61. L’audition du désespoir

8 minutes de lecture

Sacha

Je regarde par la toute petite fenêtre de la pièce dans laquelle je suis enfermé le spectacle de la rue où les personnes qui passent ou flânent continuent leur route comme si de rien n’était. Comme si le monde ne s’était pas arrêté ce matin aux environs de huit heures trente. C’est fou comme certains événements n’ont aucune onde de choc en dehors de sa propre existence. Enfin, là, je suis sûr que mon interpellation n’a pas touché que moi. Que doivent penser ma sœur, Livia, Mathis, Aurélie et tous ces gens qui croyaient en moi ? J’espère qu’ils ne m’ont pas déjà condamné, mais je sais que la situation n'apparaît pas en ma faveur.

Le fait de me retrouver à nouveau enfermé entre quatre murs réveille en moi le traumatisme de mon emprisonnement pendant trois longues années. J’ai tenu le coup, ce n’est pas non plus si compliqué que ça de ne faire qu’attendre que le temps passe, mais là, les choses sont différentes. Si je suis de nouveau incarcéré, je vais perdre encore plus que la dernière fois. Je n’aurai à nouveau plus de famille car ma sœur ne me le pardonnera pas, cette fois, mais je vais perdre aussi Livia et Mathis. Et ça, je ne sais pas si je suis prêt à l’affronter. Si cela devait arriver, je crois que je me laisserais dépérir. Ou pire encore, je provoquerais cette mort qui serait pour moi le seul moyen d’affronter la souffrance.

Quand la porte s’ouvre à nouveau et qu’un jeune homme à peine plus âgé que moi, en costume cravate, entre, je comprends qu’il s’agit de l’avocat commis d’office qui sera chargé de m’assister et me défendre. Il a l’air fatigué et pressé de prime abord, mais il s’installe à la petite table de la pièce et sort son ordinateur avant de me regarder, avec beaucoup plus de compassion qu’il n’en a exprimé jusque-là.

— Bonjour Monsieur Moretti. Je suis Thomas Lheureux, votre avocat. J’ai jeté un œil à votre dossier et j’ai besoin d’informations pour voir ce que je peux faire pour vous. Est-ce que vous savez pourquoi ils sont venus vous arrêter chez vous ?

— Non, du tout. Enfin, si, parce que je suis un ex-taulard et qu’on n’a plus jamais le droit d’être tranquille quand on a fait des conneries. Vous avez vu quoi dans le dossier ?

— Pas grand-chose, en vérité. Ce sont surtout vos antécédents avec ce Jonathan, et le fait que vous ayez été en contact avec lui depuis votre sortie de prison, qui font qu’ils vous soupçonnent. Qu’est-ce que vous pouvez m’en dire ?

— Ils me soupçonnent de quoi au juste ? Ils ont parlé d’un braquage ce matin. Je n’ai rien à voir avec cette histoire, moi ! Quand Jo est venu pour me recruter, je l’ai envoyé balader. Et qui leur a dit que je l’avais vu en plus ?

— Ça importe peu, ça. Vous avez des preuves ? Des messages ? Quelque chose qui prouverait que vous avez rejeté sa proposition ? Effectivement, un braquage a eu lieu il y a deux jours et un policier a été blessé. Autant dire qu’ils ne lâcheront pas l’affaire facilement.

— Ouais, j’ai un contrat en trois exemplaires dans mon bureau où j’ai écrit “lu et non approuvé” bien sûr. Vous croyez quoi ? Je vous jure que je n’ai pas participé au braquage et que je n’ai pas rejoint Jo pour cette folie.

— Que je vous croie ou non ne changera rien, il nous faut des preuves pour appuyer vos propos. Une source du quartier où vous avez vécu a rapporté à la police que vous vous y êtes rendu il y a quelques semaines, ça ne va pas nous aider. Qu’est-ce que vous êtes allé faire là-bas ?

— Je… je voulais revoir mes amis et voir si j’avais une chance de revenir au cas où mon vrai boulot ne fonctionnait pas. C’était pas une bonne idée…

— Ah ça, je confirme, c’était vraiment pas l’idée du siècle, soupire-t-il. Vous savez qu’ils sont allés chez votre… petite amie ? Cet après-midi. On va pouvoir l’utiliser, si besoin.

Et merde… Ils sont allés voir Livia. C’est foutu de ce côté-là, alors. J’imagine trop la scène, tout l’appartement retourné à cause de moi et Mathis qui pleure dans ses bras.

— Vous allez pouvoir utiliser quoi ? Le fait qu’ils ont mis fin à notre relation ?

— Elle pourra témoigner que vous essayez de vous réinsérer, que vous vous tenez à carreau. Franchement, la copine avec un petit garçon, ça c’était l’idée du siècle, en revanche.

— Parce que vous croyez que je ne me suis mis avec elle que pour avoir un bon alibi afin de faire mon mauvais coup en douce ? Et puis, là, d’avoir vu les flics, ça m’étonnerait que ça lui donne envie de venir témoigner en ma faveur.

Nous n’avons pas le temps de continuer qu’un policier entre dans la pièce et nous indique qu’il nous emmène dans la salle des interrogatoires pour retrouver l’officier de police judiciaire qui m’avait vu tout à l’heure.

— Bonjour, Maître. Je suis désolé d’avoir dû vous interrompre mais les trente minutes prévues étaient écoulées. Maintenant que nous sommes tous là, on va pouvoir reprendre les choses sérieuses. Monsieur Moretti, vous ne niez pas connaître Jonathan Mercier ? Un ami à vous, il me semble ?

