42. La balade du couple heureux

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Livia

— Je te remercie de pousser un peu tes heures, Marina, c’est super gentil.

Il est quinze heures et mon fils est à la sieste. Je la remercie, mais c’est moi qui paie la nounou, donc bon… Je sens que l’addition va piquer à la fin du mois, mais je ne peux pas demander à mes amis de garder Mathis tout le temps. Ethan a un bouquin à écrire, Isabelle bosse à mi-temps de son côté, tous les deux sont en couple et ont leur vie, aussi. Il va vraiment falloir que je lui trouve une nounou régulière et officielle pour la déclarer à la CAF, ça me fera moins à mettre de ma poche. Mais je n’ai pas le temps, ou je ne le prends pas. J’ai du mal à le laisser à n’importe qui. Bon, je trouve que j’ai quand même pas mal lâché prise à ce sujet, la preuve avec la sœur de Sacha qui n’a aucune expérience, mais je ne suis jamais loin lorsqu’elle le garde et elle sait qu’elle peut m’appeler au moindre souci. Là, en revanche, je ne serai pas dans le quartier, et je fais un peu moins la maligne, même si jusqu’à présent tout s’est bien passé.

Je me regarde dans le miroir de l’entrée et me demande si je ne devrais pas échanger ce petit short en lin contre une jupe. J’ai toujours plus ou moins fait attention à ce que je portais, mais il y a bien longtemps que je ne l’ai pas été dans l’objectif de plaire à un homme.

— Pas de problème, ça me fait plaisir. Et puis Mathis est mignon.

— Oui, quand il veut, il l’est, souris-je. Si vous allez au parc après le goûter, il peut prendre son vélo, mais il n’a le droit d’en faire qu’une fois là-bas et avec son casque, OK ? Et n’oublie pas la crème solaire, je te l’ai mise sur le meuble, là.

— C’est noté. Pas de vélo avant le parc, et il finit bardé de crème solaire, répond-elle d’un ton légèrement moqueur.

J’acquiesce et la salue rapidement en voyant l’heure. Je récupère mon sac et file, dévalant les escaliers pour gagner la rue. Sacha ne devrait pas tarder à quitter le boulot et je ne peux pas le manquer. Je me poste dans la ruelle adjacente, sur le trottoir opposé, à l’abri des regards. J’espère qu’il appréciera la démarche et que je ne vais pas foutre en l’air ses plans, mais j’en ai marre qu’on soit enfermés soit au café, soit chez moi, et je me dis qu’une petite sortie ne nous fera pas de mal.

Je souris en le voyant sortir et l’observe récupérer son téléphone en prenant la route pour rentrer au centre, ou pour aller se balader peut-être. Je ne sais pas vraiment ce qu’il fait en dehors de nos moments ensemble. J’ai cru comprendre qu’il s’ennuyait au centre, que les activités parfois proposées le gonflaient et qu’il avait hâte de se barrer de là. Pour le reste…

Je me mets en route et traverse la rue pour le suivre. Il a de grandes jambes et je dois marcher vite pour le rattraper alors qu’il approche de la bouche de métro.

— Excusez-moi. excusez-moi ! Vous pourriez m’aider, s’il vous plaît ?

Je le vois lever le nez de son téléphone et regarder autour de lui sans pour autant s’arrêter, ni se retourner. Super.

— Eh, beau gosse ! T’aurais pas un 06 ? l’interpellé-je après l’avoir sifflé en tentant de garder mon sérieux. Super ! Tu te retournes quand une meuf te demande ton numéro mais pas quand elle t’appelle à l’aide ?

— Eh bien ! Qu’est-ce que tu fais là ? me demande-t-il en souriant. C’est toi qui appelais à l’aide ? Je cherchais d’où ça venait, mais c’est clair que quand une femme belle comme toi demande mon 06, je le donne tout de suite !

Je lève les yeux au ciel en souriant et dépose un baiser au coin de ses lèvres.

— Tu as quelque chose de prévu, là, maintenant ?

— Non, j’allais juste rentrer au centre en attendant qu’on puisse s’appeler ce soir, c’est tout. Mais comme tu es là, je suppose que je ne vais pas devoir attendre.

— Une balade te tente ? J’ai une super nounou qui s’occupe du petit monstre et du temps pour moi.

— Tu m’emmènes où ? J’aime bien quand tu organises tout comme ça ! Je ne peux rien te refuser, tu sais ?

Il me détaille des pieds à la tête et son regard brûlant me donne chaud. Je suis contente qu’il apprécie la surprise, et j’avoue que je me détends un peu.

— Je sais pas trop, je voulais juste un moment à deux. On peut aller boire un verre en terrasse ? Ou… aller se balader ? Je te proposerais bien un ciné, mais quitte à être tous les deux, autant pouvoir discuter un peu. Je serais bien allée à la piscine, mais on n’a pas nos maillots, et si Mathis apprend qu’on y est allés sans lui, il va bouder pendant des heures, souris-je. Tu as envie de quelque chose en particulier, toi ?

— Je veux juste passer du temps avec ma petite amie. Pourquoi pas un verre en terrasse et une petite promenade, oui, tant que l’on est ensemble, tout me va.

Je glisse ma main dans la sienne, beaucoup trop satisfaite de l’entendre m’appeler sa petite amie, et l’entraîne plus loin, histoire que l’on s’éloigne de la maison.

— Est-ce que ça te dérange si on reste pas trop loin de la maison ? La maman louve préfère y aller en douceur, sait-on jamais. Non pas que je n’ai pas confiance en ta sœur, mais elle reste jeune et c’est sa première expérience…

Sacha éclate de rire en m’entendant avant de déposer un petit bisou sur ma joue.

