62. La copine s’en va-t-en guerre

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Livia

Je sors Mathis du bain et l’enroule dans une serviette avant de l’emmener jusqu’à sa chambre en le séchant. Le temps a viré à l’orage en cette fin d’après-midi, un peu comme mon humeur, j’imagine.

— Pyjama dinosaure ou pikachu ? Tu veux quoi, mon petit sushi ? souris-je en le maintenant coincé dans la serviette.

— Pikachu, s’il te plaît !

Il se tortille comme il peut pour se libérer, étalé sur son lit, et je profite d’avoir accès à sa petite bouille pour lui faire des bisous qui le font rire et me redonnent un peu d’énergie pour supporter cette fin de journée. Tout tourne en boucle dans ma tête depuis la visite de la police, et je n’arrive absolument pas à en faire abstraction. Pour autant, je prends le temps d’habiller Mathis et de lui donner l’attention qu’il mérite avant de le laisser jouer un peu seul dans sa chambre et de m’isoler dans la mienne. Je m’assieds sur mon lit en soupirant et ne tarde pas à prendre mon téléphone et à appeler mon frangin qui répond rapidement.

— Diego, réunion de crise, ça urge… Je peux t’embêter ? Tu n’as aucune raison valable s’il ne s’agit pas d’un mec à genoux devant toi, clair ?

— Ouh la, Miss Liberty. C’est si grave que ça ? Mathis va bien ? me demande-t-il, inquiet. Tu veux que je vienne ?

— Tu peux venir, mais il faut d’abord que j’évacue. Mathis va bien, oui, rassure-toi, c’est moi qui pars en cacahuète, là, soupiré-je. Sacha a été arrêté…

— Quoi ? Mais… pourquoi ? Ne me dis pas qu’il a replongé ! Le con ! Putain, c’est Louis qui avait raison, alors… Tu… Comment tu te sens ?

— Je suis paumée, je… T’imagine, Louis a débarqué, tout content de m’envoyer à la tronche que ses collègues allaient arriver pour fouiller chez moi. Je n’arrive pas à imaginer qu’il ait pu replonger, Diego. Y a forcément un malentendu quelque part…

— Il est accusé de quoi ? Tu crois que c’est une erreur judiciaire ? Oh la la… Quel cauchemar ! Il faut faire quelque chose !

— J’en sais trop rien, mais un flic a été blessé, alors forcément, ils vont vouloir un coupable. Je te jure, Diego, j’ai jamais remarqué un seul truc qui pourrait me laisser croire qu’il veut replonger. Même quand son ancien pote est passé au café, il m’en a parlé. Il veut vraiment récupérer sa sœur, je… je pensais qu’il serait incapable d’y retourner. Je sais plus, et ça me prend le chou à un point pas possible. Je ne sais plus quoi penser.

— Il n’a pas encore été jugé coupable, si ? Franchement, si tu crois en lui, tu devrais essayer de le défendre, non ? Je ne t’ai jamais vue aussi amoureuse et si ce n’est pas toi qui te bats pour lui, qui va le faire ? Ne te décourage pas, Miss L. Avec un surnom comme le tien, tu vas pouvoir le faire sortir. Je ne sais pas moi, il n’a pas des travailleurs sociaux qui pourraient l’aider à son centre ? Il faut qu’on se mobilise tous pour lui. Et s’il est reconnu coupable, on plaidera la bonne volonté.

— La bonne volonté… Celle de me faire jouir et de me mentir ? Magnifique, marmonné-je. Tu viens à la maison, alors ? Je crois que j’ai besoin de mon petit frère, pour une fois.

— Je suis déjà en route, Miss Liberty ! A tout de suite !

Je le remercie et raccroche en repensant à ses paroles. Je veux bien le défendre, moi. Mais est-ce qu’il est vraiment innocent ? J’ai l’impression d’être paralysée par la peur qu’il m’ait dupée depuis le début.

Je sors de ma chambre pour vérifier ce que fait Mathis et fouine sur Internet pour trouver le numéro du centre dont dépend Sacha. Je ne sais pas trop ce que je vais bien pouvoir dire à son éduc, mais qui ne tente rien n’a rien, non ? Espérons simplement que ce ne soit pas le fameux Jordan qui bosse, ce soir.

— Bonsoir, je souhaiterais parler à Aurélie, s’il vous plaît.

— De la part de ?

— Heu… Livia. C’est au sujet de Sacha.

Pas de réponse, une musique d’attente insupportable, et je patiente en me demandant plusieurs fois si je ne ferais pas mieux de raccrocher.

— Allo ?

— Bonsoir, excusez-moi de vous déranger. Je… je suis Livia, la collègue de Sacha.

— Oh bonsoir. Vous appelez au sujet de son interpellation ? Malheureusement, je ne peux pas donner d’informations comme ça, vous savez.

— C’est sûr que je ne vous appelle pas pour vous parler de l’orage qui gronde, soupiré-je. Pour quoi d’autre je pourrais vous appeler ? Qu’est-ce que vous pouvez me dire alors, au juste ? J’aimerais l’aider, mais je suis totalement paumée, je ne sais pas quoi faire…

— Il n’y a pas grand-chose à faire, vous savez. Moi aussi, comme vous, je croyais en lui, mais là, je suis bien déçue… J’en reviens pas qu’il ait pu profiter d’être dans l’appartement pour aller faire ce braquage en pleine nuit. C’est fou.