— Un ancien ami, pour être exact. La prison, ça éloigne les gens.

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— Je ne sais plus… Il est passé au café il y a quelque temps et je lui ai dit que je ne voulais plus rien avoir à faire avec ses histoires.

— Donc, vous niez avoir été avec lui la nuit de mardi à mercredi ? Et c’est quoi, ces histoires dont vous avez parlé avec Monsieur Mercier ? Je serais curieux de savoir. Cela n’avait rien à voir avec le braquage d’une bijouterie, par hasard ?

— J’en sais trop rien, je l’ai arrêté quand il m’a dit qu’il avait besoin de moi pour un truc important. Je vous l’ai déjà dit, j’ai repris ma vie en main, je ne veux pas retourner en taule, alors je fais ce que j’ai à faire pour ça.

— Alors, vous dites que vous n’avez pas participé directement aux événements, mais vous avez aidé à les préparer, c’est bien ça ?

— Ce n’est pas ce qu’il a dit, intervient mon avocat qui n’a pas pu garder le silence comme il est censé le faire. Il a dit qu’il avait refusé de répondre aux demandes de Monsieur Mercier, vous n’avez rien qui puisse prouver le contraire.

— Y a aucune preuve, vu que je n’ai rien fait du tout à part lui dire d’aller se faire f… Voir, marmonné-je.

— Quelqu’un pourrait témoigner sur l’endroit où vous étiez dans la nuit de mardi à mercredi ? Parce que là, vous ne me ferez pas croire que vous retournez au quartier voir vos anciens amis, qu’il vient vous voir au boulot, que vous parlez du braquage et que vous ne faites rien suite à tout ça !

— Mardi soir ? Je… j’étais chez ma copine. J’y ai passé la nuit.

— Facile à dire, ça. Comme par hasard, votre alibi, c’est votre copine ! Et je suis sûr qu’elle va dire que vous avez passé toutes les nuits avec elle ! s’exclame-t-il en riant presque. Vous avez un vrai témoin ou juste quelqu’un qui va prendre votre défense ?

— C’est sûr que je n’ai pas passé la soirée avec le Président de la République, d’un autre côté ! Avec qui vous voulez que je passe mes soirées, au juste ? Ça aurait été ma sœur, ça ne vous aurait pas suffi non plus. Il aurait fallu quoi, que je sois totalement torché au bar pour que le barman justifie de ma présence ?

— Ahah, je vois que je touche une corde sensible. Vous savez que si vous avouez maintenant, ça jouera en votre faveur au moment du procès ? Je vous laisse réfléchir un instant et échanger avec votre avocat si vous le souhaitez, je vais appeler le juge de garde pour savoir ce qu’on fait de vous.

L’OPJ se lève et nous laisse. Je me renferme sur moi-même et ne fais aucun geste vers mon avocat pour échanger avec lui. De toute façon, il ne connaît pas le dossier et si la police ne veut pas prendre en compte mon témoignage ou mes alibis, ça ne sert à rien de se battre. Je suis déjà condamné et quoi que je dise, je vais retourner en taule. Je m’étais vu prendre un nouveau départ, mais ce n’était qu’une illusion. Je sens des larmes couler sur mes joues et je m’en veux d’être si faible mais je n’arrive pas à lutter contre ces émotions qui me submergent.

Lorsque l’OPJ revient dans la salle, il a l’air contrarié et mon avocat s’adresse à lui, voyant que je suis dans l’incapacité de parler.

— Alors, qu’a décidé le juge ? Mon client va être incarcéré malgré le manque de preuves ?

— Votre client va rester en garde à vue pendant encore un moment. Pas d’incarcération dans l’immédiat.

Je le regarde sans vraiment comprendre et me tourne vers mon avocat pour lui exprimer mon incompréhension.

— Monsieur Moretti, ça veut dire que le juge a besoin d’éléments complémentaires pour prendre une décision. Ils peuvent vous garder quarante-huit heures sans avoir à justifier quoi que ce soit. Mais heureusement pour vous, dans notre pays, la police et la justice sont indépendantes. Il n’y a pas d’élément pour vous incarcérer pour l’instant. Espérons que ça soit le cas encore d’ici demain. Autre chose, Officier ? Sinon, je vous laisse pour aller retrouver mon prochain client.

— Ce sera tout pour aujourd’hui, oui. Je ne vous retiens pas plus longtemps. Monsieur Moretti, on va vous ramener dans votre “home sweet home” pour la nuit.

— Je serai là pour votre prochaine audition, Monsieur Moretti. Bon courage.

Je ne réponds ni à l’un, ni à l’autre, inquiet de ce qui va m’arriver durant cette garde à vue. Je ne veux pas retourner en prison mais la situation a l’air mal engagée. En plus, si j’ai bien compris, Jo s’est fait la malle et je suis le seul qu’ils ont réussi à coincer. Ils ne vont pas me lâcher comme ça, il faut bien qu’ils justifient leur travail devant la presse et leurs chefs. Je suis la cible idéale pour ça, même si ça veut dire détruire mon honneur et ma réputation. Et même si je suis libéré, comment vais-je retrouver ceux que j’ai laissés ? Avec une telle histoire, je ne vais plus avoir aucun crédit auprès d’eux. Et merde… Ils vont me manquer, tous autant qu’ils sont… Marina, Mathis… et Livia… Est-ce que c’est possible d’envisager une vie sans eux ?

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0