  • Pardon … ? Demanda-t-elle en respirant irrégulièrement.
  • C'est d'une vieille langue que j'ai appris il y a quelque temps, les lexidaes ont gardé quelques racines communes mais elle se perd faute de pratique.
  • C'est beau. Y a-t-il une signification derrière ? Demanda-t-elle, les yeux se remplissant peu à peu d'espoir.
  • « Qui atteindra la liberté ». Annonça-t-il solennellement, pour la rassurer.
  • Merci … Répondit-elle en passant sa manche sur ses yeux. Je suis désolée pour le temps perdu, je devrais y aller. Je suis soulagée de savoir qu'il sera avec quelqu'un capable de lui donner pareil nom.
  • Ne vous excusez pas. Je ne vous servirai pas assez pour mériter une excuse de votre part malheureusement. »

 Elle baissa la tête jusqu'à s'incliner devant Druni, regarda le drap une dernière fois avant de disparaître dans la nuit. Et elle s'en alla. Il observa la femme partir, stoïque mais il ne pouvait pas s'empêcher d'être inquiet en pensant au contenu qu'elle avait laissé : un bras dépassait du drap. Il dévoila un nouveau-né dont les gémissements rappelaient au mage les perturbations de la représentation du vent dans cette soirée. Il regarda le bambin et découvrit quelques cheveux noirs et des yeux bleus au contour noir sur une peau sombre, quelque peu rougie. Ils étaient semblables à des saphirs eux aussi. Deux petites oreilles écartées, une bouche qui balbutiait, deux bras et deux jambes encore mal proportionnés. Il voulut l'inspecter plus assidûment en s'approchant mais il s’arrêta net quand l'enfant saisit son énorme doigt écailleux avec un grand sourire. Personne n'osait approcher un dragon recouvert d'une armure si fine et pourtant si solide avec une telle imprudence et pareil sourire. Druni était une vraie célèbrité : ses écailles blanches réfléchissantes illuminaient la scène. Il était un des rares êtres capables de contrôler le vent à sa guise. De grandes cornes parsemaient les côtés de son visage et ses dents complétaient son exosquelette. Tout le désignait pour être un guerrier. Pourtant, à la surprise de ses congénères, il se contentait de poursuivre le devoir de la plupart des dragons : chacun est responsable d'un territoire et doit s'occuper de son environnement. Druni s'en occupait en controlant les nuages et précipitations qui descendaient sur la Vallée. Cette force de la nature, cette puissance condensée souleva délicatement le petit avec son drap. Ce petit être chétif aurait pu être écrasé entre les doigts du dragon alors il s'approcha de lui doucement. Lentement. De peur de l’abîmer, il le posa sur sa paume pour avoir une position solide. Le petit attrapa son museau en riant aux éclats. Druni n'avait pas autant souri depuis des lustres. Les éclats de Mahina réfléchis sur les écailles du vieux dragon illuminaient la scène autour de la souche. Il s'éloigna de la forêt en prenant appui sur l'air et sautillant dans le ciel pour rejoindre la colline avec l'enfant enroulé dans son drap. Non seulement parce qu'il tenait à le mettre en sûreté, mais aussi parce qu'il avait l'impression d'être observé. Lorsqu'il pensait débusquer un intrus, il n'apercevait que la lueur de Mahina et son reflet sur un renard blanc au loin.

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