— Je connais un coffee shop pas loin de chez toi où on pourrait passer un bon moment, si tu veux ! se moque-t-il avant de reprendre un peu son sérieux. Je t’ai dit qu’on irait où tu veux, tu sais. On peut aller marcher au centre ville ou sur les bords de Seine, je m’en moque, je souhaite juste que l’on soit ensemble.

— Te moque pas, grimacé-je avant de rire. Tu verras ce que c’est, toi, si un jour t’as des gosses. Tu as hâte d’avoir un peu de calme et de liberté, mais une fois que c’est le cas, ils te manquent et tu t’inquiètes.

— Je ne sais pas si je suis prêt à être père, mais je te comprends tout à fait. Et comme tu dis, ma sœur est encore jeune. Alors, les bords de Seine ?

— Va pour la balade, soufflé-je en passant mon bras autour de sa taille. Ça fait un peu bizarre de se promener plutôt que d’être enfermés chez moi, non ?

— Moi, je trouve ça plutôt agréable. Un peu comme si on franchissait une nouvelle étape dans notre relation. J’aime beaucoup, indique-t-il en me souriant, visiblement très heureux de la petite sortie improvisée.

— Moi aussi. Tu penses que tu vas rester longtemps dans ce centre ? C’est quand même contraignant pour toi. Entre ça et le fait qu’on garde notre relation pour nous, c’est pas l’idéal…

— Il faut que je me trouve un logement à moi, mais ce n’est pas facile. J’ai fait ma demande de logement social, mais les délais sont longs. Et avec ce que je gagne, ce n’est pas facile… Je… je crois que je suis un peu coincé au centre pour l’instant.

— Pas génial pour se réinsérer… Donc, tu passes tout ton temps libre là-bas ?

— Ouais. C’est ça ou retourner au quartier. Et je n’ai pas envie de replonger. J’ai aussi des visites dans la famille d’accueil de ma sœur, deux fois par semaine. J’essaie de ne penser qu’à ça… et à notre travail tous les deux, à la prochaine fois que je vais te voir. C’est ce qui m’aide à tenir, tu sais ?

— T’es chou, mais tu vas me coller la pression, là, ris-je. Vous n’avez vraiment plus de famille, tous les deux ? Personne qui pourrait te filer un coup de main ? Et avec Sonia, ça va ?

J’avoue que je suis curieuse, mais pour une fois qu’on n’est pas super occupés au café ou super occupés à copuler et à nous cacher… autant en profiter, non ? Et puis, contrairement au début, il semble plus à-même de s’ouvrir et de parler de lui.

— On a des cousins quelque part en Bretagne et en Normandie, mais on n’a plus de contacts depuis que je suis allé en prison. C’est le genre d’événements qui te détruit bien… Et pour Sonia, ça va, je crois qu’elle a changé d’avis sur moi. Son mari, lui, pense que je vais replonger et fait tout pour ne pas que ma soeur se rapproche trop de moi, mais tu l’as vue. Elle a du caractère, elle ne se laisse pas influencer par les autres.

— Oui, c’est une sacrée demoiselle. Tu sais qu’elle se fait moins avoir par Mathis qu’Isabelle et Ethan ? Elle assure avec lui. Et je trouve que tu t’en sors bien, moi. Je veux dire… Il faut aussi une sacrée force pour résister à la tentation de la facilité.

— La facilité, ça voudrait aussi dire te perdre et perdre ma soeur, j’ai de quoi être motivé, non ? Il faudrait juste que le regard des autres change désormais.

— Heureusement, tout le monde ne pense pas comme mon frère ou mes parents. Quoique même mes parents te donnent une chance, finalement. C’est peut-être un peu intéressé, j’en conviens, mais… c’est un premier pas, non ? Tu cherches du boulot ailleurs ?

— Tu es folle ? Ne plus travailler avec toi, je n’y pense même pas ! Tu ne veux plus me voir ou quoi ?

— Non, non, ris-je. Bien sûr que non, je me dis juste que ce serait plus facile pour toi avec un temps plein. Après, je sais que ma mère aimerait réduire ses heures au café, mais… je ne sais pas si elle pourrait envisager de te faire passer à cent pour cent…

C’est vrai que mes parents ne sont plus tout jeunes. Ils adorent le Coffee Shop mais fatiguent tous les deux. J’espère vraiment qu’ils me feront assez confiance à l’avenir pour gérer l’affaire, mais en attendant, j’ai beau tâter le terrain auprès d’eux, ils n’ont pas l’objectif, à court terme, de changer un minimum les choses. Je ne suis que leur petite employée et ils me font une fleur en me laissant bosser et en me filant un salaire à la fin du mois. Après tout, je me suis fait virer de l’agence, j’avais besoin d’aide…

— Assez parlé de boulot, profitons un peu de notre promenade, ma Belle. On aura tout le temps de parler du taf quand on y sera. Je suis tellement heureux déjà qu’on puisse ainsi se promener ensemble.

Ouais, moi aussi, j’aime beaucoup qu’on passe ce moment tous les deux. Je suis fière de ma petite idée, même si c’était un peu osé de le mettre devant le fait accompli. Je crois que j’avais juste besoin qu’on soit autre chose que deux collègues ou deux amants, et cette proximité et cette facilité que chacun de nous a à se confier à l’autre me conforte dans l’idée que ça vaut le coup de prendre le risque. Se cacher de tout le monde n’est pas l’idéal, mais je sens qu’on peut vivre quelque chose de beau, tous les deux, même si le chemin semble semé d’embûches aussi grosses que mon frangin qui se la joue gros bras.

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