46. Objectif piston

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Livia

— A ce soir, mon petit Cœur, soufflé-je à Mathis en le serrant contre moi. Tu es sage avec Marina, hein ?

— Mais oui, Maman, soupire-t-il théâtralement en me faisant un bisou sur la joue. Je suis toujours sage avec Marina.

Il n’a pas tort… ou alors, elle ne me dit pas tout, mais quand je rentre, l’appartement est toujours rangé, le petit est posé devant une activité calme et douché le soir, à la sieste ou sur le point d’y aller l’après-midi. Si elle ne sait pas quoi faire plus tard, un boulot avec les enfants me semble plus qu’envisageable.

— Je sais, Petit Kangourou. Continue comme ça, souris-je en le reposant. Vous pouvez venir goûter au café, si tu veux, Marina.

— D’accord, Livia. Mon frère sera là ou pas ?

— Oui, il commence à quinze heures. Ça te pose souci ? Si tu préfères, vous viendrez un autre jour… Je veux dire, aucune obligation, c’est comme tu le sens.

— Non, ça va. Il a l’air clean en ce moment. Je n’ai pas l’impression qu’il se soit remis à son business ou à ses cachotteries. Et j’aime bien le voir, tu sais… mais je ne veux pas qu’il me déçoive à nouveau.

— J’imagine, oui… Tu sais, on discute pas mal, lui et moi, et honnêtement, je crois qu’il est décidé à rester sur le droit chemin. Te perdre lui a fait beaucoup de mal, il ne veut pas revivre ça.

— Il m’a surtout fait beaucoup de mal à moi. Tu imagines, me retrouver orpheline et placée ? Bref, je viendrai tout à l’heure mais je réserve un chocolat chaud pour moi et Matou.

— Va pour le chocolat chaud, vu qu’il fait gris aujourd’hui, vous aurez bien besoin de ça. Et… je ne voulais pas minimiser ton expérience, hein ? Je te dis juste ce que je vois. Tu t’en sors bien, pour une jeune qui s’est retrouvée placée, et tu peux être fière de toi, Marina.

— Tu sais, je faisais déjà ça au quartier. Il y avait toujours des enfants qui avaient besoin de supervision. Entre les parents absents, les quelques uns qui bossent, il fallait s’occuper des mômes, j’ai l’habitude. A tout à l’heure, Livia.

— Je ne parlais pas que du babysitting, ma Belle, mais de toi en général. Je t’ai écoutée jouer du piano, je te rappelle, et j’entrevois l’adolescente responsable et volontaire, gentille et douce, mais avec son caractère, quand même. Bref, je file, je vais être en retard. A tout à l’heure, souris-je. A tout à l’heure mon chéri !

Je me dépêche de descendre et rejoins le coffee shop, où ma mère est dans la cuisine avec mon père. Il n’y a que trois clients installés à table, autant dire que les mois d’été ne sont pas ceux qui nous rapportent le plus. Les touristes, eux, préfèrent le centre de Paris et les marchands de glace plutôt que Saint-Denis et notre boutique.

— Coucou, souris-je en entrant. Oh, des meringues, trop bien ! Je peux en piquer une, Papounet ?

— Bien sûr, ma fille. Fais comme chez toi. Tu es en avance, non ?

— Oui, je voulais savoir si vous comptiez prendre des vacances, cet été. Ça fait combien de temps que vous ne l’avez pas fait ?

— Oh tu sais, les vacances, avec le shop, c’est pas facile. Si on ne veut pas perdre de clients et d’argent, on ne peut pas se permettre de trop partir. On fermera une semaine début août, comme d’habitude, mais à part ça, on assurera le service. Tu peux ramener les pâtisseries en salle ? Ça évitera à ta mère de se faire mal au dos.

— Bien sûr. tu es allée voir le médecin pour ton dos, Maman ? Il va falloir arrêter de t’acharner à nettoyer les tables à un moment donné.

J’ai l’impression d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine, là. Je mets directement les deux pieds dedans, ce n’est pas très subtil.

— Oui, ma chérie. J’ai des médicaments qui marchent à merveille. Comme si j’avais vingt ans, sourit-elle. Et puis, tu es là pour nous aider, tout va bien.

— Super… Au fait, je vous ai ramené la compta du mois dernier, j’ai tout bouclé hier soir et je vous ai imprimé les comptes. Franchement, vous auriez largement de quoi embaucher, histoire de lâcher quelques heures et de vous poser.

— Ah, mais tu sais que c’est difficile de trouver des gens biens et travailleurs, Livia, me dit mon père d’un air grave. Et pour l’instant, ça marche, mais qui sait de quoi sera fait demain ?

— Vous avez des habitués, je connais le nom de la moitié des clients, souris-je. Et puis, vous avez Sacha. Il bosse vraiment bien, je crois que vous feriez un bon investissement, honnêtement. Tu bosses avec lui, Maman, il gère, non ?

— C’est vrai qu’il se débrouille, le petit. Un peu jeune, un peu brusque parfois, mais on n’a pas à se plaindre. Je crois qu’il n’a été en retard qu’une seule fois… Surprenant pour un criminel. Mais bon, on a une aide que pour vingt-quatre heures, pas pour trente-cinq.

— Tu veux dire quoi par investissement en lui ? me demande mon père, plus terre-à-terre.

Je tique au mot “criminel” mais me garde bien de rétorquer quoi que ce soit. Objectif : brossage dans le sens du poil.

— Y a pas moyen de combler ce contrat ? Ça ferait onze heures de boulot en moins pour vous, quand même. Et puis, si tu t’inquiètes pour les pâtisseries, n’oublie pas que j’en ai passé, des heures ici avec toi. Je suis sûre que je pourrais faire quelques trucs si tu veux.

