11. Misérable ex-taulard

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Sacha

Ce matin, je ne sais pas ce qu’il m’arrive mais je suis déjà réveillé alors que l’alarme de mon téléphone n’a pas encore sonné. C’est étrange car je ne suis vraiment pas du matin et d’habitude, il me faut un long moment pour émerger. Mais là, dans cette pénombre matinale, je n’ai aucune envie de prolonger ma nuit. Je sais que ce n’est pas encore l’heure mais j’ai juste envie de me préparer et d’aller au café pour travailler. Enfin, travailler, c’est juste une excuse car je suis bien conscient que ma principale motivation, c’est ma collègue. Livia. Quelle femme ! Bon, je crois qu’elle et moi, on ne joue pas dans la même catégorie, elle n’a même pas dû faire attention à moi plus que ça. Mais qu’est-ce qu’elle est belle !

Je ne sais pas vraiment si j’ai un type de femme mais clairement, si j’en avais un, elle cocherait toutes les cases. J’adore la grâce naturelle avec laquelle elle bouge, déjà. En la suivant un peu partout dans le café, j’ai eu l’impression qu’elle flottait littéralement à travers la pièce. Qu’est ce que je me suis senti lourdingue à ses côtés. Et puis, j’espère qu’elle ne m’a pas grillé en train de la mater parce que je crois que j’ai passé mon temps à zieuter son décolleté et ses fesses. Rien que de repenser à ses courbes voluptueuses, je sens à nouveau mon excitation renaître et je me demande comment je vais faire pour passer tout ce temps en sa compagnie sans lui sauter dessus. Pourquoi est-ce que je l’imagine déjà en train de m’embrasser, ses longs cheveux noirs qui tombent en cascade autour de mon visage ? Il va vraiment falloir que je me trouve une petite pour soulager toutes ces envies parce que clairement, Livia n’est pas pour moi.

Je me fais violence et je me lève avant de me laisser déborder par toutes ces envies que je ressens juste en repensant à ma collègue. Je vais vite prendre une douche aussi froide que je peux le supporter et m’habille avant d’aller prendre mon petit déjeuner dans la salle commune. Ce matin, j’ai de la chance, ce n’est pas Jordan qui est de service mais la jolie Aurélie qui me salue dans un sourire à mon arrivée.

— Je peux te parler ou je dois attendre que ton estomac soit plein ? me demande-t-elle en s’installant en face de moi.

— Vas-y, je ne suis pas chez moi de toute façon. Enfin, d’accord si c’est pas pour me faire la morale de bon matin. Il faut que je sois plus réveillé pour ça.

— Je voulais savoir comment s’était passé ton premier jour de boulot, rien de plus. Tu m’as l’air plutôt de bonne humeur pour une heure si matinale.

Je ne sais pas ce que je peux lui répondre. Que j’ai envie d’y retourner juste pour pouvoir mater ma collègue inaccessible ? Que finalement, travailler en tant que serveur n’est pas si désagréable que ça ?

— Tout s’est bien passé, je dirais. Les patrons m’ont tout expliqué mais l’accueil de ma collègue a été plutôt froid. J’avais vraiment l’impression de la faire chier alors que je suis là pour apprendre. Je n’y connais rien, moi. Tu sais, à part du business dans la cité, je n’ai jamais vraiment rien fait de ma vie.

— Eh bien, ça ira peut-être mieux aujourd’hui, qui sait ? Entre nous, personnellement, je déteste quand on a un nouveau à qui il faut tout expliquer. C’est pas contre lui, c’est juste que j’ai autre chose à faire, sourit-elle. Bref, au moins tu as l’air d’apprécier le boulot ?

— Oui, ça va. Je crois que j’ai une connexion spéciale avec ce lieu, ça doit aider. Tu sais que c’est là où j’ai passé mes premières heures de liberté ?

— Ah oui ? Tu n’as pas choisi le plus économique pour ton premier café hors de prison, rit-elle. Mais peut-être qu’effectivement, il représente ton nouveau toi ?

— Peut-être, oui, même si je ne crois pas à tout ce genre de trucs un peu chelous.

Elle ne me répond pas tout de suite et se contente de me regarder prendre mon petit déjeuner et pour une fois, je n’ai pas l’impression d’être en train de parler avec une éduc mais plutôt avec une amie. Amie qui est bien mignonne d’ailleurs. Petite et blonde, elle est vraiment jolie et je ne sais pas pourquoi, je la trouve beaucoup plus accessible que ma collègue alors que, clairement, tant que je vis ici, je n’ai rien à espérer. Et puis, qu’est-ce qu’il m’arrive ? Je suis si en manque que ça que toutes les femmes que je rencontre, je les imagine dans mon lit ? Trois ans de prison, c’est long.

— En tout cas, merci pour le soutien auprès de la Direction. Je n’ai pas eu l’occasion de te le dire de vive voix, mais il m’a dit que tu croyais en moi. Ça fait plaisir.

— Il faut que ce soit le directeur qui te le dise pour que tu l’entendes ? On va faire tous nos entretiens avec lui, alors. Ou tu viens sans ta tête des mauvais jours. Je te l’ai déjà dit, que je croyais en toi, sourit-elle. Je ne suis qu’une éduc, mais quand même.

— Non, ton dirlo, moins je le vois, mieux je me porte. Le con m’a menacé de me foutre dehors si je n’allais pas bosser. C’est comme ça que je me retrouve à me lever tôt pour gagner des kopecks.

— On fait tous ça, non ? Tu crois que je suis riche, peut-être ?

— Ben tu dois gagner plus que moi, je pense. Vu le boulot que tu fais, j’espère que tu ne fais pas ça pour rien. Educ, c’est pas un boulot facile.