— En pleine nuit, vous dites ? Il a eu lieu quand, ce braquage ? Parce que Sacha a dormi à la maison cette semaine…

— Chez vous ? Mais… pourquoi ? s’interroge-t-elle, visiblement surprise. C’était la nuit de mardi à mercredi.

J’ai l’impression que tout mon corps se détend en l’entendant parler, comme si la pression retombait brusquement.

— Eh bien, il dormait chez moi cette nuit-là. Je ne vous fais pas de dessin sur le pourquoi, c’est ce que font les jeunes couples qui ne vivent pas encore ensemble, vous voyez ? Toujours est-il que je peux vous assurer qu’il était trop occupé pour aller braquer je ne sais quoi.

— Oh, je vois… Je ne savais pas… Il faut prévenir la police alors ! S’il était avec vous, c’est clair qu’il n’est pas mêlé à l’affaire ! J’ai le contact de son avocat, là, vous voulez l’appeler pour le prévenir ?

— Oui, donnez-moi ses coordonnées, s’il vous plaît.

Je récupère un papier sur ma commode et note ce qu’elle me dit, la remercie rapidement et raccroche.

— Maman ! J’ai faim !

— Donne-moi encore quelques minutes, mon Cœur, j’arrive ! Tonton Diego vient nous voir, il faut qu’on l’attende.

— Trop bien !

Je l’entends courir et sautiller en regagnant sa chambre, et souris en composant le numéro de l’avocat. J’ai une chance de dingue, tout le monde me répond rapidement ce soir. Il a la voix d’un ado, le gars, et je me demande si je ne me suis pas plantée de numéro.

— Bonsoir, je suis désolée de vous déranger… Vous êtes bien l’avocat de Sacha Moretti ?

— Sacha… Ah oui, je l’ai vu tout à l’heure. Qui est à l’appareil ?

— Livia Marchand, je suis sa collègue… et sa petite amie, en fait. Je… Il se trouve que Sacha était chez moi durant la nuit de mardi à mercredi, il n’a pas pu faire ce dont il est accusé, vous savez ?

— Ah oui, il en a parlé, mais personne ne le croit. Vous confirmez vraiment ça ou c’est juste pour le couvrir ?

— A quel moment est-ce que la parole d’une personne doit constamment être remise en cause, sérieux ? Il vous l’a dit et personne ne prend le temps de vérifier l’info auprès de moi ? J’y crois pas, marmonné-je. Il était chez moi, vous voulez quoi, les capotes usagées ? Le menu du repas ? La couleur de son caleçon ce jour-là ?

— Ecoutez, demain matin, j’en parle avec la police et je vous tiens au courant. Si ce que vous dites est vrai, vous serez sûrement entendue pour une simple audition. On verra bien ce que le juge en fait. Parce que là, c’est mal parti, il n’a rien fait pour ne pas être suspecté, quand même !

— Et… il a fait des choses pour être suspecté ?

Je ne sais pas si j’ai envie qu’il me réponde, pour être honnête, mais une partie de moi a besoin de savoir s’il y a vraiment des preuves qui le mettent en cause.

— Eh bien, il est quand même allé voir ses anciens potes au quartier, le principal suspect est venu le voir au café, c’est pas clair tout ça.

— Et donc, retourner dans le quartier où on a grandi, c'est forcément retrouver la délinquance… J’étais là quand ses anciens amis sont venus le voir au café. Il les a plus ou moins mis dehors. C’est si dur que ça d’imaginer que les gens peuvent changer ? Ce sont ça, les preuves de la police ? A ce tarif-là, je peux me retrouver en taule juste parce que je sors avec un ex-détenu, non ? C’est n’importe quoi…

— Ce n’est pas moi, le juge. Je les appelle demain, je vous tiens au courant. Préparez votre déposition, il ne faudrait pas que ça l’enfonce encore plus. On ne critique pas le système, on donne juste des faits, d’accord ?

— Bien sûr, je ne critiquerai pas la justice à deux vitesses, qui laisse dehors des pédophiles et des violeurs, mais garde en détention un homme sans aucune preuve, Monsieur l’avocat. C’est pourtant pas l’envie qui me manque de débouler dès maintenant au poste, soupiré-je. Tenez-moi au courant, oui. Bonne soirée.

Je raccroche en grimaçant, consciente qu’il n’y est pour rien ou presque. Est-ce qu’il a vraiment essayé de le faire libérer ? Je n’arrive pas à croire que ces soi-disant preuves sont suffisantes pour qu’ils le gardent au poste. C’est un truc de dingue. Dire que des types sont relâchés alors qu’il y a des preuves à charge, et lui, sous prétexte qu’il a déjà fait de la prison, est d’office jugé coupable. Ou alors l’avocat ne m’a pas tout dit ? Sérieusement, qu’est-ce que Sacha est allé foutre au quartier ? Il cherche les ennuis, lui, aussi. Et comment je peux préparer ma déposition ? Il faut que je leur raconte notre nuit en détails, positions incluses tant qu’on y est ? J’y crois pas, voilà que je vais me retrouver au poste de police pour autre chose que pour déposer des trucs à mon frère… Plongée brutale dans la vie de Sacha.

En attendant, il y a un petit gars qui réclame mon attention, et mon frère qui débarque va m’apporter la dose de câlins et de réconfort nécessaire à une nuit à peu près correcte. C’est assurément moins bien qu’une nuit avec Sacha, mais il va falloir que je me contente de ça, pour le moment. Ce sera toujours plus agréable et confortable que la nuit que lui va passer, c’est certain.

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