— Tu crois qu’on pourrait se le permettre financièrement ? demande ma mère.

— Oui, surtout si on reste sur un CDD… Mais ce petit jeune, on ne le connaît pas bien… Depuis qu’il est en contrat, c’est à peine si j’ai échangé trois phrases avec lui. Il bosse, mais on ne sait rien de son passé. Il vous en a parlé à vous ? Il a quand même fait trois ans de prison, ce n’est pas rien.

— Il a payé sa dette, argumenté-je. Vous devriez vraiment lui donner une chance. Il aime bien bosser ici et il a envie de s’en sortir. Il est motivé, vous savez ?

— Moi, il m’a un peu parlé sur le service, poursuit-elle, mais il reste discret sur son passé. Après, c’est vrai qu’il est efficace. Il y a même certaines clientes qui ne viennent que pour lui, il a du charme, le petit. Si financièrement on peut le prendre, ça vaudrait le coup d’essayer, non ? Tu en penses quoi, mon petit Momo ? Et Livia a l’air d’avoir envie que son collègue passe plus de temps ici. Peut-être qu’on lui demande trop à la petite ?

— Je suppose qu’on peut étudier la question. Si ça peut vous soulager un peu toutes les deux, pourquoi pas. Mais je ne sais toujours pas si c’est une bonne idée de faire ça…

Il fait le boulot, pourquoi est-ce que ça ne serait pas une bonne idée ? Oui, il a fait de la prison, mais il faut aussi prendre en compte la personne. Les gens changent, apprennent de leurs erreurs, non ?

— Maman ne compte pas ses heures, soufflé-je, elle en a besoin, je crois. Tu ne pourras pas savoir si l’idée est vraiment bonne sans essayer. Moi, je peux t’assurer qu’il fait le boulot et qu’il bosse pour s’en sortir. On discute pas mal, vous savez ? Sérieusement, quitte à vouloir lui donner une chance, je crois qu’il faut aller au bout des choses. Je sais que certains replongent, que ça vous freine, mais il mérite vraiment une main tendue.

— On pourrait le voir avec la gentille éducatrice qui l’avait accompagné pour son embauche, non ? propose ma mère. Au moins, elle pourra nous dire si c’est une bonne idée ou pas. Tu en penses quoi, Momo ?

— Oui, on peut faire ça, et puis on va prendre le temps d’y réfléchir et pas se décider précipitamment.

Oui, espérons qu’ils ne mettent pas un an à se décider comme pour la machine à café, qui les a lâchés au beau milieu d'un jour d’hiver bien pluvieux avant les partiels. Genre la semaine où ils font un super chiffre d’affaires.

— Cool ! souris-je en allant déposer un bisou sur la joue de mon père avant de faire de même avec ma mère.

Oui, moi aussi, ça me surprend. Ils ont l’air totalement ahuri, et je me dis que je suis la reine des bourdes. Ou comment se faire griller en dix leçons par Livia la nouille ?

— Bon, continué-je en récupérant les plateaux de pâtisseries, je vais mettre ça en salle et tenir le comptoir, puisque je suis là.

Je ne leur laisse pas le temps de se reprendre et file déposer les plateaux sur le plan de travail. Je cherche mes écouteurs et les branche sur mon téléphone pour pouvoir appeler Sacha tout en bossant. Je me demande comment il va prendre la nouvelle… C’est plutôt positif, mais pas non plus totalement.

— Salut, toi. J’espère que tu ne seras pas en retard au boulot, mes parents aiment la ponctualité, soufflé-je, le sourire aux lèvres.

— Oh coucou. Je suis toujours à l’heure ! Tu leur as parlé ? Ils ont dit quoi ?

— Oh, j’ai totalement oublié, dis-je sans parvenir à garder mon sérieux. Bien sûr que je leur ai parlé, pour qui tu me prends, enfin ? Ils y réfléchissent, ça sent pas mauvais.

— Ils y réfléchissent ? Ça va leur prendre longtemps, tu crois ? J’ai besoin d’une réponse avant la fin du mois… Ils attendent quoi ?

— Ils veulent rencontrer ton éduc avant de se décider… Un chouia de patience, mon lapin.

— Quel éduc ? Si je viens avec Jordan, c’est mort, pas la peine de venir. Dis-moi qu’ils ont parlé d’Aurélie, me supplie-t-il presque.

— L’éduc qui t’a déjà accompagné et qui a tapé dans l’œil de mon père. Je doute que ce soit Jordan, du coup !

— Ah ouf. Je vais lui en parler, elle prendra rendez-vous avec eux, ça fera accélérer un peu les choses. Merci en tout cas, sans toi, ça n’aurait jamais été possible, tout ça. Il va falloir que je te remercie avec plein de bisous, non ?

— Il te faudra plus que des bisous. La note va être salée, je peux te le garantir, moi. Encore plus quand tu auras ton temps plein en poche, souris-je. Allez, je te laisse, y a des clients qui viennent d’entrer. A tout à l’heure, mon Cœur.

— Je t’aime ! A tout à l’heure !

Je raccroche en souriant béatement. Tout est allé très vite avec Sacha, j’ai parfois du mal à croire que j’aie pu en arriver là aussi rapidement, mais… c’est comme ça, j’accepte les choses telles qu’elles viennent. Y a quand même pire que de tomber folle amoureuse, non ? Bon, OK, je suis certaine que jamais ma famille n’appréciera mon chéri, mais en dehors de ça, je vis d’amour et d’eau fraîche, c’est pas mal.

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