— Tu regarderas sur Internet le salaire d’un éduc, tu seras surpris, rit-elle. Tout ça pour bosser avec des grognons dans ton genre… L’exploitation, moi je te le dis !

Je ris avec elle et ne peux m’empêcher de me demander si elle est comme ça avec tous les résidents ou si j’ai le droit à un traitement spécial. Il faudra que je l’observe travailler pour déterminer si elle m’aime bien ou si c’est juste son travail qu’elle fait.

Lorsque j’arrive au café, la patronne me félicite pour ma ponctualité et m’informe, à mon grand désespoir, que Livia ne peut pas être là ce matin et qu’il faut que je me mette au service et pas à la plonge. J’avoue que ça me met un coup et que tout de suite, je suis moins motivé. Je crois que madame Marchand prend ça pour de la peur de travailler seul car elle cherche à me rassurer :

— Je suis sûre que tu vas très bien te débrouiller. Tu as vu l’essentiel, hier, et si tu as un problème, n’hésite pas à me demander. Je comprends que ça ne soit pas facile de se mettre au travail après… Enfin, tu vois, quoi, mais tu te débrouilleras très bien.

— Non, ça va aller, Madame. Je devrais m’en sortir.

J’ai horreur de sa fausse condescendance. Elle me prend vraiment pour un abruti, je crois. C’est horrible d’être traité comme si j’étais un imbécile fini et je préfère aller ouvrir la porte d’entrée où des clients attendent déjà plutôt que de me disputer avec elle.

Je m’installe derrière le comptoir et commence à servir les cafés aux habitués. J’ai l’impression que je ne m’en sors pas trop mal, j’arrive à suivre les commandes et gère l’affluence de ce début de matinée sans trop de soucis. Par contre, quand ce gars en costard se ramène, je sens que ça va être plus difficile. Il a l’air pressé et énervé contre la Terre entière. Sauf que celui qui se retrouve en face, c’est moi.

— Bonjour Monsieur. Vous voulez quoi ?

— Un grand café, serré. Le plus fort, c’est lequel, déjà ? Elle est où, la jolie petite serveuse ?

— Je crois que c’est l’Arabica, là, qui est le plus fort. Un long ou un serré ?

Énervé et déconcentré par son commentaire sur Livia, j’ai complètement zappé ce qu’il m’a demandé. Et pour ce qui est du plus fort, je n’en ai absolument aucune idée, j’ai juste pris le nom de celui commandé par le client précédent.

— Un grand, corsé, j’ai dit. Vous croyez ou vous êtes sûr ? Vous bossez ici ou vous faites de la figuration ?

— Je suis nouveau, Monsieur, j’apprends. Vous voulez que j’aille demander à la patronne ce qu’il serait mieux pour vous ?

— J’ai pas de temps à perdre, bon dieu, je suis pressé. Grouillez-vous, surtout !

— Qu’est-ce qu’il se passe, ici ? Oh, bonjour Jérôme. Pourquoi êtes-vous énervé ? Le petit ne vous donne pas satisfaction ?

Eh bien, quand on parle du loup… Je sens que je vais me faire engueuler alors que je n’y suis pour rien dans l’histoire.

— Je suis pressé et votre serveur semble autant s’y connaître en café que moi en haute-couture, grommelle le client. Au moins, votre fille, elle sait de quoi elle parle.

Sa fille ? Livia est la fille des patrons ? C’est nouveau, ça. Et lui, il abuse, je ne vais pas le laisser dire n’importe quoi comme ça !

— J’ai proposé un café Arabica parce qu’il voulait le plus fort, mais comme je ne suis pas sûr, je voulais vérifier avec vous.

— Et je lui ai demandé de se dépêcher. Mais mon café n’est toujours pas là et je vais arriver en retard au boulot, continue le fameux Jérôme. C’est quand même pas compliqué de savoir quel est votre café le plus fort, si ?

— Ne vous inquiétez pas, je vais vous servir notre spécialité de la semaine. Un petit café brésilien dont vous me direz des nouvelles ! Et pour la peine, il vous est offert par la maison. Vous savez, ce n’est pas un mauvais bougre, le petit jeune. Mais il est sorti de prison il n’y a pas longtemps et on essaie de le réinsérer. C’est pas facile tous les jours avec ce genre de profils.

Non mais elle est sérieuse, là ? Elle est en train de raconter à tout le monde que j’ai fait de la taule ? Je sens que ça bout au fond de moi et préfère me taire plutôt que d’exploser. Et en plus, elle sort ça juste au moment où Livia débarque. Je me tape la honte devant ma collègue aussi, maintenant.

— Un ancien taulard ? Eh bien, vous avez du courage, Marguerite ! Tout le monde n’accepte pas d’avoir un délinquant chez soi.

— Je ne suis pas un délinquant, vous ne savez rien de moi, grondé-je alors que Madame Marchand pose une main sur mon bras.

— Tu sais qu’on ne te juge pas pour ça ici. C’était juste pour expliquer à Monsieur pourquoi tu es un peu lent à tout comprendre.

— Je suis un con, alors, c’est ça ? Eh bien, vous savez ce qu’il vous dit, le délinquant ? Allez vous faire foutre ! Je démissionne. Je me barre !

Je retire la veste de mon uniforme et la jette par terre. Je capte le regard surpris de Livia alors que je suis déjà en train de franchir la porte d’entrée. On pourra dire que cette expérience aura été courte et pas franchement convaincante. J’espère qu’ils vont comprendre, au centre, pourquoi je ne suis pas resté. Mais en même temps, même s’ils me foutent à la rue, je sortirai dignement. Ex-taulard ou pas, j’ai le droit au respect. Comme tout le monde. Et s’il faut que je retourne faire du deal pour me faire respecter, je le ferai. Et qu’ils aillent tous se faire foutre.

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